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Channel: Il a osé !
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Dark Touch

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"Pas de hors-jeu sur les touches !" n'a cessé de nous répéter Jean-Michel Larqué des années durant, sauf pour Dark Touch, qui dès les premières secondes donne dans l'anti-jeu pur et simple et nous pousse à trouver un sifflet pour tout arrêter. Il fait partie de ces films qui ne sont pas regardables. Intenable, insupportable, imbuvable, imbitable, ingérable, autant d'adjectifs qui se bousculent dans notre esprit après deux minutes de film. Le début justement : une petite fille chiale dans une immense baraque en pleine nuit, un carreau casse, le lit se met à trembler, tout part en vrille, les parents, baignés dans un halo flou qui sera la Marina de Van's dark touch tout au long du film, se mettent à hurler dans tous les sens, la gamine saigne de la bouche et ne parvient pas à parler, elle sort dans le jardin, se prend un rateau dans le front, tombe sur son tonton qui lui met une béquille pour l'immobiliser et la ramener au bercail où ses parents hurlent de plus belle, et puis ça se calme. Et là : "Dark Touch".




Vous rappelez-vous de la première apparition d'Arwen, et des rêves de cette dernière, dans la trilogie Le Seigneur des anneaux? Ces scènes, qui baignaient aussi dans un halo lumineux ignoble et dans un flou artistique à vomir, étaient agressives au possible. Idem pour toutes les scènes de Dark Touch, qui quant à lui constitue également une agression caractérisée dans son contenu. Le film est, pour le dire autrement, dans la droite lignée du Lovely Bones de Peter Jackson, que nous tenons pour un phénomène paranormal sur lequel les chercheurs du monde entier ne se sont pas encore suffisamment penchés. En bref il est d'une laideur visuelle inouïe, et en prime on n'y comprend rien de rien, et on n'a pas envie de comprendre, quand bien même on se sent un peu bête durant la projo. Ce n'est qu'en consultant quelques blogs d'amateurs de cinéma de genre manifestement désespérés que nous avons compris le fin mot de l'histoire, grâce à des phrases du genre "Les chaussures parfaitement alignées au pied du lit, le slip descend doucement et le calvaire de la jeune fille débute" (sic) : il s'agit en fait d'un trauma pédophile. La petite héroïne du film se fait violer par ses parents (et peut-être par son oncle, étant donné la béquille terrible que ce dernier lui assène en la voyant souffrir), et, télékinésiste qui s'ignore, ses crises d'angoisse se matérialisent dans des tempêtes de vaisselle et de tables de nuit Fredrik Ljungberg© de chez Ikéa. La maison gigote et balance tout ce qu'elle contient sur les parents de la petite fille qui finissent leur vie en guirlandes clignotantes de Noël. Marina de Van, l'égérie de François Ozon, signe un nouveau film de genre qui parvient à convaincre quelques fans innocents, que l'on aimerait presque rencontrer, pour parler. Une chose est sûre en revanche, on aimerait ne jamais recroiser un film de la dame. Ça suffit. Ça suffit ample, large.


Dark Touch de Marina de Van avec Padraic Delaney, Robert Donnelly, Charlotte Flyvholm (2013)

The Last Days on Mars

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Que ce film-là ait su susciter l'enthousiasme des amateurs de cinéma de genre lors de ses projections dans différents festivals montre bien le niveau de détresse terrible d'un public sevré de bons films et désespérément à la recherche de la nouvelle star. The Last Days on Mars n'est certes pas spécialement honteux et n'engendre aucune espèce d'animosité, mais il n'en reste pas moins qu'un très très banal film de SF horrifique où une nouvelle contagion transformant les hommes en zombies est simplement déplacée sur la planète rouge. Géant.

On se demande bien ce qui peut animer un jeune cinéaste comme Ruairi Robinson, qui signe là son premier long métrage. On sent qu'il connaît ses classiques, mais que fait-il pour s'en démarquer ? A quoi bon tourner un nouveau film de zombies sur la planète rouge ?! Comment se passionner pour une telle histoire ? Robinson se contente de filmer des situations que l'on connaît par cœur, avec peut-être un certain sens du rythme et, à l'évidence, une réelle application qui atteste de sa sincérité, mais tout cela ne suffit pas du tout, hélas, à sauver son bébé de la médiocrité. The Last Days on Mars ne laisse strictement aucun souvenir.


Ci-dessus Liev Schreiber sur son canapé en tenue d'astronaute en train de faire découvrir The Last Days on Mars à sa fille (photo @ Naomi Watts). 

Force est de reconnaître que la minceur du budget ne transparaît pas vraiment à l'écran, encore faut-il ne pas pousser le regard trop loin ni s'attarder sur l'affiche du film. Quand les lettres "L I E V S C H R E I B E R" barrent le haut d'une affiche, c'est tout de même signe d'une misère totale... L'acteur fait encore une fois tout son possible, mais il n'a tout simplement pas la carrure d'un premier rôle. On l'imagine aisément montrer ce film à sa compagne Naomi Watts lors d'une soirée dvd organisée par ses soins. On imagine Naomi Watts regarder ça du début à la fin, très poliment, presque avec amour, puis l'encourager à continuer, tout en préparant sa vengeance en douce lors d'une future soirée dvd avec Perfect Mothers au programme. Pauvre Liev Schreiber...


The Last Days on Mars de Ruairi Robinson avec Liev Schreiber, Olivia Williams, Elias Koteas et Romola Garai (2013)

Elvira Madigan

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Film suédois de 1967 signé Bo Widerberg, Elvira Madigan s'inspire d'une histoire mi-vraie (remontant au XIXème siècle) mi-légendaire du folklore national. C'est la tragique aventure amoureuse de l'éponyme Elvira Madigan (Pia Degermark), funambule échappée de son cirque, et de son amant Sixten Sparre (Thommy Berggren), lieutenant de l'armée déserteur, qui décidèrent de vivre ensemble et loin de tout, hors la civilisation, dans la campagne, jusqu'à ce que la pauvreté, la faim, les remords et le reste les rattrape. Livrant la troisième adaptation cinématographique de cette histoire, Widerberg, anti-bergmanien convaincu, nage alors dans le vaste flot des Nouvelles Vagues européennes des années 60, même si Elvira Madigan n'est probablement pas, au sein de sa filmographie, le film le plus immédiatement rattachable à ce que l'on peut a priori attendre d'une esthétique Nouvelle Vague (Le Péché suédois - que je n'ai ceci dit pas vu, mais il suffit de regarder la bande-annonce - semble en effet beaucoup plus significatif sur ce plan).




Elvira Madigan se situe quant à lui dans une sorte d'entredeux. On retrouve dans beaucoup de scènes une forme relativement sage et propre, pour ne pas dire gentiment académique, tandis que la structure générale du film se révèle pour le coup assez moderne dans son aspect plutôt lâche, flottant, le cinéaste mettant bout à bout une suite de moments creux dédiés aux errances des personnages et à la vie de leurs corps, filmés en toute spontanéité, presque sans gouverne, dans une nature accueillante d'abord, puis forcément hostile. Si bien que le véritable axe dramatique de l'ensemble tient au seul temps qui passe et qui, passant, condamne les amants. Le film navigue à vue, pour résumer, quelque part entre Jeux d'été de Bergman, n'en déplaise à Bo et pour le taquiner un peu (honte à moi, le pauvre homme est décédé en 1997), et des films contemporains tels que Lady Chatterley ou Bright Star, sans pour autant atteindre la cheville ni du premier, ni des derniers.




La faute à la platitude d'un certain nombre de séquences, et peut-être au manque de ligne de fuite de l'ensemble, que contrebalancent heureusement de beaux moments, comme cette scène où Elvira entend l'ami de son amant dire à ce dernier que sa légitime épouse, abandonnée pour la funambule, aurait soi-disant tenté de se suicider, et où notre chère tête blonde se bouche soudain les oreilles dans un gros plan très frappant. Un charme certain se dégage de cette pastorale panthéiste, de l'actrice Pia Degermark, et de la nature au sein de laquelle le couple prend ou perd son temps allongé dans l'herbe. Mais aux clichés poétiques aussi éculés que touchants (cette scène où l'amant, assis au bord de la rivière, écrit un mot d'excuse à sa maîtresse sise en aval, et pose le bout de papier sur l'eau pour qu'il dérive jusqu'à elle), se substitue souvent un symbolisme plus lourdaud, venu annoncer la mort prochaine (la caméra qui s'attarde sur le rasoir de Sixten Sparre quand les amoureux font l'amour dans l'herbe barbouillés de mousse à raser, ou le vin renversé, prémonitoire du sang qui va couler, auxquels on préfère d'assez loin le chant lugubre du gros hibou près de la cabane et le nuage noir tout rond au-dessus des rochers dans le film pré-cité de Bergman). Film inégal donc, car si l'on a quelque mal, par exemple, à croire à la faim terrible qui ronge les personnages, y compris quandElvirarampe sur le sol pour dévorer des brins d'herbe, une scène comme celle où notre blonde gracieuse croque des roses rouges sur leurs tiges à pleines dents n'est pas dépourvue de beauté. 


Elvira Madigan de Bo Widerberg avec Pia Degermark et Thommy Berggren (1967)

A Bittersweet Life

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Commençons par le pitch. Un grand chef de la mafia peu commode suspecte sa petite amie, d'une trentaine d'années sa cadette, d'avoir une liaison avec un autre homme. Il demande donc à son bras droit, le fidèle et efficace Sun Woo, de surveiller la jeune femme et de l'éliminer, purement et simplement, s'il la surprend en galante compagnie. Peu indifférent au charme délicat de la demoiselle, Sun Woo ne saura, cette fois-ci, honorer sa mission ; il ignore que cela entraînera des conséquences tout à fait démesurées... Voici donc le point de départ de ce qui pourrait être un énième film de vengeance venu d'Asie, mais que Kim Jee-woon transforme en un pur exercice de style jubilatoire, que je pourrais même qualifier de « jouissif » si ce mot n’était pas employé, en général, pour de mauvaises raisons. Une chose est sûre : A Bittersweet Life est, à mes yeux, l'un des tous meilleurs thrillers coréens de ces années 2000 où l’on en a vu tant débarquer en fanfare sur nos écrans, très souvent couverts de récompenses et accompagnés d'une solide réputation parfois déceptive. J'annonce donc la couleur, ce papelard sera à la fois foutraque et à sens unique !




Il faut d'abord voir avec quelle efficacité Kim Jee-woon réussit à planter le décor, en quelques secondes, en quelques traits. Dès la fin du générique d'ouverture, on y est ! On se retrouve immédiatement plongé au cœur d'une ambiance feutrée, dominée par des intimidations et une hiérarchie malsaines, qui paraîtra très familière aux amateurs de films de gangsters ; on suit de près les agissements d'un homme de main tout en élégance et en charisme, droit dans ses bottes, opérant avec classe et sans bavure. Tout le talent du cinéaste est de nous amener directement dans un cinéma dont on connaît parfaitement les codes, de le faire avec une telle maestria et une telle aisance que l’on a un seul réflexe : accepter d'être en terrain archiconnu pour mieux être embarqué dans cette histoire linéaire, montant progressivement en tension, qui sera le prétexte à un réjouissant enchaînement de morceaux de bravoure et de scènes joliment envoyées.




A Bittersweet Life est constitué de deux parties assez distinctes et c'est surtout la première que j'apprécie tout particulièrement. Dans celle-ci, Kim Jee-woon prend son temps, développe une mise en scène très aérienne, extrêmement fluide, et procède aussi à un remarquable travail sur le son. Cette patience et ce souci du détail font du film un véritable travail d'esthète, un plaisir pour les sens. Des plages d'ambiance, des moments de quiétude quasi contemplatifs, précèdent des explosions brutales où la violence est toujours très stylisée, beaucoup moins grand-guignolesque et frontale que dans le thriller horrifique très remarqué que le cinéaste a réalisé par la suite, toujours avec son acteur fétiche, J'ai rencontré le diable. La première collaboration des deux hommes est également traversée par un humour noir et corrosif typique de ce cinéma coréen qui mélange souvent ces registres sans que cela ne porte jamais atteinte à la cohérence et à l'équilibre de l'ensemble. Ici, des situations absurdes viennent parfois tourner le genre en dérision, sans altérer la force et la sincérité du vibrant hommage qui lui est ici porté. D’ailleurs, ce travail sur le genre, et sur un thème très commun à ces films, la vengeance, Kim Jee-woon le poussera encore plus loin dans J'ai rencontré le diable, justement, avec plus de radicalité et peut-être moins de légèreté…




Quand, dans la deuxième partie, Kim Jee-woon filme la vengeance irrésistible de son personnage, on assiste à un véritable ballet sanguinolent, la chorégraphie des scènes de fusillade ou de combat est très travaillée, sans être surfaite, et leur cohérence compte assez peu (comment un homme, même très remonté et animé par une rage terrible, peut-il se débarrasser d'une trentaine d'opposants belliqueux et armés jusqu'aux dents ? on s’en balance !). Et puis il y a une scène particulièrement réussie et incroyable de suspense qui à elle seule pourrait m'amener à défendre le film entier ! Cerné de très près dans la planque de quelques revendeurs d’armes un peu idiots, notre héros, assis face à un ennemi découvrant progressivement la réelle identité de son vis-à-vis, doit, pour s'en tirer, réassembler une arme qu'il vient juste de démonter. Une course improvisée, inexplicable pour les autres personnages, spectateurs des évènements, est alors lancée entre les deux hommes. Elle se conclut par un échange de coups de feu aussi rapide qu'imprécis, qui nous laisse cramponné au fauteuil. La lisibilité et la limpidité idéales de cette scène, la façon qu'a Kim Jee-woon de filmer les regards de ses acteurs, leurs mimiques stressées ou hébétées, de jouer avec la lenteur paradoxale de la situation avant son dénouement pétaradant, tout cela en fait un vrai modèle du genre, que je ne me lasse pas de revoir, juste pour le plaisir ! C’est un sacré moment, qui nous fait retourner en enfance, à l’âge où l’on se fait des films, où l’on invente des bandes-dessinées de cow-boys, ce genre de choses. Un plaisir simple, donc.




Parmi les influences évidentes du Drivede Nicolas Winding Refn, on a souvent cité quelques titres plus ou moins cultes du polar moderne américain (Thief de Michael Mann, To Live and Die in LA de William Friedkin ou The Driver de Walter Hill…), mais plus rarement le film de Kim Jee-woon, référence pourtant ouvertement citée dans quelques interviews par le cinéaste danois. J'encouragerai donc les nombreux fans de Drive à lui donner une chance, ils ne pourront que l’apprécier. Le « driver » est une figure très proche de l'homme de main interprété par le beau Lee Byung-hun. Et si l'on a déjà pu se moquer du jeu apparemment fort limité de Ryan Gosling dans le film de NWR, il faut ici reconnaître au bellâtre asiatique une précision assez impressionnante et vraiment remarquable : dans un rôle certes un peu moins mutique que son homologue canadien, il livre une prestation très maîtrisée et dégage surtout une incroyable présence à l'écran. On a ainsi aucun mal à comprendre et à partager ses sentiments, et donc à accepter ce schéma revanchard que l'on ne connaît que trop bien. Afin de rassurer les anti-Drive, pour qui ce rapprochement serait rédhibitoire, je préciserais que cette vie aigre-douce est certainement moins vide, moins creuse émotionnellement, notamment grâce à ce que je viens d'évoquer ; sans parler du fait que les sublimes compositions de Yuhki Kuramoto planent à des années lumières de Kavinsky.




Malgré son aspect assez minimaliste et sa sècheresse narrative, et peut-être aussi grâce à cela, A Bittersweet Life parvient à éveiller l'imagination ainsi que les réflexions autour de son protagoniste. Lors de sa conclusion sanglante, nous arrivons même à la lisière du fantastique, sur les traces d'une sorte de fantôme vengeur défiant la mort pour achever ses représailles. Lee Byung-hun campe un personnage qui paraît condamné à une pauvreté sentimentale extrême et qui dérive soudainement d'une trajectoire toute tracée quand on lui enlève ce qu'il envisageait sans doute comme une dernière chance de ressentir, d’éprouver, de vivre, pour se lancer dans une vengeance méthodique et implacable tel un mort-vivant inarrêtable. L’ombre lointaine du Samouraï de Jean-Pierre Melville plane sur ces films-là. Il se dégage de ce "néo-noir" sud-coréen presque esthétisant une même symbiose, une même harmonie entre un acteur et son metteur en scène. Quand on revoit ce film aujourd'hui, on regrette que le cinéaste se soit par la suite perdu outre-Atlantique le temps d'une collaboration infructueuse avec une méga-star sur le retour, Arnold Schwarzenegger, pour un film, Le Dernier rempart, qui n'a rien donné et dont tout le monde est ressorti perdant. On espère à présent que Kim Jee-woon retournera très vite à ses premières amours, retrouvera l'excellent Lee Byung-hun, lui aussi égaré dans des productions hollywoodiennes sans âme, pour nous livrer un autre film de genre de cette tenue !


A Bittersweet Life de Kim Jee-woon avec Lee Byung-hun, Hwang Jung-min et Shin Min-a (2005)

Landru

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Landru vient plus tôt que je ne me l'étais imaginé dans la filmographie chabrolienne, et on sent déjà chez le cinéaste un virage, après des premiers films très Nouvelle Vague, vers un cinéma plus populaire, un cinéma de genre plus classique aussi, peuplé de grands acteurs du répertoire. Et déjà menace cette tentation de l'académisme, de l'artisanat propre sur lui, de l'esthétique téléfilm, qui aura plombé quelques films du maître, cette mécanique rodée mais un rien fade qui est celle, en "moins pire", de toutes ces adaptations de Maupassant, peut-être gentilles mais désespérément plates, qui remplissent les cases du service public, défilant droit vers la poubelle en passant par les postes allumés de quelques ménagères et autre retraités bien éteints (ou l'inverse).




Landru, tueur en série qui, durant la première guerre mondiale, profita de la solitude de onze femmes (au moins) pour les séduire, leur extorquer leurs biens et les faire disparaître dans sa gazinière, est pourtant un personnage fort. Mais c'est Charles Denner qui le sert (si l'on peut dire) en l'incarnant (disons en le vocalisant), plus que Chabrol en le filmant. Denner ne fait pratiquement rien, il est même particulièrement figé sous ses postiches, mais sa voix fait le reste. Surjouée pourrait-on penser, exagérée oui, mais elle a raison de l'être parce que Landru n'est qu'elle, cette voix séduisante, envoûtante, enrobage de brèves mais piquantes paroles promptes à faire plier les veuves de guerre, et qui auraient aussi bien pu faire plier le jury de son procès. Chabrol met en scène la théâtralité de son personnage quand ce dernier se rend chez Michèle Morgan et sa sœur, mais son "filmé théâtre" (pas de quatrième mur, caméra frontale, en plan d'ensemble, face au décor bourgeois où se déplacent les acteurs) ne fait qu'accroître son "filmé plat". Landru peut donc remercier Denner, car Chabrol n'a pas beaucoup plus d'égards pour lui que pour ses victimes, et les actrices qui les incarnent n'ont guère le temps quant à elles de faire entendre leur voix. Le cinéaste fait défiler les stars : Michèle Morgan et Danielle Darrieux, rien que ça, aux côtés de la Catherine Rouvel du Déjeuner sur l'herbe. Un petit tour et puis s'en vont. Il faut dire que le meurtrier, interprété par l'acteur de L'Homme qui aimait les femmes, ne les aime guère quant à lui. Seule Stéphane Audran, favorite de Chabrol comme de Landru, aura la vie sauve. Au fond, et on peut le regretter, le cinéaste montre presque autant d'intérêt pour ces dames que son héros, qui les prend, les rince et les passe à la casserole sans traîner.




Et malgré les visages plein cadre, il ne les regarde pas davantage quand elles s'apprêtent à cuire. Chabrol se garde bien de filmer les meurtres : un gros plan de chaque victime en arrêt sur image est systématiquement suivi d'un plan sur la cheminée de la gazinière qui fume, et "vous m'aurez compris" nous dit Chabrol avec son sourire goguenard. On a parfois l'étrange impression de voir, plaquée sur la guerre de 14, des images de 39-45 (corps brûlés par un esprit systématique et pratique, cheminées fumantes, voisins incommodés par l'odeur mais semblant ignorer sa provenance, et personne, pendant un long moment, pour s'émouvoir de ces disparitions... sans oublier le procès final, où le bourreau avance de simples carnets remplis de chiffres, blocs de preuves qu'il nie en bloc). On croit d'abord que Chabrol, en ne filmant pas la mort des onze victimes de Landru, laisse planer un vague petit doute sur son cas. Mais, à la fin du film, quand il ne montre pas non plus la décapitation, sûre et certaine quant à elle, de son personnage principal, c'est finalement une assez belle manière d'asseoir sa culpabilité. Sauf qu'il y a un revers de médaille à cette belle idée du non-montré, qui est le vrai défaut de ne pas montrer grand chose... Du film ne demeure pratiquement que la voix de Denner/Landru, ce qui n'est déjà pas si mal, et, moins que les femmes qu'il a tuées, onze fois (ou sans doute un peu moins) la même cheminée.


Landru de Claude Chabrol avec Charles Denner, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Catherine Rouvel, Stéphane Audran et Raymond Queneau (1963)

Tonnerre

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Tonnerre, récit du retour au foyer paternel d'un musicien solitaire, Maxime (Vincent Macaigne), et de la rencontre amoureuse de ce jeune homme et d'une très jeune fille peu sûre d'elle, Mélodie (Solène Rigot, aperçue dans le 17 filles des sœurs Coulin), n'est que le premier long métrage de Guillaume Brac, après le court Le Naufragé et le moyen Un monde sans femmes. Mais il fait naître à son tour l'impression saisissante, bouleversante, que c'est la vérité qui se montre là, dans ce mélange tout à fait remarquable de réalisme (ces non-acteurs impliqués de façon semble-t-il plus que personnelle dans le récit, comme Hervé, le divorcé au revolver) et de pur romanesque (avec la deuxième apparition, justement, de ce fameux revolver, et tout ce qu'elle implique). Surgit de chaque moment du film l'impression que c'est ça. Que c'est exactement ça. Pourtant rien de cliché, de banal, de facile. A l'opposé du "on connait ça par cœur...", on est dans le "c'est enfin ça !", du côté de cette émotion brutale et sourde qui s'empare de nous quand, par exemple, on lit, sous les plumes rares de quelques écrivains plus justes, plus sensibles et plus précis que les autres, des mots qui disent exactement cela qu'il y a de plus enfoui ou de plus évident, mais de pourtant non-dit, en nous. On a devant Tonnerre l'impression, et il faudrait plutôt dire la certitude, car il ne s'agit pas de se laisser convaincre mais de reconnaître, d'éprouver la vérité, la certitude donc que c'est comme ça qu'un homme tombe amoureux d'une femme, en scrutant le corps actif de l'autre au point d'oublier le sien, hébété, sous la neige, dans une séquence sublime qui rejoint la poésie neigeuse de The Day he Arrives de Hong Sang-soo. C'est comme ça aussi qu'on se met très vite à aimer à l'excès une fille trop jeune, dont la blancheur des traits (au sens de la page blanche), juvéniles et comme intacts, pousse l'homme à y projeter une pureté écrasante et idiote. C'est comme ça qu'une fille regarde un homme pour qu'il l'embrasse pour la première fois, que ce premier baiser ait lieu dans les catacombes de la ville de Tonnerre ou ailleurs. Comme ça aussi, quand par l'horrible cela se produit, que l'on perçoit déjà que l'autre s'éloigne et que c'est perdu. Que l'on sent cette distance irréparable qui naît tout d'un coup entre deux êtres (concrètement "entre" eux, dans l'espace qui les sépare, même infime, comme devant l'immeuble de Mélodie avant qu'elle ne parte en week-end), et qui croît trop vite. Comme ça qu'on nie d'abord ce gouffre grandissant, sans y parvenir vraiment, puis qu'on le refuse sans pouvoir faire autrement, quand la fin est nommée. Comme ça qu'on pleure sans retenue, le corps cessant de se tenir, poids mort écroulé, et qu'on retourne sur le lieu de la promenade amoureuse, bassin merveilleux, au sens du merveilleux médiéval, devenu vaste étang de mélancolie, verdâtre et insupportablement pourri.




Maxime, l'amoureux éconduit, interprété par un Vincent Macaigne une fois encore sublime devant la caméra de Guillaume Brac, est un peu comme Yvain qui, repassant près de la fontaine magique qui jadis l'a mis entre les bras de Laudine, et ce longtemps après que sa dame l'a banni pour avoir manqué à sa promesse et pour être demeuré absent trop longtemps, est à peu de choses de sombrer à nouveau dans la folie, cette folie mélancolique qui l'a soudain exclu de l'humanité, rendu à l'état animal, errant nu dans la forêt, jusqu'à ce qu'un ermite le sauve et le rende à son humanité. Comme si la folie maladive était inscrite dans un lieu et s'y attrapait de même qu'on attrape froid. C'est me semble-t-il en repassant devant le bassin frelaté que Maxime sombre. A ceci près que sa sortie de l'humain consiste d'abord en une plongée très profonde dans la honte, une honte qui relève de la perte de conscience momentanée de soi-même et des autres, lorsqu'il brise une armoire et hurle dans son oreiller, brisant les lois tacites du savoir-vivre (au sens littéral du terme) et laissant son père désemparé. Deuxième étape de la sortie de l'humain : la folie à proprement parler, un abandon à la violence. Dans les deux cas, Maxime "s'abîme", pour citer Roland Barthes citant le Werther de Goethe. Je ne voulais pas parler de Rozier, que je connais mal, ni de Rohmer, que je connais bien, car ces détours légitimes deviennent obligatoires pour parler de Brac, et pour cause, puisqu'on retrouve là cette impression de vérité, ce réel mêlé de romanesque, cette simplicité rehaussée de noblesse, cette nudité et cette richesse, ces questionnements moraux, philosophiques, et cette intelligence du cinéma qui font le génie d'Eric Rohmer. Mais je n'en parlerai pas, et je parle donc de Chrétien de Troyes, adoré et adapté par Rohmer, et de Roland Barthes, adorateur de l'adaptation de Chrétien par Rohmer, et lui-même adoré et interprété par Luchini, acteur fétiche de Rohmer et acteur principal de Perceval. La boucle est bouclée et, du reste, il me semble que Tonnerre est aussi un film sublime en tant qu'il est une mise en scène d'un certain nombre de figures amoureuses dont Roland Barthes recomposa le discours via une prose poétique d'une précision sans pareille.




Werther, comme Yvain, ne souffre l'absence de l'autre que parce qu'il s'éloigne de l'objet aimé. Maxime est, lui, de ceux qui restent. Barthes : « Or, il n'y a d'absence que de l'autre, c'est moi qui reste. L'autre est en état de perpétuel départ, de voyage ; il est, par vocation, migrateur, fuyant : je suis, moi qui aime, par vocation inverse, sédentaire, immobile, à disposition, en attente, tassé sur place, en souffrance, comme un paquet dans un coin perdu de gare. L'absence amoureuse va seulement dans un sens, et ne peut se dire qu'à partir de qui reste - et non de qui part : je, toujours présent, ne se constitue qu'en face de toi, sans cesse absent. Dire l'absence, c'est d'emblée poser que la place du sujet, la place de l'autre ne peuvent permuter ; c'est dire : "Je suis moins aimé que je n'aime".» Maxime, sur le quai de gare, venu fêter la fin programmée et espérée de l'absence de Mélodie, son bouquet de fleurs en main, est ce paquet en perpétuelle attente, tassé, perdu. « L'identité fatale de l'amoureux n'est rien d'autre que : Je suis celui qui attend». Quand Maxime, après son accès de folie dans le cabanon au bord du lac, demande à Mélodie non pas de lui expliquer (même s'il dit et répète "Je comprends pas là…") mais de lui raconter ce qu'elle a fait durant ce week-end où il l'a perdue, c'est peut-être précisément pour permuter, pour ne plus être le présent, l'immobile, c'est pour mettre un terme à l'angoisse et aux images d'autant plus cruelles que forcément multiples créées par l'absence et l'attente, c'est afin de forcer la présence de l'autre par-delà son absence effective.




Maxime, à travers son histoire immédiatement périlleuse avec Mélodie, reproduit aussi le scénario paternel de l'escapade dans une cabane lointaine, au nord de l'Italie pour le père, dans la forêt pour le fils, en compagnie d'une demoiselle largement plus jeune. Ainsi Maxime n'aurait vécu cette histoire que pour en rejoindre une autre : pas seulement celle du père, aussi celle de la mère. Le personnage semble reproduire, sans l'avoir pré-conçu, une "primitive agony" (Winicott, encore et toujours cité par Barthes), pour se donner une chance, paradoxalement, d'à nouveau rater l'autre. C'est se donner une autre chance de perte, permuter une autre absence, celle de la mère agonisante quand il était, lui, absent. Ou comment reproduire un échec dont, cette fois-ci, on partagerait les torts et la douleur. Et Barthes pourrait lui répondre : "Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdue". Maxime a déjà perdu sa mère comme il a déjà perdu Mélodie, perdue dès ce message où elle prétextait une fatigue pour ne pas le voir avant son départ, définitivement avec ce geste, devant l'immeuble de sa cité, où Maxime lui tire les cheveux en essayant de l'embrasser : faut-il qu'il l'ait perdue pour que déjà, à ce stade de leur relation, elle lui dise comme ça "tu me fais mal", et pour qu'il ait ce geste pénible.




Le film passe près de perdre son spectateur (on le sait gré ensuite d'avoir pris ce risque immense mais mesuré) quand Maxime devient fou, sauf que la scène est tournée avec une intelligence telle, et qu'elle s'inscrit dans le discours du film avec une telle finesse d'observation et de réalisation, qu'il n'en est rien. « Tout amoureux est fou, pense-t-on. Mais imagine-t-on un fou amoureux ? Nullement. Je n'ai droit qu'à une folie pauvre, incomplète, métaphorique : l'amour me rend comme fou, mais je ne communique pas avec le surnaturel, il n'y a en moi aucun sacré ;  ma folie, simple déraison, est plate, voire invisible ; au reste, totalement récupérée par la culture : elle ne fait pas peur. (C'est pourtant dans l'état amoureux que certains sujets raisonnables devinent tout d'un coup que la folie est là, possible, toute proche : une folie dans laquelle l'amour lui-même sombrerait.) ». Or Maxime fait soudain très peur quand il tombe du côté de ce surnaturel et de ce sacré. Il est même terrifiant, et deux fois plus quand notre terreur s'enfonce dans celle exprimée sur le visage d'Ivan, le footballer, aux traits déconstruits par la peur. Maxime est d'autant plus terrifiant que sa folie dévore son amour, et rend cet amour pour le coup invisible. L'amoureux n'est plus que fou, et pousse Mélodie à un acte de folie réciproque, peut-être encore plus insensé, plus improbable, quand elle affirme que Maxime n'en a qu'après son corps et se déshabille comme pour le lui foutre sur la gueule, usant de son corps comme Maxime a usé de son arme à feu, pour terroriser et ne pas laisser le choix, sinon ce "ferme ta gueule !" que le jeune homme pousse en la giflant. Ce geste de la jeune fille relèverait d'ailleurs presque, en beaucoup plus aggravé, du fameux "point sur le nez" de Barthes, produisant une parfaite "contre-image de l'objet aimé" ou quand "la bonne Image" est soudainement "altérée", "renversée". Mélodie n'est plus alors seulement perdue en tant qu'objet aimé pour Maxime, qui doit certainement se rendre compte à cet instant qu'elle n'est pas la page blanche dont il est tombé amoureux et qu'il n'a pas pris le temps de seulement la lire, elle devient un objet impossible, donc un souvenir périmé. Et il fallait bien provoquer ce renversement, d'une folie l'autre, pour que l'amoureux redevienne raisonnable, à l'excès même : il ne peut mentir au policier qui l'y encourage pour tenter d'alléger sa peine. La passion laisse place à la raison, puis au pardon, qui vaut ici pour stricte libération, de l'autre et de soi-même, pour Maxime comme pour Mélodie.




Mais la grande beauté du traitement des figures amoureuses telles que déployées par Brac n'est pas le seul joyau de vérité de ce film. Si cette histoire d'amour passe, reste le père et la relation au père, cet autre dont on finit par découvrir qu'il est un même, aussi faible que soi, et qu'on aime alors peut-être vraiment pour la première fois, après l'avoir seulement admiré, quand il devient un frère, un heureux désastre, un enfant et une solitude, dormant beaucoup et jouant un peu, ce double qu'il ne faut pas questionner longtemps pour qu'il revienne sur le nœud de son histoire, mais qui chante encore, et plus volontiers que nous encore. Bernard Menez joue un peu à côté, mais comme un père peut jouer à côté. C'est comme ça, là encore, qu'un père tente de rejoindre son fils sur son terrain : en chantant faux. Quand Maxime demande à son père s'il trouve Mélodie jolie, alors que le père a déjà vu la jeune femme (c'est lui qui l'a présentée à son fils), il répond : "J'ai pas bien eu le temps de voir tu sais", faisant référence à la nuit précédente, où Mélodie est allée, à demi-nue, ouvrir la porte des toilettes où le père lisait. C'est la réponse malaisante, à côté, d'un père à son fils, qui laisse un blanc, en souriant, parce qu'il sait que son père va se rattraper, ce que le père fait effectivement. Autre vérité : la façon dont Maxime parle à son père, sans parler de ce qui compte, en repoussant le sujet qui pourrait inverser les rôles, du moins jusqu'à ce qu'un autre événement (la disparition de Mélodie), étranger en apparence à leurs affaires, mais évidemment parfaitement lié à elles en vérité, ouvre étrangement les vannes. Le premier long métrage de Guillaume Brac raconte deux histoires parallèles, une histoire d'amour et une histoire filiale, plus belle l'une que l'autre, forcément et étroitement intriquées via Maxime, par l'imaginaire intime de ce personnage magnifique, et il les raconte toutes les deux avec cette intelligence d'où surgit le sentiment bouleversant qui naît quand se dit et quand se reconnaît la vérité.


Tonnerre de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Ménez, Jonas Bloquet et Hervé Dampt (2014)

Le Pacte des loups

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Alors que sort demain La Belle et la Bête, trois millième adaptation du célèbre conte, revenons sur le deuxième long-métrage de Christophe "Je suis cinéphile mais pas cinéaste, confondez pas !" Gans, Le Pacte des Loups. Quelle est votre théorie sur la fameuse Bête du Gévaudan ? Un loup ? Plusieurs leups ? Un clébard dressé pour tuer par un taré ? Un animal exotique (lion, hyène, lycaon, panthère, chien de prairie, éléphant) ? Un monstre, tout simplement ? Ou bien n'est-ce qu'une légende sans autre fondement que celui d'avoir été colportée, déformée et transformée avec le temps depuis la Lozère dont on sait que les habitants sont des affabulateurs pathologiques et psychopathes (Franck Mancuso a bien étudié la question dans R.I.F.) ? On ne sait pas mais on déblatère quand même ! Cette histoire fait partie des grands mystères irrésolus qui nous fascinent depuis des lustres, bien au-delà des frontières de notre beau pays. Il y a quelques années, le bien-aimé Patrice Gélinet avait reçu dans son émission phare 2000 ans d'Histoire un pseudo expert en la matière. Selon ce chercheur de pacotille, qui a écrit un bouquin sur le sujet sobrement intitulé "La Bête du Gévaudan", la réponse à cette énigme de près de 300 ans est bien simple : il s'agissait de plusieurs loups, un poil affamés, déviant du comportement habituel de la meute, qui ont commis quelques massacres. Des massacres bien banals à l'époque où ces bestioles féroces hantaient nos bois, mais qui ont fait les choux gras de la presse car ils sont survenus à une période où il n'y avait rien d'autre à se mettre sous la dent dans l'actualité (le milieu du 18ème siècle grosso modo), un peu comme à Noël dernier quand Schumacher a rencontré un rocher et provoqué des breaking news endiablées sur i>télé.




Ce même historien mal renseigné avait trouvé le moyen, dans l'émission si respectable de Pat' Gélinet, de placer un petit message écolo à deux euros, en affirmant que les loups n'auraient pas été réintroduits en France par l'homme, mais qu'ils seraient revenus naturellement. Ils ont traversé les autoroutes ! Alors déjà, chacun son taf, à lui l'histoire de France circa 1700, aux écologues et éthologues l'étude des migrations d'espèces sauvages dans notre Europe bardée d'autoroutes qui sont autant de frontières pas évidentes à traverser pour nos amies les bêtes. Je n'ai rien contre les loups quelle que soit la façon dont ils ont remis les pattes en France, un nouveau super-prédateur dans nos forêts à l'abandon ne peut que rajouter un peu de suspense dans nos balades dominicales, mais il faut arrêter l'angélisme et admettre que l'homme n'a pas été qu'un observateur discret dans cette affaire. J'aime les animaux, particulièrement les clebs et autres canidés du genre Canis, j'ai aussi un gros faible pour les animaux des genres Ovis et Capra. Mais je préfère les hommes, même si l'homme est un loup pour l'homme. Bref. Si, comme moi, vous êtes un tant soit peu fasciné par cette histoire de Bête du Gévaudan, si celle-ci vous empêche de dormir la nuit comme cela a pu m'arriver dans ma jeunesse, hé bien écoutez donc cette émission spéciale de la regrettée 2000 ans d'histoire et, surtout, regardez le film de Christophe Gans, qui parvient à démolir et ridiculiser un mythe vieux de 300 ans. Après ça, vous n'en aurez plus rien à foutre ! Plus rien ! Vous ne voudrez même plus en entendre parler.


Le Pacte des loups de Christophe Gans avec Samuel le Bihan, Mark Dacascos, Émilie Dequenne, Vincent Cassel et la Bête du Gévaudan (2001)

La Baie des anges / Le Feu follet / Oslo 31 août

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Pour commencer, deux films tournés par des cousins éloignés de la Nouvelle Vague, deux films avec Jeanne Moreau, deux films sortis en 1963, donc sûrement tournés en 62, année de la déclaration d'indépendance de l'Algérie, et qui traitent, eux, de la dépendance. La Baie des anges, de Jacques Demy, raconte une dépendance au jeu (un peu plus de dix ans avant The Gambler, de Karel Reisz, avec James Caan, adapté de Dostoïevski, dont vous parlera bientôt mon collègue, sorti quant à lui en 74, un an avant la fin de la guerre du Viet-Nâm). Le Feu follet, de Louis Malle, raconte une dépendance à l'alcool. Jeanne Moreau tient quasiment le rôle principal du premier, et le tient très bien, alors qu'elle n'a qu'un rôle très secondaire dans le second. A ses côtés, dans les deux films, un homme crève l'écran, Claude Mann chez Demy, nouveau joueur, encore assez intact pour pouvoir s'en sortir, mais bien incapable de sauver sa camarade de jeu dépendante au dernier degré (Jeanne Moreau donc), et Maurice Ronet, acteur principal du film de Malle, buveur suicidaire, las des vanités du monde et de ses propres faiblesses. Les deux acteurs ont une présence folle, un charisme triste, une sorte de charme brisé, que partage d'ailleurs Anders Danielsen Lie, l'acteur principal d'Oslo 31 août, sur lequel je reviens plus bas.




Ces deux films contemporains sont d'ailleurs assez proches dans leur portrait au plus près des personnages, malades errant dans leur chambre dans l'attente agitée ou anxieuse d'aller jouer ou d'aller se saouler, se tuer ou se ruiner, en commençant par sombrer dans un oubli de soi vertigineux. Les joueurs sont plutôt gais en apparence, effervescents, entre deux stases apathiques, le buveur, lui, est carrément morne (et comparé par ses proches, très délicats, à un cadavre...), mais le sordide l'emporte dans tous les cas, à travers une forme de fatigue de l'addiction, une exténuation physique. Elle passe indirectement par la blondeur poussive, les traits fiers mais tirés, la voix traînante et les pieds meurtris par les allers-retours du Casino à la gare et de la gare au Casino de Jeanne Moreau, ou, de façon très directe, par le corps droit mais inconsistant dans son costume figé, les épaules rentrées et le visage terne, lent, de Maurice Ronet, dandy cynique et nihiliste dont la fatigue est comme essentielle et émane à chaque instant d'un regard terriblement sombre. Quand il n'est pas en ville, visiblement oppressé par un Paris excité et épuisant, le personnage est reclus dans la chambre encombrée qu'il occupe au sein d'un centre de désintoxication, et c'est alors son bras étendu hors du lit qui vaut pour signe d'abattement, et sa veste qui s'écroule toute seule dans la penderie, événement que le malade et son docteur font semblant de ne pas avoir vu, dans un moment vide particulièrement inquiétant.




Dans les deux films, une scène représente à elle seule le mal incurable du personnage. C'est, à la fin de La Baie des anges, cette scène très belle, la plus belle du film, où Jeanne Moreau demande à Claude Mann de l'abandonner à son jeu, avant de se reprendre, de courir vers son amant pour le rejoindre dans le hall de l'établissement. Demy tourne un plan très rapide, et d'autant plus fort que fugace, où l'actrice se reflète à toute vitesse dans une suite de miroirs alignés les uns à côté des autres, son reflet apparaissant et disparaissant en une fraction de seconde pour se recomposer et se dématérialiser à nouveau, à l'arrière-plan d'un espace vide, jusqu'à ce que l'actrice surgisse en gros plan face à nous. Puis, dans un plan d'ensemble pris depuis l'intérieur du Casino, elle tombe dans les bras de Claude Mann, et le cinéaste réalise un brutal travelling arrière, la caméra reculant dans le Casino tandis que le couple semble s'éloigner vers la sortie. En deux plans, tout est dit. Le joueur est menteur : il est multiple, aussi inconstant qu'insaisissable, et Jeanne Moreau a beau quitter les lieux, le mouvement de la caméra l'y retient, l'y enfonce paradoxalement. Le travelling arrière final boucle la boucle du film, qui s'ouvrait, de façon très étrange a priori, sur un même travelling arrière, avec en son centre la même Jeanne Moreau seule sur la Promenade des Anglais (l'actrice ouvrait l’œuvre pour n'y réapparaître que bien plus tard). La vie du joueur est ainsi placée sous le signe de l'éternel retour, de l'éternelle fin, et le Casino, symbole du jeu et de la dévotion hasardeuse à un Dieu tout-puissant (le personnage de Jeanne Moreau compare ce temple du hasard à une église), achève d'exercer son inexorable puissance d'attraction et d'écrasement.




Dans Le Feu follet, il s'agit de la scène très célèbre du Café de Flore (encore une fois le lieu d'incarnation de l'addiction, son temple), où le héros, après une conversation stérile avec deux amis engagés dans l'OAS, autrement dit engagés dans l'histoire, contrairement à lui qui s'y refuse, reste attablé un moment et observe les passants et les clients, extérieur à ce Paris qui défile, à ces gestes du quotidien, aux rires et aux conversations des gens, jusqu'à cet instant où il cède à la tentation et boit le premier d'une longue suite de verres. La scène doit beaucoup à la musique d'Erik Satie et au jeu de Maurice Ronet, qui se met à sourire quand il attrape finalement son opium, sourire qui semble dire le mélange de tristesse et de joie d'un pur abandon, d'une sortie de l'angoisse existentialiste (le personnage suait et suffoquait de voir une vie mesquine déambuler devant lui), d'une exclusion volontariste du monde.




Cette séquence du bistrot, aussi émouvante soit-elle, a été sublimée par le norvégien Joachim Trier dans le récent Oslo 31 août, nouvelle adaptation du roman de Drieu la Rochelle où l'enjeu de la scène est cependant légèrement déplacé puisque l'addiction à l'alcool du personnage est transformée en addiction à la drogue. La séquence du bar ne tend donc plus vers ce sombre suspense de la tentation du premier verre, et demeure entièrement consacrée à l'observation du monde par un être extérieur, tour à tour intrigué, attendri ou défait par les conversations alentour. Dans cette nouvelle version, le travail sur le son, avec l'arrière-plan sonore du bistrot, les conversations en sourdine ou superposées, l'impression de zoom sonore, le surgissement d'un véhicule qui détourne l'attention sur l'extérieur ou la bulle du café qui se referme et étouffe les rêves des clients (il y a cette jeune femme qui dresse à son amie la liste des choses qu'elle voudrait faire avant de mourir) quand le personnage principal, témoin de la vie des autres, en sort ; le travail sur le flou excluant le personnage du champ, celui sur la mise au point drainant les flots de parole quotidiennes d'un point à un autre ; le jeu sur les dédoublements des figures via les reflets et les miroirs, quand un jeune passant se confond soudain avec un vieillard ; et celui sur le montage, qui nous transporte complètement ailleurs, au-delà du bar et de la rue, chez les gens, dans la vie trop rangée, réelle ou fantasmée, de quelques uns de ces êtres aperçus, à peine croisés, sur lesquels le personnage porte un regard aussi bienveillant que compatissant et projette ses hantises, poussent la scène vers une autre poésie et vers d'autres profondeurs.


La Baie des anges de Jacques Demy avec Jeanne Moreau et Claude Mann (1963)
Le Feu follet de Louis Malle avec Maurice Ronet et Jeanne Moreau (1963)
Oslo 31 août de Joachim Trier avec Anders Danielsen Lie et Ingrid Olava (2011)

Le Petit lieutenant

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Avec Rémi maintenant on regarde les films dans sa chambre. Pourquoi ? Pour trois raisons. Parce que de une : y'a une salade mutante sur notre table basse de salon et on n'ose plus y toucher. C'est vraiment un nouveau colocataire qui vit avec nous. On l'a oubliée deux jours et elle a pris vie. Ses relents irréguliers semblent vouloir communiquer. J'espère juste qu'elle va payer le loyer et qu'elle va pas nous niquer la caution. Deuxième raison : parce que notre canapé tombe en ruine, notamment à cause des acrobaties de Rémi. Troisième raison : parce que ça nous permet de voir les films allongés l'un contre l'autre, l'un dans l'autre, bref, en grande intimité. Et Rémi aime ne pas avoir à bouger de sa chambre. Là on peut tout y faire : j'y amène une boite de sablés, lui une bouteille d'Orangina, et hop, on peut également y pique-niquer. Son ordinateur nous relie aussi au monde extérieur (vous). Bref, c'est le gros panard dans sa chambre et la voisine va bientôt débarquer pour participer à la fête, suite aux bruits qui doivent traverser les murs. A n'en pas douter, on sera bientôt trois. Et ce soir-là on viendra pas faire un compte-rendu ici, croyez-moi, on aura un gros cul à fouetter. Rien que pour nous deux.



Hier on a déjà maté Bandidasdans ces conditions. Alors autant vous dire que l'ambiance était là, et tant pis pour les sous-titres. Ce soir c'était donc notre deuxième fois, avec cette fois-ci Le Petit lieutenant, un film apparemment français et suggéré par un ami dévédévore à grands coups de conversations MSN bien chiantes (sic Rémi). A coup sûr, ce type-là nous prévoyait une soirée bien terne et pourrie, se frottant les mains en nous imaginant en train de se taper ce film. Mais Petit Lieutenant 0, Rémi 6, croyez-moi. Mon gros salop l'a battu par KO dès le 1ier round, en faisant tous les coups bas possibles. Voici ce qu'on s'est dit après avoir vu le film, chacun dans nos chambres, connectés à MSN :

Rémi dit (03:08) :
C'est plus agréable de mater un film dans ma chambre plutôt qu'au salon non ?
Félix dit (03:08) :
Ouaip sauf que là pour Le Petit lieutenant j'avais un peu de mal à me concentrer, avec les coups de bâtons et ton torse à côté, offert à moi. C'est pas toujours facile.
Rémi dit (03:10) :
Je te l'ai pourri ?
Félix dit (03:10) :
Bah boarf c'est aussi parce que le film m'a pas énormément captivé...
Rémi dit (03:10) :
Oui, pareil pour moi. S'il m'avait captivé j'aurais pas fait ça non plus. J'aurai ptêtre levé les yeux de mon kremly et stoppé les coups de savates.
Félix dit (03:10) :
Enfin, dans ta chambre c'est cool ouaip. Mais pour l'instant je peux pas vraiment dire que j'y ai vraiment "vu" un film. Là je retiendrai surtout le bâton et le velouté fruix de 450g que je me suis enfilé à la paille.
Rémi dit (03:11) :
Ahah
Félix dit (03:12) :
Sale type


Le Petit lieutenant de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Jalil Lespert et Roschdy Zem (2004)

Dallas Buyers Club

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On a récemment loué le come-back en force de Matthew McConaughey, grand retour qui sera sans doute couronné par un Oscar du meilleur acteur grâce à ce film, et qui trouvera son acmé très bientôt dans le Interstellar de Nolan. Et quand on a fini de lire cette première phrase on se dit que le monde est putain de mal fait. Certes Matthew McConaughey a fait un retour fulgurant sur le devant de la scène, lui qui était le bellâtre au pois chiche dans le crâne des années 90, mais il pourrait bien s'inscrire dans la longue liste de ces acteurs et actrices sacrés pour une chose dérisoire, un triste rôle marqué par une performance physique au sein d'un biopic anecdotique. Alors qu'on aurait aimé le voir unanimement salué et officiellement récompensé pour son rôle dans le Mud de Jeff Nichols, il va sans doute repartir vainqueur face à Leonardo Discarpaccio de bœuf pour Dallas Buyers Club.


Dix piges en moins.

Est-ce que manger une feuille de laitue et deux tranches de jambon par jour, en tout et pour tout, dans le seul but de ressembler à un estocafiche et d'impressionner la galerie, valait vraiment le coup ? Tout ça pour être immortalisé par un Jean-Marc Vallée certes en nette progression depuis son film breakthrough C.R.A.Z.Y., avec l'abominable Jean-Marc Grondin, mais malgré tout dépourvu de toute patte (quelqu'un a dû les lui couper depuis un fameux bail). On imagine Matthew McConaughey penché sur sa feuille de salade, parfois pendant des heures, à la grignoter millimètre par millimètre et à en apprécier chaque nervure, même très discrète. Franchement ça fait de la peine, et ça devrait rappeler à chacun que le très paradoxal métier d'acteur n'est pas qu'un rêve. Notre homme, au fond du gouffre quand il tournait Sahara en 2005, passa pourtant un été entier à palper le cul de Pénélopé Cruz. Désormais en haut des charts, la star n'a même plus la force de lever la main vers le moindre derrière rebondi, seule une belle frisée du marché peut encore le faire se lever de sa chaise roulante. Notre homme, et ça c'est quand même terrible quand on y pense, ne se permettait que trois feuilles de mâche tous les dimanche pour pas crever et tenir jusqu'au clapet endiablé de Jean-Marc Lavée sur le plateau du lundi matin... Inutile de préciser qu'un tel régime, et un tel yoyo d'IMC (Indice Masse Corporelle), même encadrés par les plus grands nutritionnistes du monde, écourtent inévitablement la vie d'un homme d'une bonne décade au moins. Finalement c'est presque la moindre des choses que de refiler une statuette à, sauf notre respect, un connard pareil.


Jared L’Étau est ici plus féminin et plus désirable que sa partenaire Jennifer Garner.

Retour sur le film, non encore abordé. Comme tout biopic, Dallas Buyers Club nous a appris deux ou trois sous-éléments de l'histoire de la sous-culture gay sud-américaine. Il se vendait donc en contrebande du M&M's dans les années 80, seul médicament capable alors de soulager les malades du SIDA. Toute une industrie parallèle destinée à faire commerce de ce remède relatif était entretenue par des clubs florissants, répartis aux quatre coins des favelas, gérés par des travellos et autres tatas qui, grâce à leur implication et leur engagement, ont su faire évoluer la prise en charge des malades du VIH, réduits au statut de simples cobayes par des hôpitaux en cheville avec de grands groupes pharmaceutiques tout-puissants. A la fin du film on se dit : "N'aurais-je pas plutôt dû lire la page wiki consacrée à ces fameux clubs qui donnent son titre au film ?" On ne s'était pas dit ça après Hiroshima mon amour, Danse avec les loups ou Shakespeare in Love. C'est le signe que côté ciné la proposition de Vallée est un poil maigre.


Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée avec Matthew McConaughey, Jared Letho et Jennifer Garner (2014)

Mea Culpa

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Fred Cavayé est le nouveau spécialiste officiel du cinéma d'action français. De nationalité française et qui tourne en France, disons. Parce que notre homme est quand même putain d'inspiré par le cinéma d'action hollywoodien (ou plutôt par les séries ricaines d'ailleurs), en reproduit les effets sans oublier d'y puiser bien des clichés scénaristiques, se fait remaker outre-atlantique et finira selon toute vraisemblance par aller tourner au pays de l'oncle Sam. Il a d'ailleurs annoncé qu'il n'irait tourner à Hollywood que si on lui laisse écrire le scénario. Comme si on tenait là un auteur génial et infaillible... Lui en est apparemment persuadé. L'histoire que nous raconte Mea Culpa est pourtant bien maigre, et vraisemblablement issue du cerveau d'un de ces hommes adultes dont la fontanelle ne s'est pas encore totalement refermée. Quand on va voir un tel film, on sait qu'on ne va pas se faire raconter quelque chose de mémorable, mais on espère se divertir devant un truc à peu près solide. On attend que le prétexte à l'action, promise non-stop, soit en béton armé, histoire de n'avoir plus qu'à laisser venir, emmagasiner les scènes de violence ultime, avaler les kilomètres de course poursuite sans respirer.




Marseille, nowadays. Une bande de truands venus de l'est sème la terreur dans les recoins sombres du vieux port. De son côté, Vincent Lindon est un homme meurtri, un ancien flic destitué, devenu simple convoyeur de fonds suite à son passage en taule pour le meurtre de trois civils dans un banal accident de voiture placé sous le sceau du pastaga. Notre homme vit seul, loin de sa femme et de son fils, qu'il ne parvient plus à assumer. On cerne assez bien la psychologie de dingue du personnage dans toutes ces scènes où, seul dans sa cuisine, plongé dans le noir, les lèvres pincées, rentrées à l'intérieur comme jamais, Lindon observe, le regard noir comme tout, ses voisins, un beau couple avec enfant, qui dinent gaiement en famille. Mais tout bascule le jour où son fils assiste à une corrida pour fêter ses 8 ans. L'enfant a le malheur de louper la mise à mort du taureau pour assister, sur le chemin des chiottes de l'arène, à une toute autre mise à mort, celle d'une énième victime de ces Kosovares qui font de Marseille un beau merdier. Le gamin est alors pris en chasse par les bandits, et forcément le papa va reprendre du service, du moins officieusement, pour protéger son bambin ainsi que son propre cul, aidé dans sa démarche par son ami de toujours, le fidèle à l'appel Gilles Lellouche.




Le problème c'est que les dealers et maquereaux kosovares sont du genre têtus, et pour le moins perfectionnistes. A chaque fois qu'un quidam est témoin de leurs crimes, ils le traquent sans relâche jusqu'à ce qu'il soit officiellement haché menu. Sauf qu'il y a un témoin oculaire minimum pour chacun de leurs forfaits (le Kosovare est peu discret), et qu'ils doivent en conséquence systématiquement déblayer large. Si Lindon n'était pas là pour mettre un terme à leur enfer en les expédiant eux-mêmes au cimetière, ces gens passeraient leur vie entière à nettoyer les villes de tous leurs habitants. Leur repos ne viendrait qu'avec le dernier homme sur Terre, le seul à crever sans spectateur potentiel. Le film aurait donc pu durer beaucoup plus longtemps et se terminer sur un plan terrifiant : le chef des escrocs kosovares se tirant une balle dans un miroir. Mais Lindon ne l'entend pas de cette oreille et se montre bien décidé à liquider les enfoirés qui en veulent à son schtroumpf.




Très vite, Lindon ayant tué le frère du grand méchant, ce dernier n'a plus rien à faire du gamin du flic : c'est à Lindon lui-même qu'il en veut. Et ça, si le regard furax du Kosovare penché sur le cadavre de son petit frère n'avait pas suffi à nous le faire piger, ni les cent millions de films qu'on a vus où cette scène apparaissait déjà à l'identique, une ligne de dialogue nous le signifie très clairement. Si bien que le McGuffin du fils traqué, autour duquel tourne tout le "travail" de promotion de l'affiche (avec cette tagline ridicule qui cite un dialogue absent du film...), fout rapidement le camp pour céder place à une simple baston entre des gentils et des méchants, qui ont les mêmes motivations : défendre et/ou venger leurs proches en foutant la branlée à leurs adversaires.




Sauf que les nobles motivations en question en prennent une grosse gifle lors du twist final, que le spectateur a senti venir depuis un fameux bail, sinon en détail du moins en substance, aiguillé par les douze mille flashbacks nébuleux de Cavayé et par le titre du film, qui constitue à lui seul un massive spoiler. Ce twist fut chuchoté à l'oreille du cinéaste par un Olivier Marchal bourré (et pourtant remercié au générique de fin), lors d'une soirée pastaga/pétanque comme il y en a tant sur la Canebière. Ayant quelques liens solides dans la région PACA, on tient d'une source sûre, quoique off, que cette fameuse soirée se serait terminée avec deux victimes du jeu : un type, depuis nommé "Le bossu de La Bonne-Mère", a reçu une triplette de pétanque, dans leur coffret, sur l'épaule gauche (il en est encore tout disloqué et se tient en permanence de profil depuis cette soirée ratée) ; un autre, désormais connu sous le sobriquet du "Bouddha de Marignane", a reçu une boule de pétanque pile entre les deux yeux, qu'aucun chirurgien plasticien ne daigne aller déloger, de peur de lui décapsuler tout le ciboulot. Mais pour revenir à cette fameuse révélation finale, que nous ne révélerons qu'en substance rassurez-vous, elle concerne le plus beau "personnage" du film, un ami ultra dévoué, faisant preuve d'une solidarité démesurée, prêt à tout pour son alter-ego, un homme digne du plus grand respect (petit indice : c'est un acteur pour lequel nous n'écririons jamais ça, et dont le nom de famille est partagé par un cinéaste sur lequel nous n'écririons jamais ça non plus). Dans les deux dernières minutes du long métrage, cet écrin de perfection et d'humanité se transforme soudain en un simple étron, en parfait enculé.




Notre bon samaritain n'était en fait qu'une raclure de bidet, un faux-ami, un type seulement prêt à tous les sacrifices pour se racheter une conscience après avoir littéralement ruiné la vie de son pote. La seule lueur d'espoir de ce film, son seul soupçon de qualité, c'était cette histoire d'amitié sans mobile, indéfectible, à la vie à la mort, dépourvue de toute justification basique, mais Cavayé crache un gros mollard sur cette minuscule parcelle d'intérêt en ayant recours à un revirement cliché au possible et à un ressors psychologique (le scénario de culpabilité de base) parfaitement misérable. Le personnage en question meurt à la fin du film, puni pour ses péchés, après une confession de dernière minute. Cette fin suinte un moralisme de comptoir très malvenu dans un tel film, et surtout d'une balourdise infinie, qui n'a d'égale que celle des idées de mise en scène de Fred Cavayé. Le réalisateur utilise un gros filtre bleu pour les souvenirs malheureux et un filtre jaune qui tache pour les souvenirs plus joyeux : toutes ces scènes profondément débiles et hideuses qui nous montrent les deux amis riant sur la plage avec femmes et enfants, du temps où ils avaient tout pour être heureux. Et on retrouve la même symbolique chromatique quand Lindon, seul la nuit dans sa cuisine toute bleue, mate avec la rage le repas de ses bons voisins réunis autour d'une loupiote jaune. Non seulement c'est brillant mais qu'est-ce que c'est beau...




Et puis réfléchissons deux minutes, Fred. Prenons ton film à l'envers. Adoptons le point de vue inverse. Mettons-nous le temps d'un paragraphe dans la peau de ton méchant Kosovare : on a tient là un homme fraîchement débarqué des balkans, propre sur lui, fier et droit, venu en France bien que ne parlant pas la langue pour travailler, faire un peu d'argent, quitte à verser dans le business ô combien dangereux et craignos des putes et de la drogue, obligé pour ce faire de s'entourer de gros bras, des cousins débiles et chauves mais musclés et serviables, et même d'un petit frère, grossier, nerveux, mais "brave", comme disent les Bucco-rhodaniens pour désigner un trépané au grand cœur, type humain très répandu dans la région. Notre homme, pris dans un engrenage terrible et qui le dépasse, se retrouve obligé de faire disparaître quelques concurrents qui menacent sa vie, par pur instinct de préservation, et pour parvenir à ramener quelques billets au pays natal, où l'attend une famille très nombreuse, chargée en enfants morts de faim, ou morts tout court, et en épouses condamnées à la précarité, au froid, confrontées quotidiennement aux loups affamés de la steppe. Essayant de foutre les foies à un ennemi revêche dans les coulisses des arènes de Nîmes, notre Kosovare est surpris par un enfant qu'il essaie de rattraper pour le supplier de tenir sa langue en lui offrant une barbapapa, car cette chère tête blonde lui rappelle les vingt-deux fils malingres qu'il a abandonnés au pays (toute une équipe de foot, voire deux équipes de onze titulaires prêts en découdre sous le maillot de n'importe quel pays de l'ex-union-soviétique aux prochains JO). Et voici qu'un vieux flic français aigri et énervé, flanqué d'un parjure et d'un lâche, se met à le poursuivre, à lui tirer dessus, et assassine même son petit frère à l'enveloppe cérébrale perforée de naissance. Il y a de quoi prendre la mouche non ? Dès lors, qui sont les véritables héros de cette histoire ? Ce père Kosovare, digne d'un film des Dardenne intitulé "Le silence de Morbak (les emmerdes d'un Kosovare en plein Paname)", cet homme digne venu faire quelques euros en France pour nourrir toute sa famille ? Ou ce prétendu "ami" qui sauve les miches de son meilleur pote adepte d'auto-justice uniquement parce qu'il a au préalable consciencieusement flingué sa vie à bout portant




Cavayé a déjà ses acteurs fétiches, son affiche-type, ses habitudes, à base de personnages accaparés par le sauvetage d'un proche et de courses-poursuites interminables (où un enfant court plus vite qu'une terreur des balkans, et où deux flics courent plus vite qu'un Hummer disposant de 325 chevaux hennissant la bave aux naseaux sous son gros capot), et au bout de trois films il tourne déjà en rond, régresse même, depuis le plus appréciable Pour elle, déjà porté par Vincent Lindon. L'acteur fait son travail une fois de plus. Mais quand on l'entend, à la télévision, en pleine promo du film, dire qu'il rêvait depuis toujours d'un pareil rôle, de s'amuser comme les américains, qu'il s'est pété trois côtes et fêlé le tibia et que ça c'est le grand pied pour un comédien, on se demande s'il y a encore quelqu'un de sobre au volant.


Mea Culpa de Fred Cavayé avec Vincent Lindon et Gilles Lellouche (2014)

Event Horizon

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Paul W.S. Anderson est ce médiocre réalisateur abonné au cinéma de genre que l'on confond systématiquement avec Paul Thomas Anderson (MagnoliaThere will be blood, The Master...), Wes Anderson (La Vie Aquatique, Fantastic Mr Fox, Moonrise Kindgom...) et Sonny Anderson (Olympique de Marseille, FC de Barcelone, Olympique Lyonnais...). Un amalgame tragique pour ces trois personnes forcément plus talentueuses que lui, épuisées de rappeler à longueur d'interview qu'elles n'ont aucun lien de parenté avec celui que l'on surnomme "le fossoyeur du genre". N'ayons pas peur des mots, Paul W.S. Anderson est une tache. Un cinéaste ridicule, un faiseur docile et minable spécialisé dans l'adaptation de jeux vidéos (Mortal Kombat, Resident Evil et ses suites) et surtout coupable d'Alien VS. Predator (que l'on pourrait également considérer comme l'adaptation d'un jeu vidéo). Il symbolise a lui seul le naufrage de certains des projets les plus attendus par les amateurs naïfs de cinéma fantastique. Comme si cela ne suffisait pas, il engendre aussi la jalousie et la haine du côté des adorateurs de Milla Jovovich (ça doit encore exister !) dont il est le fidèle époux. Il n'a qu'une quarantaine d'années et va sans doute continuer encore longtemps à flinguer les filmographies d'acteurs innocents et à démolir des franchises en bout de course. Il se dit fan de jeux vidéos, déclare adorer les Aliens et les kébabs, et ces propos ne font que nous agacer davantage tant ils nous font amèrement constater que l'on partage au moins trois passions avec ce si triste individu.




Event Horizon est le film breakthrough de Paul W.S. Anderon, le titre qui lui apporta un certain crédit auprès des studios qui n'hésitèrent pas, par la suite, à lui octroyer des budgets plus importants pour qu'il puisse réaliser ses rêves. Autant dire que même si Event Horizonétait réellement de qualité, ce long métrage serait à maudire pour tout ce qu'il a engendré de nocif. Il est aussi considéré comme le meilleur film de celui que ses nombreux détracteurs surnomment Paul W. C. Anderson. Puisque je suis curieux, cet argument fut suffisant pour, à l'époque, me donner envie de le voir mais pas assez pour faire disparaître toutes mes craintes, tous mes soupçons. J'avais évidemment raison de garder mes doutes, car Event Horizon est un très mauvais film, seulement supérieur aux autres œuvres de son auteur dans le sens où la moyenne doit être située à 1,75/10 et que celui-ci aurait un bon 2. Retour sur le pitch : en 2047, le "Event Horizon", un vaisseau spatial capable d'aller plus vite que la lumière et que l'on croyait disparu à jamais, émet un signal de détresse après des années de silence. Un autre gros vaisseau reçoit alors l'ordre d'aller à sa rescousse, en compagnie du physicien William Weir (Sam Neill !), créateur de l'Event Horizon. Une fois la petite équipe parvenue à l'épave, des évènements paranormaux se produisent. Une tension de plus en plus grande naît entre les différents membres de l'équipage notamment à cause du comportement suspect de Weir, qui semble cacher certaines choses sur le vaisseau qu'il a créé.




A la lecture d'un tel synopsis, on se dit "rien de neuf a priori, mais pourquoi pas". Hélas, le scénario d'Event Horizon offre surtout l'occasion à Paul W.S. Anderson de repomper à droite à gauche sur des classiques. Il pourrait s'agir de petits clins d'oeil sympathiques qui ne porteraient pas préjudice au film. Mais ici, ces références sont tellement répétées de manière peu subtile et appuyée que ça en devient simplement fatiguant voire énervant. Le spectateur passera donc tout son temps à les repérer, en oubliant l'histoire, de toute façon prévisible et très vite inintéressante. On reconnaîtra quelques plans directement copiés de Solaris, celui de Soderbergh (pourtant sorti 5 ans après !), et des séquences identiques à Shining (notamment le raz-de-marrée de sang qui inonde les couloirs de l'hôtel... euh du vaisseau). L'Event Horizon fait immanquablement penser aux vaisseaux aperçus dans les Alien et les nombreux effets gores paraissent tout droit tirés du Hellraiser de Clive Barker. Je pourrai continuer comme ça pendant longtemps. Tout cela a pour effet de ne donner aucune identité propre au film d'Anderson et de nous rappeler à quel point ceux auxquels il fait référence sont infiniment supérieurs, même les moins fameux.




Les scènes supposées faire peur démontrent encore une fois toute l'incapacité de Paul W.S. Anderson, son manque d'idées et de talent. On retrouve ainsi plusieurs fois les mêmes effets, totalement inefficaces : une personne de dos n'est pas celle que l'on s'imagine, une scène de trouille qui nous a tout l'air réelle s'avère être un cauchemar, des visions horrifiques qui apparaissent par le biais d'effets clippesques hideux, etc... De plus, la direction d'acteur paraît complètement inexistante : Sam Neill (le Sam Neill !) n'a jamais autant été en roues libres et Laurence Fishburne est transparent, lui qui est pourtant particulièrement trapu. C'est à se demander ce qu'ils font là, à errer dans des décors impossibles, visiblement à la recherche de leur chèque de paie. Les autres acteurs tentent au moins de faire leur boulot, en luttant pour donner vie à des personnages caricaturaux au possible, sans aucune épaisseur. On ressent de la pitié pour eux et pour leurs interprètes. On dirait aussi qu'Anderson s'est s'obligé à tourner certaines scènes en une seule prise, tant elles sont ratées et brouillonnes. Ainsi, le passage le plus involontairement drôle du film correspond au moment où Sam Neil (tout simplement perdu) communique par talkie-walkie à une personne située à quelques centimètres de lui !




Peut-être cool dans la vraie vie, sans doute adorable au quotidien, Paul W.S. Anderson est un sac à merde derrière les caméras. Depuis, il s'est attaqué à l'oeuvre phare d'Alexandre Dumas et le résultat risque de donner un coup de vieux à mon frère Poulpard, aka "Brain Damage", qui a découvert les plaisirs de la littérature en suivant les aventures d'Athos, Porthos et Aramis. Pauvre de lui !


Event Horizon de Paul W.S. Anderson avec Sam Neill, Laurence Fishburne et Kathleen Quinlan (1997)

Le 13ème Guerrier

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"2m06 d'emmerdes". On ne vous parle pas de la fameuse remarque dyslexique de Seguei Bubka devant la barre positionnée à 6m02 avant son saut légendaire du 23 juin 1987 à Prague. On vous parle de la façon qu'avait John McTiernan de désigner Michael Crichton sur le tournage du film considéré comme son chant du cygne, Le 13ème Guerrier. Il faut dire que l'écrivain l'avait bien cherché, en terrorisant quotidiennement le cast & crew du film. Avec comme matériau de base son livre en bois et un apport non négligeable de dollars sur ses deniers personnels, Michael Crichton s'est cru permis de faire la pluie et le beau temps sur le plateau et d'imposer ses idées rétrogrades à McT. Crichton est même crédité comme réalisateur fantôme, du fait de nombreux reshoots réalisés dans le dos du cinéaste. Après près d'une décennie d'emmerdes artistiques, familiales et judiciaires, McT sort aujourd'hui de taule et revient directement aux affaires pour réaliser Red Squad. Derrière les barreaux, il décorait parait-il sa cellule comme celle de Ray Finkle dans Ace Ventura, "Eat dead shit Michael !" remplaçant "Laces out !". Le 4 novembre 2008, McT aurait repris deux fois des moules.




Je fais partie de ceux qui soutiennent ardemment la thèse selon laquelle Le 13ème Guerrier aurait été un film fabuleux, l'un des hits des années 90, un film dont tout le monde reparlerait encore aujourd'hui avec des étoiles dans les yeux, si et seulement si McTiernan avait eu les mains libres et les pleins pouvoirs ! On peut déjà voir, dans le film tel qu'on le connaît, des éclairs de génie, notamment lors des chevauchées nocturnes des wendols faites de son et lumière, de nuit et brouillard. Ces passages-là me procurent systématiquement des frissons (bien que je n'aie vu le film qu'une fois), avant de me plonger dans un océan d'amertume et de regrets. Le 13ème Guerrier avait tout pour être le film de vikings tant attendu et définitif. Je m'arrête là, car j'ai déjà épuisé tous mes arguments. Mais croyez-moi, je suis convaincu.


Le 13ème Guerrier de John McTiernan avec Antonio Banderas, Omar Sharif, Vladimir Kulich et Dennis Storhøi (1999)

Mikey & Nicky

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Tout commence, en tout cas pour nous qui sommes mêlés à cette histoire bien après son vrai commencement, dans une chambre d'hôtel. Nicky (John Cassavetes), seul dans la pièce, acculé contre un mur, mi-debout mi-assis sur le lit, trépigne. Sa position littéralement sans assise, son regard inquiet, et surtout la mise en scène, toute en décadrages, inserts instables sur le téléphone ou sur un cendrier, et légers effets de flou, rythmée en outre par un montage sec et rapide, bref tout, à l'image et dans l'image, dit déjà l'anxiété du personnage et l'insécurité de sa situation. John Cassavetes-Nicky finit par appeler son ami Peter Falk-Mikey au secours, lui donne rendez-vous devant une cabine téléphonique en bas de l'hôtel. Mais il ne s'y rend pas, préférant signaler sa présence à son sauveteur en lui jetant par la fenêtre une bouteille en verre enveloppée dans du papier journal, qui éclate aux pieds de Peter Falk et aurait aussi bien pu le tuer en se fracassant sur son crâne, signe premier d'une complicité placée sous le sceau de la méfiance et de la violence.




Ce film noir, noir parce qu'il se déroule sur une longue nuit plus que parce qu'il répond aux codes du genre, réalisé par Elaine May en 1976, trouve une place légitime et idéale dans le grand bain du Nouvel Hollywood, ce cinéma hollywoodien-indépendant des années 70 qui justifie toutes les nostalgies d'aujourd'hui et qui, à la revoyure, ne fait que grandir encore notre mépris pour l'actuel cinéma indépendant-hollywoodien (le célèbre et bien pathétique indiewood). On peut d'ailleurs penser en regardant Mikey & Nickyà certains des grands titres de la période, par exemple à L'épouvantail de Jerry Schatzberg, avec ces deux amis soudés et pourtant si différents qui marchent côte à côte en se bousculant et en se soutenant comme des béquilles, à Bonnie and Clyde d'Arthur Penn, pour le final tout aussi surprenant et qui laisse son spectateur pantelant, à Wanda aussi, autre film de femme signé Barbara Loden, quant à lui totalement indépendant, pour ces scènes dans les bars poisseux et ces mauvais malfrats menacés par leur propre nullité, aux films de Cassavetes enfin, où lui-même et Peter Falk traversaient déjà la nuit de la ville à bord des transports en commun ou en courant, en jouant et en se défiant. On y songe grâce notamment à cette scène de Mikey & Nicky qui se déroule chez une pute, séquence idéalement construite en termes de scénographie, où John Cassavetes s'envoie en l'air à même la moquette du salon plongé dans l'obscurité, tandis que Peter Falk attend patiemment son tour dans la profondeur de champ, au second plan de l'image, assis seul dans la cuisine et baignant dans une gêne palpable. On se souvient devant cette séquence éminemment casse-gueule, et pourtant magnifiée par la délicatesse de la mise en scène d'Elaine May, par son intelligence du cadre et l'immense talent des acteurs, de cette séquence d'Husbands où Peter Falk s'apprête à coucher avec une prostituée dans une chambre d'hôtel quand Cassavetes entre dans la pièce pour récupérer un objet oublié, interrompant son ami dans les prémices de ses ébats nocturnes et créant un malaise évident comblé par le rire nerveux des deux comparses.




Et puis, sans même parler des scènes quasi communes aux deux films, comment ne pas penser au cinéma de Cassavetes quand ce dernier incarne l'un des deux personnages principaux de ce film sublime sur l'amitié, aux côtés de Peter Falk, son ami de toujours ? Les deux acteurs étaient ici encore au sommet de leur forme et de leur complicité et on le ressent dans chaque scène, chaque échange, chaque regard de ce film où la part de genre noir n'est que MacGuffin et laisse place au portrait singulier et émouvant de deux hommes que tout unit mais entre lesquels quelque chose s'est brisé. On arrive après la bataille et on ne saura jamais - mais le plus beau c'est qu'on s'en désintéresse absolument - ce que Nicky a vraiment fait pour qu'un contrat soit placé sur sa tête, le film préférant raconter l'histoire d'un couple d'amis en plein divorce. On croit d'abord que Cassavetes-Nicky est complètement fou d'avoir des soupçons sur Falk-Mikey, puis on s'aperçoit qu'il n'est peut-être pas si paranoïaque que ça, mais pourquoi Mickey le tromperait alors qu'il se démène autant qu'il peut pour aider son ami et prendre soin de lui ? Et tandis que des réponses commencent à se pointer, petit à petit se révèlent les failles de leur relation. 




Il y a d'abord cette scène superbe au cimetière où ils se rendent sur la tombe de la mère de Nicky et où les deux compères vont surtout déterrer l'origine d'une amitié sur le point de mourir. Au détour d'un souvenir d'enfance, Mikey et Nicky oublient quasiment leurs différends. Les deux hommes retombent en enfance et il faudra une énième humiliation pour que tout resurgisse dans la plus belle séquence du film, où les deux personnages battent le pavé d'une rue détrempée, Cassavetes n'ayant de cesse de poursuivre Falk pour l'arrêter enfin et lui faire cracher son morceau de rancune tout en le suppliant de ne pas l'abandonner. Quand les deux personnages s'arrêtent de marcher et se font enfin face, la réalisatrice opère un brusque décadrage par un travelling latéral très marqué sur Falk, comme pour concrétiser dans l'espace la séparation des deux hommes et la prise de pouvoir de Mikey à cet instant, qui déballe soudain toutes ses rancoeurs à son ami dans une scène poignante, où l'acteur vide son sac avec un sourire de honte et de mépris mêlés devant un Cassavetes qui ne trouve que ce même sourire figé à répliquer pour masquer sa criante culpabilité. Cette séquence dit presque tout de l'amitié comme relation de couple, où la distance, la trahison, les moqueries accumulées peuvent être autant de coups de poignards, peut-être irréparables. A la fin du film (ceux qui ne l'ont pas vu peuvent tranquillement passer au paragraphe suivant), l'un des deux amis se trouve en danger de mort, traqué par un tueur à gages minable incarné par ce bon vieux Ned Beatty, et il pourrait facilement fuir mais, parce que son acolyte se refuse à l'aider, ne lui tend pas la main, il reste et s'expose à la mort, dans un quasi suicide : seul il n'est rien, ne s'en sortira pas et n'aurait de toute façon aucun intérêt à s'en sortir.




C'était le troisième film de la réalisatrice Elaine May, qui se fit d'abord connaître dans les années 60 via un duo comique avec son compagnon de l'époque, le cinéaste Mike Nichols. Mikey & Nicky fut une véritable bataille pour elle, perdue face aux producteurs de la Paramount, qui gardèrent le final cut et massacrèrent le film pour le sortir dans une version désapprouvée par la cinéaste. Elaine May avait déjà rencontré des difficultés avec la Paramount pour son premier film, A New leaf, et avait songé à donner au président de la Paramount, Frank Yablans, un rôle de gangster dans Mikey & Nicky, que bien sûr il refusa. Il fallut attendre dix ans pour que le film ressorte enfin dans sa version director's cut, celle que l'on connaît aujourd'hui. Elaine May ne put tourner à nouveau qu'en 1987, année où elle réalisa l'a priori très étrange Ishtar avec Warren Beatty, Dustin Hoffman et Isabelle Adjani, qui fut un échec total. La carrière d'Elaine May souffrit cruellement de l'emprise et de la bêtise des studios. On le regrette d'autant plus quand on sait le peu de cinéastes femmes en activité à l'époque (les chiffres se sont à peine améliorés aujourd'hui) et quand on voit ce film monté tel que l'a souhaité sa réalisatrice, un film enfin pleinement indépendant si l'on peut dire, qui émeut autant par l'amitié manifeste des deux acteurs sublimes que furent Cassavetes et Falk que par le talent que son auteure déploie pour la mettre en scène.


Mikey & Nicky d'Elaine May avec John Cassavetes, Peter Falk et Ned Beatty (1976)

Les Garçons et Guillaume, à table !

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Suite à sa razzia de statuettes compactées, lors de la dernière et parfaitement horrible cérémonie des César, face à des films tels que La Vie d'Adèle, La Vénus à la fourrure, Michael Kohlhaas ou L'Inconnu du lac, on se demandait ce que le premier film de Guillaume Gallienne pouvait contenir de si merveilleux qui justifie qu'il écrase à ce point la concurrence. Nous nous doutions bien que formellement il n'irait pas plus loin que ses adversaires d'un soir, mais, refusant de porter un quelconque soupçon de copinage sur le fracassant succès de Gallienne, sociétaire de la Comédie Française anciennement salarié de Canal+ et produit, dès son premier essai, par ladite quatrième chaîne, France 3 et Gaumont, rien que ça, nous préférions imaginer que le jeune comédien converti cinéaste l'avait emporté grâce à une finesse d'écriture, une drôlerie singulière et un jeu d'acteur forcément épatant. Or, force est de constater que toutes ces qualités supposées font horriblement défaut au film, qui en prime ne propose absolument rien aux autres étages, à commencer donc par celui de la mise en scène. La seule idée formelle du film, répétée à l'envi une heure et demi durant, se résume à un montage assez laborieux qui se régale d'amalgamer différents espace-temps de la façon la plus éculée qui soit : sagement reliés par une voix off surexplicative, les différents épisodes de la vie du personnage, ou ses rêveries, s'enchaînent systématiquement par le truchement d'un raccord ou d'un travelling sans que jamais les rencontres ne constituent un quelconque événement plastique ou affectif.


Quatre pieds de table, quatre ! Guillaume va pouvoir se faire une table ! A table !

Le plus étonnant est en fait que le film soit aussi faible dans le fond que dans la forme. Gallienne nous raconte sa vie, sa relation à la fois privilégiée et traumatique à la figure de la mère, et ses doutes quant à son identité sexuelle (thème ô combien d'actualité, mais d'autres films en compétition traitaient eux aussi de l'identité et du genre, avec ô combien plus de finesse et d'ambition esthétique : La Vie d'Adèle, L'Inconnu du lac, voire même La Vénus à la fourrure). Mais au lieu de rendre compte de questions profondes via une véritable évolution de son personnage, il emboîte des sketches souvent pathétiques, constamment creux et parfois malaisants. Chaque épisode apparaît comme très superficiel, alourdi en outre par les commentaires du personnage qui viennent systématiquement surligner ou expliciter un discours psychanalytique très basique. Le comble est atteint, vers la fin du film, quand le personnage se retrouve face à un homme monté comme un "cheval" (sic), vision qui vaut pour révélation : il doit surmonter sa phobie du cheval pour accepter son phallus. On le retrouve aussitôt dans un haras, les bras crois, les yeux fermés, à califourchon sur un poney qui tourne en rond, comme révélé à lui-même dans une épiphanie ridicule à souhait. L'ultime séquence n'est pas de reste non plus : le héros déblatère sur sa mère qui l'a toujours traité comme la fille qu'elle n'avait pas eu, et de conclure, extatique face à sa découverte hallucinante, que c'était pour ne pas qu'il puisse aimer une autre femme qu'elle… Amis de Freud, au revoir.


Montre-moi un poney, je te dirai qui tu es.

La lourdeur du propos et la grossièreté de l'écriture pourraient passer si un humour fin et piquant venait emballer ce scénario minable. Mis à part une paire de répliques au vrai potentiel, malheureusement gâché, le film ne parvient jamais à être drôle, strictement jamais. D'ailleurs le seul moment qui nous ait décroché un demi-sourire est celui où Gallienne, dans la peau de sa mère, hurle sèchement au chien de chasse du père de famille de retourner dehors : le clebs, stoppé en pleine course, se fait dans le froc, patine sur le carrelage et fait demi-tour illico en lâchant un couinement terrible. On vous recommande cette scène, et c'est bien la seule. Merci au clébard en question, à qui tous les César de Gallienne reviennent de droit. Car comment rire en effet devant, par exemple, la séquence de massage en Bavière, quand Gallienne se fait malmener par un masseur musclé, gag que l'on a vu dix milliards de fois et qui ne peut fonctionner qu'à condition d'avoir un peu de génie ou, au pire, d'aller dans l'excès potache (façon Les Bronzés… Gallienne parvient à nous faire regretter Gérard Jugnot !). Et quand la scène, longue, débouche sur une autre, toute aussi longue, où le même Gallienne se fait faire un lavement par Diane Kruger, on est alors stupéfaits et béats devant si peu de veine comique.


Notre homme est hétéro et ne s'en rend pas compte face à Diane Kruger...

A défaut de parvenir à nous faire ne serait-ce que sourire, on espérait que Gallienne nous épate un peu par son jeu d'acteur, lui qui a déjà prouvé qu'il était capable de camper des personnages hauts en couleur avec panache. Quand il joue son propre personnage, on est face à un jeune homo un peu niais, très plat, qui hésite entre la caricature absolue, excessive, et donc potentiellement drôle, et l'autoportrait juste et sincère, donc potentiellement touchant. Sauf que Gallienne reste le cul entre deux chaises et rend son personnage royalement ennuyeux, à l'image, et c'est peut-être le plus triste, de celui de sa mère. Non pas que Gallienne l'interprète mal, d'ailleurs il joue mieux sa mère qu'il ne se joue lui-même, mais la caractérisation même du personnage est une fois de plus dépourvue de tout relief. La mère se résume à une vignette (une bourgeoise de mauvais poil, pète-sec et grossière), bien loin du portrait que Gallienne, plus ému que nous, décrit à la fin, sur la scène de son théâtre, la tignasse nimbée d'un halo de lumière blanc du plus triste effet. Il nous parle de la pudeur de sa génitrice, de son élégance, de son humour, de son aplomb, autant de choses qu'il ne nous a jamais montrées durant le film, qu'il n'a jamais vraiment incarnées. 


N'est pas Proust qui veut...

Tout est donc plat dans ce film, terriblement plat, et nécessairement le rythme s'en ressent : aucune envolée, aucune saillie, aucun contretemps. On n'en retire rien, sinon beaucoup d'ennui et un peu de gêne pour Guillaume Gallienne dont le film, contre toute attente, nous tient à distance, ne parvient pas à nous toucher, et finit par nous mettre quasiment mal à l'aise face à tant de confessions, comme lors du monologue final où l'acteur se livre à sa mère dans un tête-à-tête en huis-clos devant lequel on se sent de trop. Ce premier film, nul, disons-le, n'est pas pour autant détestable, et Gallienne demeure vaguement sympathique, mais l'un comme l'autre sont bien peu de choses, et l'on se trouve plus effaré encore du succès public de Les Garçons et Guillaume, à table ! que de celui d'Intouchables. C'est dire...


Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne avec Guillaume Gallienne, François Fabian et André Marcon (2013)

12 Years a Slave

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Douze ans de malheur nous dit le titre, mais 144 minutes de pur bonheur pour le spectateur, 2h10 de grand délire. Un vrai pied. Les Oscars l'ont dit et ont signé ! On n'en attendait pas moins de Steve McQueen qui, après Lincoln et Django Unchained, s'inscrit dans la vague des films de plus de deux heures sortis sous Obama et se donnant pour mission de rouvrir les cicatrices pour mieux, in fine, panser les plaies. Solomonde Northrup est un homme noir libre capturé et réduit en esclavage pour douze ans. Notre homme (incarné par Chiwetel Ejiofor), non content d'être enferré et forcé à trimer dans les champs de coton est affublé du surnom de "Platt", passe par toutes les péripéties de la vie d'esclave, et McQueen nous place face à quelques scènes coups de poing : le héros pendu à une branche d'arbre et ne touchant le sol que du bout des pieds dans une scène interminable ; le même contraint par son maître à fouetter jusqu'à l'os une de ses amies, etc. McQueen, un peu moins pontifiant que d'habitude avec ce sujet plus gros que lui, n'en reste pas moins un discoureur sans finesse, toujours plus ou moins pile poil là où on l'attendait. On a d'ailleurs évidemment droit à ce qu'on attendait le plus dans tout ça : un regard-caméra poignant (dans une scène entièrement consacrée à cela), de ceux qui en disent long et nous mettent face à nos responsabilités.




Mais ce regard n'est pas la seule chose appuyée dans ces 2h10 de scènes édifiantes destinées à passer en boucle sur les écrans de tous les cours d'histoire du monde. La séquence du fouet, pour y revenir, se clôt quand la jeune victime, interprétée par l'oscarisée Lupita Nyong'o, s'écroule, épuisée, sur le piquet auquel elle était attachée, lâchant le ridicule petit morceau de savon qu'elle était partie chercher dans le domaine voisin et qui lui a valu cette horrible punition. Le cinéaste fait alors un panoramique descendant vers ce petit morceau de savon blanc tombé dans la terre, symbole de la pureté souillée de la jeune esclave, de sa dignité bafouée. Ce passage, au symbolisme légèrement surfait et déplacé, donne uniquement envie de revoir L'Impératrice Yang Kwei-Fei de Kenji Mizoguchi, avec son lent travelling avant en plongée dans les pas de l'impératrice sur le point d'être pendue, et qui abandonne ses bijoux puis ses souliers sur le chemin de la potence. On est loin d'une telle poésie avec la volonté de signifiance déterminée et la lourde insistance de sieur McQueen, moins cinéaste que discoureur, dont l’œuvre tend définitivement vers le film scolaire ultra lisible façon La Couleur pourpre de Spielberg.




Comme souvent dans ces cas-là, le cinéaste adapte une histoire vraie. Et comme souvent, il choisit un "destin" comme disent les annonceurs, l'histoire hors-normes d'un personnage atypique. On se retrouve donc avec, pour héros, un homme libre, propre sur lui, éduqué, bon mari et bon père, habile violoniste en prime, qui est victime d'une injustice au carré (réduit en esclavage d'une part, première injustice, mais le "méritant" encore moins qu'un autre puisque lui est né libre, n'a rien à foutre là, et a été victime d'une tromperie ignoble, deuxième injustice), et qui s'en est sorti pour ensuite mener un combat exemplaire contre l'esclavage et écrire un livre intitulé, on vous le donne en mille : 12 years a slave. Il est assez triste au fond que McQueen n'ait pas écrit une histoire, inventée de toute pièce, pour faire le portrait d'un esclave banal, non pas d'un cas si spécifique qui atténue paradoxalement l'injustice subie par tous les autres de par la nature double de celle qui l'accable. Cette échelle des souffrances que crée le film est d'autant plus gênante que bien paradoxale (au fond Northrup est au moins né libre, et le retournera, son calvaire personnel, déjà atroce, n'ayant duré "que" 12 ans, contrairement à celui de tous ces noirs nés et morts enchaînés). Le cinéaste a sans doute eu tort de penser qu'il fallait au public contemporain un pôle d'identification bien confortable (le héros est au départ "comme nous", c'est-à-dire un homme libre) pour se laisser sensibiliser à la question de la traite négrière et s'émouvoir du sort des esclaves.




En outre cette histoire vraie paraît sinon fausse du moins écrite par un scénariste besogneux : tout arrive comme prévu, et on prédit chaque événement sans effort. L'arrivée impromptue de Brad Pitt dans la dernière demi-heure étant la cerise sur le gâteau. Le bellâtre débarque avec ses longs cheveux blonds et son collier de barbe grisonnant, déblatérant dans cet accent du sud qu'il nous inflige maintenant régulièrement et qui empire à chaque fois. Il a produit le film et s'y est octroyé le putain de beau rôle, celui du deus ex machina, de l'homme sans attaches, du voyageur progressiste et visionnaire, qui plie l'affaire du film d'une petite lettre envoyée en recommandé à qui de droit. C'est cool, Brad, mais les gens t'aiment bien en général, rassure-toi, inutile de t'acheter une belle image dans un film comme celui-ci, ça ne te grandit pas des masses...


12 Years a Slave de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch et Brad Pitt (2014)

Réveil dans la terreur (Wake in Fright)

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Attention, film de dingue ! Film malade ou film de malades. Comme vous voulez. Une chose est sûre, on ne ressort pas tout à fait indemne de la vision de Wake in Fright aka Outback, cet étrange film australien que l'on doit au canadien Ted Kotcheff (plus connu pour avoir réalisé le premier Rambo). Longtemps resté inédit en VHS et DVD, évidemment invisible sur petit écran, le film de Kotcheff a été redécouvert récemment, en 2009, à l'occasion de son édition en DVD et blu-ray dans une sublime version restaurée et remasterisée, et devrait même bientôt trouver distributeur en France. Il le méritait amplement ! Sa si enviable et sulfureuse réputation de chef d’œuvre obscur du cinéma australien peut désormais être mise à l'épreuve. Et, malgré le poids de celle-ci, force est de constater que nous ne sommes pas déçus, mais plutôt sonnés, abasourdis, et convaincus que ce statut de film culte n'est pour une fois pas du tout usurpé.




Wake in Fright est une oeuvre définitivement à part qui, immédiatement, parvient à nous plonger dans une ambiance poisseuse, étouffante et putride que l'on ne quittera jamais. Dès son plan d'ouverture, un lent et beau panoramique sur une immensité orange éclatante, seulement traversée par une voie de chemin de fer et écrasée par un soleil de plomb, on est scotché. Dès ses premières minutes, où l'on est introduit dans le silence complet d'une salle de classe assommée par la chaleur, attendant seulement la sonnerie libératrice qui annoncera les vacances, on est fasciné, car déjà transporté en un terrain méconnu, face à un film dont on se doute déjà qu'il sera différent, comparable à aucun autre. On y suit la lente et terrible descente aux enfers d'un jeune instituteur affecté à un bled paumé de l'outback australien qui désire profiter des vacances scolaires pour rejoindre sa petite amie à Sidney. Mais le voyage vers la grande ville n'est pas aussi simple que prévu et il ignore que ses congés seront pour lui une parenthèse cauchemardesque qui le marquera à jamais. Emporté par la douce folie barbare des individus qu'il rencontrera et noyé dans la décadence feutrée des bleds où il se paumera, le pauvre homme va progressivement sombrer, perdre tous ses repères et le moindre contact avec le monde civilisé.




On ne sait pas vraiment ce qui animait le réalisateur Ted Kotcheff quand il a tourné ce long métrage, mais en le regardant, on se dit que ça n'est pas vraiment étonnant qu'il ait été l'homme d'un seul film (même si le premier Rambo a ses ardents défenseurs et ne doit pas être associé à la bêtise et à la médiocrité de ses suites). Le cinéaste a l'air d'y avoir tout mis. Toute sa rage et tout son talent. Le film, bien qu'on ne sache jamais où il nous amène, paraît entièrement maîtrisé, du début à la fin. Les scènes s'allongent souvent anormalement, durent quelques minutes de trop, pour mieux finir par nous enivrer. Le rythme décontenance totalement. Le style sec et précis de Kotcheff semble déterminé par une motivation inhabituelle. On alterne les scènes de débauche démentes faites de rencontres insolites avec des moments plus calmes où la raison reprend temporairement le dessus, et avec elle un nouveau dynamisme, toujours très éphémère. Le film paraît coincé dans un surplace déconcertant, sans logique apparente. Nous sommes malmenés comme le personnage principal, qui passe du désespoir le plus complet à l'euphorie totale, et replonge dès qu'il semble remonter la pente. Le plus haut niveau de bizarrerie est atteint lors de cette scène hallucinante de chasse aux kangourous, où les pauvres bestioles se révoltent quand les chasseurs décident de s'en prendre à elles mano à mano pour honorer quelque pari ridicule. On regarde tout ça les yeux grands ouverts, terrassé. Après ça, vous ne regarderez plus jamais nos amis sautillants de la même façon, je vous le garantis...




Wake in Fright est un titre inclassable, que l'on peut peut-être situer quelque part entre Delivrance, Massacre à la tronçonneuse et Apocalypse Now, mais tout cela est bien vague et n'éclaire en rien. C'est un vrai trip à la puissance toujours intacte qui exige des nerfs solides et dont le réalisme sordide ne manquera pas de vous atteindre profondément. C'est une œuvre d'une rare fureur signée par un réalisateur alors touché par la grâce ou la folie et également portée par des acteurs habités, à commencer par le grand Donald Pleasance tout bonnement génial dans le rôle d'un personnage qui apparaît d'abord comme l'unique refuge civilisé au milieu de la sauvagerie ambiante mais qui se révèlera finalement être le plus cinglé de tous. Doublement salué au festival de Cannes, une première fois, en compétition, en 1971, où il reçut un accueil très favorable, et une deuxième fois sous l'impulsion de Martin Scorsese, fan absolu du film, dans le cadre de Cannes Classic à l'occasion de sa restauration, Wake in Fright est une œuvre unique en son genre qu'il est grand temps d'intégrer une bonne fois pour toutes au panthéon des films les plus fous et bizarres jamais produits.


Réveil dans la terreur (Wake in Fright) de Ted Kotcheff avec Gary Bond, Donald Pleasance, Chips Rafferty, Sylvia Kay et Jack Thompson (1971)

Un Jour sans fin

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Nous avons l'immense plaisir aujourd'hui d'accueillir ce cher Hamsterjovial, qui nous a déjà régalés, à maintes reprises, de ses commentaires enjoués (son nom l'indique) et toujours éclairés, et qui désormais nous fait carrément l'honneur d'un article entier, et pas des moindres, vous le verrez, sur Un Jour sans fin, le meilleur film du regretté Harold Ramis, acteur, producteur, réalisateur et scénariste américain décédé le 24 février dernier. Nous ne sommes pas prêts d'oublier le visage d'Harold, éternellement fixé parmi ceux de Bill Murray, Dan Ayrkoyd, Ernie Hudson, Sigourney Weaver et Rick Moranis, en tête d'affiche du génial S.O.S. Fantômes. En tant que cinéaste, l'homme n'a certes pas toujours brillé (on n'en dira pas plus sur L'an 1 : des débuts difficiles, comédie de sinistre mémoire), mais a donc aussi su tourner un film aussi remarquable que celui auquel notre invité du jour s'apprête à rendre hommage : 




Rémi et Félix m'ont invité à écrire à propos de Un jour sans fin, et je les en remercie vivement. D'emblée, pourtant, le doute m'assaille : que dire de plus au sujet d'un film dont les vertiges narratifs, temporels, existentiels, moraux et spirituels ont déjà été décortiqués en tous sens ? J'encours le ridicule de répéter ce qui, cent fois, fut énoncé ailleurs. En accord avec le titre de ce blog, osons toutefois le comique de répétition ! Un jour sans fin y invite, puisque lui-­même l'érige en principe de film. C'est d'ailleurs là, peut-être, sa force première : prendre un des lieux communs du territoire comique, et l'étendre aux dimensions d'un film entier. Cette répétition généralisée situe Un jour sans fin à l'intersection de la comédie et du tragique, celui d'un quotidien humain conçu comme éternel retour, et évite ainsi la complaisance cafardeuse à laquelle une telle vision de l'existence pourrait donner lieu. En témoigne cet extrait du dialogue entre Phil Connors, l'infatué présentateur météo condamné à revivre indéfiniment la même journée dans une bourgade de Pennsylvanie au nom impossible (Punxsutawney), et l'un des habitants de celle-­ci : « Vous feriez quoi si vous étiez coincé quelque part et si chaque jour était exactement le même, quoi que vous fassiez ? — Ça résume bien les choses, en ce qui me concerne.» (Apparemment, ce croisement entre comédie et tragique existentiel aurait entraîné la rupture définitive entre le réalisateur de Un jour sans fin, Harold Ramis, et Bill Murray, l'interprète du personnage de Phil Connors, pourtant complices de longue date. Leur désaccord serait dû au fait que le premier voulait accentuer le côté comique du film, et le second son côté « fable philosophique ».)


La classe américaine selon Phil Connors. 
(Remarque : Bill Murray ressemble furieusement à Yves Calvi.)

Le sentiment accablant de la répétition quotidienne est sans doute une des sources d'une maladie devenue tristement banale : la dépression. Un jour sans fin est, à ma connaissance, un des rares films qui offre une description convaincante de celle-­ci ; à ce titre, je ne trouve à lui comparer que certains moments de Jean Grémillon, de Visconti, de Cassavetes et de Hitchcock — celui du Faux coupable et de Vertigo. La force de Ramis (comme de Blake Edwards, quelquefois), c'est d'avoir su lui trouver une expression comique. Deux autres de ses films, Mafia Blues et Multiplicity, évoquent également la dépression, ou le burning out, de façon singulière et parfois hilarante. Qui n'a vu Phil Connors affalé en pyjama dans le salon de son bed and breakfast propret, saladier de pop-corn et bouteille de Jack Daniel's sous la main, épatant une assemblée de vieillards en répondant aux questions d'une émission de Jeopardy qu'il a dû visionner quelques centaines de fois, qui n'a pas vu cette scène, dis-je, ne saurait parler que légèrement de la détresse humaine. Bill Murray est d'ailleurs tellement bon en dépressif que, par la suite, il s'est un peu enfermé dans cet emploi, chez des cinéastes moins inspirés (Sofia Coppola, Wes Anderson, Jim Jarmusch).


Dans la série des suicides de Phil, l'irruption devant un camion : souvenir tragi-comique de La Mort aux trousses.

Dans Un jour sans fin, il n'y a qu'un pas de la dépression atmosphérique à la dépression morale, de même qu'entre le temps qu'il fait (Phil est coincé à Punxsutawney à cause d'une tempête de neige que, bien que météorologue, il n'avait pas prévue) et le temps qui passe. L'évidence et la simplicité avec lesquelles ces analogies s'imposent à l'esprit du spectateur participent pour beaucoup du plaisir que le film suscite. L'équivalence que Un jour sans fin établit entre le fait d'être bloqué dans le temps (revivre la même journée, encore et encore) et celui d'être bloqué dans l'espace (ne pas pouvoir quitter un patelin de province) force également le respect, et en fait l'un des films les plus tranquillement théoriques que je connaisse : qui d'autre que Ramis a su, sans cuistrerie aucune, donner corps à l'idée du cinéma comme assemblage de blocs d'espace-­temps ? (Réponse : Buster Keaton.) Au regard d'une telle réussite, le reproche qu'on pourrait faire à Un jour sans fin, à savoir son manque de « style visuel » notable, a autant d'importance qu'un pet sur une toile cirée. Et quand on voit ce que devient, dans le cinéma américain, le « style visuel » — Malick, Tarantino, Del Toro, Wes Anderson, Nolan, Winding Refn, Cuaron —, on sait gré à Un jour sans fin de sa salutaire modestie.


Bill Murray vient d'apprendre que Tarantino ne tiendra pas sa promesse d'arrêter de tourner après son dixième film.

A l'intention des obsédés de « spécificité cinématographique », il faut ajouter que Un jour sans fin intègre à sa fiction la part non négligeable, et pourtant occultée dans la plupart des films, qu'occupe la répétition dans le processus cinématographique : répétition des acteurs, des prises des vues ratées et recommencées. C'est surtout évident dans la séquence où Phil et Rita, sa productrice, dînent au restaurant. Appliquant la méthode d'apprentissage par « essai et échec », Phil profite de la boucle temporelle dans laquelle il est pris pour glaner toujours plus d'informations à propos de Rita (son apéritif préféré, ses centres d'intérêt, etc.), à seule fin de la séduire en lui faisant croire qu'ils ont tout en commun. À mesure que se répètent les mêmes phases de la même soirée, un soupçon amusé point chez le spectateur : serait-­il en train d'assister au bout-­à-­bout de l'ensemble des prises effectuées lors du tournage de cette séquence ? Ce n'est bien sûr qu'une impression (à y réfléchir, on devine que chacun des fragments de montage qui, à l'écran, passe pour une prise parmi d'autres d'un même plan a dû en réalité être lui-­même l'objet de plusieurs prises au tournage, jusqu'à atteindre l'illusion de perfection dans la répétition), mais cette allusion à une dimension habituellement cachée contribue à la singularité de l'expérience que propose Un jour sans fin. Je ne connais qu'un autre film qui intègre structurellement cette répétition constitutive du cinéma : le diptyque indien de Fritz Lang, Le Tigre du Bengale / Le Tombeau hindou, dont le second volet est une répétition quasi systématique (et fascinante) des situations, des lieux et des trajectoires du premier.


Séraphin Lampion existe, je l'ai rencontré à Punxsutawney.

Un jour sans fin relève de ce que les américains appellent le what if film. Le plus célèbre des films de ce type, c'est La vie est belle, de Frank Capra : et si il vous était donné de voir le monde tel qu'il serait si vous n'aviez jamais existé ? L'éventualité qu'explore le what if film est en général inexplicable rationnellement, et l'une des qualités de Un jour sans fin tient à la paisible autorité avec laquelle il amène le spectateur à accepter d'emblée le déclenchement de la boucle temporelle dont Phil Connors devient le prisonnier. De même qu'on ne sait pas pourquoi les oiseaux attaquent les hommes dans le film de Hitchcock, la raison pour laquelle Phil se met à revivre la même journée ne nous est pas donnée (même si, dans les deux cas, on peut se faire une opinion). Sorti cinq ans après Un jour sans fin, la faiblesse de Pleasantville réside à ce niveau : l'arbitraire du transfert de deux adolescents de 1998 dans une série télévisée des années 1950 y est à la fois trop et pas assez justifié.


Un jour sans fin est un festival de micro-­grimaces de la part de Bill Murray, qu'il s'agit de ne pas rater. 
Micro-­grimace n°1 : « Je voudrais être n'importe où ailleurs. »

Le film de Ramis lorgne sans doute consciemment vers celui de Capra : on y retrouve le drame existentiel d'être coincé dans un patelin aux horizons restreints, l'ambiance neigeuse, le « monde alternatif », l'aspiration à une autre vie moins monotone, etc. Mais plus encore qu'à La vie est belle, Un jour sans fin peut faire penser au Brigadoon de Vincente Minnelli, bien que ce dernier film soit pour sa part un sommet de flamboyance visuelle. Je me souviens du ravissement qui fut le mien (le genre de réaction qui fait passer le cinéphile pour un fêlé) lorsque le parallèle entre ces deux films me fut confirmé par la présence, au générique final de Un jour sans fin, de la chanson-­phare du film de Minnelli : Almost Like Being in Love, dans sa reprise par Nat King Cole. Heureusement, Un jour sans fin ne tombe pas dans la référence musicale gratuitement exhibée (là aussi, on est à des années-lumière de Scorsese, de Tarantino ou de Wes Anderson), car ce morceau a alors une autre fonction. En cette fin d'un film qui, comme son titre français l'indique, était virtuellement sans fin, il constitue l'envers, à occurrence unique, d'une chanson répétée jusqu'à la nausée : I Got You Babe de Sonny and Cher, dont le retour à chaque réveil de Phil Connors résume efficacement l'idée d'enfer sur terre.


Micro-­grimace n°2 : « Qu'est-­ce que c'est que ces bouseux ?! »

Dans Brigadoon, deux New-­Yorkais de 1954 tombent par hasard, lors d'une partie de chasse en Écosse, sur un village qui vit comme au XVIIIe siècle. Trois cents ans plus tôt, l'endroit s'est placé sous un charme qui lui a permis d'échapper à la marche du temps. Depuis lors, Brigadoon et ses habitants disparaissent de la surface du monde, plongés dans un sommeil dont ils ne sortent qu'une fois par siècle et pour une seule journée, avant de s'évanouir de nouveau pour cent ans dans les limbes. Entre Brigadoon et Un jour sans fin, le piétinement temporel s'avère finalement similaire : revivre à l'infini le même jour ou ne vivre qu'un jour tous les cent ans, cela revient à peu près au même. De plus, les deux films rappellent que tout idéal de confinement villageois, loin des foules déchaînées, s'exerce au détriment d'une minorité d'exclus de cet idéal, qui en sont aussi prisonniers. Chez Minnelli, il s'agit du jeune homme qui voudrait fuir Brigadoon et qui est sacrifié sur l'autel du rêve de ses concitoyens (si un seul d'entre eux quitte le village, celui-­ci disparaît à jamais). Chez Ramis, le rebut de la communauté douillette de Punxsutawney est le vieux mendiant que Phil Connors croise chaque matin, qui semble n'être au départ qu'une silhouette comique mais dont on découvre tardivement le tragique destin quotidien, jusqu'alors resté hors champ.


Micro-­grimace n°3 : « Faisons mine d'apprécier cet apéritif infect. »

A l'occasion de la mort récente, à cinq jours d'intervalles, de Harold Ramis puis d'Alain Resnais, sans doute a-­t-­on rappelé (j'ai la flemme de vérifier) que Un jour sans fin est sorti la même année que le diptyque Smoking / No Smoking, et que les deux films ont pas mal de choses en commun. Je doute en revanche (mais peut-­être me trompé-­je) qu'on ait relevé la proximité de ces deux films avec un troisième, également sorti en 1993 : L'Arbre, le maire et la médiathèque, d'Éric Rohmer. Un jour sans fin obéit au principe du what if film, Smoking / No Smoking à celui de l'alternative (ou bien... ou bien...), et L'Arbre, le maire et la médiathèque s'organise selon « sept hasards », dont le premier est ainsi formulé : « Si, à la veille des élections régionales de mars 92, la majorité présidentielle n'était pas devenue une minorité...» Ce sont des variations sur le binaire et le divers, le hasard et le programmé, le libre arbitre et la prédestination, le tout dans un contexte villageois. Hypothèse : lorsque des films comme La vie est belle et Brigadoon associaient incertitude existentielle, peur de la modernité et esprit de clocher, ils exprimaient le doute qui pesait sur l'organisation villageoise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l'Amérique devenait le leader d'une mondialisation économique qui ne disait pas encore son nom. En 1993, il ne peut plus s'agir de la même inquiétude. On est alors à l'aube de l'avènement communicationnel de ce fameux « village global » que Serge Daney, avant sa mort un an plus tôt, commenta sur son versant médiatique. Les réseaux informatiques et téléphoniques pointent le bout de leur nez auprès du grand public, telle la marmotte de Punxsutawney émergeant de son terrier. Dans les fables des trois R (Ramis, Resnais, Rohmer) sorties cette même année, il est possible de percevoir, a posteriori, le pressentiment d'un monde où les communautés réelles et partielles, avec leur cortège de petites horreurs et d'émouvantes beautés, seront supplantées par des communautés virtuelles et globales ; d'un monde où le binaire et la programmation prendront force de loi (mais où les « marges » seront susceptibles d'avoir plus de pouvoir — fût-­il soft— qu'au village des anciens temps) ; d'un monde, enfin, où le cinéma, déjà passablement affaibli, aura de moins en moins d'importance dans la vie quotidienne. Mais ceci est une autre histoire, la nôtre, celle du meilleur des mondes dans lequel nous évoluons chaque jour, au regard duquel l'enfer quotidien que subit Phil Connors a quelque chose de — oui, rafraîchissant


Un jour sans fin (Groundhog Day) de Harold Ramis avec Bill Murray, Andie MacDowell, Chris Elliott et Stephen Tobolowsky (1993)

Amer

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On en ressort pas mal amer, même si ce jeu de mots sent l'amer-de. La belle affiche du film donne envie d'y jeter un œil curieux, c'est vrai. Les japonais disent que ce qui compte le plus dans un cadeau, c'est l'emballage. Mais dans le cas de Hélène Cattet et Bruno Forzani, les réalisateurs de ce film, il s'agit plutôt d'empaqueter un gigantesque estron débordant de fatuité et de maniérisme dans le plus beau papier qui soit avant de le déposer sur le paillasson de notre cinéphilie, d'y foutre le feu et de sonner à notre porte pour qu'on s'en foute plein les Kickers (ou plein les Zign, selon le goût vestimentaire de chacun, selon l'équipementier qui sponsorise vos guenilles). Ce film franco-belge, sorti en 2010 et très vite remarqué à Montréal, Malaga, Gérardmer, bref, dans quelques festivals de cinéma de genre, a quand même fini 19ème dans le Top 20 établi par Quentin Tarantino cette année-là, et c'est sa plus haute distinction, bien qu'à nos yeux elle ne vaille pas tripette, tout au contraire...



http://ilaose.blogspot.com/2008/05/coffee-and-cigarettes.html

Chacun de ces photogrammes résume le film dont il est tiré, mais l'un d'eux n'est pas tiré d'Amer et n'a donc rien à foutre là. Si vous ne trouvez pas, cliquez sur l'image centrale...

Amer a tout pour taper dans l'oeil d'un public cible dont Tarantino est finalement un porte-drapeau potentiel. Dès le générique, tout en splitscreen et boosté par le rythme infernal d'un cantique hideux mixant les Goblin d'Argento (avec ces sons stridents qui leur sont propres) à la basse ronronnante des bandes originales de John Carpenter, le tout sous la forme d'un jet d'urine sonore qui nous traverse les oreilles sans discontinuer et sans laisser la moindre trace (c'est tout de même fort), le couple de réalisateurs nous assure que le soin maniaco-dépressif porté au "style" parfaitement superficiel et ultra-référentiel de leur film ne se limitera pas à l'affiche. On tient là l'essence même de leur art. C'est un cinéma basé sur une lourdeur à toute épreuve, et dont les auteurs récitent, en bons cancres, leur catalogue du mauvais goût devenu bon. On a l'impression de voir le premier film de gens fraîchement sortis de leur école de cinéma, gonflés à bloc par un prof fana des giallos qui leur a répété qu'ils avaient une patte et qui a validé à lui seul tous leurs semestres compensés malgré de piètres capacités cognitives. On sent bien que Hélène Cattet et Bruno Forzani ont chiadé chaque effet visuel et sonore de leur film, et c'est déjà pas mal, mais on ne peut pas s'empêcher de trouver ça bien laid et surtout terriblement vain. On se croirait définitivement devant un essai de fin d'année diffusé dans l'amphi B de Paul Verlaine, caffi de fumeurs de oinjs et de "bloqueurs anars" paumés. Quitte à regarder un film rendant hommage aux giallos, autant voir le récent Berberian Sound Studio, loin d'être entièrement réussi mais autrement plus humble, plus louable et plus regardable surtout. Hier est sorti le nouveau film du duo, manifestement en larmes face à la mort cérébrale du maître Argento, il s'intitule L'étrange couleur des larmes de ton corps et semble exactement du même tonneau. Espérons le contraire.


Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani avec Cassandra Forêt, Charlotte Eugène-Guibbaud et Marie Bos (2010)

Sens unique

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Un officier de marine (Costner) est chargé d’enquêter sur le meurtre d’une femme (Young) dont il était l’amant. Il s’aperçoit progressivement que tous les indices qu’il découvre le désignent comme le coupable idéal. En effet, c'est Gene (Hackman), le véritable meurtrier, qui met en place un faisceau de preuves pour accuser Kevin (Costner) du meurtre et, cerise sur le gâteau, en faire un traître au service de l'Union (Soviétique). Nous sommes en pleine Guerre (Froide) et un climat de suspicion règne chez les haut gradés. Ce film nous apprend qu'on ne peut pas faire confiance en ses amis.

En cinq petites minutes de film, on a vu autant de rapports bucco-bucco, bucco-mammaires et bucco-génitaux que dans l'ensemble des films américains sortis depuis début 2010. Kevin Costner est beau et svelte. Il ressemble à mon frère Glue 3. Gene Hackman joue l'enfoiré qu'il a été condamné à jouer à partir du début des années 80 et ce jusqu'à la fin de sa carrière. Face à eux, prête à réaliser toutes les prouesses physiques qu'ils pourraient exiger, voici Sean Young, à l'époque en haut de l'affiche, grande actrice qui n'a malheureusement pas d'équivalent de nos jours. On l'aurait préférée en brune, nous l'apprécions quand même avec son indéfinissable couleur de cheveux poivre et sel et blonds fauves.


Deux acteurs au top du top de leur forme dans les années 80 et qui n'ont pas leurs équivalents de nos jours.

Dans ce film, Kevin Costner a la particularité de porter des habits trop courts, en alternance le pantalon ou le chemisier. Durant un dialogue décisif pour la résolution de l'intrigue lors duquel il est à la limite du pétage des plombs, Kevin Costner, la jambe pliée sur le coin de la table basse, laisse apparaître jusqu'à la partie supérieure de son mollet. Pour info, la costumière n'a pas été nominée aux Oscars. Opportuniste, l'acteur saisit alors l'occasion pour nous rappeler qu'il a failli devenir un joueur de baseball professionnel avant d'opter pour une carrière à Hollywood, en pointant du doigt le saillant muscle gastrocnémien qui tend les fibres de sa chaussette rouge.


Gene Hackman, au top durant toute sa carrière, héros et anti-héros dans les années 70, ordure notoire à partir des années 80, "celui qui a su s'arrêter à temps" dixit Clint Eastwood.

Kevin Costner joue un marin et c'est peut-être pour cela qu'ils ont décidé de faire en sorte qu'il ait toujours l'air de sortir de la douche, les cheveux mouillés, de l'eau dégoulinant sur les fringues. Heureusement, cet acteur a une telle prestance que quel que soit l'état de son cuir chevelu, son charme ne se brise jamais. La magie opère encore lorsqu'on nous dévoile le torse de la star. Ah, qu'elle était loin la mode des acteurs imberbes ! Kevin Costner nous montre en effet dans cette scène d'anthologie pourquoi il avait été choisi comme figurant dans le film Gorilles dans la brume. Quel torse velu ! Quelle pilosité ! A faire tomber n'importe quelle femelle chimpanzé. 


Légère comme une plume, gracieuse comme une ballerine, Sean Young réalise dans cette scène qu'elle a une opportunité en or de réaliser le coït tant espéré avec celui qui à l'époque était en tête des sondages de popularité tant chez les femmes que chez les hommes.

Durant les trois premiers quarts d'heure de ce film, on voit Kevin Costner simuler plusieurs fois des rapports sexuels avec Sean Young. A moins que ça ne soit pas simulé... A l'époque, les gens osaient et savaient attirer le chaland. Quid de cette virée totalement gratuite en bateau où Sean Young porte un t-shirt blanc et fin qui ne laisse aucune place à l'imagination ? Au bout d'une heure de film, on se rend compte que c'est un thriller érotique digne des meilleurs Hollywood Nights. Roger Donaldson signait son premier et avant-dernier succès public. Un film à sens unique dans lequel Kevin Costner nage en eaux troubles parmi les requins, les mines antipersonnel et les pièges à loups. 


Une scène et un t-shirt qui resteront gravés dans les esprits de tous ceux qui auront eu la chance d'avoir vu ce film !

Une scène, je dirai même un plan, a retenu notre attention. C'est une scène de dialogue tout à fait banale entre un responsable de la CIA et l'un de ses subordonnés. Tout en discutant avec son subordonné, le responsable se lève face à son interlocuteur et dans le champ contre-champ qui en découle, le plan démoniaque apparaît, le réalisateur décide à ce moment-là de faire un plan "léonien" d'avant-garde. En amorce, légèrement flou en bord de champ, un gland rougi sort résolument du costume bleu électrique de son propriétaire, tandis que le subordonné, stoïque, fait mine de ne se rendre compte de rien. Ce plan-là aurait mérité mille éloges, mais il semble que nous sommes les seuls à l'avoir repéré. 


Sens unique de Roger Donaldson avec Kevin Costner, Gene Hackman, Will Patton et Sean Young (1987)
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