Quantcast
Channel: Il a osé !
Viewing all 1071 articles
Browse latest View live

100% cachemire

$
0
0
Tout le monde en France ou presque a toujours adoré, voire vénéré, Valérie Lemercier. En regardant son dernier film j’ai tout de même fini par me demander pourquoi. Il paraît qu’elle est formidable sur scène, mais en ce qui me concerne je ne l’y ai jamais vue (elle refuse d’ailleurs toute captation de ses spectacles). J’imagine que je ne suis pas le seul pour qui ses performances scéniques restent plus ou moins une légende. Donc l’espèce de sympathie universelle et inconditionnelle dont elle jouit tient finalement de ses frasques sur petite lucarne, quelques sketches de Palace, des apparitions mémorables chez les Nuls et une paire de moments drôles venus nous dérider lors de nos infâmes cérémonies des Césars annuelles (songeons à la parodie de Rabbi Jacob, déjà trop vue, ou à celle du Petit Nicolas, transformé en Petit Nikomouk). Au cinéma, les années 90 qui l'on vue naître lui ont plus ou moins réussi, avec L’Opération Corned-Beef et surtout Les Visiteurs. Mais depuis, et après son "grand" rôle dramatique dans Vendredi soir de Claire Denis, hormis le passable L’Invité, on ne compte plus les horreurs dans lesquelles elle a tourné (et qu'elle a parfois écrites et réalisées), de Palais Royal ! au Héros de la famille en passant par Fauteuils d’orchestre, d’Agathe Cléryà L’amour dure trois ans en ne passant surtout pas par Bienvenue à bord ou d’Astérix et Obélix : Au service de sa majestéà Main dans la main pour finir par 100% cachemire.


Un gag par scène : ici Valérie Lemercier reçoit une louche de purée sur le nez. Dans une autre scène, qui se passe dans un zoo, elle tombe dans le bassin des otaries. Et je pourrais continuer comme ça sur dix lignes au moins, ça vous donnerait le scénar officiel du film.

Pas forcément simple, pour une actrice comique de son genre, de trouver des rôles à sa mesure dans le marasme de la comédie française telle qu’elle se pratique depuis plus de quinze ans maintenant, me direz-vous. Mais quand Lemercier est aux manettes de son propre naufrage, quand elle écrit elle-même le scénario de sa déchéance, plus d’excuses. Et 100% cachemire est une pure infection, qu’on se le dise. Étalage involontaire d’un amour propre démesuré chez notre actrice-réalisatrice, film mal écrit, mal filmé, à peine joué et atrocement mal monté (qui voudrait comptabiliser les temps vides malaisants et les raccords mal foutus qui jalonnent cette horreur ?), ce navet d’envergure oublie même, c’est bien le pire, de nous faire marrer ne serait-ce qu’une fois, par hasard... Mais en fait si, il y a pire : tous les personnages (à l'exception du gamin, qui n'est qu'un triste faire-valoir) sont non seulement des clichés sur pattes mais des raclures finies, à commencer par la connasse qu’interprète Lemercier, directrice hautaine et superficielle d’une revue féminine à la con, femme adultère bourrée aux as et hystérique, elle est notamment prête à réexpédier son nouveau fils russe chèrement payé dans son pays natal pour ne plus avoir à s’en occuper, et ce sans rien dire à personne, pas même à son mari, interprété par l’increvable Gilles Lellouche, qui lui aussi la trompe à longueur de journée, quand il ne gifle pas sa petite sœur ou n'insulte pas sa mère. Sans oublier la collègue de Lemercier, mal jouée (est-il besoin de le préciser...) par Marina Foïs, arriviste et traitre, ou la mère juive de Lellouche, grande bourgeoise raciste imbuvable à deux doigts de buter le chien de la famille en faisant preuve d’une connerie à toute épreuve.


Si ce tablier ne vous fait pas pisser de rire, c'est mort.

Tous ces personnages ne sont absolument pas aimés par leur auteure, et ne sont donc jamais aimables pour le spectateur, mais, bizarrement, Lemercier semble somme toute les pardonner, en tout cas faire avec, sans trop se poser de questions. S'inspirant d'une histoire vraie (celle donc d'une mère qui, après avoir adopté un petit Russe, a décidé de le renvoyer au bercail), elle a en tout légitimité voulu écrire des personnages bien tartinés, des caricatures pures et dures, histoire de faire son beurre comique sur leur dos, mais, ayant probablement plaqué sur ces figures une part de soi (notamment un rapport disons particulier à la maternité, elle en a causé des tas de fois à la TV), Lemercier a dû finir par prendre ses victimes en compassion et par se retrouver dans une stricte impasse. L'issue de secours, qui ne peut pas en être une, a consisté à filmer toutes ces enflures, qui s’en prennent durant tout le film à d’autres enflures (la nounou libidineuse et violente, la maffia des services sociaux, le voisin versaillais ex-collabo, etc.), sans aller suffisamment loin pour faire rire, dans un film d’une bêtise et d’une laideur à tout rompre. Tout ça pour finalement nous montrer son petit cercle familial de pacotille tout-a-trac réconcilié, dansant et tournoyant au ralenti sur de la musique russe de bon aloi en plein réveillon de Noël. C'est sans doute la dernière chose qu’on pouvait attendre de Lemercier, et 100% cachemerde a de quoi faire largement relativiser toute la sympathie qu’on pouvait jadis avoir pour feu Lady Palace.


100% cachemire de Valérie Lemercier, avec Valérie Lemercier et Gilles Lellouche (2013)

Pour l'exemple

$
0
0
Dans Pour l’exemple, Joseph Losey met en scène le procès sommaire, dans une tranchée près de Passchendaele, d’un soldat britannique, Arthur Hamp (Tom Courtenay), accusé de désertion et défendu bon an mal an par un jeune officier, le capitaine Hargreaves. Dirk Bogarde, co-scénariste du film et lui-même engagé dans l'armée britannique durant le conflit, succède huit ans plus tard au Kirk Douglas des Sentiers de la gloire dans le rôle de l'officier-avocat. Mais à la différence du célèbre film de Kubrick, Pour l'exemple se concentre exclusivement sur le procès, ne montrant aucune bataille et ne développant pratiquement aucune intrigue parallèle, au profit des deux personnages principaux, l’accusé et son avocat. Les seules évocations du feu, de la mort et des combats sont reléguées dans l’introduction du film, où la simple image d’une explosion sert à faire le lien entre notre époque (un canon de pierre dressé sur un monument aux morts) et le front d’il y a cent ans. Un zoom avant sur un squelette anonyme en uniforme, abandonné dans la boue, cède ensuite la place, par le jeu d’un fondu enchaîné, à Arthur Hamp, l’accusé, mort en sursis, allongé dans sa cellule et jouant de l’harmonica en attendant que son sort soit scellé. Il y a bien, au milieu du film, cette scène où les camarades troufions du soi-disant déserteur s’amusent à bombarder de cailloux un pauvre rat, perché sur un radeau de fortune au milieu d'une flaque, accusé d’avoir mordu l’oreille de l’un d’entre eux, mais c'est en fin de compte la seule image d'un combat dans ce film, encore qu'il faille plutôt parler d'une exécution que d'un combat, car la vermine est condamnée à mort par les soldats britanniques après avoir eu droit à un véritable procès, qui vient faire écho, dans toute son absurdité, à celui que subit en montage parallèle le soldat Hamp. A ceci près que le procès du 2ème classe a pour vocation bien connue de donner l'exemple et de motiver les troupes par la terreur avant un assaut imminent, quand celui du rat est monté par des soldats inactifs, traumatisés, à peu de choses de sombrer dans la folie.








C’est l’une des grandes réussites de ce film que de montrer l’ennui absolu des soldats de la Grande Guerre qui, entre de très rares assauts, pataugeaient dans la boue, dormaient parmi les rats, tuaient le temps dans des jeux poétiques ou absurdes et s’enivraient un maximum : belle scène de beuverie à la fin du film, où les camarades du soldat Hamp, pourtant venus le réconforter, le renvoient violemment à l’horreur de sa situation une fois ivres, osent nommer la mort auprès de celui qu’elle va bientôt frapper, et jouent littéralement, sans retenue, sans frein, avec cette grande faucheuse qui les menace tous, condamnés qu'ils sont, officiellement ou non, aux balles. Ce que le film montre aussi, et ce qu’il montre plus qu'il ne le dit, c’est le défaut de communication et d'humanité qui frappe les tranchées de 14-18, les remparts érigés entre les différents rangs militaires, les fossés sciemment creusés entre les multiples niveaux hiérarchiques qui se croisaient sans se rencontrer. On ne compte plus les images de Pour l’exemple construites sur ce même modèle : un homme, de profil, au premier plan, dialogue avec un autre, de face, au second plan, mais ne le regarde pas. C’est une configuration scénique assez courante dans les films de guerre, les soldats devant régulièrement se tenir au garde-à-vous et maintenir le regard fixe sans jamais dévisager leur officier, non moins courante dans les films de procès, dès lors que des hommes sont appelés à la barre des accusés, ou à celle des témoins, tandis que les avocats s’expriment ou les écoutent sans les regarder (les premiers préférant peut-être baisser les yeux pour ne pas affronter leur bourreau, les seconds déambulant sur la scène du tribunal pour haranguer la foule ou les jurés). Mais cette scénographie (avec ses variantes : trois hommes communiquent à un moment en se tenant l’un derrière l’autre et en se tournant le dos !) devient un système dans le film de guerre et de procès de Joseph Losey. On la retrouve partout, d’un bout à l’autre de l’œuvre. La séquence de l'aumônier (6ème photogramme ci-dessous) en est un terrible exemple, énième utilisation logique de cette construction scénographique, puisque l'archétype de la scène de confession constitue un autre support privilégié de cette composition du cadre. Mais Losey y revient encore en dehors des scènes de procès proprement dites (qui du reste ne constituent qu’une faible partie du film), et même quand les différents protocoles (judiciaire, militaire ou religieux) ne sont plus de mise.








Ces profils en médaillon évoquent évidemment le monument aux morts filmé sous toutes les coutures dans l’introduction, avec ces profils de pierre emblématiques, mythologiques, qu'on a sculptés et érigés après la guerre dans toutes les villes et tous les villages de France et d’ailleurs pour célébrer l’héroïsme guerrier et le courage en action, là où les hommes des tranchées allaient moins baïonnette au canon que fusil dans le dos, et passaient moins de temps à prendre d’assaut la tranchée d’en face qu’à pourrir dans leur propre merde (Hamp, comme tant d'autres, souffre d'ailleurs de dysenterie). Mais cette composition, qui n'est pas sans évoquer le travail sur la profondeur de champ d'un Orson Welles, et qui tend vers le plan signature de Bergman, bâti sur un visage de profil au premier plan et un autre, de face, au second (comme dans Persona), est aussi, chez Losey, me semble-t-il, une saisissante façon de représenter le refus de voir l'autre, la négation pure et simple de l'autre, la non-réciprocité du regard, autrement dit les différents niveaux de réalité entre les supérieurs et les hommes du front (le titre original n'est-il pas King and Country ? expression patriotique privée du "For" introductif). Ce qui est constamment représenté à l'image, c'est la chaîne impersonnelle des ordres indirects, cette incapacité ou ce refus des uns à regarder les autres dans les yeux, déni manifeste quand les trois officiers en charge de juger le soldat Hamp (qui finalement remettront bravement leur décision dans les mains de supérieurs absents lors du procès - pure "parodie de justice" comme le dit Hargreaves - en se gardant bien de leur communiquer tous les éléments avancés par la défense), passent devant ce dernier pour aller délibérer et lui refusent le moindre regard (dernier photogramme de la première série d'images), niant jusqu’à sa présence, car un simple regard échangé avec cet homme mettrait en péril leur entreprise d’assassinat concerté. De fait, le bandeau offert aux condamnés au moment de la fusillade, et dont est affublé le soldat Hamp sur la dernière image ci-dessus, arrangeait les fusilleurs plus que les fusillés. C’est au fond le nerf de cette guerre dont on célèbre cette année le centenaire, mis en scène avec sobriété mais avec brio par Joseph Losey : des officiers, grands bourgeois retirés dans quelque château loin du front, à l'abri de la ligne de feu, envoyant à l’abattoir des millions de paysans, numéros de matricule déshumanisés, statistiques pures, qui pour eux et par bonheur n’avaient pas de visage, pas de nom, pas de regard.


Pour l'exemple de Joseph Losey avec Tom Courtenay et Dirk Bogarde (1965)

The East

$
0
0
Après le très malin Sound of my voice, petit film de science-fiction minimaliste dont j'avais vanté ici toutes les qualités avec un enthousiasme sans réserve que j'espérais communicatif, le duo constitué de Brit Marling et Zal Batmanglij est de retour ! Leur second long métrage, The East, est un projet qui s'affiche d'emblée comme étant plus ambitieux, au casting plus clinquant et doté de moyens un peu plus conséquents. Le duo reprend la même configuration : ils sont tous deux à l'écriture du scénario, Brit Marling endosse le rôle principal et Zal Batmanglij s'occupe de la mise en scène. Emballé par leur première création, j'attendais donc ce nouveau film au tournant, dans le sens où j'espérais ardemment une confirmation de leur talent.




Le jeune duo, que l'on imagine débordant de saines intentions, tente cette fois-ci de signer un thriller parano au doux parfum seventies, un peu dans le style d'Alan J. Pakula, prenant pour sujet l'éco-terrorisme et visant à délivrer au passage le petit message politique de rigueur. Pourquoi pas. Hélas, force est de constater que leur film n'est malheureusement pas à la hauteur de leurs ambitions et s'éloigne très tôt de la simplicité, ou plutôt du sens de l'épure, et de l'originalité qui faisaient tout le charme de Sound of my voice.




La belle Brit incarne cette fois-ci un agent spécial qui doit infiltrer un mystérieux groupe d'écoterroristes, The East, luttant contre les industriels pollueurs à coup d'actions chocs. La première partie du film, de loin la meilleure, nous propose une série de situations qui rappellent étrangement celles déjà vues dans Sound of my voice. Il y est souvent question de cercles dans lesquels Brit doit rentrer ou de capuches qu'elle doit porter et j'arrêterai ici mon analyse comparée pointue de ces deux œuvres qui dialoguent constamment entre elles. Brit doit donc gagner la confiance des membres particulièrement méfiants de The East et réussir une série d'épreuves délicates afin de s'introduire parmi eux sans éveiller le moindre soupçon. Ce sont là autant d'occasions d'étaler toute l'intelligence et la supériorité du personnage qu'elle incarne, capable de retourner à son avantage n'importe quelle situation. Si nous n'avions pas beaucoup de sympathie pour l'actrice, cela pourrait être un peu lassant. On se contentera d'avoir l'impression, peut-être plus supportable, de voir une grande fille s'amuser avec les jouets et les histoires qu'elle s'invente pour son propre plaisir avant tout.

Après cette première partie, les choses se gâtent. Le talent de metteur en scène du jeune Zal Batmanglij montre de sacrées limites dès qu'il s'agit de filmer des scènes un peu mouvementées. La tension peine ainsi à décoller pendant l'action choc menée par The East lors d'un dîner de gala organisé par les dirigeants d'un grand groupe pharmaceutique. La confrontation entre Ellen Page et son père, sur les rives d'un fleuve où l'entreprise paternel rejette des déchets toxiques, nous offre une scène aux frontières du ridicule, qui tombe complètement à plat. Il faut dire que le casting n'est pas à la hauteur et contribue hélas à donner un cachet très "série télé"à l’œuvre de Zal & Brit.

Alexander Skarsgård, vu dans True Blood, a une belle gueule, certes, mais il a bien du mal à donner de l'épaisseur et de la crédibilité à son personnage. Son charisme digne d'un modèle de catalogue La Redoute paraît très superficiel, lui qui incarne pourtant le leader de The East. Quant à Ellen Page, elle propose encore une fois un jeu très stéréotypé et on se fiche éperdument de la disparition soudaine de son personnage. Difficile, en outre, d'exister aux côtés de Brit Marling, qui s'est taillé un rôle sur mesure, sorte de fille adoptive de Jack Bauer et MacGyver. On se dit même que, tant qu'à y être, Brit Marling aurait dû s'attribuer les deux rôles principaux en campant également la chef de la bande, quitte à vivre une romance avec elle-même...




Malgré tous les efforts déployés pour ne pas tomber dans un discours moralisateur plombant, la position du film s'avère assez maladroite dans sa volonté de n'épargner personne et sa fin ambiguë ne suffit pas à le sauver sur ce point-là. The East est donc une vraie déception, pas suffisamment grande, ceci dit, pour me faire perdre tout espoir en l'avenir du duo ni pour entamer ma sympathie envers Brit Marling et mon faible pour sa ravissante chevelure blonde. On espère qu'elle fera mieux au prochain coup et qu'elle saura revenir à quelque chose de plus original et plus humble...


The East de Zal Batmanglij avec Brit Marling, Alexander Skarsgård, Ellen Page et Patricia Clarkson (2013)

Pompéi

$
0
0
Critique IRT (in real time) de Pompeii (prononcez « Pompé2i », comme «M2iB»). Critique IRT donc d’un film IRT. Oui car je l’ignorais mais Kiefer Sutherland joue dans ce film, et l’acteur réclame que tout ce qu’il tourne soit découpé en 24 épisodes d’une heure (dont 18 minutes de pub aux USA) et se déroule IRT. Paul W. S. Anderson, le réalisateur, n’a pas pu obtenir des studios de faire durer le film un jour, mais il a vite soulagé son acteur en obtenant de ses financiers que le récit s’étende grosso modo sur 24 heures de temps et que le film soit tourné de manière à donner l’impression au spectateur qu'il se déroule en temps réel. On a même droit, à intervalles réguliers, à la petite horloge jaune sur fond noir qui vient interrompre l’action pour décompter les secondes avec cet effet sonore aussi insupportable qu’inoubliable, imitant autant le tic-tact d’une bombe à retardement que les battements d’un cœur sous 700 bars de pression : skun-tcha, skoun-tcha ; skun-tcha, skoun-tcha, ad libitum.


"Mate un de mes films, Sátántangó par exemple, ça va te buter et j'aurai la paix fumier..."

Kiefer Sutherland incarne le grand méchant du film, à la tête d’une légion romaine qui, dans l’introduction, massacre un campement de rebelles celtes, une tribu d’adorateurs des chevaux et des cheveux, donc des écolos, donc des gentils. Un petit garçon est évidemment témoin de tout ça et voit, au ralenti, son père et sa mère se faire tuer. Il se réveille le lendemain du génocide (car il sera le dernier de sa lignée, c'est toujours plus terrible) sous un tas de cadavres et finit planté, les sourcils froncés, devant un bel arbre où les romains ont mis ses ancêtres à sécher comme des sauciflards humains. Séquence suivante, deux gros lards de romains à bouclettes en toges violettes, avec du laurier dans les oreilles et un grain de raisin au bout de chaque crayon, matent des combats de gladiateurs dans un semblant d’arène en plein cœur de Londinium. « J’en ai raaaaaaaaas le cul, déclare le plus laid des deux, de ces Thraces de merde, je veux du nouveau ! » Soit mais fallait pas jouer dans un péplum vérolé qui prend ses bases sur l’ouverture du script de Conan le barbare, qu’on croit revoir vingt ans après, remakée par des bras cassés dans une esthétique hideuse qui croit devoir s’inspirer du 300 de Zack Snyder, et surtout dans un sérieux pitoyable aux antipodes des excès ironiques et bravaches de John Milius, qui faisait tuer un chameau innocent à son Schwarzenneger d’un seul coup de poing idéalement placé pour mieux nous dérider, au lieu d’espérer, comme Paul W. S. Anderson, nous identifier à un énième idiot du village comme Hollywood nous en fournit tant ces derniers temps, j’ai nommé Kit Harington, surnommé tout au long du film "le Celte". Son entrée en scène, qui est aussi son entrée dans l’arène, pectoraux luisants toutes voiles au vent et barbe de trois jours finement taillée à la serpe, ainsi que les gros plans sur sa tronche de cake en train de hurler au ralenti en filant des coups d’épée dans ses dix adversaires balayés en deux temps trois mouvements, donnent le ton. Comment peut-on encore tourner des conneries pareilles ?


Ce type-là, marchand d'esclaves couard et perfide, qui soudoie un garde pour monter seul dans un bateau au moment de l'éruption, finit par recevoir une énorme boule de feu sur les anglaises.

Troisième séquence et le Celte, ce débile profond, prénommé Milo (non, pas comme Michael Caine dans Le Limier, plutôt comme un clebs de compagnie), manifestement réduit en esclavage, mené à l’aide d’une chaîne par un type désagréable qui grogne à chaque fois qu’il croit bon de tirer sur ladite chaîne, va soigner un cheval blessé (en fait lui rompre la nuque d’un coup sec pour abréger ses souffrances). Dame Cassia, jouée par une Emily Browning tout simplement effrayante, aime aussi beaucoup les chevaux (comme on le verra plus tard dans une belle scène avec son fidèle écuyer noir, Félix, qui sera la première victime du volcan ; on ne peut pas tout faire, être un valet noir de troisième zone dans un grand spectacle hollywoodien et espérer survivre à la première demi heure), descend de son carrosse et vient aider l’esclave celte à tenir le canasson pour qu’il puisse lui rompre l’anévrisme sans difficulté, tombant aussitôt amoureuse de ce bellâtre au grand cœur et aux gros muscles. Après une bagarre de chambrée entre notre Celte et un Thrace très costaud (pas jouasse depuis que son nouveau coloc a tué son frère, prénommé Female, dans un combat de cage), Milo fait la rencontre d’Atticus (non, pas comme Gregory Peck dans To Kill a mockingbird, plutôt comme un esclave noir). Atticus est un gigantesque esclave, noir. Scarifié, les yeux écarquillés dès qu'il cause et la voix sortie en ligne droite des tréfonds de son propre slip (alors qu’il n’en porte pas), notre gladiateur émérite est interprété par Adewale Akinnuoye-Agbaje (qui non content d’avoir un nom compte putain de triple au Scrabble, joue la comédie comme quand on a quatre ans et demi et qu’on fait semblant d’être méchant, et donc toujours très énervé, dents serrées et grimace merdique à la clé). Et pendant ce temps le volcan commence à se réveiller en douceur.


Je me demande si un seul type dans l'histoire de l'humanité a déjà parlé en faisant cette moue, même un type vraiment furax.

Chaque réplique qu’échangent Milo et Atticus est un délice d’innovation. « Ne t’inquiète pas le Celte, si je voulais te tuer, je l’aurais déjà fait ». Bien envoyé. Dans les dents. D’ailleurs tous ces gens ont des dents parfaites, d’une blancheur éclatante, divinement alignées, fou pour des esclaves et pour l’époque non ? En même temps les deux créature féminines du film sont donc Emily Browning et Carrie-Anne Moss, deux êtres de sexe féminin dont le morphotype me semblait pourtant assez clairement estampillé XXIème siècle. A quand Jennifer Aniston en Marie-Antoinette ? Ou Nicole Kidman, avec sa vieille tronche entièrement fondue et remoulée, dans la peau de Grace Kelly ? Mais revenons à nos deux gros cons. Voilà que débarque une scène de baston très longue dans l’arène, mais qui n’est qu’un entraînement, une répétition générale avant le combat du lendemain devant un public en délire. Ou comment faire deux scènes avec une seule histoire de remplir, d’en donner pour son argent au spectateur mâle en sueur venu en prendre plein la vue, et de ne pas montrer quand même qu’une foule de citadins cramés par la lave, car au fond c’est juste ça Pompéi. Bel échange ensuite, de retour dans la geôle : « Je peux te faire une promesse. Quand tu mourras, le souffle viendra de devant, et il viendra de ma main ». Réponse de Milo à son adversaire du lendemain : « Je peux te faire une promesse aussi, quand tu mourras, ta mort sera rapide, et elle viendra de ma main ». Échange de regards entendus et fondu au noir (au sens technique du terme, pas au sens d'un fondu sur Adewale Akinnuoye-Agbaje).


J'ignore qui fait le plus peine à voir.

Retour de Kiefer Sutherland, toujours aussi bon comédien, qui a bien fait de signer pour une 9ème saison de 24étant donné l’odeur fétide qui se dégage de sa filmographie en décomposition depuis une bonne quinzaine d’années. Il prend ici un accent pointu qui, couplé à sa voix rauque, lui donne un air con de première qualité. Mais on sent que son personnage ne sera pas très fouillé, tandis que du côté des gladiateurs trépanés ça discute sec en taule : « Ton bras gauche est plus faible que le droit » lance Atticus dans un éclair de génie. « Sans déc’ » répond l’autre. Après quoi on a droit à la minute clins d’œil appuyés à mes films préférés dont les dvds sont affichés sur trépieds dans mon entrée de Paul W.S. Anderson. C’est d’abord le gladiateur noir qui lâche « Why so serious ? », réplique fétiche du Joker de Nolan, puis la servante, noire elle aussi, d’Emily Browning, qui parle du héros à sa maîtresse en l’appelant « l’homme qui murmurait à l’oreille des chevals » (sic.). Fin de la minute clins d’œil de dingues, travaillée au cordeau, puisque nous découvrons désormais que Kiefer Sutherland, aka le sénateur Corpus, probablement menacé par un attentat terroriste, comme tout sénateur dans un film impliquant Kiefer Sutherland, veut épouser Dame Cassia, évidemment éprise quant à elle de Milo, l’esclave celte condamné aux fers. Et, dans ce remake misérable duGladiator de Ridley Scott, bientôt teinté de relents de l’ineffaçable 2012 de Roland Emmerich, on sent se profiler un combat à mort entre les deux queutards dans la ville en flammes, tel celui qui opposa Leonardo DiCaprio à Billy Zane sur le Twitanic englouti de James Cameron.


Le taulard enfermé depuis un brin trop longtemps.

Retour dans la cellule des deux gladiateurs et premier tremblement de terre, minime encore, mais suffisamment fort pour faire tomber un gode grossièrement taillé, et à visage humain, que notre ami Atticus avait érigé bien en évidence contre un mur de la pièce, sur une sorte d'autel, entouré de quelques chandelles comme autant d’invites à la relaxation. Kit Harington, qui vient de recevoir quinze coups de fouet pour avoir parlé non seulement à un cheval mais à Dame Cassia, et que son nouveau pote soulageait à l’instant de ses douleurs en lui épongeant gentiment le dos, fait une grimace inimitable en découvrant le pot aux roses. Malaise. Puis la conversation repart comme si de rien n’était quand Djimon Hounsoun, tout en ramassant le godemichet pour le remettre à sa place, et sans épargner à son collègue de zonzon un regard ô combien déplacé, raconte à son frère ennemi que Rome lui a pris toute sa famille et qu’il les rejoindra tôt ou tard dans le royaume de Zeus. S’ensuivent d’interminables scènes de combat, si longues qu’il ne reste bientôt plus que 35 minutes (sur 1h45) au Vésuve pour rétamer Pompéi. Ou un peu moins, puisqu’en voyant un énorme champignon de fumée et de cendre sortir du cul du volcan, et alors que le sol se dérobe sous ses pieds, Milo n’a qu’une idée en tronche, continuer à cogner sur le bras droit du grand méchant (sur le serviteur du sénateur si vous préférez, il ne cogne pas littéralement sur le membre supérieur droit de Kiefer Sutherland), qui jadis tua son papa.


Le fameux gode en glaise d'Atticus.

Je vous passe la fin en real time mais en accéléré : le volcan casse l’ambiance et le champion de Pompéi et des zonards sauve la belle Cassia de la prison où le sénateur l’avait cloîtrée (ils auront quand même le temps de regarder la servante noire tomber dans un éboulement). Quant à Atticus, il aperçoit une mère séparée de sa fille dans la foule et sauve l’enfant du tsunami qui s’abat sur la ville, en bon samaritain qu’il est, nous donnant droit au fameux regard terrifié par-dessus l’épaule de l’acteur noir qui va bientôt crever (pour lequel tout cinéaste doit payer des royaltiesà Roland Emmerich). Millième jabar dans l’arène, sous les projections du volcan, où le héros crie le nom du méchant qui se tient à cinq mètres de lui, où ledit méchant se barre pour échapper aux éruptions du volcan en promettant à ses centurions très cons 100 dinars s’ils tuent son ennemi juré quitte à y passer aussi, et où le bon copain noir se sacrifie enfin pour le héros, tout en tuant le bras droit très costaud mais muet (ou juste très bête) du sénateur. Combat terminal du gentil contre le méchant, puis baiser final du couple héroïque qui préfère sauver un cheval que se sauver lui-même (un peu comme si Jack et Rose, à la fin du blockbuster de Cameron, avaient préféré se geler les amandons en couple pour ne pas faire couler l'armoire) et qui finit très logiquement en cendres.


Quand Paul W. S. Anderson a textoté Roland Emmerich pour lui demander s'il pouvait utiliser son plan-signature, Emmerich a répliqué : "Tu ferais mieux de pas signer le chèque si t'as pas le fric en caisse".

Il fallait bien Paul W. S. Anderson, véritable cas clinique, pour filmer le déclin d’une population assez conne elle-même pour aller s’installer au pied d’un immense volcan en activité. Le réalisateur de Mortal Kombat, d'Event Horizon, des trois (et bientôt quatre) Resident Evil et d’Alien W. S. Predator, est forcément un type pas totalement réfractaire à l’idée de recevoir des jets de pierre et autres torrents de boue. On raconte que, lors de quelques avant-premières électriques de ses précédents films, des gens auraient lancé des cigarettes incandescentes sur ses vêtements dans l’espoir qu’il prenne feu. Certains lui auraient même envoyé de véritables torches enflammées, objet pourtant pas évident à introduire discrètement dans un UGC. En tout cas, et ça ce n’est pas une rumeur, sur le tournage du film, Kiefer Sutherland, qui n’a pas non plus dix tonnes de scènes et qui les a toutes mises en boîte en une journée, a déclaré aux journalistes : « I'm federal agent Jack Bauer, and today is the longest day of my life ». Impossible de savoir s’il a dit ça par simple habitude ou si vraiment c’était pire que les pires 24 heures de la vie de merde de Jack Bauer.


Pompéi de Paul W. S. Anderson avec Kit Harington, Kiefer Sutherland, Emily Browning, Carrie-Anne Moss et Adewale Akinnuoye-Agbaje (2014)

Mr Morgan's Last Love

$
0
0
Ce film pourrait être la suite d'Amour, la Palme d'Or de Michael Haneke. Pour moi, c'est la suite d'Amour. Même décor (un grand appartement parisien), même personnage (un vieillard dépressif et infréquentable, aux portes du trépas), même ambiance (feutrée, silencieuse, la mort qui rôde), même époque (actuelle et déphasée : aucune tablette ni phablette à l'écran), même saison (automne-hiver, mais il fait un temps magnifique sur Paris) même CSP (plutôt le haut du panier, de belles reproductions ornent les murs de l'appartement, un immense piano occupe le salon, autant d'indices qui ne trompent pas, sans compter la penderie démente du vieux). Je pourrai encore allonger la liste tant les points communs entre les deux films sont légion. Rien de plus normal pour une suite directe ! Le cinéaste autrichien et ses acteurs couverts de trophées ont logiquement cédé leurs places. Comment oser, en effet, remettre le couvert après un tel succès ?! Rappelons-le, jamais un film n'avait accumulé autant de récompenses in a row qu'Amour en 2012-2013 :  d'abord la Palme d'Or cannoise, puis, coup sur coup, le Golden Globe, le BAFTA et l'Oscar du meilleur film étranger ainsi que l'European Award et, cerise sur le gâteau, le César du meilleur film, pour ne rien gâcher à la fête ! Du jamais vu ! Aucun cinéaste n'avait réussi cet exploit.




Il est par conséquent tout à fait logique que Michael Haneke se soit écarté de cette suite et qu'il ait même choisi de l'ignorer poliment afin, j'imagine, de ne pas "salir son bébé". Mais si son retrait est compréhensible, il est injuste et cruel d'ignorer un tel film, un tel projet, car il fallait vraiment ne pas avoir froid aux yeux pour s'attaquer au monument de l'austère autrichien ! C'est donc le prestigieux Michael Caine (rien que ça !) qui reprend le rôle lâchement délaissé par Jean-Louis Trintignant, tandis que la dénommée Sandra Nettelbeck, inconnue au bataillon mais dotée d'un courage immense, s'occupe de la mise en scène et du scénario. Le pari est sacrément osé, j'étais donc très curieux de voir ça, d'autant plus que je me devais de régler un souci d'ordre personnel avec le film de Haneke, qui avait occasionné chez moi quelques nuits blanches et des cauchemars terribles. Je devais panser la plaie béante qu'avait laissé en moi son final morbide. Il me fallait revoir tout ce beau monde pour mieux le quitter en de meilleurs termes. L'existence de ce Mr Morgan's Last Love (qui a pour véritable titre Last Love, ce qui fait évidemment sens), a priori sans intérêt, fut donc pour moi un véritable soulagement.




Pour ne pas perdre le spectateur, les premières minutes s'inscrivent dans le prolongement direct du film coup de poing de Mika Haneke avec, en guise d'introduction, un petit rappel des faits, un peu à la manière de la série Walking Dead (on entendrait presque une voix rauque prononcer avec entrain les mots "Previously on Michael Haneke's Amour !"). Après une longue agonie et une ultime échauffourée avec son mari, la vieillarde, qui était au cœur du premier film et le parasitait de bout en bout, n'est plus. Ouf ! Dès le départ, le film de Nettelbeck se déleste ainsi d'un vrai boulet, d'un sacré poids mort. Tout de suite après ça, c'est plus léger, on se sent mieux, on respire enfin un peu d'air pur. D'autant plus que Michael Caine, nouveau veuf, a tôt fait, lui aussi, de tourner la page et de profiter, en tout bien tout honneur, de la situation. On le voit bien pleurnicher quelques secondes, mais il le fait dignement, avec classe, en costard, en se tenant droit comme un I et en séchant ses larmes comme un homme, un vrai (bien que très vieux). On est à des années lumières du petit monde morbide de Haneke, où il est bon de pleurer à genoux en se flagellant, de s'apitoyer sur son sort pendant des lustres, puis d'étouffer un pigeon trop curieux pour marquer le coup.




Fraîchement débarrassé de sa femme, le vieil homme va se remettre progressivement à croquer dans la vie à pleines dents. Dès sa première sortie en ville, il va craquer pour Clémence Poésy croisée au détour d'un trajet en bus. On le comprend, la jeune actrice a un certain charme, une allure juvénile et pleine de vie qui tape forcément dans l’œil d'un homme désireux de repartir à zéro, quitte à défier sa mort certaine et prochaine. La première partie du film, la plus agréable, nous propose donc de suivre Michael Caine, zonant en plein Paris, tel le loup de Tex Avery, sur les traces de la demoiselle, dont il découvre qu'elle est danseuse de métier. Elle enseigne le cha-cha-cha à des individus ayant besoin d'un peu de pétillant dans leurs mornes existences. Là encore, ça tombe à pic ! Et quel beau pied de nez adressé à Michael Haneke... Quel toupet de la part de Sandra Nettelbeck ! Le morceau de piano macabre, mortuaire et funèbre du premier épisode laisse place à la plus joyeuse des danses, pleine de plaisir et d'enthousiasme. Quand il assiste, de loin, aux cours de la jeune fille, Michael Caine revit et nous avec lui. Une bosse se forme sur son pantalon. Quelque chose se réveille.




Sandra Nettelbeck sait toutefois apporter de la nuance à son récit. Tout n'est pas noir ou blanc. Certains passages sont là pour nous montrer que le vieil homme n'est pas tout à fait remis de la disparition de sa femme, qu'il est encore hanté par celle-ci. Je me souviens par exemple de cette très belle scène où, lors de leur premier rendez-vous, Michael Caine est temporairement abandonné, sur un banc, par Clémence Poésy, partie acheter une barbe à papa (là encore, notons que le triste œuf au plat que Trintignant glisse nonchalamment vers la gamelle d'Emmanuelle Riva dans l'une des premières scènes d'Amour est remplacé par une ravissante barbe à papa, attestant du retour en enfance d'un vieillard ravi, revenu à la vie). Se croyant réellement abandonné, ne sachant plus quoi faire, Michael Caine fait son fameux regard de chien battu, inspecte à sa droite, puis à sa gauche, tournant laborieusement la tête, perdu, puis se lève, prostré, et tourne les talons, repart, jusqu'à ce que Clémence Poésy, revenue en toute hâte, interrompe cet accablant moment d'égarement.




Il fallait un sacré acteur pour jouer cette scène sans faire tristement pitié. Michael Caine est impeccable, comme souvent, son élégance typiquement british remporte la mise. On a même aucun mal à croire qu'une chic fille comme Clémence Poésy s'entiche de lui. En outre, notons que durant toute cette savoureuse première partie, Michael Caine arbore une superbe barbe de trois jours (chez lui, comptez plutôt trois heures), qui lui donne un style "bad boy" revisité très enviable, ça lui va fort bien et ça le rajeunit d'une quinzaine d'années. Jean-Louis Trintignant pourrait un temps oublier ses noirs désirs en regardant son collègue britannique et concentrer toute son amertume et son courroux sur sa majestueuse pilosité. Je paierai cher pour avoir cette tronche-là à cet âge, croyez-moi ! Si Michael Caine est parfait dans cette suite d'Amour, rompant joliment la continuité et s'opposant même au marasme plombant du comédien français, il pourrait également assurer et reprendre sans souci son propre rôle dans une séquelle tardive de Get Carter, le film culte de Mike Hodges.




Hélas, le film de Sandra Nettelbeck ne tient pas la distance et s'effondre dans sa deuxième partie. Michael Caine se rase la barbe et tout part en sucette. Je me serais tout à fait contenté d'une petite romance entre un senior et une minette, le premier pouvant alors sereinement s'avancer vers la mort accompagné avec tendresse par la seconde ; cela aurait suffi à me réconcilier avec le film d'Haneke, à cicatriser mes plaies et, surtout, à faire mes nuits comme avant. La réalisatrice croit malheureusement bon d'ajouter à son film une sale histoire de famille très pesante et des plus inintéressantes. Surgit ainsi le fils de Michael Caine, campé par un acteur de seconde zone au profil d'aigle indélicat, Justin Kirk. Chargé de rancœur envers son vieux père, auquel il reproche principalement la mort de sa maman (ça peut se piger s'il a vu le premier film, se positionne contre l'euthanasie et croyait encore en un remède miracle), le fiston va pourrir toute cette deuxième partie. Bien évidemment, le gonze n'est pas insensible au charme typiquement franchouillard de Clémence Poésy, lui qui vit outre-Atlantique, entouré d'obèses.




Une rivalité va donc rapidement apparaître entre le jeune loup aux dents qui rayent le parquet et le vieil ours fatigué mais toujours sur le qui-vive. Leur confrontation s'effectue sous les regards embarrassés de la sœur, personnage totalement transparent incarné par une Gillan Anderson bien plus jolie qu'elle ne l'était en Dana Scully, et de Clémence Poésy, passablement agacée par ce pathétique combat de coqs qu'elle n'espérait pas provoquer. En ce qui me concerne, j'étais à fond pour Michael Caine, comme quiconque faisant preuve d'un peu de bon sens pourrait l'être, mais Nettelbeck choisit l'autre camp, celui du réalisme le plus crasse. Sans doute fan de vautours et autres charognards, Clémence Poésy finit par succomber aux avances du fils et décide de s'engager dans une relation à l'espérance de vie plus raisonnable, qui ne sera pas interrompue par une mort certaine. Dans le même temps, les rapports entre le père et le fils se normalisent, s'apaisent, ce qui donne notamment lieu à une scène intime autour d'une bonne omelette (clin d’œil à Haneke), toute en retenue, qui rappelle les bons moments du début. Tout est bien qui finit bien. Malgré ce gros ventre mou décevant, on retient donc le positif, d'autant plus que Sandra Nettelbeck a le bon goût de nous quitter sur une dernière image assez poétique sous-entendant avec pudeur que le vieil homme a enfin trouvé le repos éternel. Le traumatisant Amour est pratiquement oublié. Ouf !


Mr Morgan's Last Love de Sandra Nettelbeck avec Michael Caine, Clémence Poésy, Justin Kirk, Jane Alexander et Gillian Anderson (2013)

Grace de Monaco

$
0
0
Profitons de la sortie de ce film pour mettre en lumière un animal trop méconnu : l'axolotl ! Cet animal étrange fait partie des animaux ayant, nous citons, la capacité de passer toute leur vie à l'état larvaire sans jamais se métamorphoser en adulte, et donc de se reproduire à l'état larvaire. Mais plus encore, il est capable de régénérer des organes endommagés ou détruits. L'axolotl est non seulement capable de reconstituer par exemple un œil manquant, mais il peut aussi recréer certaines parties de son cerveau si elles ont été détruites. Sa tolérance aux greffes est également exceptionnelle. Objet d'étude privilégié des scientologues, il aurait permis à Tom Cruise de garder sa tronche de jeune con, tandis que Nicole Kidman, elle, est récemment retournée à l'état larvaire. Les deux ayant oublié qu'ils pouvaient régénérer leur cerveau.




Grace de Monaco d'Olivier Dahan avec Nicole Kidman, Frank Langella et Tim Roth (2014)

Même la pluie

$
0
0
Y'a des choses à dire sur ce film, mais d'autres les ont dites sans doute et surtout nous n'avons aucune envie de rentrer là-dedans. On vous rappelle qu'on fait ça pour le plaisir. Autre petit plaisir de nos vies : noter les films que nous voyons. Ça coûte pas cher, c'est pas trop long, c'est fugace mais c'est notre petite récompense quand on tient du début à la fin. Plusieurs questions se posent en effet : faut-il avoir vu le film jusqu'au bout sans faire avance rapide et sans se barrer pour être légitime dans sa notation ? A partir de quand peut-on estimer avoir "vu" un film et pouvoir le noter ? Un Bezançon se note très vite, un Coppola un peu moins. Autant de questions que nous balayons d'un revers de main, parce que nous n'avons de compte à rendre à personne, et il nous arrive même d'anticiper en notant un film avant de l'avoir vu. C'est nos notes !


Devant le combo, Gael Garcia Bernal est aussi sceptique que les autochtones qui l'entourent. Nul doute que sa propre note baisse d'un ou deux points à ce moment-là.

Il y a deux écoles. Nous estimons qu'il y a deux grandes écoles en matière de notation. Soit on part de 0 et on rajoute des points, ce qui signifie qu'avant de voir le film ta soirée était merdique, puisque tu pars de rien ; soit tu pars de 5 et tu soustrais au fur et à mesure : considère alors que tu passes une soirée de rêve et que t'es bien dans ton froc. Avouons-le tout de suite, nous avons fondé un troisième courant de pensée qui consiste à débuter à 2,5 (précisons que nous notons nos films sur 5, pour info), et à naviguer sur les étoiles qui se colorent ou s'éteignent (sur les sites très bien faits uniquement) selon qu'on va vers 5 ou qu'on revient vers 0, fonction de l'humeur et de ce que donne le film dans sa continuité. Des films partis de 2,5 sont montés jusqu'à 3 pour redescendre à 1,5, d'autres ont suivi le parcours inverse. Les possibilités sont infinies. Concernant Même la pluie, on l'a lancé un soir de pluie et de folie, on était d'excellente humeur, et on a décidé de se baser sur la deuxième école en partant de 5, mais on a quand même fini à 2, pour les 2 idées que contient le film.


Même la pluie de Iciar Bollain avec Luis Tosar et Gael Garcia Bernal (2011)

Gun Crazy

$
0
0
On reçoit aujourd'hui notre ami et collaborateur Simon pour nous parler du chef-d’œuvre de Joseph H. Lewis :

Depuis toujours on entend parler de Gun Crazy comme d'un chef-d’œuvre de la série B, et d'un objet cinéphile culte. Wild Side l’a sorti il y a quelques mois dans un luxueux coffret DVD/Blu-ray/livre (passionnant, signé Eddie Muller), et le moins qu'on puisse dire est que la réputation du film n'est pas usurpée : à la fois polar nerveux et très rythmé, histoire d'amour poignante, ambigüe et très audacieuse par son sous-texte sexuel, réflexion sur l'obsession et la passion dévorante, il est aussi une des influences esthétiques principales, 10 ans avant son émergence, de la nouvelle vague.




C'est l'histoire de Bart (John Dall), obsédé par les armes depuis sa plus tendre enfance, mais incapable de s'en servir contre qui que ce soit, malgré ses aptitudes exceptionnelles. Orphelin, il est élevé par sa grande sœur, jusqu'à être placé dans un centre de redressement juvénile après un énième vol de fusil. Après l'armée, il revient dans sa ville natale, où il retrouve ses deux amis d'enfance (l'un est devenu journaliste, l'autre shérif). Ils fêtent leurs retrouvailles dans une fête foraine. Là, Bart rencontre Annie Laurie Starr (Peggy Cummins), vedette d'un numéro de tir au pistolet. Coup de foudre. Sous l'impulsion de Laurie, le couple décide de prendre la route et de braquer des banques.




Trame classique de film de couple criminel, qui, bien que tourné une vingtaine d'années avant, n'a rien à envier à des films comme Bonnie and Clyde ou La Balade sauvage sur les plans du rythme, de la mise en scène, de l'audace, et de la richesse thématique. On se dit qu'il est assez curieux que Joseph H. Lewis ne soit pas plus reconnu et n'ait pas fait d'autres films de cette envergure. Sa mise en scène est hyper nerveuse et extrêmement inspirée : il faut voir ce braquage filmé en un seul plan de 3 minutes, du point de vue de Laurie restée dans la voiture - beaucoup de cinéastes aussi différents que Godard première période ou Tarantino (celui de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction) peuvent dire merci. Particulièrement mémorable aussi, la scène de la rencontre entre Laurie et Bart, la première irruption de Cummins dans le plan lors de son numéro, les jeux de regards, la tension sexuelle qui se dégage de la scène. Que dire encore de toutes ces scènes qui semblent volées à la foule, arrachées au réel, provoquant un type de réalisme surprenant pour l'époque ; et puis les scènes de poursuite et d'action en général, très tendues, sèches, admirables, jusqu’à ce final aux accents oniriques, d’une cruauté déchirante.




L’absence d’autres chefs d’œuvre dans la filmographie de Lewis et son relatif anonymat posthume sont sûrement dus, comme l'explique Muller dans son livre, au fait que Gun Crazy est avant tout une vraie réussite collective : tout est parti du travail de MacKinlay Kantor, auteur de la nouvelle originale et de la première version du scénario, qui en contenait déjà une bonne partie de la sève ; aux commandes du projet, il y avait aussi les sulfureux frères King à la production, à qui on prêtait des relations plus qu’étroites avec différents milieux criminels, mais qui étaient surtout dotés d’un sacré flair. Ce sont en particulier eux qui ont eu l'audace et la bonne idée de faire appel à Dalton Trumbo (alors black-listé par McCarthy), qui a su à la fois épurer et sublimer l’histoire de Kantor pour livrer la version définitive du scénario. Et évidemment, Gun Crazy ne serait pas ce qu’il est sans son couple d'acteurs principaux, absolument géniaux : John Dall en obsessionnel fragile, braqueur as de la gâchette viscéralement incapable de tirer sur qui que ce soit, grande carcasse empêchée mais amoureux fou prêt à tout pour Laurie ; et Peggy Cummins, bombe d’énergie, de folie et de sensualité, garce manipulatrice et vénale mais réellement amoureuse de Bart, elle aussi. L’incroyable expressivité de leurs corps et de leurs visages donnent au film ce qu’il a de plus précieux : deux personnages inoubliables, qui nous font ressentir comme rarement ce que l’amour et la passion peuvent engendrer de folie.


Gun Crazy de Joseph H. Lewis avec Peggy Cummins et John Dall (1950)

Le Prestige

$
0
0
Jusqu'à présent, il y avait pour moi une anomalie dans la filmographie de Christopher Nolan, cinéaste que je méprise cordialement. Je me souvenais avoir apprécié Le Prestige ! Soucieux de me l'expliquer, j'ai donc entrepris de le voir une nouvelle fois. J'ai alors pu constater que je m'étais simplement fait avoir. Le point de départ intriguant, hérité du roman de Christopher Priest dont le film est une adaptation, et l'emballage parfois séduisant, comme l'attestent certaines images sélectionnées pour illustrer cet article, m'avaient floué. Il y a en effet quelque chose d'assez plaisant et original dans cette histoire de rivalité entre deux magiciens, prêts à tout pour se dépasser l'un l'autre dans l'Angleterre du début du XXème siècle. La magie est rarement traitée ainsi au cinéma, de façon si frontale et terre-à-terre, elle est d'ailleurs rarement traitée tout court. L'élément de science-fiction est lui aussi plutôt aguichant, il est introduit par la mystérieuse machine à téléportation conçue par le scientifique Nikola Tesla (incarné par un charismatique David Bowie) auquel fait appel l'un des magiciens. Enfin, Christopher Nolan dote son film d'une narration des plus alambiquées, malmenant la chronologie du récit afin de ménager les effets de surprise. On l'accepte d'abord sans trop de difficulté, pour le plaisir de se faire duper et comme pour respecter le "pacte" existant entre le réalisateur et le spectateur, le magicien et son public...




Hélas, la narration non-linéaire et imbriquée choisie par Nolan apparaît à la revoyure comme un procédé assez bancal, peut-être efficace pour nous égarer jusqu'aux révélations finales mais qui ne suffit pas à masquer le vrai problème : l'incapacité totale du réalisateur à nous faire vibrer pour ce qui aurait pu être un drame humain captivant, voire passionnant (celui raconté par le livre : cette haine héréditaire et irraisonnée entre deux hommes mesurés, sains d'esprit, qui font donc tout pour réprouver leur ressentiment mais qui se retrouvent emportés dans une inimitié aux conséquences surréalistes, dont ils seront les premières victimes). La subtilité de l'ouvrage de Christopher Priest est totalement bafouée par le cinéaste britannique. L'adaptation appauvrit considérablement un récit puissant et d'une vraie ampleur. On perd toute sa dimension fantastique et dramatique, pour n'en conserver qu'un squelette incomplet. Le basculement tardif et génial dans l'épouvante et le surnaturel, inventé par l'écrivain anglais, passe ainsi à la trappe. Les passages les plus cinégéniques du bouquin sont ignorés et, à vrai dire, cela n'étonne qu'à moitié quand on connaît l'imaginaire extrêmement limité de sieur Nolan. Le cinéaste et son frère, tous deux au scénario, donnent la très désagréable impression d'avoir seulement conservé ce qui les arrangeait, ce qui leur permettait de pondre une histoire au service de leur art de l'esbroufe et au retournement final grotesque mais forcément renversant.




Et quand ils s'éloignent de l’œuvre de Christopher Priest, les frères Nolan ont tout faux. Leur scénario se développe sur des bases bien trop fragiles pour que l'on se sente véritablement concerné par cette guéguerre entre magiciens. La rivalité des deux hommes naît ici d'un acte totalement incompréhensible, injustifié, Christopher Nolan ne sachant pas filmer l'invisible, le ressentiment et les motivations secrètes de ses protagonistes. Le mal que se donnent Christian Bale et Hugh Jackman ne suffit pas à donner un peu d'intensité à tout ça. Il faut dire que Wolverine est tout de même assez peu crédible en prestidigitateur du début du XXème siècle. On se demande bien pourquoi un tel personnage aurait besoin d'être bodybuildé, même si les demoiselles sauront certainement apprécier cette scène totalement gratuite où la star retire le haut pour nous dévoiler ses abdos d'enfer. Bien qu'il fasse visiblement de son mieux, Hugh Jackman démontre encore une fois qu'il est un acteur limité.




Scarlett Johansson est une autre erreur de casting, même si l'on se réjouit qu'elle soit réduite à un rôle d'accessoire, littéralement, puisqu'elle est l'assistante des deux magiciens. Ce rôle nécessitait une jeune femme souple et plutôt mince, capable de se contorsionner dans les boîtes à double-fond des magiciens. Soyons un peu réaliste, que diable, l'assistante d'un illusionniste ne peut pas avoir le cul et la bouche de Scarlett Johansson, ça finirait forcément par coincer un jour ! Quant à Christian Bale, il est celui qui s'en tire le mieux, même s'il tutoie parfois le ridicule quand il doit se mettre en colère ou que Nolan l'oblige à déballer un long monologue explicatif assommant à la toute fin, une conclusion évidemment ponctuée par de lourdauds flashbacks eux aussi éclairants. Car twist il y a, et Nolan emploie les méthodes les plus faciles pour nous le faire comprendre. On repense alors au final pathétique de The Dark Knight Rises, quand notre Marion Cotillard nationale, au fond du trou, dévoile sa réelle identité à l'Homme Chauve-souris, sous les yeux d'un Bane dans le même état que les spectateurs : à l'agonie. Pas de doute, nous sommes bien devant un film de Christopher Nolan !




On peut aujourd'hui légitimement se demander si cette adaptation n'est pas survenue beaucoup trop tôt. Considérée comme une franche réussite par le plus grand nombre (je m'appuie tout bêtement sur les notes ahurissantes récoltées par le film sur des sites tels que IMDb, Vodkaster ou SensCritique), elle a très largement dépassé la modeste notoriété du roman. Un roman dont la réputation mériterait pourtant de dépasser le cercle des initiés et qui devrait être considéré comme un véritable classique de la littérature fantastique contemporaine. En parcourant ses pages, que l'on dévore avec délice, on pense plutôt aux belles images des Frankenstein de James Whale, aux productions de Val Lewton (notamment Le Récupérateur de cadavres) ou à certains films de la Hammer, avec lesquels le livre partage plus de thématiques et, surtout, une ambiance gothique à souhait qu'un médiocre cinéaste comme Christopher Nolan est bien incapable de retranscrire convenablement à l'écran.


Le Prestige de Christopher Nolan avec Christian Bale, Hugh Jackman, Scarlett Johansson, Rebecca Hall, Michael Caine, David Bowie et Andy Serkis (2006)

The Hours

$
0
0
Nouvelle variation sur la vie et l’œuvre de l'écrivaine Virginia Woolf, après le fameux biopic Woolf avec Jack Nicholson, mi-écrivaine mi-loup-garou, dans le rôle titre, The Hours raconte et entremêle le parcours de trois femmes. Virginia Woolf en personne, écrivaine soi-disant folle et carrément dépressive (incarnée par Nicole Kidman à l'époque bénie où le plastique et la laideur sur son visage étaient encore à peu près amovibles) ; une lectrice (Julianne Moore) de son grand roman Mrs Dalloway, bien décidée à abandonner son mari (John C. Reilly), son fils et son petit pavillon de banlieue sous peine d'y crever d'ennui ; et enfin une incarnation moderne de ladite Mrs Dalloway (Meryl Streep), new-yorkaise homosexuelle pleine de regrets, et notamment sentimentaux, vis-à-vis d'un peintre (Ed Harris) lui-même homosexuel et sur le point de décéder du sida. Allons-y Alonzo, dans le merdier existentiel, et crescendo !




Stephen Daldry, adaptant le roman d'une femme sur une femme, et à travers elle sur toutes les femmes, n'a peut-être cru s'adresser qu'aux femmes, et a sans doute jugé judicieux de ce fait de ponctuer un certain nombre de ses séquences parfaitement académiques de nombreux inserts sur des gestes de cuisine. Tel dialogue tendu entre Virginia et sa cuisinière est ainsi rythmé par un gros plan sur un oeuf cassé sur le bord d'un récipient, tel dialogue entre Meryl Streep et Jeff Daniels fait soudain place à une autre coquille d’œuf que l'on jette à la poubelle, et ainsi de suite. On a parfois l'impression de regarder Top Chef avant l'heure, et que ce qui relie les femmes par-delà les époques tient non seulement dans leur farouche envie de mourir mais aussi dans l'omelette.




Certes le noble projet de Woolf était de faire tenir l'existence d'une femme dans une seule journée, et la cuisine devait (forcément et tristement) y tenir une bonne place, mais on peut s'interroger, concernant l’œuvre de Stephen Daldry, sur ces inserts à répétition et sur la récurrence du motif de l’œuf cassé. Cette lubie du cinéaste est à la fois le signe d'un esprit relativement cohérent, de l'ordonnancement pépère d'un film trop sage, et l'unique manifestation d'une forme de folie au sein de ce carcan de propreté. Le montage fragmenté, qui passe d'une femme à l'autre, au lieu de rompre le classicisme de l'ouvrage, le renforce. On a l'impression pénible de suivre une de ces séries contemporaines qui n'ont de cesse de passer d'un portrait à un autre, d'une névrose à la suivante, d'un bloc de féminité vérolé à son voisin, pour satisfaire la tentation du zapping et noyer l'esprit dans un flot parfaitement continu d'images plates reliées entre elles par leur platitude même et par une musique constante et mélancoliquement galopante signée Philip Glass (comme elle aurait pu être signée Danny Elfman, mais c’eût été pire... alors que les Baha Men étaient frais et dispo avec leur tube Who let the dogs out ? Woolf, Woolf Woolf). L'horripilant Desperate Housewives est loin malgré tout, notamment parce que nous sommes en présence de trois vraies et belles actrices en lieu et place des cataplasmes vulgaires de l'ignoble série star des années 2000, parce qu'en outre le propos sur les tourments féminins, humains, venant en bonne partie d'une grande écrivaine, est autrement pertinent, et parce qu'à la fin, quand même, une brève mais réelle émotion pointe enfin.


The Hours de Stephen Daldry avec Nicole Kidman, Julianne Moore, Meryl Streep, Ed Harris, Jeff Daniels et Claire Danes (2001)

Les Amants du Texas

$
0
0
Ain't them bodies saints, littéralement "Ne sont-ce pas leurs corps saints", est devenu par chez nous Les Amants du Texas, un titre peut-être moins artificiellement poétique mais sans doute plus honnête sur la marchandise. Qui dit Texas et film indé américain, dit forcément Terrence Malick, la figure tutélaire d'un certain cinéma se déroulant dans ce coin-là des États-Unis. Toutes les critiques l'ont signalé, je ne voulais donc pas nécessairement le rappeler, mais comment faire autrement !? On pense inévitablement à Terrence Malick devant le film de David Lowery, qui cherche à s'inscrire dans l'héritage du cinéaste-philosophe et atterrit dans un sous-embranchement mort-né, putréfié, condamné d'avance. On pense en effet au pire de Malick, on pense à tous les affreux tics que le vieux texan a su inséminer dans les esprits les plus abrutis de ceux qui ont découvert et continuent de regarder ses premiers films (Badlands et Les Moissons du ciel) avec des yeux gros comme des boules de pétanque, admiratifs, tels le loup de Tex Avery, avec un calepin dans une main et un crayon mal affuté dans l'autre. Ce sont souvent ces deux films qui ont fait naître des vocations chez ces cinéastes en herbe ne désirant alors qu'une chose : reproduire la même chose. Je n'ai pas besoin de demander à ce David Lowery quels sont ses films de chevet, je les connais par cœur et sa réponse serait à l'image de son film, terriblement fade et prévisible.




Badlands et Les Moissons du ciel sont de beaux films, je n'en dirai ici aucun mal, je les apprécie, et c'est d'autant plus douloureux de voir David Lowery les traîner dans la boue en les parodiant de cette façon. Quand il filme le triste couple formé par Casey Affleck et Rooney Mara se tournant autour et s'embrassant, se susurrant des horreurs à l'oreille et se promettant monts et merveilles, le soleil dans l'objectif, on a les yeux qui piquent. Lowery pense tutoyer les sommets mais pond en réalité une esthétique de publicité dégueulasse. Alors qu'il croit mettre en scène les nouveaux Bonnie & Clyde (let me laugh !), Lowery serait à peine capable de nous vendre un jean délavé et une veste en velours. Tout paraît forcé et affecté. Les comédiens n'aident en rien. Rooney Mara ressemble très exactement à un mannequin La Redoute, ni plus ni moins. Elle n'est pas désagréable à l’œil, mais terriblement lisse et terne. Ses petites manières de mauvaise actrice finissent d'exaspérer. Je pense par exemple à ses deux mèches de cheveux, toujours symétriquement disposées, face à ses yeux et voilant à peine son regard vide quand elle contient ses émotions, ou qu'elle place derrière ses écoutilles lorsqu'il s'agit de les exprimer un brin. C'est insupportable. On a envie de lui coller des baffes, on rêve de voir surgir dans le champ quelques zozos venus de nulle part pour dérider la jeune dame. Je parle de zozos et non d'acteurs pornos, c'est vous qui avez les idées mal placées. Je me fous éperdument de la genèse de ce film mais je serais curieux de m'infliger le making off uniquement dans l'espoir de voir ce que ça donne quand Rooney Mara sourit spontanément, affiche une expression naturelle. Quant à Casey Affleck, que dire... Il y a des coups de pied au derche qui se paument... A une époque, on faisait de lui un espoir du jeune actorat américain, on pensait qu'il s'agissait d'un gars intéressant, pas con, à suivre de près. Depuis, il y a eu The Killer Inside Me et, coup sur coup, Les Amants du Texas et Les Brasiers de la colère, deux films méprisables qui représentent bien tout ce qui se fait de plus mauvais outre-Atlantique dans un cinéma indépendant plus rance que jamais, piloté par des petits auteurs aux esprits étroits et dangereux.




Tout, dans ce film, sent la mort. On se fiche de tout, on attend qu'une chose : que ces deux amants séparés par leurs démêlés avec la justice se retrouvent enfin pour mieux les quitter une bonne fois pour toutes. Les blu-ray du film devraient simplement être diffusés à la fnac, rayon télé, pour que l'on puisse apprécier la qualité des écrans vendus. Cette photographie tellement léchée qu'elle pue la salive de macchabée pourrait me filer la gastro. Ce maniérisme déplacé et insoutenable m'a rappelé le pauvre film de John Hillcoat, Des Hommes sans loi. On sent chez Lowery la même volonté de signer son petit film de gangsters, la même démarche aussi vaine que superficielle. Tout, dans ce cinéma, est sinistrement décoratif et insignifiant. Il n'y a rien de plus triste qu'un premier long métrage si vide et sans vie, surtout quand on constate a posteriori qu'il s'agit en réalité du second film de son auteur ! Comment un film comme Badlands, important à mes yeux, peut-il accoucher de quelque chose qui se situe à l'opposé de ce que j'aime au cinéma ? Je préfère laisser la question en suspend car elle me fait vaciller sur mes propres certitudes de blogueur ciné !


Les Amants du Texas de David Lowery avec Rooney Mara, Casey Affleck et Ben Foster (2013)

Là-haut

$
0
0
Premier paragraphe et déjà une charge politique : notez bien que tous les ballons de l'affiche sont aux couleurs de la firme Google©. Rappelons que ce film a été conçu par Pixar, qui travaille l'essentiel de son temps sur ordinateur, or tout ordinateur est un jour ou l'autre connecté au net, qui lui-même nous conduit dès le départ sur, on vous le donne en mille, Google©... On a connu pub plus directe encore avec le récent Les Stagiaires, comédie giga balourde qui n'a pas eu honte de faire ouvertement une pub éhontée de Google© deux heures durant. Mais la propagande la plus efficace n'est-elle pas celle qui s'immisce dans nos foyers et dans nos esprits par la petite porte, par la chambre à coucher des enfants, par le soupirail, par la hotte du Père Noël ? De ce point de vue, Pixar (on aimerait un jour connaître le prénom de cet homme qui se fait appeler par son seul patronyme, comme s'il n'était qu'une marque, tels le politicien Mao, le chanteur Prince ou le graphiste Ben), avec Là-haut, venait de vendre son âme au Diable en acceptant de travailler pour Walt Disney et donc, manifestement, pour Google Chrome, comme ministre de la propagande et de l'éducation du peuple.


"Donne-moi ton code wifi que je puisse avoir un support visuel et prendre mon pied"

Il va sans dire qu'on lance un tel film avec beaucoup d'appréhension et un regard extrêmement affûté. On est charmé, il faut bien l'avouer, par ces premières minutes qui nous content en accéléré la vie d'un couple, de la rencontre jusqu'au trépas de l'un des deux éléments en présence, lequel trépas survient au bout de deux minutes de film et espère quand même nous rétamer, in vain... On se fout en fait de la vieille morte pour la simple raison qu'on en pince à mort pour le vieux crouton qui lui survit, basé sur les traits de Robin Williams (pas sûr que ce soit vrai mais c'est évident). Le vieux Carl Fredricksen, vendeur de ballons de 78 ans, perd goût à la vie et décide de reprendre les choses en main en attachant une tétrachiée de ballons au toit de sa maison pour foutre les voiles et littéralement prendre du recul. Mais c'est sans compter sur le minus du tiéquar qu'il a embarqué dans sa cave sans faire gaffe. Ce gamin de 8 ans (basé sur les traits juvéniles de Joseph Gordon Levitt période Mysterious Skin) était en train d'essayer de chourer au vieillard ses vieux numéros de Lui et de Newlook des années 80 featuring Samantha Fox et Sophie Favier. Ce gosse n'a que 8 piges mais c'est un putain de génie. Il finira général un jour, du moins c'est ce que lui promet Carl, laissé sur le cul par l'audace de ce petit bout de chou à la puberté précoce, accro aux mamelles démesurées.


Souci de cadrage mais seul arrêt sur image net de ce piaf insaisissable.

Les deux personnages sont ainsi projetés dans mille aventures qui les mèneront ni plus ni moins vers le bout du monde. Nous ne nous rappelons strictement d'aucune aventure. A part d'une bagarre, assez longue, à bord d'un zeppelin où notre cher vioque Carl Fredricksen, suédois de confession judaïque, est opposé à un nazi repenti (basé sur les traits de Lambert Wilson). Mais le souvenir de Up croise peut-être ici celui de Indiana Jones et la dernière croisade dans nos mémoires guypearcées*. On se rappelle aussi, et comment faire autrement, d'un personnage de piaf allumé, branché sur naomillewatts*, qui pétarade dans tous les sens, qui flambe du cul et occupe le champ comme jamais aucun acteur n'a su habiter le cadre auparavant. On vient de revoir la bande-annonce (éthique de blogueur ciné oblige) et on vient donc de se rappeler comme par miracle de cette idée des ienchs qui peuvent déblatérer grâce aux inventions du nazi bricoleur qui habite l'île du docteur mourro et se trimballe dans son zeppelin. Ce film, qui contient quelques scènes agréables, voire drôles, tout calculé qu'il est, marqua la fin de l'âge d'or de sieur Pixar, qui par la suite a fait comme tout le monde : enchaîner suites, prequels, sequels, remakes et ainsi de suite. Le dénommé Pixar n'est désormais plus que l'ombre de lui-même.


C'est grâce à ce film qu'on a tous pris conscience que le vieux rêve de pouvoir communiquer avec les ienchs est une chimère : ils n'ont rien à dire à part réclamer ce qu'on sait 
(des croquettes et des supports visuels pour prendre leur pied).


* Guypearcé /gu@ïpirsé/ : néologisme, verbe issu de l'anglais "Guy Pearce", nom propre, patronyme de l'acteur américain Guy Pearce, principalement connu pour son rôle d'amnésique trisomique dans Memento (2000), le film breaktrough de Christopher Nolan (1970 - ASAP).

* Naomillewatts /facile à prononcer/ : néologisme, nom commun issu de l'anglais "Naomi Watts", nom propre, patronyme de l'actrice australienne Naomi Watts, remarquée par David Lynch dans Mulholland Drive (2001) et principalement connue pour mettre sous tension. Note : c'est depuis ce film et sa rencontre avec l'actrice électrostatique que David Linge n'a besoin de se peigner les cheveux (ni de les laver).


Là-haut de Pixar avec Robin Williams, Joseph Gordon Levitt et Lambert Wilson (2009)

Maps to the Stars

$
0
0
Rarement une bande-annonce aura aussi bien annoncé un film. Si vous n'avez pas encore vu Maps to the Stars, prenez la bande-annonce, faites-la tourner en boucle pendant deux heures, et vous aurez une bonne idée de l’expérience que constitue le visionnage de ce film terriblement ennuyeux, vulgaire, cynique, bête et, par-dessus le marché, souvent laid. A l’image, et l’équation n’avait rien d’obligatoire, des personnages, tous plus creux les uns que les autres, la mise en scène est sans aucun intérêt (sauf sur un ou deux plans égarés dans une uniformité qui finit par les avaler, au point qu’on serait bien en peine de s’en rappeler précisément même au sortir de la salle). Les acteurs font leur boulot, mais leurs personnages sont tellement irritants, hideux, haïssables, unanimement débiles et tarés, que ceux qui les incarnent en deviennent insupportables à leur tour (pompon à Julianne Moore, que nous aimons pourtant beaucoup, mais qui joue là une actrice vieillissante refusant de vieillir, grimée en une sorte de Madonna d’aujourd’hui au rabais, et qui le fait comme elle peut mais sans briller).




Les personnages, surchargés de défauts, sont tous complètement psychotiques (du traumatisme personnel bien gras aux enfants nés du péché d’adultère, le ver est dans la pomme et n’en sortira pas), et le fait qu’ils évoluent dans le milieu bien malsain d'Hollywood leur ajoute une couche de névrose supplémentaire. Sauf que Cronenberg ne dit rien sinon, d’abord, d’énormes clichés déjà dits mille fois sur le fameux miroir aux alouettes du star-system et sur les dérives du show-business : tout y est question de fric, de drogue, de cul (dégueulasse si possible), de violence imbécile, et pour illustrer tout ça, Julianne Moore se fait malaxer l’anus par son maître de yoga (John Cusack) pour exorciser, entre autres, un complexe d’infériorité vis-à-vis d'une mère actrice morte dans un incendie ; un enfant-star (Evan Bird), qui à douze ans touche des millions de dollars et couche avec ses concurrentes féminines, flingue un chien à bout portant pour jouer ; Julianne Moore, encore, danse comme une abrutie pour fêter la mort du fils de sa concurrente ; Julianne Moore toujours largue d’horribles pets sur les chiottes, en présence de sa bonniche, en s’écriant que ça chlingue à mort, et ainsi de suite... Cronenberg, que son immémoriale investigation de la chair et de l’intestin grêle ne porte pas toujours vers les meilleurs cieux, n’estime apparemment pas être allé assez loin dans la lourdeur puisqu’il fait aussi tuer son actrice vieillissante à coups de statuette des Oscars, quand la bonniche, incarnée par (une assez remarquable) Mia Wasikowska, grille un plomb à force de se faire insulter et marcher dessus par une patronne qui, en prime, vient de se faire monter par son fiancé sous ses yeux. Dans une spirale sans fin de name dropping pathétique, Cronenberg croit original de nous dire ensuite que l’horreur, déjà dépeinte par Wilder ou Aldrich en leur temps, a débordé les frontières hollywoodiennes, que les chauffeurs de limousine en font aussi partie (auto-clin-d’œil assez triste, c’est le Robert Pattinson de Cosmopolis qui tient le rôle), et que la jeunesse dans son ensemble est pourrie, vérolée par des rêves de gloire illusoires et par des parents incestueux et horribles.




Le film évoque immanquablement Mulholland Drive et finit ainsi de s’enterrer dix pieds sous terre. Il rappelle aussi, outre le propre cinéma de Cronenberg, le dernier film en date de Martin Scorsese, Le Loup de Wall-Street, en faisant le portrait univoque, définitif, sarcastique et ricanant d’une époque sinistre, où les cyniques sont convaincus et fiers d’avoir insolemment gagné, où les salauds ne se cachent plus, où la vulgarité a tout contaminé et où la jeunesse, à qui l’on a dressé pour uniques totems le pouvoir et la violence, n’a plus qu’une chance de liberté : le suicide. Les deux films partagent le projet de nous faire subir, durant d’interminables minutes, et sans interruption, des horreurs pures et simples, de nous confronter à une misère contemporaine sans faille, totale, sans espoir. Et même si Cronenberg est peut-être plus directement critique vis-à-vis de ce qu’il montre, ne laissant planer aucun doute sur son opinion quant à la situation, restent deux films morbides et désespérants, qui se contentent de faire le portrait de toute les saloperies qui nous entourent, que l’on connaît déjà pour y être empêtrés jusqu’au cou chaque jour, un portrait esthétiquement peu brillant de surcroît et qui a l’immense tort, à nos yeux, de ne proposer strictement aucun contrepoint. Les deux cinéastes plient leurs films au sordide absolu des personnages qu’ils déploient sans faire preuve d’une once d'humanisme, préférant dérouler avec complaisance la longue démonstration d’une corruption généralisée, et dresser un constat pontifiant et satisfait.




Saïd Ben Saïd a aussi produit le très médiocre Passion de Brian De Palma. Espérons pour lui qu’il ne soit pas de ces producteurs qui, comment au temps de l'âge d'or notamment, imprimaient leur patte sur les films, parce que les derniers rejetons de Cronenberg et de De Palma sont aussi bêtes, froids et mauvais l’un que l’autre. On se dit surtout qu’il ne fallait pas forcément se déranger… Noble ambition que vouloir produire les derniers films de ces cinéastes adulés sur le retour, mais il est des projets qu’il vaut mieux laisser congeler dans la tronche de leurs auteurs, et sur lesquels les fans gagneraient à fantasmer jusqu’à la nuit des temps. Quand bien même on ne l’avait pas adoré, Cosmopolis laissait espérer un vrai réveil de la part de celui qui s’était totalement endormi sur les débats de Freud et de Jung dans A Dangerous Method ; la déception est d’autant plus lourde de le voir s’enfoncer dans une satire datée, facile et sans âme.


Maps to the Stars de David Cronenberg avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, John Cusack, Robert Pattinson et Evan Bird (2014)

La Chambre bleue

$
0
0
Évoquant, il y a six ans déjà, dans ces pages, les deux premiers films de Mathieu Amalric, je citais un célèbre précepte Truffaldien : "Faire un film contre le précédent". Amalric n'a cessé depuis, et il en est à son cinquième film, de se renouveler, de tout reprendre à zéro, d'aller systématiquement contre ce qu'il a déjà fait. Ceci étant dit, s'il faut chercher un lien entre La Chambre bleue et un autre jalon de sa courte mais déjà passionnante carrière, on peut prendre le risque d'avancer qu'il renoue plus ou moins avec l’esthétique du Stade de Wimbledon. Par conséquent en rupture avec son dernier film en date, le remarquable Tournée, le cinéaste recolle avec la création d'ambiances délicates fondées sur des instants suspendus, et avec une esthétique - notamment centrée sur des gros plans, des décadrages et une profondeur de champ en longue focale - vouée à prélever des détails, des couleurs et des lumières sur les décors ou sur les corps, dans une mise en scène attentive, impressionniste et voluptueuse. Dans Le Stade de Wimbledon comme dans La Chambre bleue, cette esthétique est particulièrement travaillée dans les séquences d’introduction, d’une poésie totale dans le film de 2002, doublée ici d’une forme étonnante de picturalité.




Quand bien même La Chambre bleue a été réalisé dans l’urgence alors que le tournage du Stade de Wimbledon s’était entendu sur toute une année, la mise en scène d’Amalric a sans doute gagné en maîtrise et en maturité en douze ans, et on le constate assez rapidement. Pourtant je ne peux m’empêcher de trouver plus de grâce, plus de vie et plus de beauté dans les premiers plans tremblants, fébriles, lumineux du Stade de Wimbledon, avec Jeanne Balibar à bord d’un train bientôt en panne pour Trieste, que dans les plans fixes, précis et très composés qui font la première séquence du film présenté à Cannes en mai de cette année, où Amalric lui-même et sa nouvelle compagne, Stéphanie Cléau, discutent dans une chambre d’hôtel, nus, après l’amour.




Mais on peut aussi rapprocher - et séparer... - les deux films sur leurs scénarios, ou plutôt sur leur(s) défaut(s) de scénario. Défaut, au singulier, dans le sens de manque, pour Le Stade de Wimbledon, film déjà basé sur un roman, de Daniele Del Giudice, mais un roman sans intrigue forte, au propos très lâche, abordé comme un quasi prétexte pour filmer les allers et retours d’une femme sous le soleil dans un film d’errance, de vacance, au sens strict. Défauts, au pluriel, compris comme apories, ratés, pour La Chambre bleue, adapté d’une romance policière de Simenon très construite quant à elle. L’intrigue, telle que scénarisée par Amalric et sa compagne, assez bien ficelée et savamment structurée, se tient, évidemment, nous tient aussi, relativement, et préserve au final son lot de mystères irrésolus. Mais le script a malgré tout de lourds défauts, et pas des moindres : les personnages. Pas assez fouillés peut-être, trop lointains, trop distants, leurs passions nous restent étrangères, et leurs motivations de fait peinent à nous sembler claires ou à nous intéresser suffisamment. Faute d’implication, et malgré des acteurs impeccables (d'Amalric lui-même à Léa Drucker, en passant par Laurent Poitrenaux ou Serge Bozon), on reste insensible au drame qui se joue sous nos yeux, d’une froideur certainement voulue mais qui finit néanmoins par geler l’œuvre et la faire passer pour morte. Le film s'étrécit au format 4/3 de l'image, sans doute voué, et judicieusement, à susciter la picturalité des plans évoquée plus haut (ces prélèvements de détails dans la chambre d'hôtel ou dans celle du tribunal), via toute une série de tableaux dressés par le cinéaste et offerts à notre contemplation, mais aussi à étouffer le personnage principal, énigmatique et semble-t-il complètement perdu lui-même, dans les carcans successifs d'une vie trop rangée, d'une intrigue mal barrée, et enfin d'une machine judiciaire implacable.




Le film, par conséquent, ne vibre guère, et s’éteint vite après la projection. Les images, souvent magnifiques, finissent par glisser sur les yeux du spectateur au lieu d’y laisser une empreinte forte. Partant, il est d’autant plus curieux de lire dans le dernier numéro des Cahiers du Cinéma, entièrement consacré aux émotions produites par les images, le texte de Mathieu Amalric, qui semble ironiser sur la peur de l’émotion nue qu'éprouvent les jeunes cinéphiles ou cinéastes, au bénéfice d’une naïve quête de distance intellectuelle plus confortable et protectrice. Mais quand il filme le premier baiser des amants illégitimes et passionnés de son film, sur le bord d'une route, dans le vent, emporté par une musique romanesque, mélodramatique, altérée par quelques subtiles notes de film noir, le cinéaste est loin de nous bouleverser comme nous bouleversent, avec des scènes semblables, des cinéastes aussi différents que Ford dans L'Homme tranquille, Sirk dans Tout ce que le ciel permet, ou Truffaut dans La Femme d'à côté, la faute, là encore, à des personnages anesthésiés, et à une sécheresse généralisée qui bloque la sensualité traquée dans les plans avant de glacer les affects de l'autre côté de l'écran, chez un spectateur tenu à l'écart. La Chambre bleue, et c’est peut-être la première fois qu’on peut le dire d’un film signé Amalric, est malheureusement, et paradoxalement quand on sait les intentions de son auteur, victime d'un regrettable manque de véritable puissance émotionnelle. Reste une adaptation tout à fait intéressante, parcourue de quelques beaux instants.


La Chambre bleue de Mathieu Amalric avec Mathieu Amalric, Stéphanie Cléau, Léa Drucker, Laurent Poitrenaux et Serge Bozon (2014)

Luke la main froide

$
0
0
Tourné en 1967 par Stuart Rosenberg (à qui l’on doit notamment Amityville, la maison du diable), Cool Hand Luke compte parmi les meilleurs films de Paul Newman. En 67, l’acteur a déjà fait étalage de ses talents d’acteur et de son charme ravageur dans Les Feux de l’été ou dans La Chatte sur un toit brûlant. Il est physiquement au sommet, sa carrière bat son plein (la même année, il tourne dans Hombre, un western de son ami Martin Ritt), et va, deux ans plus tard, associer son immense pouvoir de séduction à celui de Robert Redford dans Butch Cassidy and the Sundance Kid. Mais aussi plaisantes ou brillantes soient ses performances dans tous ces films, c’est peut-être dans Cool Hand Luke que Newman trouve son personnage le plus fascinant. Brick Pollitt, le fils favori de Big Daddy dans La Chatte sur un toit brûlant, cet homme dépressif, détruit par le suicide de son meilleur ami (et possible amant), en conflit avec sa femme (la divine Elizabeth Taylor), résolu à s’oublier dans l’alcool, était un personnage particulièrement passionnant, et brillamment incarné, mais à sa complexité s’oppose la simplicité biblique de Luke la main froide, dont les motivations restent beaucoup plus opaques, si tant est qu'il en ait.




Que sait-on de Luke ? Au début du film, complètement ivre, l’homme s’amuse à décapiter des parcs-mètres quand une patrouille de police tombe sur lui. Il sourit et se fait coffrer. Luke atterrit ensuite dans un centre pénitentiaire peu commode, ou ce même sourire distant et ironique lui vaut de se confronter au plus costaud de ses camarades de chambrée puis aux matons chargés de le briser. Tout ce que fait Luke, depuis la première jusqu’à la dernière minute du film, est voué à le divertir de son ennui profond, viscéral, identitaire. A chaque fois qu’il se lance dans une nouvelle entreprise idiote ou vouée à l’échec, et qu’on lui demande la raison de ses actes, il répond quelque chose comme « Faut bien s’occuper ». Et s’occuper pour lui consiste à se lancer des défis au choix, inutiles, extravagants ou dangereux, quand ce n’est pas les trois à la fois. C'est boxer contre la montagne de muscles du pénitencier, tant qu'il parvient à se remettre sur ses jambes, quitte à se faire littéralement démolir, ça peut aussi signifier gober cinquante œufs en une heure pour vaguement épater la galerie, ou pourquoi pas achever de goudronner une route le plus vite possible, sans oublier, bien sûr, s’évader à plusieurs reprises.




Filmé en position christique, vêtu d’un simple slip, allongé sur une table, le ventre gonflé des cinquante œufs qu’il vient de s’enfiler au risque d’y laisser sa peau, Luke ne cesse de défier Dieu, joue avec la mort, se montre prêt au sacrifice le plus idiot qui soit, par simple désœuvrement, et parce que, jugeant le monde qui l’entoure insensé, il refuse coûte que coûte d’y « filer droit ». On peut le briser mais pas le mettre au pas. Libre ou mort, Luke ne pourra jamais se conformer à l'ordre établi. D’une brutale humanité quand il pleure la mort de sa mère en chantant, ou quand il dit à Dieu, dans une église, à la fin du film, qu’il n’a sa place nulle part sur cette Terre, le personnage finit par accéder à une dimension fantastique. Quand, après avoir été frappé de plein fouet par une balle (venue sanctionner cette ultime et définitive réplique, lancée sur un ton rieur et revanchard : « Je crois qu'on a un problème de communication ! »), il continue de sourire à son compagnon de cellule, baigné d’une lumière rouge diabolique, Luke semble immortel, ou plutôt déjà mort (d’où la froideur de sa main), et prend les allures d'un diable incarné, tout sourire. Un triste diable solitaire et pétri d’ennui, condamné à une spirale sans fin de joyeuse auto-destruction. Et la compilation des sourires de légende de Luke qui conclut le film transmet en fin de compte tout le poids d’une dépression entière et irrémédiable, en même temps qu’elle nous laisse sur l’image paradoxalement lumineuse d’un des personnages les plus sombres et les plus bouleversants qui soient.


Luke la main froide de Stuart Rosenberg avec Paul Newman, George Kennedy, Joe Van Fleet, Clifton James, Harry Dean Stanton et Dennis Hopper (1967)

The Rover

$
0
0
Après s'être essayé au film de gangsters dans son premier long métrage, le très remarqué Animal Kingdom, l'australien David Michôd revient avec une sorte de néo-western post-apocalyptique au scénario proche de l'absurde. Un deuxième film moins directement séduisant mais peut-être plus abouti, qui confirme la naissance d'un cinéaste à la personnalité singulière et bien affirmée. The Rover nous plonge immédiatement dans la langueur et la torpeur pesantes de l'outback Australien, paysage désert, sans horizon, complètement cuit, si propice aux ambiances de fin du monde et que l'on aurait su condamné sans même lire l'intertitre d'ouverture : "Australie, 10 ans après la chute." Nous ne saurons rien de l'évènement qui, dans un futur proche, a fait sombrer la société tout entière. Quelques minuscules indices, glissés ici ou là, l'air de rien, sans aucune insistance, nous permettront toutefois d'imaginer les nouveaux contours de ce monde démoli, mais le cinéaste australien a bien sûr l'intelligence de ne pas se perdre dans les explications forcément déceptives de cette "chute". Il doit savoir que nous avons déjà bien trop souvent subi ce passage obligé dans de mauvais blockbusters américains. En outre, la noirceur de son film est telle qu'elle nous amène tout naturellement à penser qu'il s'agit non pas d'un évènement particulier, d'une catastrophe sans précédent, mais plutôt d'une suite logique, du prolongement possible de notre si peu reluisant présent.




Dans cette Australie assommée, un homme seul (Guy Pearce) assiste, impuissant, au vol de sa bagnole par un gang en fuite et devient, dès lors, tout ce qu'il y a de plus déterminé à récupérer son bien. Ce vieux loup solitaire, à l'humeur maussade et aux mots très rares, trouvera de l'aide en la personne de Rey (Robert Pattinson), le petit frère un brin débile de l'un des membres du gang, qu'il ramassera sur la route dans un sale état. Nous ignorons les motivations réelles du personnage principal, nous pourrons longtemps le considérer comme un justicier de pacotille, à la lucidité disparue, simplement soucieux de se faire respecter et de récupérer sa tire, comme un cowboy revanchard voudrait retrouver son précieux canasson, quitte à se lancer dans une croisade stupide et suicidaire, et prêt à laisser quelques cadavres dans son sillage. Malgré le fil ténu de son intrigue rachitique, David Michôd réussit à capter notre attention du début à la fin. Grâce à l'attention portée à ses deux personnages et au talent évident de leurs interprètes (Guy Pearce, habité, trouve sans doute l'un de ses meilleurs rôles et il faut bien reconnaître que le jeune Robert Pattinson est véritablement étonnant), nous suivons leurs laborieuses aventures sans s'en désintéresser une seconde. Le rythme est assez étrange, plutôt lent, le film est d'abord difficile à cerner, peu avenant, mais grâce à la conviction sans faille dont fait preuve David Michôd, on s'y installe progressivement. On est dedans, on y croit, c'est aussi simple que ça.




Comme dans son premier long métrage, David Michôd évite systématiquement le spectaculaire et fait preuve d'un réel talent pour filmer la violence. Quand celle-ci surgit, David Michôd filme sa froideur, sa soudaineté et sa cruauté, en une économie de plans remarquable et terriblement efficace. Les coups de feu sont aussi rares que fatals. Les affrontements sont brefs, les corps tombent vite, mollement. On retrouve également la même application dans la bande sonore : plutôt que d'accompagner ses scènes-clés par une musique illustrative qui viendrait lourdement renforcer les émotions visées, comme c'est trop souvent la règle, Michôd préfère consacrer à la musique des passages creux, stationnaires, mais propices au développement de cette ambiance unique à laquelle elle donne une sonorité très originale. Il a pour cela le bon goût de se servir de quelques-uns des plus mémorables morceaux du groupe chicagoan Tortoise, que je connaissais par cœur mais auxquels je n'avais jamais attribué un tel décor, que je n'avais guère imaginé dans un tel contexte. Le cinéaste parvient aussi très subtilement à s'éloigner des clichés du genre, à s'affranchir de ses références. On pourrait penser à une dizaine d'autres films tout du long et ne jamais entrer dans celui-ci. C'est tout le contraire. Même s'il n'est peut-être pas un chef-d’œuvre, The Rover domine de la tête et des épaules la concurrence actuelle, uniquement grâce à sa réelle capacité à nous immerger dans le monde apocalyptique qu'il dépeint, ceci étant permis par la croyance absolue de David Michôd en ce qu'il filme.




Le cinéaste ne dévie jamais de la ligne qu'il s'est fixé. Il nous livre un film de genre, un vrai, sec et sans concession ; une œuvre qui exerce un modeste mais réel pouvoir de fascination et laisse une empreinte assez durable par l'atmosphère suffocante dans laquelle elle nous a patiemment enveloppés. Et, si l'on en doutait encore, c'est à la toute fin que l'on peut s'assurer que David Michôd a réussi son pari, au moment où il dévoile la dernière carte, l'une des seules, de son scénario minimaliste au possible. Cette petite pirouette scénaristique finale, que je ne vous révèlerai pas pour mieux vous laisser la découvrir, pourrait plomber le film entier, le faire sombrer dans le ridicule et même provoquer des rires gênés, mais il n'en est rien. Si elle n'est peut-être pas très utile, elle n'entache d'aucune façon la qualité du film de Michôd et permet aussi de constater qu'il est parvenu sans souci à nous faire croire en la détresse totale de son personnage principal, définitivement perdu, aliéné. C'est là un petit miracle. Devant cette conclusion au cynisme surprenant, on se souvient qu'une même chape de plomb pesait, plus ou moins fortement, sur d'autres films australiens récents tels que Mystery Road et Les Crimes de Snowtown. Une résignation moite, marquée par des éclairs de violence tétanisants et hantée par des personnages désespérés, caractérise tous ces films. The Rover apparait ainsi comme une nouvelle preuve de la vivacité d'un cinéma australien qui, paradoxalement, semble trouver une énergie salvatrice dans son pessimisme latent.


The Rover de David Michôd avec Guy Pearce, Robert Pattinson et Scoot McNairy (2014)

Mystery Road

$
0
0
Mystery Road est le quatrième long métrage du réalisateur aborigène Ivan Sen et il est tout à fait honteux qu'il ne soit pas distribué dans notre cher pays de cinéphiles. Dès les premières images, on sait que l'on tient-là un film qui a de l'allure. Un esthète se trouve derrière la caméra, un cinéaste dont je serai désormais très curieux de découvrir les précédents films. Un homme qui sait magnifier le format Scope et propose très souvent des cadres impeccables, limpides, intelligents, sans jamais être bêtement tape-à-l'oeil. L’esbroufe ? Connait pas ! La mise en scène d'Ivan Sen est d'un classicisme revigorant, d'un style raffiné et d'une élégance discrète. C'est pas si courant ! Quand on voit ça, ça paraît simple comme bonjour, mais croyez-moi, c'est pas si courant ! On a donc aucune difficulté à s'installer dans Mystery Road, car tout y est confortable et avenant. On s'y sent immédiatement très bien.




Et puis dès que l'on voit apparaître le héros, déjà, on a cette certitude implacable : ce type-là est le héros du film. Il n'y a qu'à voir son allure, là encore ! Ça ne s'invente pas. Dès qu'il apparaît, on sait qu'on le suivra avec plaisir, où qu'il ira. Même quand il aura fermé sa centaine de portes, même quand il aura pleuré pour les enfants d´un autre, même quand il aura éteint ce qui brûlait le mieux, même s'il part plus loin que ne portent mes yeux, où il ira on le suivra... Quand surgit Aaron Pedersen à l'écran, c'est bien simple : on a du Francis Cabrel qui nous vient dans la tronche, automatiquement. Peut-être ai-je un faible naturel pour les êtres humains venus des antipodes, je l'ignore, toujours est-il qu'à mes yeux, Aaron Pedersen est un sacré bel homme. Un acteur comme ça, ça nous change des zonards hollywoodiens actuels. Captain America peut aller se rhabiller (c'est tombé au hasard sur lui, ç'aurait tout aussi bien pu être Thor ou Tatum). Avec son chapeau blanc très smart, son blue-jean fatigué et ses grosses santiags de cowboy, sa barbe d'une semaine plutôt négligée, presque poisseuse, sa peau tannée et ses rides de caractère, sa voix d'outre-tombe et son accent étrange, Aaron Pedersen dégage quelque chose de peu commun. L'acteur, également d'origine aborigène, incarne ici un flic qui doit tout simplement enquêter sur le meurtre d'une jeune fille dont le corps a été retrouvé près de la route donnant son titre au film, au beau milieu de l'outback australien, c'est-à-dire de nulle part.




Le film est parsemé de vues aériennes des quelques villes misérables et somnolentes que notre héros solitaire traversent en bagnole, à la recherche d'indices. Ces quelques plans viennent appuyer le discours très clair et tranché d'Ivan Sen sur l'état critique de cet arrière-pays où il a grandi. Un endroit qu'il faut fuir, une zone hantée par des âmes en peine, des laissés pour compte ou des crapules, un sale coin, oublié, corrompu, où les forces de l'ordre n'hésitent pas à aligner les gosses en rang d'oignon pour leur faire les poches, où des échanges frauduleux se font au loin, sur les routes désertiques, à l'abri des regards indiscrets, avec les chiens sauvages et efflanqués comme seuls spectateurs. La misère, la violence sociale et les tensions raciales de l'Australie rurale sont très sobrement dépeintes mais participent grandement à l'atmosphère singulière du film. Mais tout n'est pas noir pour Ivan Sen, il reste de l'espoir, comme nous l'indique son joli plan final, où le héros renoue silencieusement avec sa famille, et comme le suggère également le traitement réservé au personnage interprété, très brillamment, par Hugo Weaving. Jusqu'au bout, on pense qu'il s'agit du plus pourri des flics, avant qu'un dernier retournement nous révèle ses réelles motivations. Ce n'est peut-être pas grand chose, certes, mais il est déjà bien rare, aujourd'hui, d'être agréablement surpris par ce genre de ressort scénaristique. Sevré de films de genre idiots, on envisage toujours le pire et le plus convenu. Dans ce contexte, des œuvres intelligentes comme Mystery Road et The Rover font un bien fou !




Mystery Roadétait pourtant un pari plutôt risqué le soir où je l'ai lancé... Deux heures dans le bush australien, en compagnie de parfaits inconnus, devant et derrière la caméra, réunis par un pitch a priori tout à fait banal. J'étais crevé, j'avais peur de m'endormir fissa. Et ça n'a pas loupé. J'ai fini par pioncer devant, même si j'ai tenu bien plus longtemps que je l'imaginais, car j'étais déjà emballé. Dès mon réveil, au petit matin, j'ai donc relancé le bouzin. Je ne l'avais pas quitté, j'étais encore dedans. Certes, je l'avoue, l'enquête de ma nouvelle idole australienne patine quelques fois. On se demande, a posteriori, pourquoi Ivan Sen nous a montré tel ou tel événement. Pourquoi, par exemple, nous faire voir les étapes les plus anecdotiques de l'enquête du héros ? Je pense surtout à cette scène où nous le voyons composer un numéro de téléphone, constater que personne ne décroche, avant de se rendre directement à l'adresse visée. Le réalisateur n'aurait-il pas pu, via une petite ellipse bienvenue, nous montrer d'emblée Aaron Pedersen frapper à la porte de la personne convoitée ? On n'aurait guère crié au scandale, on ne se serait pas dit "Hé ! Il appelle même pas avant de se pointer ?! Non mais quel malpoli !". Si c'est ce qu'Ivan Sen redoutait, c'est dommage, car ça serait passé comme une lettre ça la poste... Bref, il y a donc des petites étrangetés comme celle-ci qui parasitent quelque peu le rythme du film, mais rien de rédhibitoire. D'autant plus qu'Ivan Sen a le bon goût de nous quitter en beauté, en nous donnant pratiquement l'envie d'y retourner. Comment, en effet, faire l'éloge de son film sans évoquer la longue fusillade finale, filmée par quelqu'un qui donne de nouveau l'impression d'être lassé des productions américaines et de vouloir rompre intelligemment avec ce que l'on a trop l'habitude de voir. Ce traitement réaliste, très cohérent, apporte un réel intérêt à cette séquence en contribuant à son puissant suspense étale, le temps paraît suspendu. Ce dernier quart d'heure réjouissant n'aurait pas dénoté dans un véritable western, genre avec lequel flirte souvent Mystery Road. Cette scène semble venir récompenser notre patience occasionnelle ; elle conclut magistralement un film, ma foi, hautement recommandable.


Mystery Road d'Ivan Sen avec Aaron Pedersen, Hugo Weaving, Ryan Kwanten et Jack Thompson (2014)

Monuments Men

$
0
0
Il m’arrive parfois, quand je lance trop tardivement un bon film un peu long et que je me sens piquer du nez, de mettre la pause, de me lever, d’aller dans la cuisine, de choper le premier truc à bouffer qui se présente, et de revenir boulotter ma trouvaille devant la suite du film. Impossible de s’endormir en mangeant. Faites le test. A chaque fois que vous avez peur de pioncer (ça peut être sur votre canapé devant Nostalghia de Tarkovski, ça peut aussi être au volant, sur l’autoroute, à contresens, plus problématique), faites une pause, garez-vous sur le bas côté, allez brûler 500 balles durement acquis dans un paquet « maxi » de trois club sandwiches thon crudités avariés chez le voleur de nuit le plus proche, remontez sur votre bahut (canap ou cametard) et tracez la route bouche pleine, doigts de pieds en éventail. Aucune chance de sombrer, éteignez même vos veilleuses pour économiser sur la batterie, vos yeux seront des phares à eux seuls. Il faudra peut-être s'arrêter régulièrement au pipi-room, parce que ces club-cendars, c'est pas du bio, mais pissez plutôt dans votre réservoir à essence, avec un club trio dans l'estomac votre vessie sera l'équivalent d'une pure raffinerie à pétrole et fournira du Gazole Excellcium à revendre. Prenez deux paquets « maxi » si vous faites les deux à la fois, Nostalghia et transport routier de marchandises : il a bien dû se trouver un ou deux routiers allumés dans le monde pour s'enfanguer un petit Tarko de derrière les fagots sur l’écran 2 pouces noir et blanc de la cabine tapissée de putes aux nibards réchappés de leur poids-lourd. Probabilité non nulle !


Typiquement le mec qui matait Andreï Roublard dans son cametard...

J’ai lancé Monuments Men en plein petit-déjeuner, aux alentours de treize heures, un jour de vacances où je m’étais levé assez tard, après une bonne nuit de sommeil, et le film a réussi à me faire pioncer comme un loir au bout d'une petite trentaine de minutes alors que j’étais en plein cœur de mon repas, la fourchette entre les dents, au beau milieu d'une mastication lambda. Je me suis réveillé plus d’une heure et demi après, avec le générique de fin de Clooney, la fourchette toujours enfoncée dans le râtelier. Une chance que je n’aie pas sombré en prenant une rasade d’eau plate au goulot pour me rincer le gosier, je serais mort noyé à l’heure qu’il est, rempli comme une outre sur mon clic-clac. Mon premier paragraphe n'en est pas caduque pour autant. C'est l’exception qui confirme la règle. Ne vous laissez pas inquiéter et pensez à grailler si vous êtes en train de lire cette critique sur votre iphone au volant d’un semi-remorque : 90% du temps, ça marche tout le temps. Mais le film de George Clooney déroge forcément à la règle, et j’en ai vu assez pour vous dire que c’est un monument de merde.


Vraiment ça valait le coup de s'expatrier Jean ! On espère qu'Omar Sy sera aussi brillant dans Jurassic Park 4 ! La tronche de Dujardin qui essaye de lire sur les lèvres me donne envie de chialer... « On devine à sa courtoisie qu'il est absent», comme disait Valéry.

Dès le début, quand, régulièrement interrompu par le générique d'ouverture, et sur une musique qui aurait sa place dans La 7ème compagnie au clair de lune, Clooney part recruter ses bras cassés pour une mission spéciale « Il faut sauver les chefs-d’œuvre des musées européens », on a envie de foutre le camp. Quand chaque acteur de choix (Matt Damon, Bill Murray, Bob Ballaban, Jean Dujardin, John Goodman...) fait son petit numéro face caméra, on a bizarrement envie d'en prendre un pour le bousiller sur l'autre. Et quand, avant le départ pour la France, Clooney déballe à sa troupe tout un discours sur l’importance de l’art comme ciment de la culture et de la civilisation, débitant ses niaiseries à travers une radio qu'il vient de réparer en se vantant auprès de ses potes de n'être pas "qu'une belle gueule", le tout sur fond de touches de piano éparses tout sauf bouleversantes, c’en est trop. On le sait, on n’aura pas la patience de subir cette purge comme on en a tant vues jusqu’au bout. Celle-ci moins qu'une autre, dont le filmage est d’un académisme épuisant et l'écriture d’une banalité catastrophique, et qui souffre en prime d’un montage ultra maladroit et de lenteurs ô combien pesantes. Historiquement nul et non avenu, comme cela a été démontré en maints endroits, le film de George Clooney se torche non seulement avec les beaux-arts (comme cela a été dit aussi, réduisant les œuvres à sauver - soit tout l’enjeu de l’affaire - à de simples noms connus énumérés au petit bonheur la chance par des acteurs qui n'en ont manifestement jamais entendu parler) mais en tout premier lieu avec le septième.


Monuments Men de George Clooney avec George Clooney, Bill Murray, Matt Damon, Jean Dujardin, John Goodman, Bob Ballaban et Cate Blanchett (2014)

Les Rayures du zèbre

$
0
0
Eh bien, on a connu Benoît Mariage un peu plus inspiré que ça... Les Rayures du zèbre est son premier film depuis sept ans, il y retrouve son acteur fétiche, Benoît Poelvoorde, et s'attaque à un sujet rarement abordé au cinéma : le petit monde du ballon rond ou, plutôt, l'envers de ce petit monde, en nous proposant de suivre les déboires d'un recruteur belge parti en Côte d'Ivoire à la recherche de nouveaux talents. Voir Benoît Poelvoorde dans la peau d'un recruteur forcément volubile était une belle promesse pour tous ceux qui, comme moi, sont nostalgiques des inoubliables saillies du comédien dans ses sketchs en Monsieur Manatane. Mais très vite, nous sommes fixés : le film de Benoît Mariage n'est pas destiné à faire rire ou, si c'est le cas, se plante totalement. En réalité, nous ne savons pas vraiment ce que cherche à faire le réalisateur et nous sommes mal à l'aise pendant les 88 petites minutes que dure un film qui paraît infiniment plus long. 




On devine que le cinéaste wallon souhaite nous parler des rapports malsains de domination Nord/Sud à travers son histoire qui relègue le foot en simple toile de fond, mais son discours est si convenu et si mochement édicté que nous aurions largement préféré qu'il revoie ses ambitions à la baisse et qu'il se contente de mettre son acteur vedette dans les meilleures dispositions. Benoît Poelvoorde est irréprochable, il joue parfaitement ce qu'on lui demande de jouer, réussissant parfois miraculeusement à faire poindre une certaine émotion dans ses interactions avec le jeune ivoirien qu'il embarque en Belgique, mais quelle tristesse de voir l'acteur cantonner à ce rôle et, surtout, quelle cruauté de nous priver de son pouvoir comique ! C'est bien la première fois que Benoît Mariage exploite si peu et si mal le potentiel de sa star. Pour cela, il aurait déjà fallu allonger les scènes, lui laisser le temps de s'y installer et nous avec lui, et donner ainsi au film un tout autre rythme, car le réalisateur nous propose ici un interminable enchaînement de scènes très brèves tout à fait indigeste et incompréhensible. C'est presque insupportable, vraiment.




Les Rayures du zèbre est donc un film franchement raté, à déconseiller aux footeux comme aux fans de Poelvoorde. Un film qui pourra même provoquer votre colère par le traitement méprisant et méprisable qui est réservé au personnage du jeune espoir africain. Après nous avoir fait suivre ses laborieuses mésaventures, échouant à nous le rendre sympathique mais réussissant pleinement à nous le faire prendre en pitié, Benoît Mariage fait mourir son personnage tout à fait gratuitement dans une scène ô combien ridicule. Le film touche alors le fond, comme le bolide flambant neuf du jeune attaquant, nouveau riche et surdoué du ballon mais ne sachant pas se servir d'un levier de vitesse : cette scène minable nous le montre en effet chuter dans un lac en faisant une marche arrière en trombe vers le précipice. Faut-il mépriser son personnage pour lui réserver un tel sort ? Mais ça n'est pas tout ! Cherchant peut-être à se racheter, Mariage nous croque un ultime plan, d'une laideur inouïe, à la mémoire du disparu : il filme une vieille bouteille d'eau en plastique contenant les cendres du footballeur et on découvre que celle-ci fait office de poteau pour les buts d'une partie de foot improvisée entre les gamins de son village natal (visité en héros par un Poelvoorde enfin rattrapé par un petit sentiment de culpabilité légitime). C'est peut-être supposé être touchant, c'est simplement honteux. Cette conclusion morbide a le seul mérite d'achever un film qui était à l'agonie dès son coup d'envoi. 


Les Rayures du zèbre de Benoît Mariage avec Benoît Poelvoorde et Marc Zinga (2014)

Adieu au langage

$
0
0
Nous n'avons pas encore vu le nouveau film de Jean-Luc Godard, mais nous laissons la parole à l'un de nos fidèles collaborateurs, Paul-Emile Geoffroy, qui en est ressorti déçu.

Jean-Luc Godard est un intellectuel au sens où l'on parlait d'intellectuels à la fin du 20ème siècle. Il est érudit, il réfléchit son matériau et le monde dans lequel il vit, il lit et cite d'autres penseurs, et son film est le reflet de tout ça : c'est une réflexion sur le monde qui l'entoure, sur la "forêt", bourrée de pensée propre et de pensée empruntée. C'est un discours sur ce qui lie les hommes (le langage, le chien, l'amour), ou ce qui peut-être ne les lie justement plus. Le problème, c'est que comme Godard le dit lui-même, filmer la forêt, c'est une chose, mais filmer une chambre à travers la fenêtre de laquelle on voit apparaître un bout de la forêt, c'est très dur. Surtout quand on essaie de regarder avec des yeux qui ne sont pas les siens.




Et la technologie 3D, ça n'est pas celle de Godard, et il ne l'a pas adoptée. Certes, quelques plans sont jolis dans Adieu au langage, qui mettent à profit cette technologie, et certes le plan sur la chambre, par la fenêtre de laquelle on voit un bout de la forêt, est joli, mais la plupart du temps Godard ne sait pas quoi faire de la 3D, ou bien il en fait des choses laides, ou simplement ratées, et donc laides. On en vient à retirer ses lunettes noires le temps d'une séquence, pour s'éviter la migraine. C'est dommage.




Mais surtout, et c'est plus grave, Godard rate son film parce qu'il ne s'adresse à personne (d'autre que lui ?). L'intellectuel citant des penseurs, et le penseur coupant et collant à son gré ou à celui du hasard ses bouts de paroles, ses idées de discours, ses fonds de pense-bête, comme ils viennent, sur la page filmée, sans y ajouter grand chose, sans laisser le temps au spectateur de les digérer, de les entendre, de peut-être y comprendre quelque chose, sans rien partager en fait avec le spectateur, assénant plutôt que discutant, Godard ne parle que seul et dit, en effet, adieu au langage.




Son chien, qu'il filme avec beaucoup plus d'amour et de tendresse que ses acteurs, mannequins nus scandant, chiant, posant la plupart du temps comme sans vie, son chien n'en est pas davantage un interlocuteur autre. Godard ne parle pas à son chien, ne parle pas à ses acteurs et il ne parle ni de ses acteurs ni de son chien, qu'il ne fait que regarder un peu avec l'œil doux.




Et le film ne disant rien ou peu ou trop vite ou trop mal sur la fin du langage annoncée, le dit sans en terminer avec le langage de son auteur : tous les tics méthodologiques et esthétiques de Godard sont là et surtout les tics du son : la musique montant abruptement et cessant irrationnellement, les voix que l'on essaie en vain de saisir, au loin, tandis qu'elles semblent (enfin) dire quelque chose. Seule une idée semble jaillir, celle de la plume de Mary Shelley grattant la feuille, à laquelle fait écho l'appel à personne de Lord Byron, doublé d'un son ressemblant, mais à quoi bon ? On n'y voit qu'une idée de plus, issue d'un carnet à idées, et posée sur le papier parmi d'autres, sans liant réel. Copiée et collée, à la manière de Godard, mais sans le talent de montage, d'alliage et de discours qui autrefois présidait à de bons films.




Alors on sort de ce film déçu, tout de même, tant le sujet semblait appeler, et surtout de la part d'un intellectuel ayant si bien compris son siècle et l'art de son siècle, un discours sur la fin du discours. Et puis on se rappelle que ce siècle est terminé et l'on pense que Godard n'a pas compris celui qui a commencé, et que ça n'est pas grave, que ça n'est pas sa tâche à lui, et qu'après tout, si son film est raté, il n'y reste pas moins quelque beauté, évasive certes, rare et engoncée, mais qui nous donne, surtout dans ce dernier plan sur Roxy Miéville, quelque baume au cœur pour ce vieux monsieur qui jadis fut si grand.


Adieu au langage de Jean-Luc Godard avec Roxy le clebs (2014)
Viewing all 1071 articles
Browse latest View live