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Channel: Il a osé !
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Retreat

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Présenté au PIFF (Paris International Film Festoche) en 2011, Retreat n'a pas été jugé suffisamment bon pour sortir en salles dignement. Y'a-t-il une justice à cela ? Oh que oui ! Quid du pitch ? Cillian Murphy et Thandie Newton forment un couple de derrière les fagots. Profitant des vacances, ils décident de se "retrouver" sur une île au large de la Grande-Bretagne pour vivre, isolés, dans une chaumière typique, histoire de faire rejaillir l'étincelle entre eux. De temps en temps, un vieillard loquace, pêcheur de son état, vient leur apporter quelques légumes et du poisson frais. Jamais rien de bien excitant, jusqu'au jour où le vieux pêcheur ne donne plus aucun signe de vie etla radio CB implose. Tout contact avec le continent est ainsi perdu et nos deux tourtereaux se trouvent bien emmerdés.




Condamné à une colocation forcée, le couple bat plus que jamais de l'aile. Thandie Newton est toujours collée à son écran d'ordinateur pendant que Cillian Murphy, tête basse, prépare la bouffe et fait la vaisselle. Cette situation pénible nous vaut quelques dialogues savoureux quand Cillian Murphy, à cran, se laisse un peu aller et relâche la pression. "Ooohooh ! Passe pas ta vie sur le net, y'a une vie en dehors du net !" se met-il soudainement à hurler, les manches remontées et les mains, sur les hanches, encore pleines de savon, à la 14ème minute du film. "T'es marrant, c'est toi qui m'as amenée sur cette île à la con, assume ! Moi je reste connectée !" lui rétorque son impitoyable compagne. Murphy insiste : "Barre-toi du net ! Ras-le bol du net ! Décroche ! Décolle ! Déconnecte !". "C'est ça ouais, cause toujours tu m'intéresses. Et fous l'camp de devant mon ordi, tu nuis au wifi !" enchaîne Newton. Une autre scène de ménage particulièrement tendue se termine sur un dialogue plus étonnant encore. Alors qu'elle se tient assise en face de lui, Thandie Newton réplique à un Cillian Murphy totalement impuissant, qui lui demandait timidement de bien vouloir mettre le couvert : "Je ne peux pas te répondre, je n'ai plus beaucoup de batterie", ce à quoi son penaud compagnon répond, médusé, "Mais on n'est pas au téléphone ni sur MSN Messenger ! Je suis là ! Pile en face ! Pile en face ! Lààà !". Suite à cet échange étrange et fort en décibels, Newton chausse ses bottes et claque la porte. C'est alors qu'en se promenant seule sur la plage, elle découvre un drôle de type en tenue de militaire échoué sur le rivage, inanimé. Croyant bien faire, elle le ramène à l'auberge. A son réveil, l'homme annonce à ses hôtes qu'un terrible virus s'est répandu sur la planète : l'île sur laquelle ils se trouvent serait ainsi l'un des rares coins du globe qui n'aurait pas encore été atteint par la pandémie. C'est à partir de ce moment que le scénario du film devient de plus en plus fou !




Tout le jeu du réalisateur, qui signe là son premier film, consiste bien entendu à nous faire douter de l'honnêteté du nouvel arrivant, incarné par un Jamie Bell méconnaissable, qui semble avoir pris 10 ans dans la tronche depuis son rôle très remarqué de danseuse étoile dans Billy Elliott ! Régulièrement surpris en train de mater le ferme boulard de Thandie Newton, l'attitude de Jamie Bell déplaît beaucoup à Cillian Murphy et la tension monte très rapidement entre les deux hommes. De son côté, Thandie Newton a l'air bien contente d'être devenue le centre de toutes les attentions et, quand le générateur pète et les prive d'électricité, elle vit étonnamment bien le fait d'être coupée, une bonne fois pour toutes, de son petit monde virtuel. Quant à nous, on regrettera que ce personnage méprisable soit incarné par une si misérable actrice, qui justifie mal que deux gaillards se plient en quatre pour s'accorder ses faveurs. Thandie Newton passe tout le film à singer de façon très ridicule l'accent anglais, elle qui est, si je ne m'abuse, d'origine latino-zambienne. Cela donne quelque chose de tout à fait insupportable aux oreilles. A la vue, par contre, il faut bien reconnaître que l'actrice conserve un peu de ce charme qui lui a ouvert les portes des studios de cinéma hollywoodiens à l’orée des années 2000. Elle est encore l'une de ces rares actrices blacks que tout le monde s'arracherait, avec peut-être Jada Pinkett-Smith, Whoopie Goldberg et Zoe Saldana. C'est très moche de ma part de dire ça comme ça, alors prions pour que ça passe inaperçu.




Le reste du film est une vaste partie de poker menteur où tout est fait pour que l'on pense que Jamie Bell n'est pas un type fiable. Le spectateur un peu éclairé aura donc tôt fait de comprendre qu'il l'est bel et bien et ne raconte pas de cracks. Une terrible pandémie s'est effectivement abattue sur la Terre et c'est pour cette raison que Jamie Bell veut barricader la maison. Pour ce faire, il s'en prend à tous les objets en bois qui lui passent sous la main. A commencer par de belles chaises en osier, sacrifiées, qu'il casse sans relâche, pendant près d'une heure de film ! Le plus insupportable étant qu'il s'en prend vraiment à de très belles chaises, on se dit forcément "Ah putain, j'en cherchais justement une comme ça pour mon living room !". Face à la folie destructrice de son nouveau colocataire, Cillian Murphy décide d'un commun accord avec Thandie Newton de s'enfuir par le vélux pour aller vérifier l'état du monde extérieur. A son retour, il tousse du sang et vomit de la bile, mais "No problemo, ça m'arrive souvent" dit-il. Ok... Il crève peu de temps après. Un flingue sur la tempe, Jamie Bell avoue alors à Thandie Newton qu'il est un véritable bouillon de culture sur pattes. Un microbe ambulant qui s'est échappé d'une base secrète et qui a échoué sur cette île perdue. Twist ! S'il barricadait la maison et empêchait par tous les moyens aux deux autres de fuir, c'était pour mieux protéger la Terre entière du danger mortel qu'il porte en lui. Pourquoi ne s'est-il pas immolé par le feu, se demande-t-on alors. Jamie Bell est un soldat qui a la notion de sacrifice dans le sang, en particulier quand cela implique de véritables bijoux en osier, mais quand ça le concerne lui directement, faut pas pousser. Tu parles d'un film à la con ! Le dernier plan du film est un hélico qui surgit derrière une falaise et abat froidement Thandie Newton alors qu'elle essayait de s'échapper à la nage. Au large les contagieux !


Retreat de Carl Tibbets avec Cillian Murphy, Jamie Bell et Thandie Newton (2011)

Sans plus attendre

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La tagline de ce film, quand on a vu le film, fait encore plus mal : "Pour eux, c'est maintenant ou jamais" : ce ne sera donc jamais. En 2004, Rob Reiner a su réunir deux monstres sacrés, deux éléphants du Parti Socialiste, le meilleur acteur blanc, Jack Nicholson, et le pire acteur noir, Denzel Washington, remplacé au pied levé par le meilleur acteur noir, Morgan Freeman. Devant l'affiche on se surprend à rêver. On aimerait être assis entre ces deux vieux cons morts de rire et taper le carton en leur proposant quelques samosas bien gras. Nicholson et Freeman ne s'étaient jamais croisés sur un écran, souvent frôlés mais jamais croisés. A l'époque de Viol au-dessus d'un nid de coucou, Morgan Freeman était pressenti pour jouer le rôle du grand indien muet, qui du coup serait devenu un grand éthiopien aphone. En réalité Morgan Freeman n'était pressenti dans ce rôle que par lui-même, lui qui vivait encore au Caire à cette époque-là, mais à force de le répéter d'interview en interview tout le monde a fini par croire qu'il avait vraiment failli jouer dans ce film. En 2004, Reiner a eu l'idée de réunir ces deux géants de l'acting mais il a fallu attendre trois piges pour qu'ils soient enfin libres en même temps, Morgan Freeman s'étant enfin épargné un énième rôle de second couteau peu loquace dans les mille films par an de Clint Eastwood et Nicholson ayant refusé de doubler davantage de documentaires animaliers, passant à côté de la voix du papa manchot dans La Marche de l'Empereur au profit de... Morgan Freeman.




Connaissant le rire communicatif (propre à tous les blacks - racisme positif) de Morgan Freeman, et le talent comique jamais suffisamment employé de Nicholson, on s'attendait à se poiler sévère devant cette comédie tombée du ciel. Tombée du ciel car on ne s'attendait plus à la réunion providentielle de ces deux éléphants sacrés du Parti Socialiste (déjà faite, mais faut bien remplir). Eux non plus ne l'espéraient plus et pourtant ils l'ont fait. Sur le papier, le film nous propose une heure et demi de détente absolue, d'éclate totale, la bande-annonce était un modèle du genre, avec deux vieillards bien décidés à cramer leurs dernières journées avant de clamser. Leur bucket-list (l'équivalent d'une "to do list" pour la traduction franglaise, et pour la traduction anglaise : "bucket-list" vient de "to kick the bucket" qui veut dire "casser sa pipe", autrement dit clamser) ? Du côté de Nicholson, dans le rôle d'une sorte de banquier retraité atteint d'une sévère tumeur à la raie : se faire sa vieille cousine Bèthe, s'acheter un gros chien des Pyrénées et l'appeler "Pas" vu qu'il compte justement ne "pas" l'appeler, bouffer un chinois pour la première fois de sa vie, mais littéralement, bouffer une personne de nationalité chinoise, apprendre à jouer du tambourin en rythme et, plus classique, sauter en parachute en bouffant un kebab juteux sans en foutre partout. Du côté de Freeman, dans le rôle du ménestrel bientôt simplement mort de vieillesse car putain de vieux : s'écouter un bon vinyle de Chet Baker en fumant des mauves, traiter des blanches, ne pas se faire refouler au resto, baiser un panda roux, refaire à l'envers le trajet du commerce triangulaire mais en yacht et en fouettant des culs, chier sur le sommet de la Grande Pyramide de Kellog's afin de voir quelle face de l'édifice choisit sa merde pour dégringoler lentement, chier sur les lignes de Nazca puis comprendre leur signification avant de mourir, puis faire un petit pont à ce gros vantard de Roi Pelé à moitié mort et lui foutre un grand coup de pied au cul une fois contourné. 




Au lieu de ça, on a droit à une première heure en huis-clos hospitalier où nos deux compères se détestent cordialement et se font des batailles de moko en restant plantés chacun dans son lit. Et puis on attend le fameux fantasme de l'infirmière qui viendra illuminer tout ça mais on ne voit passer que des ravans, d'autres vieilles énormes qui ont elles aussi leur bucket-list gravée sur le cul, en butt-tatoo morbides, et qui espèrent passer l'arme à gauche avant leurs patients ultra chiants. Et quand vient le moment d'exaucer les vœux des personnages et le nôtre, c'est la deuxième heure de ce si long film qui commence, film qui n'est lui non plus pas pressé de crever bien qu'agonisant devant nous, et c'est Rob Reiner qui se transforme en censeur de mes deux et qui décide qu'on ne rigolera pas, lui qui chaque matin du tournage était de mauvais poil parce que sa place handicapé sur le parking du studio était systématiquement encombrée par le buggy de Freeman alors que son statut d'homme-tronc obèse à 280% lui donnait le droit de se garer là. Nos deux héros vont bien en Égypte mais pas pour chier sur le sommet de la huitième merveille du monde, juste pour déguster un bon kefta au pied du Sphinx sous un coucher de soleil issu des pires cartes postales dont Reiner raffole. On les voit bien sauter à l'élastique avec une caméra embarquée accrochée à leur col (pour des effets de cinéma affreux, puisqu'on voit les deux acteurs peu habitués à la chose se débattre comme les chiens font pour se débarrasser de ces encombrants), mais autant regarder La Chasse au Trésor, présenté par le précieux Sylvain Augier (si t'es toujours vivant, n'hésite pas à laisser un commentaire).




Sans plus attendre de Rob Reiner avec Jack Nicholson et Morgan Freeman (2007)

Texas Killing Fields

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Film sans intérêt, sans surprise, sans qualités. Parlons des personnages de ce Texas Killing Fields, ah ben non, y'en a pas ! Ils n'existent tout simplement pas... On a droit en vrac à un flic du genre nerveux, Mike Soudeur, tête brûlée, gros bras, attardé profond, peur de rien, peur d'un chien (Sam Worthington), qui fait fi des consignes de ses supérieurs pour aller aider la femme dont il est divorcé, flic de métier elle aussi (Jessica Chastain), au cœur d'un district malfamé. Son binôme, Marcel Patulacci (Jeffrey Dean Morgan), gardien de la paix avant tout, est plus raisonnable, plus âgé, type grand cœur fatigué de suivre des détraqués et prêt à se sacrifier pour secourir une fille de pute (c'est pas une insulte, c'est dans le script) qu'il considère comme sa propre enfant, et qui sera sauvée in extremis tandis que le tueur libidineux bigleux et chauve sur le point de lui faire la peau finira, vous l'auriez senti venir, par être arrêté.




Ce que je viens de vous résumer là c'est absolument tout ce que contient le scénario, ni plus ni moins, je n'abrège pas. Les personnages s'en tiennent rigoureusement à ce minimum-là. Il n'existent bel et bien pas. Et les acteurs qui les incarnent non plus. Sam Worthington est encore plus paraplégique que dans Avatar, Jeffrey Dean Morgan est un Javier Bardem au rabais, et Jessica Chastain, même si son charme opère à nouveau, est encore plus sous-exploitée que dans The Tree of Life, puisque la flic qu'elle incarne n'apparaît à l'image que trois minutes à tout casser, ne sert scrupuleusement à rien, et ne fait même pas de tourniquet dans des jardins publics. Seule la jeune Chloë Moretz, déjà remarquée dans Hugo Cabret, confirme ici son talent dans un rôle beaucoup moins enfantin que celui qu'elle campait chez Scorsese. L'actrice est depuis apparue dans quelques films beaucoup moins recommandables, de Dark Shadowsà Carrie, la revanche, et n'y a pas autant brillé (pour ne pas dire qu'elle y tutoyait le ridicule). Espérons qu'elle regagne ses galons dans le dernier film d'Olivier Assayas. Quoi qu'il en soit, elle rejoint la petite Elle Fanning dans la course aux jeunes comédiennes américaines les plus prometteuses, et en fin de compte, sa présence étonnante, son visage ultra expressif et son charme étrange sont le seul intérêt de Texas Killing Fields, qu'on se le dise.




Malheureusement la réalisatrice, Ami Canaan Mann (joli blaze, y'a pas à dire, comme quoi ça ne fait pas tout !), la fille de Michael Mann, qui a donc produit le premier film de sa progéniture, ne fait pas grand chose du potentiel de la petite actrice, comme elle ne fait rien des autres membres du casting, de son non-scénario, et de tout ce qui s'en suit, rien qui ne sera oublié très vite. Le film ne tire aucun parti de son décor marécageux (la mise en scène s'y embourbe joyeusement, pour faire un jeu de mot digne du magazine Première), et le script est d'un déjà vu à toute épreuve. L'affiche parle de 60 cadavres et promet un Texas Killing Spree alors qu'il n'y a que quatre ou cinq macchabées à l'écran (pas que je sois un grand fan de barbaque mais quand on annonce un truc on s'y tient). Elle évoque aussi un tueur "insaisissable" que nous aurons reconnu dès sa première apparition, au bout de dix minutes de film, et qui, en prime, finira par être saisi... Et pourtant je ne suis pas doué en général pour jouer aux devinettes devant les films policiers, d'abord parce que je manque de pratique, n'ayant moi-même jamais rien traqué à part quelques films sur le net, ensuite parce que le plus souvent je m'en fous royalement, pouvant apprécier les belles intrigues policières, par exemple celles des films noirs de l'âge d'or, sans forcément passer mon temps à échafauder des hypothèses. Mais si moi, avec ma gueule enfarinée, si moi j'ai tout pigé au bout de cinq minutes à ce film de traque qui n'a aucun autre argument à sa disposition, je n'ose imaginer l'ennui qui frappera les amateurs du genre, lesquels auront en prime le sentiment de revoir ce maigre polar pour la millième fois. Ne perdez pas une heure et demi devant un film que vous aurez totalement oublié une demi heure après.


Texas Killing Fields d'Ami Canaan Mann avec Sam Worthington, Jeffrey Dean Morgan, Jessica Chastain et Chloë Grace Moretz (2011)

Royal Affair

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Danemark, fin du XVIIIème siècle. Caroline Mathilde, fraîchement débarquée d'Angleterre, devient l'épouse du roi Christian VII et, par conséquent, Reine de Danemark. Entre le roi et la reine, ce n'est pas l'amour fou. Le premier est mentalement instable et laisse s'épanouir une politique ultra conservatrice et rétrograde dictée par des nobles incompétents qui se servent de lui comme d'une simple marionnette. La seconde s'ennuie à mourir et se réfugie dans ses lectures : Rousseau, Voltaire, Montesquieu, elle s'imprègne ainsi des idées des Lumières. L'arrivée, à la cour du roi, du comte Struensee va bouleverser ce petit monde et avoir un impact décisif sur la vie politique du pays, voire du continent tout entier. Struensee devient le médecin personnel du roi, mais aussi son ami le plus proche et le plus influent. Il partage également les convictions de la reine et celle-ci aura tôt fait d'être séduite puisque le toubib a en outre la classe et les traits du grand Mads Mikkelsen.




Royal Affair est le film danois qui a raflé le plus de récompenses en 2012. Je redoutais une bestiole de foire terriblement académique et empesée, je m'en suis donc longtemps tenu éloigné avant de m'y risquer, poussé par la présence en tête d'affiche de l'acteur Mads Mikkelsen, que j'apprécie tout particulièrement (pour ses rôles dans Pusher 2, Lumières dansantes, The Door et Michael Kohlhaas, entre autres). J'ai été très agréablement surpris. Académique, le film l'est plutôt, mais il parvient tout de même à éviter les lourdeurs de la reconstitution d'époque et les raccourcis faciles qu'empruntent généralement ce genre de drames historiques. La mise en scène de Nikolaj Arcel surprend peu et offre de rares moments d'éclats mais ne commet aucune faute de goût et fait même quelques choix très judicieux (je pense notamment à ce final très sobre où l'on quitte très dignement et en silence le beau personnage de Struensee).




La plus grande réussite du cinéaste est de ne délaisser aucun des trois personnages ; ils sont tous, à parts égales, au cœur du film. On est heureux de pouvoir s'assurer progressivement que le roi n'est pas un cliché ambulant, son personnage existe bel et bien, et l'acteur qui l'incarne, justement récompensé au Festival de Berlin, n'y est certainement pas pour rien. Mikkel Følsgaard offre une prestation tout en nuance qui participe à éloigner définitivement son rôle de la caricature. L'évolution des rapports qu'entretient le trio, et tout particulièrement l'étrange d'amitié qui unit le roi à Struensee, est très adroitement dépeinte. On redoute toujours des réactions attendues, celles que l'on rencontre trop souvent dans les films hollywoodiens, et ce notamment quand le roi découvre le pot aux roses, mais les personnages ne s'insèrent jamais dans ces schémas archi rebattus et c'est donc tout particulièrement vrai en ce qui concerne Christian VII.




Mads Mikkelsen est une nouvelle fois parfait. Malgré sa tronche reconnaissable entre mille, le beau danois fait partie de ces trop rares acteurs qui parviennent à donner vie à chacun des personnages qu'ils interprètent. C'est encore le cas ici. Avec trois fois rien, son Struensee prend vie et gagne peu à peu une vraie ampleur. Il suffit également de quelques regards adressés à la reine pour que l'on comprenne l'attirance qu'il éprouve et pour que leur passion soit tout à fait crédible, vivante. Quant à la reine, elle est incarnée par la suédoise Alicia Vikander qui paraît idéalement choisie. Elle est assez charmante mais n'est pas non plus une beauté à l'allure tapageuse. On peut comprendre que le roi ne ressente aucune excitation pour elle et préfère passer ses nuits au bordel, car elle dégage quelque chose d'assez froid. Mais quand Struensee fond pour sa grâce discrète, on le pige totalement aussi, et le réalisateur Nikolaj Arcel parvient alors subtilement à nous rendre l'actrice plus attirante. On regrette cependant que le cinéaste ne s'épanche pas davantage sur les premiers émois de la reine et Struensee, car cela aurait sans doute donné plus de force à leur amour naissant.




On se plaît à suivre les magouilles du petit couple pour gagner de l'influence sur le roi afin d'appliquer, d'abord à travers lui, une politique libérale et humaniste, avant que Struensee prenne clairement les rênes du pouvoir et finisse par se mettre à dos toute la cour. Ce drame historique est limpide, fait avec soin et une réelle intelligence. Bien aidé par un trio d'acteurs irréprochables, Nikolaj Arcel réussit très adroitement à nous intéresser à un épisode décisif de l'histoire danoise qui eut des répercussions dans l'Europe entière. Le double aspect du film, la romance entre la reine et Struensee d'un côté, et l'intrigue historico-politique de l'autre, fonctionne donc parfaitement. Royal Affair est une modeste mais vraie réussite, qui a su me captiver d'un bout à l'autre.


Royal Affair de Nikolaj Arcel avec Mads Mikkelsen, Mikkel Følsgaard et Alicia Vikander (2012)

Date limite

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Portes ouvertes à Joe G., ex-rédac chef du webzine musical C'est Entendu, qui a subi dans son intégralité et de son plein gré ce film et qui a éprouvé le besoin d'en parler, pour notre plus grand plaisir :

J'ai maté ça comme on mate passer un autobus qu'on ne prendra jamais. Tanqué comme jamais, aucune envie de voyager ni avant ni pendant ni après, j'ai regardé ce movie comme on mange un petit charolais de chez Macdalle : on n'en attend rien, on ne trouve pas ça très bon mais on ne s'en plaint pas. C'est l'histoire de deux gros gros tocards, et évidemment c'est un buddy movie en plus d'être un road movie de mes deux. Deux quoi ? Deux gros connards ensemble, et forcément ça devient des amis de toujours, l'ennemi de mon ennemi est mon ami, et l'ennemi ici, c'est le spectateur, alias "homme de bonne volonté", parce qu'aucune femme ne peut s'encaisser ce film, m'est avis, à moins d'avoir de sérieux problèmes psycho-lesbiens ou au contraire d'avoir envie de forniquer Robert Downey Jr. au point d'encaisser chaque merde dans laquelle il tourne, dans les deux cas, les meufs en question sont un peu just'. C'est l'histoire d'un architecte arrogant et limite nervous breakdown qui va pas tarder à être papa et qui, de retour de Kansas City, Texas, est en passe de prendre l'avion pour rentrer à L.A. et voir sa femme se faire césarienner. Un gros connard, ce mec. Évidemment il tombe dès l'aéroport sur un gros lard super con (Zach Galifiananiasalakis) qui vient de paumer son reup et qui part à Hollywood pour devenir acteur. Lui il est sujet à la narcolepsie, à la connerie, à des oublis et à son toutou chéri. Un gros connard, lui aussi.




Évidemment, il va arriver au premier un gros paquet d'emmerdes à cause du second, et ils vont devoir rouler jusqu'à L.A. pour arriver à temps et assister à l'accouchement. C'est en gros pas mal inspiré de Planes, Trains and Automobiles (Un ticket pour deux, ndlr) de John Hughes (avec Steve Martin et John Candy) qui était une chouette comédie sachant que les deux personnages étaient des mecs attendrissants, gaffeurs mais sympas. Ce faux remake est évidemment l'occasion de booster l'original façon Holly"mate-mes-rouston"Wood avec cascades en tous genres, coups de feu, drogues, etc. C'est très très con et là où la morale du film de Hughes était un truc du genre "il fait des conneries mais c'est parce qu'il va vraiment mal, accepte-le dans ta famille toi qui es heureux", là on voit surtout un gros relent de pitié dans le personnage de Downey JR lorsqu'il accepte de revoir Galifientes à la fin, sur le thème "il est laid, con et je le hais, mais il m'a sauvé in extremis de la situation pourrave dans laquelle il m'avait foutu, il a pas un mauvais fond même si c'est un gros enculé et que je vaux mille fois mieux que lui". Les scènes où Downey tabasse son "ami", le traite de connard ou crache à la gueule de son chien sont particulièrement éloquentes.




C'est, in fine, l'histoire de deux merdes humaines, l'une qui fait pitié, l'autre capable d'en éprouver un peu malgré son pédant complexe de supériorité, l'histoire de deux gros amerloques de mes deux. Mes deux quoi ? Mes deux centimes. J'ai maté le film sans broncher, ça se mate.


Date limite de Todd Philips avec Robert Downey Jr. et Zach Galifianakis (2010)

La vie domestique

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A ceux qui, comme moi, s’étaient plaints de la noirceur étouffante de son précédent film, D’Amour et d’eau fraîche, Isabelle Czajka répond avec du râble et y met les bouchées doubles. On l'imagine nous resservant des plâtrées de bourdon et de cafard en chantonnant "C'est moi qui l'ai fait !" comme Valérie Lemercier présentant son plat à base d'étron. Et on aimerait lui répondre, avec l'accent chinois coupé à la hallebarde du doubleur de Demi-Lune dans Indiana Jones et le temple maudit : "C'est pas des gâteaux ça...". Après nous avoir miné avec la vie médiocre et angoissante au possible d’une Anaïs Demoustier en devenir dans son précédent film, elle nous peint ici, comme le titre l’indique assez bien, la vie domestique de quatre femmes au foyer en banlieue parisienne. Elles sont épouses, elles sont mères, elles habitent de beaux pavillons construits sur mesure, et elles se mortifient à cent sous de l’heure. Leur quotidien est une suite infaillible de tracas plus ou moins insignifiants qui, mis bout à bout et répétés à l'envi pour une durée indéterminée, leur empoisonnent l'existence. Et Isabelle Czajka est bien décidée à nous plonger jusqu’au cou dans ce quotidien morbide, sans offrir la moindre issue de secours ni à ses personnages ni à nous. On sait que ce qu’elle nous raconte existe, que c’est même le lot d’un très grand nombre de femmes, et nul doute que le film parlera directement à énormément de gens susceptibles de s'y reconnaître (parmi la trentaine de personnes qui le verront), mais encore faut-il apprécier, pour endurer le film sans faillir, qu'on se complaise dans la noirceur absolue sans laisser aucune place au reste.




La vie domestique se concentre sur une soirée et sur la journée entière du lendemain. Le personnage principal est campé par Emmanuelle Devos. Tout commence, ou recommence en réalité, quand elle et son mari sont invités à un dîner chez un immense connard d’entrepreneur en informatique, raciste et misogyne, que l’époux de Devos (Laurent Poitrenaux), proviseur dans un lycée difficile, courtise plus ou moins dans l’espoir qu’il lui refile de vieux ordinateurs pour son bahut, au point de tenir lui-même des propos douteux sur les femmes (et on sent qu'il ne faut pas grand chose pour qu'il se lâche). Le lendemain, Devos va s’occuper de tout, des enfants, du ménage, de la cuisine, pour préparer la venue, le soir même, de deux couples voisins, le tout en se démenant pour obtenir un entretien d’embauche malgré l’absence totale de soutien de son époux. Au final, elle ratera l’entretien et l’embauche, et n’aura gagné qu’un repas horrible, passé principalement à servir et débarrasser les plats, tandis que ces messieurs déblatèrent sur l’importance capitale et remarquable de leurs missions professionnelles, quand ils ne l’humilient pas au passage (son mari compris) par de petites phrases détestables.




A côté de ça, on a donc droit au portrait de trois autres femmes, à commencer par celles qui seront invitées le soir chez Devos. L’une, interprétée par Julie Ferrier, est une maniaque de première qui tient son intérieur comme une maison témoin, ou un modèle d'exposition Ikéa, faute d'occupation réelle, tout en se chargeant, évidemment, des gamins et du reste. Sa grand-mère est morte le matin même mais elle se surprend à plutôt chialer parce que le fils d’une amie a flingué son canapé de luxe. Ou plus vraisemblablement parce qu'elle vient de menacer de mort le bambin en découvrant l'attentat, dans un moment de bravoure ahurissant qui n'est pas sans rappeler le François Cluzet à cran des Petits mouchoirs. L’autre, jouée par Natacha Régnier, enceinte jusqu’au cou de son troisième chiard, est délaissée par un mari toujours en déplacement et erre dans le bordel permanent de sa baraque. Sans oublier Helena Noguerra dans le rôle de la quatrième mère au foyer totalement esseulée et dépassée par les événements, événements qui ont principalement la forme d'un fils intenable qui ressemble comme deux gouttes d'eau au diable de Tasmanie. Quand elles ne se retrouvent pas dans les boutiques ou à l'entrée de l'école pour se plaindre de leur quarantaine bien tassée, de leurs corps à l’abandon, de leurs maris sinistres ou de la tristesse de leur condition, c’est leurs propres mères, divorcées bien sûr, qui leur rendent visite pour leur remonter le moral, en leur expliquant que leurs pères étaient de vrais enculés, qu’elles ont gâché leur vie pour eux, qu’elles regrettent tout de leur existence, sans garder le moindre souvenir heureux, et que la vie est de toute façon une gigantesque chienne, avec des phrases du genre : « Toute ma vie je me suis faite chier à préparer l’étape d’après, puis en fait j’ai compris qu’il n’y avait pas d’autre étape, nardin... »




Le tout, car ce n’est pas fini, sur fond d’enquête poisseuse, car la radio ne cesse d’alerter les citoyens quant à l’enlèvement d’une enfant de deux ans et demi. On apprendra finalement, je vous le révèle mais on s’en doute immédiatement, que l’enfant disparue n’a pas vraiment été enlevée mais a été étouffée par sa mère de 19 ans puis jetée dans le fond de la petite rivière enjambée quotidiennement par nos mères au foyer désespérées. Pire, la mère infanticide était une élève du personnage de Devos, qui donne une paire de séances d’initiation à la littérature à des jeunes filles des quartiers difficiles, dans un établissement où elle est régulièrement mise plus bas que terre par son supérieur. C’est cette jeune femme, que Devos et son mari ont failli écraser en rentrant de leur repas atroce la vieille au soir, c’est elle aussi que Devos a croisée dans le parc, le matin suivant, à 9h du matin, torchée, une bière à la main, et qu’elle n’a pas su aider.




Le film se termine comme il a commencé, sur Devos, seule, dans sa cuisine, le soir, fumant une dernière cigarette après avoir refusé de bouger quand son connard de mari, qui l'a traitée d'emmerdeuse insatisfaite un certain nombre de fois durant toute la soirée, lui a lâché un répugnant « Viens ici ! », auquel ne manquait que le "Mirzah" final, assez nettement sous-entendu (la femme ramenée au rang de clébard est un thème majeur du film : Julie Ferrier raconte aussi à son mari, sur le ton du "J'me comprends", qu’un voisin a une chienne qui s’appelle Betty, comme elle). Le film déploie sans relâche l’éventail de l'humiliation sexiste et de son corolaire, la dépression féminine (à chaque scène, une cause et son symptôme), et le catalogue va de l'envie de meurtre (tuer les enfants au bénéfice des canapés, mais pourquoi pas les maris, quand Ferrier, voyant sa voisine en train de creuser un trou dans le jardin pour enterrer le lapin de sa fille, demande dans un demi-sourire si elle a enfin tué son enfoiré d'époux), qui parcourt tout le film en filigrane, à de simples saillies d’horreur, comme cette mère, sur le parking de l’école, qui, sans raison connue, fait marche arrière à toute allure, manquant d’écraser quelques gosses, puis se tire en faisant un doigt d’honneur aux autres mamans présentes. Isabelle Czajka, dans un de ces films naturalistes qui se sentent investis d'une mission impérieuse et écrasante, a voulu révéler l’enfer que vivent effectivement bon nombre de femmes au foyer, et c’est ce qu’elle a fait, sans se demander si un moment de joie, une simple ouverture, une seconde d'humour un quelconque espoir avaient leur place dans un film d’une heure et demi en apnée, dépourvu de toute échappée, qui se contente de plomber son spectateur au maximum et de lui enfouir la tête sous un coussin de vérités-qui-font-mal-à-dire jusqu’à ce que mort s’ensuive. Que la réalisatrice ressente le besoin de déployer la panoplie des menues horreurs que peuvent subir toutes les femmes au quotidien, cela peut se comprendre, et un certain nombre d'hommes auraient besoin qu'on leur ouvre les yeux sur la domination et le mépris qu'ils imposent à leurs compagnes, mais que le film se limite absolument à un état des lieux en tout point déprimant pose un réel problème, d'autant que l'absence totale de contrepoint dessert cruellement le propos d'Isabelle Czajka en faisant de la situation dépeinte par La vie domestique une impasse inévitable et immuable. Je doute du reste qu'un film sur la dépression masculine dépeignant toutes les femmes sans exception comme de fieffées salopes trouve chez Isabelle Czajka une fervente admiratrice, et on la comprendrait.




Quand on voit ce film, on ne peut s'empêcher de penser à son exact contraire, le récent Bird People de Pascale Ferran, qui parle de l'humain avant de parler des hommes ou des femmes, qui fait l'effort d'élargir ses vues à chaque instant au lieu de s'enferrer dans le lit trop confortable d'une démonstration exhaustive et naine, qui ne se sert pas seulement du cinéma mais le sert aussi, et qui a le mérite de chercher des solutions là où La vie domestique ne voit que des problèmes. Jean-Luc Godard, dont les rapports aux femmes, sur le strict plan cinématographique (le reste ne nous intéressant pas ici), seraient par ailleurs à questionner, a dit cette chose fort juste, dans un séminaire donné en 1978 au Conservatoire d'Art Cinématographique de Montréal et intitulé Introduction à une véritable histoire du cinéma : « Ça sera aux femmes à faire des films sur les solutions des femmes, pas sur les problèmes des femmes car les problèmes des femmes… il n’y a que les hommes qui en causent. Les femmes, elles, n’ont aucun problème ; il n’y a que les hommes qui leur font des problèmes. Alors il serait temps bien sûr que les femmes fassent des films, ou d’autres choses… sur les solutions qu’elles vont apporter ou qu’elles voudraient apporter sur les problèmes que leur causent les hommes. » Vu qu'Isabelle Czajka semble rejoindre Godard sur l'origine unique des problème des femmes, on attendait d'elle qu'elle nous propose des solutions à ces problèmes au lieu de nous en soumettre un laborieux exposé et de s'arrêter là.


La Vie domestique d'Isabelle Czajka avec Emmanuelle Devos, Julie Ferrier, Natacha Régnier, Helena Noguerra et Laurent Poitrenaux (2013)

Pas son genre

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Qu'il est rare de voir une comédie romantique aussi intelligente et bien écrite, habité par des personnages aussi vivants et bien dessinés, incarnés par deux acteurs si attachants et idéalement choisis ! Émilie Dequenne est parfaite dans le rôle de cette radieuse coiffeuse arrageoise qui tombe amoureuse d'un professeur de philosophie venu de Paris, incarné par un impeccable Loïc Corbery, acteur dont la tronche m'a immédiatement été sympathique. Deux univers se télescopent, deux personnages diamétralement différents se découvrent et apprennent à s'aimer dans un film qui pourrait aligner les clichés et reproduire un schéma que l'on a bien trop subi, mais qui parvient  miraculeusement à éviter tous ces pièges, grâce à ce regard d'une précieuse sensibilité porté sur les deux personnages et une intelligence d'écriture remarquable qui se joue des lourdeurs et des passages obligés. Avec son talent habituel, Lucas Belvaux nous raconte une histoire d'amour à laquelle nous n'avons aucun mal à croire, il fait preuve d'une délicatesse de chaque instant ; sa mise en scène est simple et discrète, au plus près de ses acteurs, de ses personnages, qu'il filme toujours avec beaucoup de sincérité.




Si l'on a pu reprocher au film des dialogues trop écrits, peu naturels, je leur ai au contraire trouvé une grande limpidité. Quelques échanges entre Emilie Dequenne et Loïc Corbery sont même vraiment délectables, notamment ceux qui exposent la différence de leurs goûts et de leurs sensibilités. Même quand il nous montre son professeur exercer son métier en salle de classe, Lucas Belvaux atteste d'une grande habileté. Certes, les phrases qu'énoncent alors Loïc Corbery sont assez stéréotypées, typiquement celles que l'on ferait dire à l'enseignant passionné et désireux de faire aimer la philosophie à ses élèves, mais il y a une scène où le cinéaste parvient à saisir, tout simplement, quelque chose de très juste : quand il fait dire à l'un des jeunes "Le temps, c'est de l'argent", lors d'un dialogue avec le professeur où celui-ci espérait une réponse plus... philosophique, dirons-nous. C'est tout à fait le genre de réflexions que l'on peut entendre chez les lycéens d'aujourd'hui, et Lucas Belvaux nous montre cela sans jugement, le plus simplement possible. Cette finesse se retrouve également dans le regard porté sur la province : à la différence de bien des cinéastes français actuels, Lucas Belvaux ne la critique nullement et ne l'oppose pas ridiculement à Paris. Le réalisateur natif de Namur nous propose un joli portrait de la ville d'Arras, en subtile contradiction avec les dialogues parfois durs mais souvent drôles qu'il place dans la bouche de certains personnages.




Alors certes, il y a peut-être deux ou trois longueurs (on sent que Lucas Belvaux aime tellement ses personnages et ses acteurs qu'il pourrait les filmer sans compter), et j'aurais aimé une fin différente (mais c'est bien la preuve que le film fonctionne !). Ces petites réserves ne pèsent toutefois pas bien lourd face à la si agréable impression laissée par ce film. J'ignore d'ailleurs s'il a su rencontrer son public, mais dans mon monde idéal, Pas son genre serait un beau succès. En suivant avec tant de plaisir cette histoire d'amour si touchante, on pense immanquablement à tous ces ersatz franchouillards de comédies romantiques hollywoodiennes, ces tristement fameux rom-coms, qui pullulent sur nos écrans et nous exaspèrent si fort. Donnez plutôt une chance au film de Lucas Belvaux, qui vaut infiniment mieux que ça.


Pas son genre de Lucas Belvaux avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery, Sandra Nkake et Anne Coesens (2014)

Nos Pires Voisins

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Cet article sera une charge contre Seth Rogen. Comment imaginer qu'on puisse mettre en couple Seth Rogen et Rose Byrne ? Le pire de l'homme et le meilleur de la femme, bien qu'ils aient un point commun : ils sont piètre acteurs tous les deux. Dans la vie réelle, il faudrait une série incalculable de malentendus et de quiproquos pour qu'un mec comme Seth Rogen et une meuf comme Rose Byrne parviennent à un coït avec assentiment mutuel. De là à faire un bébé... C'est de la science-fiction. Ce film peut être classé dans la catégorie Folio SF, entre le Cycle de Fondation et celui des Princes D'Ambre. Seth Rogen n'est pas tout à fait humain. On dirait le résultat d'une expérience scientifique ratée au cours de laquelle on aurait voulu croiser un cochon, un ours et les restes de Toumaï, le plus vieil être humain découvert qui s'avère, d'après les dernières analyses, avoir de nombreux chromosomes en trop. Cela fait quelques années que Seth Rogen hante le cinéma entre guillemets "comique" américain et certaines personnes n'ayant pas froid aux yeux lui ont même permis de réaliser un film. Dans cas-là, la seule question est "Pourquoi ?".




Les rares films que j'ai supporté de voir jusqu'au bout avec le nom de Seth Rogen au générique m'ont permis de l'admirer sous toutes les coutures. Ses poils de culs filasses restent gravés sur ma rétine. Le pire chez cet homme est peut-être son dos. Normalement, un dos est quelque chose de plutôt simple et esthétique... Il faut noter aussi que Seth Rogen a tendance à vomir dans chacun de ses films. Il a essayé de se rendre beau : il lui a été conseillé de perdre du poids. Mais ce régime a rendu sa mâchoire et son nez encore plus proéminents, faisant rapprocher sa gueule de celle d'un animal sauvage. Si on mettait des lunettes à un babouin, il aurait plus de classe que Seth Rogen. A chaque fois que je vois cet acteur, je retrouve la même sensation éprouvée lors de ma rencontre avec un véritable freak, à l'université, qui avait décidé de me montrer des photos dites sensationnelles sur son ordi : étalage de tumeurs diverses et variées ainsi que des actes sexuelles entre humains et animaux. Quand je vois Seth Rogen, j'ai ce même dégoût. Mais au moins, cet ancien camarade de classe a pris du plaisir à rechercher ces photos, ces vidéos et à les collectionner. Alors que les parents de Seth Rogen ont d'abord pensé à une blague faite par les sages-femmes, sachant qu'il est né un 1er avril, ça se tenait. Seth Rogen est à l'être humain ce que le Freeway Cola est au Coca-Cola. C'est à dire que c'en est pas un sauf que l'emballage y correspond grossièrement.




Nos pires voisins est la comédie de l'été aux États-Unis. 18 millions de dollars de budget, 150 millions de recette au box office. Le jackpot. Après avoir vu le premier quart d'heure et éteint ma télé en lançant rageusement ma télécommande sur l'écran, je me suis demandé comment c'était possible qu'autant de gens aient pu aller voir une telle merde. Vu que Seth Rogen n'en est pas à son premier méfait (les gens sont prévenus), on peut penser que la variable Zac Efron explique l'intérêt qu'a suscité ce film outre-Atlantique. N'en ayant pas vu assez pour vous parler de Zac Efron, je m'arrêterai là à son sujet. Le garçon a la tête d'un enfant prépubère mais les épaules d'Hercule, il paraît que ça plait aux filles. Tant mieux. Avec ce film, on pose à peine le cul sur son fauteuil qu'on est embarqués dans la spirale de la débauche et de la décadence telle que les jeunes américains la kiffent (Projet X, le phénomène Spring Break, MTV, Nicky Minaj, mélange de cannabis et d'alcool, schizophrénie, piscine avec maillot de bain facultatif, trous noirs, gros gobelets rouges d'un litre rempli de substances nocives pour la mémoire, maison dévastée, démissions parentales...).




Seth Rogen et Rose Byrne finissent par se lier d'amitié avec leur voisin, qui n'est pas l'ado décérébré que l'on imaginait au départ. Tout le quartier accepte enfin cette bande de jeunes fêtards qui met un peu d'ambiance dans une zone urbaine frappée de plein fouet par la crise des subprimes. Zac Efron propose à tous ses voisins de leur tondre la pelouse gratuitement et de leur faire les menus travaux de manutention dont ils ont besoin comme remplacer une tuile sur le toit, nettoyer les gouttières, sortir les chiens, regonfler les chats des enfants, retrouver les vélos perdus, scier la branche morte du pommier... Il devient l'homme à tout faire du quartier et probablement l'être le plus aimé de la ville. Pendant ce temps, Seth Rogen et Rose Byrne voient leur petite fille Stella grandir et devenir une catin. Rose Byrne ouvre enfin les yeux et se rend compte qu'il existe probablement 3 milliards d'hommes plus beaux et plus intelligents que Seth Rogen sur cette planète. Son choix est donc rapidement fait : elle emménage chez un voisin doté d'un long sexe lisse. Seth Rogen (quel nom de merde !), malheureux, prend sa bagnole et décide de traverser l'Amérique d'Est en Ouest, puis d'Ouest en Est. Il fait appel au meilleur chirurgien du Brésil pour le faire changer de genre, mais celui-ci refuse car il lui dit qu'il n'y a aucun espoir. Rogen part donc s'exiler dans les Rocheuses et trouve une grotte dans laquelle habiter. Parfois, les gens entendent des hurlements au loin. Il est surnommé "le Bigfoot". 

La seule fois où j'ai bien aimé Seth Rogen, c'est quand John C. Reilly va péter dans son bureau. 


Nos Pires voisins de Nicholas Stoller avec Seth Rogen, Rose Byrne et Zac Efron (2014)

Les Mangeurs de cerveaux

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Série-B de science-fiction de la fin des années 50, produite par Roger Corman, Les mangeurs de cerveau (The Brain Eaters) trempe complaisamment dans le grand bain des films de genre paranoïaques de la période, avec son histoire de vaisseau extra-terrestre sorti de terre (comme dans La Guerre des mondes), contenant de petites bestioles informes, rampantes, qui s’agrippent à la nuque des humains pour contrôler leur cerveau en toute discrétion. Les petits trous que laissent les aliens dans la nuque de leurs victimes ne sont pas sans rappeler Les Maîtres du monde, film de science-fiction sympathique de 1995 signé Stuart Orme, avec Donald Sutherland et l'éternel Keith David de They Live (découvert lors de la fameuse Nuit extra-terrestre présentée par Monsieur Manatane, alias Benoît Poelvoorde, sur Canal+, en l'an de grâce 1997). Mais c’est bien la seule trace que laissent ces bestioles, qui semblent sorties de nulle part et ne font rien, sinon empêcher mollement les secours d’envahir leur zone d’invasion. A la question, jadis posée par Monsieur Manatane en préambule à son documentaire : "Les extra-terrestres sont-ils aussi cons qu'on le dit ?", ce film répond "Oui".


Toujours bien faire gaffe à la petite molette de réglage sur les briquets... C'est pas fait pour les ienchs.

Côté terriens, nous ne suivons que deux ou trois agents gouvernementaux (Leonard Nimoy, aka Spock dans Star Trek, joue paraît-il dans ce film). Ils ne sont d'aucun intérêt mais s'avèrent beaucoup plus alertes que leurs ennemis, pigeant très vite tout ce qui se passe et luttant contre l’envahisseur venu d'ailleurs. Pas de véritable paranoïa donc, pas de personnage central retourné, comme dans L’invasion des profanateurs de sépulture, pas de vrai danger. Rien en fait. Le film ne raconte pas grand chose, alors qu’il était permis, avec une histoire pareille, de créer quelques situations sympathiques. Une des rares idées du scénario : filmer les deux ou trois victimes des extra-terrestres luttant contre leur propre cerveau pour en reprendre le contrôle, fixant du regard leurs propres mains récalcitrantes, mais on est loin de l'auto-baston de Jim Carrey dans les chiottes de Menteur Menteur. Une chose surprend cependant : à la fin du film, l’affaire n’est pas du tout réglée, et les personnages se remettent en route pour aller arrêter une invasion qui ne fait que commencer. L'ennui c’est que ça ressemble moins à une idée de non-fin concertée par des scénaristes malicieux qu’à un simple manque de temps et d’argent pour boucler le film, qui s'arrête faute de pouvoir continuer. Pour finir sur un mot gentil : l’affiche, qui nous vend un film bien meilleur que ce Brain Eaters, a de l'allure !


Les Mangeurs de cerveaux de Bruno VeSota avec Leonard Nimoy, Ed Nelson, Alan Jay Factoret Cornelius Keefe (1958)

Byzantium

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Neil Jordan, très vraisemblablement rempli de bonnes intentions, a voulu réaliser un film de vampires pour adultes, loin des stupidités comme Twilight, en y mettant une application et un sérieux évidents. Le cinéaste irlandais espérait sans doute renouveler le succès qu'il a connu, il y a maintenant 20 ans (ça ne nous rajeunit pas !), avec Entretien avec un vampire. Il imaginait peut-être nous présenter son nouveau bébé à point nommé, alors que la mode des films de vampires commence à s'essouffler et ne demande qu'à rebondir. Hélas, du sérieux, de très louables intentions et un opportunisme de rigueur, ça ne suffit pas toujours... Et si Byzantium a bien su conquérir quelques fans et ardents défenseurs ici ou là, il n'a même pas connu les honneurs d'une sortie en salles. C'est donc directement en vidéo que Byzantium vient de paraître, ce qui est tout de même une destinée assez injuste pour un tel film, surtout si l'on prend en considération la qualité moyenne des bobines fantastiques qui pullulent sur nos grands écrans aujourd'hui. Mais passons...




On suit ici les mésaventures de deux goules, Clara (Gemma Arterton) et Eleanor (Saoirse Ronan), mère et fille, qui fuient leur appartement londonien, leur réelle identité ayant été révélée, pour atterrir dans une station balnéaire décrépite du sud-est de l'Angleterre. Là-bas, la très séduisante Clara jette son dévolu sur une âme solitaire : le propriétaire du jadis prestigieux Hôtel Byzantium, que la vampire transforme rapidement en un bordel de fortune. Pendant ce temps, Eleanor fait la rencontre d'un jeune homme atteint de leucémie, celui-ci n'est pas insensible à son charme et cherche à percer son mystère. C'est en même temps que ce personnage que nous découvrons progressivement le trouble passé d'Eleanor et Clara, un passé qui remonte jusqu'aux guerres napoléoniennes, rien que ça. On apprend ainsi que les deux femmes sont depuis toujours prises en chasse par une confrérie de vampires à cheval sur certains principes et d'une grande étroitesse d'esprit faisant impitoyablement respecter un code dont la première règle est catégorique : aucune femme ne peut être acceptée dans leur rang !




Avec son scénario plutôt original et ambitieux dotée d'une vision du mythe empreinte d'un féminisme rafraîchissant, Byzantium détient un réel capital sympathie qui fait qu'on a drôlement envie d'y croire et de l'apprécier. Ce "capital sympathie" réside aussi dans ses deux actrices principales, Saoirse Ronan et Gemma Arterton, particulièrement bien choisies. La première, découverte toute jeune dans Atonement, fait tout ce qu'elle peut et propose une incarnation plutôt convaincante d'une vampire paumée, éternelle adolescente en désaccord avec sa mère ; on aurait aimé que cela suffise à donner de l'épaisseur à son personnage. Quant à la seconde, elle est une vampire irrésistible, il faut bien le reconnaître. L'actrice britannique dégage naturellement un puissant sex appeal qui ne me laisse pas indifférent (et apparemment, je ne suis pas le seul...), cela convient tout à fait aux dons de séduction chers aux fameuses créatures de la nuit.




Pour être plus précis, sachez que le don de séduction de Gemma Arterton repose principalement entre son nombril et son menton. En bref, l'actrice est dotée d'une ravissante poitrine. Et comme cette partie de son anatomie représente l'un des principaux intérêts du film, j'y consacrerai logiquement un paragraphe entier ! Ses seins ne sont pas spécialement gros mais paraissent étonnamment bien portants. Ils accompagnent, épousent le moindre de ses gestes, dans la joie et l’allégresse. Ils ont simplement l'air heureux d'exister et expriment de bon gré une joie de vivre contagieuse. On salue Neil Jordan pour avoir tout naturellement su saisir de beaux moments d'émotion. Ces seins ont ce pouvoir hypnotique... Ils magnétisent véritablement le regard et nous rappellent que nous sommes bien peu de choses. Évidemment, le reste ne gâche pas, ce qui fait de Gemma Arterton une vampire assez troublante, qui aurait, elle aussi, mérité un meilleur film.




Car malheureusement, Neil Jordan ne fait pas grand chose de ses actrices ni de son scénario, son film a tôt fait de tourner à vide. Il manque cruellement d'ampleur, d'envergure et, c'est un comble, de souffle ! Malgré cette histoire qui s'étend sur des siècles, via des allers et retours très peu fluides entre le passé et le présent, nous n'avons jamais l'impression de regarder ce qui pourrait être une fresque imposante mais plutôt quelque chose d'assez anecdotique et insignifiant. On a bien du mal à se passionner pour la destinée de ces deux créatures damnées ; leurs personnages, trop superficiels, ne nous laissent guère penser qu'elles ont des siècles d'existence. En fin de compte, Neil Jordan revisite très timidement le mythe du vampire, il y ajoute quelques nouveautés tout à fait bienvenues mais beaucoup trop rares pour que son film suscite une plus vive curiosité. Rien ne vient bousculer nos repères ni remettre en question ce qui a déjà été fait. La plus judicieuse de ces nouveautés vaut tout de même le détour car elle nous offre deux scènes visuellement assez mémorables (à vrai dire, les seules dont on se souvienne après coup) : cette idée veut que la transformation en vampire se fasse dans la grotte d'une île mystérieuse dont la localisation est tenue secrète par la confrérie ; une île parcourue par des rivières et des cascades impressionnantes dont les eaux deviennent des torrents de sang après la métamorphose. Ces images de cascades sanguines sont assez réussies et dégagent même une certaine poésie. Dommage que le film de Neil Jordan ne propose que si rarement de tels éclats...


Byzantium de Neil Jordan avec Saoirse Ronan, Gemma Arterton et Sam Riley (2014)

Les Prédateurs

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Place aujourd'hui au texte de notre ami et précieux collaborateur belge, Thomazinette, que l'on imagine et que l'on espère paumé quelque part dans le monde avec ses belles idées et ses belles odeurs (pour reprendre ses termes), à propos d'un téléfilm réalisé par son compatriote Lucas Belvaux en 2007.

On est en 2007, Belvaux prend ses aises à la tévé et déploie sur quatre heures une synthèse assez édifiante de la tentaculaire affaire Elf. Il se fait plaisir et s'offre un diptyque racontant d'une part les méfaits, d'autre part la tentative d'en faire rendre (des) compte(s). Cette construction où les deux parties s'éclairent l'une l'autre, permet de comparer les confessions aux actions, l'ombre de truands mandatés par l'État, qui s'engouffrent joyeusement dans l'orgie, à la glauque lumière d'un bureau de juge d'instruction contre laquelle ils se débattent. Plutôt que de se concentrer sur les conséquences de cette vile affaire (nettement évoquées par des extraits d'archives de journal télévisé d'époque, glissés dans les interstices de la narration), Lucas Bali-Balo va préférer se pencher sur la scission intérieure aux gredins, entre leurs agissements secrets, fantasmatiques, qu'ils croient ne concerner qu'eux, et la nécessité de renforcer une façade inoffensive lorsque la réalité de leurs actes les rattrape. Sa caméra les accompagne dans ces deux environnements, où on les voit se mouvoir avec grande ou petite aise, sans jamais vraiment comprendre ce qui les pousse.


Alex Descas incarne Pascal Lissouba, le candidat sudiste à la présidentielle du Congo Brazzaville, ici tout droit revenu de Harare avec quelques tubes des Bhundu Boys dans sa besace, qu'il entonne à la foule en délire. Gros habitué des congolais, l'Alex, puisqu'il incarnait déjà Mobutu dans le Lumumba de Raoul Peck.

Les deux premières heures, "Les rois du pétrole", racontent ainsi la mise en place progressive des commissions occultes et emplois fictifs, et l'accoutumance au mensonge avec aplomb et à la posture du bulldozer pour les magouilleurs, qui finissent par déblayer leur chemin à coups de pognon ou de menaces de mort (le président La Floche-Pringent va même jusqu'à menacer sa propre femme de mort). On suit cette évolution peinard, regardant les protagonistes évoluer tout badins, de bureaux blancs en salons de thé gabonais, tout en gardant comme contrepoint un côté didactique : Belvaux ne joue pas aux devinettes, il retrace clairement l'histoire et montre bien comment les patrons deviennent insensiblement et sans état d'âme des crapules irresponsables, s'estimant au-dessus de toute loi. Pas d'empathie ni de haine à leur égard, rien qu'une grande précision qui s'attache à contrer l'énormité de l'histoire et la sidération qu'elle pourrait susciter. Une précision telle qu'aucun des taulards ayant vu le film dans leur cabane ne se sont plaints d'avoir été faussement dépeints. Faut dire qu'on leur a coupé la langue à ces menteurs. N'était cette distance intègre donc, qui fait la spécificité de Luc À-vau-l'eau, on penserait pour un peu aux descriptions organiques de grands systèmes corrompus qu'a pu fabriquer Sidney Lumet pendant les années 70, tant les sourds complots sont exposés de manière limpide et implacable.


Ici les Aliens...

La deuxième partie du film, "Le Procès de l’affaire Elf", tâche d'en montrer le détricotage par la justice, et est un brin moins convaincante (pour cause un défaut dans l'écriture du rôle d'Eva Joly (interprétée par Will Ferrell, qui s'est cru sur le tournage de Elf), parfois trop peu vraisemblable). Elle montre toutefois parfaitement qu'une fois encastrés dans leurs mafieuseries, les rois du pétrole sont comme des huîtres accrochées à un rocher, indécrottables. Il y a également une satisfaction excitante à voir le personnage de la juge intègre se heurter à ces anguilles avec ténacité, et une frustration à la voir tant peiner pour les faire répondre de leurs actes. La frustration est d'autant plus amère que la juge Joly se voit très vite partie prenante de cet énorme traquenard, dès lors que l'approvisionnement de la France en pétrole par le roi du Gabon, Omar King of the Bongo Bong, est suspendu à sa décision de relâcher ou non un de ses inculpés. Ici Belvaux exerce sa maîtrise du polar pour tirer parti de la menace de représailles qui pèse sur Joly, et instaurer une belle tension autour de ce film de procès, une autre genre dans lequel excellait Lumet.


...et là les Predators !

Ce sont donc quatre heures fascinantes grâce à la question de la responsabilité que pose Muscat Blaireau, ou comment en se mentant à soi-même et en mettant de côté tout ce qui permet d'avoir une rencontre avec des personnes (ils semblent n'avoir un rapport au monde qu'en termes d'obstacles/d'outils), une demi-douzaine de lascars jouent un jeu luxueux qui provoque des guerres civiles au Congo Brazzaville, et chialent leurs mères au moment d'assumer. Fascinant aussi comme la pérennité de ces pratiques s'étale sur quinze ans dans une totale ignorance et impunité. Ça éberlue d'autant plus que cette affaire n'en finit pas de n'en plus finir : la condamnation a beau avoir eu lieu en 2003, ces gars-là courent toujours, sont déjà de retour à l'air libre et n'ont pour la plupart pas payé un dolz de leurs écrasantes amendes.

Alors bon, c'est un gros sujet, et l'aspect formel du film n'est pas toujours d'une virtuosité à la hauteur, c'est parfois pépère, du moins pour Belvaux dont on est habitué à du très bon. Mais il ne démérite pas, et c'était en même temps une gageure de rendre cette histoire prenante sur la durée, ce pour quoi il s'en tire de façon excellente ! En outre, son regard acéré donne à la fois un tableau riche et détaillé d'une histoire qui est considérée par tous comme un sac-de-nœuds, et un recul opportun pour méditer sur ces interactions humaines monstres.


Les Prédateurs de Lucas Belvaux avec Claude Brasseur, Philippe Nahon, Aladin Reibel et Nicole Garcia (2007)

La Malédiction d'Arkham

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Tourné en 1963 par Roger Corman, La Malédiction d’Arkham est une double adaptation, de Lovecraft et de Poe. Avouez qu’il y a pire matériau. Le titre original du film, The Haunted Palace, est celui d’un poème d’Edgar Allan Poe, dont les ultimes vers s’affichent en surimpression sur le visage de l’excellent Vincent Price dans le dernier plan du film (une habitude pour Corman dans ses multiples adaptations du grand écrivain romantique de Baltimore). Mais c’est surtout dans L’Affaire Charles Dexter Ward, longue nouvelle (ou bref roman) de Howard Phillips Lovecraft, qu’il faut chercher le cœur du scénario de Corman (les distributeurs français ne s'y sont pas trompés, et Corman lui-même ne voulait pas du titre du poème de Poe pour celui de son film). Quel est-il ? En 1765, un dénommé Joseph Curwen, propriétaire et résident (en compagnie de quelques servants et d’une sorcière amie) d’un immense et lugubre manoir à proximité d’Arkham, Nouvelle-Angleterre, est accusé par ses voisins villageois d’enlever des femmes et de les faire disparaître pour quelque diabolique profit. Ni une ni deux, les notables d’Arkham sortent l'accusé Curwen de son château, l'attachent à un arbre et le brûlent vif, mais seulement après avoir entendu ses dernières paroles : Curwen les a maudits sur plusieurs générations. Un siècle et dix ans plus tard, Charles Dexter Ward, descendant de Curwen, se rend à Arkham avec sa compagne pour découvrir l’improbable château dont il a hérité. Les habitants de la ville voient aussitôt en lui le spectre de Curwen.




Et pour cause, puisque le même Vincent Price joue les deux rôles et que rien dans son apparence, ni postiche, ni maquillage, n’est voué à dissocier Ward de Curwen. Mieux, l’un devient l’autre au fil du récit, Charles Dexter Ward se laissant peu à peu envahir par son ancêtre à chaque fois qu’il défie du regard un portrait terrifiant du satanique aïeul trônant dans la salle principale du château. Ce château, sublime édifice que Curwen aurait fait bâtir avec des pierres venues d’Europe, et que Corman met en valeur dans des plans en contre-plongée très attendus quoique bien réalisés qui favorisent l’aplomb de l'architecture gothique du bâtiment, est le principal reliquat du poème d’Edgar Poe. Il compose, avec d’autres topoï du genre fantastique - du portrait maléfique de Curwen, nœud de toute une tradition littéraire allant de Théophile Gauthier (La Cafetière) à Poe bien sûr (Le Portrait ovale), en passant par Gogol (Le Portrait tout court) ou Wilde (celui de Dorian Gray), à la jeune vierge sacrifiée dans un rituel satanique, en passant par le thème du double (Ward devenant Curwen évoque Stevenson et son Docteur Jekyll et Mister Hyde autant que Poe, toujours, et sa nouvelle William Wilson) - le cadre idéal d'un film d'épouvante pur jus.




Mais ce problème de la filiation et du double ne concerne pas seulement Ward et le défunt Curwen, il s’applique à Arkham tout entier. Les villageois, qui voient d’un mauvais œil la venue de Charles Dexter Ward, sont interprétés par ces mêmes acteurs qui, dans l’introduction du film, campaient déjà leurs grands-pères, les notables maudits. Les mêmes comédiens, sans le moindre de ces artifices généralement voués en pareil cas à faire passer un seul acteur pour un homme et son descendant, habitent le même village, parlent de la même voix, ont la même allure, les mêmes expressions et le même caractère que leurs aïeux. S’agit-il d’une simple affaire de budget ? D’un manque de temps ? Corman a rarement bénéficié de ces luxes, travaillant d'ailleurs parfois dans une hâte et une misère toutes volontaires. Ou bien la chose a-t-elle semblé naturelle à tout le monde sur le plateau ? Le fait est qu’elle ne l’est pas pour le spectateur, qui s’étonnera de cet effet de miroir entre les habitants d’Arkham de 1765 et leurs descendants de 1875. Cette aporie n’est cependant pas sans charme, et son ridicule pourrait même finir par sembler une belle idée. Après tout Curwen a juré aux villageois de les punir, tôt ou tard, pour leur crime. Or, retardé dans son entreprise (ses hommes de main, qui quant à eux semblent être réellement demeurés les mêmes, autrement dit avoir survécu pendant tout ce temps, comme en atteste l’aspect cartonné de leur peau, expliquent à leur maître que sa première progéniture n’avait pas la force de caractère requise pour accueillir son esprit démoniaque, contrairement au malheureux élu Charles Dexter Ward), Curwen ne pouvait que s’en prendre aux petits-fils de ses bourreaux, à condition qu’ils soient hantés par leurs ancêtres comme lui-même hante désormais Ward, afin que la punition touche bien, d'une façon ou d'une autre, les coupables.




Ainsi la malédiction de Curwen ne touche-t-elle pas que ces enfants tarés et difformes (notamment dépourvus d’yeux) que l’on croise dans le village, ou ce monstre retenu dans le grenier du villageois le plus entreprenant, elle aura aussi fait de tous les habitants d’Arkham les copies conformes, les doubles scrupuleux de leurs ascendants, condamnés pour les fautes de leurs pères. C’est en somme comme si Maupassant et Zola, camarades du siècle d’or de la nouvelle fantastique et de la nouvelle naturaliste, se trouvaient réunis dans une seule et même fable, les soucis de l’un (fantômes, maisons hantées, malédiction et folie) se mêlant à ceux de l’autre (hérédité, transmission des tares, influence du milieu et pérennité du vice). C’est du reste un point commun de premier plan (mais nous y reviendrons un de ces jours) entre La Malédiction d’Arkham et La Chute de la maison Usher, autre nouvelle de Poe adaptée par Corman trois ans plus tôt, avec, évidemment, l’inénarrable Vincent Price dans le rôle principal.





Ce mélange des genres augmente sensiblement l’intérêt du film, qui se voit grandit par un autre mélange des genres, cinématographiques ceux-là, puisqu’en passant de 1765 à 1875, le film passe de l’Amérique coloniale à celle de l'après-guerre de sécession (et Corman est sensible à la question, qui tournera en 67 La Poursuite des tuniques bleues), soit, si l’on veut, du film gothique (on en retrouve tous les codes : le cimetière initial, le château hanté de Curwen, où, ayant pris possession du corps de Ward, il exhume le cadavre de sa sorcière du siècle passé, l’ensemble illuminé par des séries d’éclairs qui déchirent le ciel dans toute une série de plans de coupe sans pluie) au western (les villageois de 1875, parmi lesquels Bruno VeSota, réalisateur pour Corman des Mangeurs de cerveaux, se trouvent à plusieurs reprises réunis dans l’ancienne taverne devenue saloon, et y portent plus ou moins l’attirail habituel du cow-boy : chapeaux à larges bords ronds, chemises et bottes ont remplacé les tricornes, colerettes et redingotes du siècle et de la bobine précédents). A vrai dire, les attributs du western se limitent à ces costumes (peut-être plus associés à un genre qu’aucun autre), mais n’oublions pas la propension des productions Corman à tutoyer le ridicule, et félicitons-nous que le cinéaste se soit préservé en privilégiant la veine fantastique de ses sources pour se limiter sagement à de vagues appels du pied au western dans un récit où le gothique européen (matérialisé dans ce château transbahuté en Nouvelle-Angleterre) envahit le Nouveau Continent. Au fond, les habitants d’Arkham sont des cow-boys égarés, ou disons retenus malgré eux, dans un film d’horreur (treize ans plus tard Marlon Brando incarnera un psychopathe égaré au milieu d’un western, dans le Missouri Breaks d’Arthur Penn, aux côtés d’un Jack Nicholson une fois n’est pas coutume à peu près sain d’esprit).





Roger Corman reste bien un homme du fantastique et de l’horreur, même s’il a touché à tout, et La Malédiction d’Arkham ne quitte jamais son registre initial. Le film fait certainement partie des réalisations les plus soignées de son auteur et, outre un mixage ponctuellement incertain, quelques travellings aériens tremblotants et autres recadrages maladroits, conserve une vraie élégance. La direction artistique, puisqu’il faut l’appeler ainsi, est remarquable. Tout, des décors inquiétants aux costumes en passant par l’éclairage expressionniste et les nuages de vapeur au ras du sol, nous plonge dans l’univers gothique de Poe avec un raffinement certain, que la musique composée par Ronald Stein ne fait qu’affermir. Seul défaut de l’entreprise, un certain nombre de longueurs. Corman prend son temps, étire quelques scènes pour atteindre les 85 minutes de bon aloi, et si certaines lenteurs restent appréciables (quand Ward et sa femme découvrent le château par exemple), d’autres pèsent sur le film et l’affaiblissent. La Malédiction d’Arkham n’est donc pas une réussite absolue, n’est d’ailleurs pas non plus le meilleur film de son auteur (on lui préfère Le Masque de la mort rouge), et l’on serait mal avisé d’y chercher de flamboyantes incarnations des créatures mythiques de Lovecraft. 





Si la mission que s’assigne Warden consiste à accoupler une jolie jeune femme avec l’un des « Grands Anciens » (dieux extraterrestres millénaires bannis au fond de l’univers et dans les profondeurs de la Terre), et si, à la fin du film, Corman n’hésite pas à nous donner un aperçu de l’un de ces monstres informes (Cthulhu ou Yog-Sothoth, les deux sont préalablement cités dans le film), ladite créature, aux dimensions supposées effrayantes, a moins de volume dans l’image que le Necronomicon (livre de magie et livre de culte des « Grands Anciens ») détenu par Curwen. Mais en ce qui me concerne, et j'imagine que les véritables fans de l’écrivain (parmi lesquels le co-responsable de ce blog) ne me contrediront pas, je me contenterai plus volontiers de cette étrange apparition biscornue, créature verte difforme et mal foutue, lente et floue, au râle idiot, ce "Grand Ancien" qui semble peu grand mais bien ancien, que de bien d’autres incarnations hypothétiques des démons lovecraftiens, notamment celles qu’un certain cinéma américain à gros bras pourrait un jour nous concocter.


La Malédiction d'Arkham de Roger Corman, avec Vincent Price, Debra Paget, Frank Maxwell, Lon Chaney Jr., Leo Gordon, Elisha Cook Jr. et Bruno VeSota (1963)

Charlie Countryman

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Charlie Countryman est le premier long métrage du dénommé Fredrik Bond et je sais à présent que je ne regarderai pas le suivant. Comment tenir devant ça ? En plus d'être d'une laideur visuelle peu commune, on jurerait que le scénario de ce film est le fruit pourri d'une partie de cadavre exquis endiablée et négligemment organisée par un animateur paresseux pour les patients les plus problématiques d'un asile de fous. Cela contribue d'abord au charme extrêmement fugace du film, car nous sommes surpris et intrigué par ce scénar aléatoire, mais on a tôt fait de perdre patience. Charlie Countryman est donc Shia LaBeouf. La première scène du film nous le montre au chevet de sa mère mourante. L'acteur prend son air de chien battu et se regarde jouer la tristesse. On a déjà du mal à ressentir pour lui un brin de compassion. Après ça, le fantôme de sa mère lui réapparaît dans le couloir de l'hôpital et lui conseille de partir en Roumanie. Shia demande "Pourquoi ?", réponse "Parce que." Ok.




Scène suivante, Shia est dans l'avion, direction Bucarest. Durant le vol, il sympathise avec son voisin roumain et affable, qui a simplement le temps de lui parler de sa fille avant de s'éteindre dans son sommeil, sans raison. Arrivé à Bucarest, l'image prend évidemment une teinte jaunâtre et Shia tombe sous le charme de ladite fille, incarnée par Evan Rachel Wood, dont l'accent roumain est à revoir. Bien qu'assez distante, celle-ci n'hésite pas à plonger sa tête dans le t-shirt de Shia dont le tissu est imprégné de l'odeur de son papa (difficile de croire que cette odeur n'est pas totalement étouffée par la transpiration de Shia, qui sue comme un bœuf et arbore un look de clodo répugnant, mais soit !). Shia décide alors d'escorter la jeune femme éplorée jusqu'à l'hôpital, en suivant l'ambulance qui transporte le corps du défunt, dans une vieille bagnole minable (représentative du parc automobile roumain, le film accumule les clichés). Ils assisteront, impuissants, à un carambolage terrible qui transformera l'ambulance en un tas de ferraille compressée et fera voltiger le cadavre à une centaine de mètres, lors d'un vol plané filmé au ralenti. Je n'ai pas survécu à cette scène. Plus tard, apparaît Mads Mikkelsen, dans le rôle de l'amant d'Evan Rachel Wood, avec lequel Shia devra composer. L'acteur américain fait peine à voir face à son homologue danois. Mais c'est surtout la présence du second dans une telle purge qui laisse songeur. Mads, si tu as besoin d'un agent pour te conseiller dans tes choix de carrière, je suis disponible !


Charlie Countryman de Fredrik Bond avec Shia LaBeouf, Evan Rachel Wood et Mads Mikkelsen (2014)

Noé

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On savait que ce serait une épreuve. On se doutait bien qu'Aronofsky tentait le diable et qu'il allait se néguer, renouant avec les prémices malheureux de sa carrière. Mais, avant de lui jeter toutes les caillasses de la Terre, rappelons que Darren a voulu réaliser son rêve de gosse en adaptant sur écran géant une histoire qui le hantait depuis toujours. Pour preuve, le poème que le cinéaste a écrit au collège, qui lui avait valu la note C- et qui a servi de base au script de ce blockbuster. Le poème a déjà été traduit sur le web mais comme toute œuvre d'art qui se respecte, il mérite la traduction de deux artistes au moins, aussi avons-nous décidé de nous y coller pour vous. Le poème de Darren donc, traduit par nos soins :

Le Savon

Le mal régnait dans le monde
Là où riait tout le monde
Laissant Russell Crowe sur son arche
Suivi dans sa marche par des animaux et Stéphane Guivarc'h 
Quand la pluie commença à tomber
Mieux valait laisser pisser
L'homme ne pouvait pas emporter la couronne du malaise avec lui
Mais il fut autorisé à emporter sa collection de magazines Lui
La pluie continua toute la nuit
Et aux hommes de pousser leurs cris
L'arc flottait
Jusqu'à ce que la colombe revienne avec dans sa gueule un bouquet
Le mal existait toujours
Quand les arc-en-ciel chatouillaient l'abat-jour
L'humble personnage et sa famille savaient ce que cela signifiait
Les animaux rampaient et volaient en paix avec leurs nouveaux-nés
La grenouille s'éveilla et le soleil brilla
Ca sentait la pisse par là
Et bientôt elle éclaboussait le cœur de l'homme.
Il savait que le mal reviendrait
Puisque le mal et la guerre ne pouvaient être éradiqués
Mais pas plus que les pets
Le mal est dur à achever et les pets sont durs à larguer
Mais l'arc-en-ciel et le savon Dove vivront toujours
Dans les cœurs, chaque jour.

Daren, 4ème SEGPA, 13/01/1982

Cette image n'est pas tirée de Noé mais d'une référence affirmée d'Aronofsky, nous avons nommé Michel Ocelot (à propos, savez-vous quel jour est né Michel Ocelot ? Un 31 août).

Au finish on peut dire qu'Aronofsky a vachement bien adapté son poème puisque le film laisse la même impression. On en ressort des images plein la tête, de ces images qui font tourner fou. Quittant le ciné, on se surprend à hurler, tel un Trent Reznor habité : "And All That Could Have Been. Could Have Been... Could Have Been !"


Noé de Darren Aronofsky avec Russell Crowe, Emma Watson, Jennifer Connelly, Douglas Booth et Anthony Hopkins (2014)

Dans la tourmente

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Ce film est signé Christophe Ruggia, sans doute le frère de Dominiquefa, autant vous dire que je l'ai pas vu !


Dans la tourmente de Christophe Ruggia avec Yvan Attal, Mathilde Seigner et Clovis Cornillac (2012)

Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?

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Qui se décidera à écrire une thèse sur tous ces succès populaires gigantesques pour tenter de nous les expliquer ? Rien qu'un petit mémoire, qui nous éclairerait sur les raisons pour lesquelles un tel film devient le plus gros carton au box office français en 2014 ? Un film si peu drôle, si prévisible, rempli de personnages tous plus haïssables les uns que les autres, bien décidé à faire son beurre sur les clichés sous couvert de les dénoncer et réconciliant in fine ses horribles personnages ouvertement racistes* mais pardonnés de l'être au prétexte que tout le monde l'est soi-disant un peu ? Et les mâles dominants belliqueux de trouver leur terrain d'entente dans la chasse, la pêche et la tradition (comprendre : la bouffe et le pinard). C'est en fait un simple remake croisé des deux derniers gigantesques succès franchouillards : Bienvenue chez les Ch'tis et Intouchables, à travers la réconciliation des blancs et des noirs (cependant ici tous exceptionnellement riches) dans l'alcool. Mélangez un grand succès populaire et un autre et nous ne vous ferons pas de dessin pour vous expliquer ce que ça donne. C'est des mathématiques. Mais, autre problème de mathématiques, on ne peut pas s'en prendre à 12 millions de gens. On a tous des collègues, des proches, des gens qu'on aime sans réserve, qui sont allés voir ce film au cinéma et qui l'ont "bien aimé". Loin de nous l'idée de les condamner (et puis comment s'y prendre concrètement ?).




Mais le fait est que ce film n'a rien à faire sur notre blog, ni sur aucun blog de critiques de cinéma. Tous les voyants sont au rouge, toutes les jauges sont au plus bas, rien n'indique que l'on est face à un sujet digne d'être traité autrement que comme une sous-merde filmique. On s'était jurés de ne pas dire le mot "merde" dans cet article... Il nous a pris en traitres à la fin de la phrase. Impossible de rentrer dans la critique neutre et polie avec ce genre de film, ou c'est le mal de crâne assuré, d'autant plus qu'on cumule à nous deux cinq heures de sommeil sur deux jours et trois nuits, alors qu'on a besoin de nos 8 heures par nuit pour être bien. Quand on se couche à 10h on se lève à 10h, quand on se couche à 11h, on se lève à 11h, etc. Le tour du cadran sinon rien. D'ailleurs on nous appelle comme ça, "Tour du cadran". C'est la seule chose qui nous définit. En semaine on doit se lever à 6h pour le taff. Faites le calcul. Couché à 18h. Ca fait une vie plutôt courte. Allez placer un film là-dedans vous... Faut avoir envie. Alors quand le film c'est celui-là, et que t'es au radar pendant deux semaines à cause de lui, la critique ne peut pas échapper à certains mots de secours.

* Pire, le meilleur (disons le moins triste) personnage du film n'est pas sur l'affiche. Il s'agit d'André Koffi, le père tyrannique de Charles, aka le gendre noir de Claveçin et Lobby. Interprété par le très en verve Pascal N'Zonzi, ce personnage est un jobard de première. Revoyez vos sempiternelles listes hebdomadaires des 30 Greatest Movie Villains of All Time, le Alex Delarge d'Orange Mécanique, le John Doe de Se7en, les Norman Bates de Psycho, Jack Torrance de Shining, Hannibal Lecter, Augustin Trapenard, Dark Vador et autres Joker du Dark Knight de Nolan se font coiffer de loin par André Koffi, pur vilain.


Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? Mais qu'est-ce tu fais ? Mais qu'eeeeeeeest-ce tu fais ? What da ? de Philippe de Chauveron avec Christian Clavier, Chantal Lauby et 12 millions de spectateurs (2014)

Dos au mur

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Après une journée fatigante, j'éprouvais le besoin naturel mais difficilement avouable de me "vider la tronche" devant un film peu exigeant intellectuellement parlant. J'ai donc fait le pari Dos au mur en espérant avoir affaire à un thriller efficace et divertissant. Hélas j'ai encore une fois assez rapidement regretté mon choix. Malgré un pitch a priori correct et des retournements de situation parfois un brin inattendus au début, Dos au mur est un vrai faux caper movie qui peine très vite à maintenir l'attention. On imagine pourtant aisément qu'il y a quelques années, ce scénario basique mais astucieux aurait pu accoucher d'un film honnête et capable de nous faire passer un bon moment. S'il avait été réalisé dans les années 80 ou 90, Dos au Mur aurait sans doute été porté par un acteur charismatique et cool, d'une part, et il aurait forcément été ponctué par quelques touches d'humour bienvenues, que le doublage français aurait su magnifier. Aujourd'hui, on a simplement droit à un thriller mollasson et ultra premier degré, qui se prend au sérieux du début à la fin et échoue totalement à nous scotcher au fauteuil.




Niveau casting, on se tape le si fade Sam Worthington dans le rôle principal du couillon agrippé et la toujours transparente Elizabeth Banks dans celui de la négociatrice chargée de lui faire quitter sa corniche. Gravitent autour d'eux des personnages sans saveur campés sans conviction par l'effroyable Jamie Bell, le navrant Edward Burns et le pauvre Ed Harris (subir ce film est d'ailleurs uniquement la triste occasion de constater que ce si sympathique acteur a pris un sacré coup de vieux récemment). Un top model latino apparemment peu intéressée par le 7ème art, nommée Génesis Rodriguez, tente aussi d'apporter une petite touche sexy à ce long métrage et ne cesse d'agiter ses seins devant la caméra. Avec un peu de discernement, on notera que la taille de ses deux atouts est considérablement grossie par des Wonderbra surpuissants qui me feraient moi-même passer pour une bombe. A part ça, circulez, il n'y a rien à voir.




Petit retour sur le titre : Dos au mur, en version française, Man on a ledge, "l'homme sur un rebord", en version originale. Désormais, à Hollywood, les titres sont à l'image des films : tout ce qu'il y a de plus terre-à-terre et premier degré. Il n'y a aucun aspect métaphorique ou imagé à y déceler. Quand il y a un double-sens possible, il paraît totalement fortuit. Un film ayant pour titre "L'homme sur un rebord" nous mettra forcément en présence d'un homme passant tout le film sur le rebord d'un bâtiment, littéralement. A la belle époque, il aurait pu s'agir d'un superbe film noir, qui sait. Sam Worthington est ici suspendu sur la corniche du 36ème étage d'un building de Manhattan et menace de se jeter dans le vide. Il passe près de 2h à faire des petits pas chassés très disgracieux et à s’agripper à l'aide de ses bras, s'abîmant les ongles au passage, par des mouvements assez ridicules, dignes d'une petite bestiole apeurée, comme si l'acteur craignait réellement pour sa vie. En VF, "Dos au mur" respecte tout à fait l'esprit du titre original puisque Worthington passe également tout le film dos au mur. Rien de plus logique. Pour être totalement fidèle au scénario, le film devrait même avoir pour titre complet "L'homme dos au mur sur un rebord" ou "Man back to the wall on a ledge". Et pourquoi pas ?




Ces titres idiots ont au moins le mérite d'être tout à fait à l'image des films. Pas de place pour la complexité et encore moins pour la poésie. Non, il faut tout de suite annoncer aux spectateurs de quoi il s'agit exactement, pour ne jamais prendre le risque de le tromper sur la marchandise. Dans Buried, on suivra les mésaventures d'un type enterré. Un exemple choisi parmi tant d'autres.* C'est tout de même dommage. Vous imaginez si Die Hard, aka Piège de Cristal, s'était appelé "Barefoot and stuck with terrorists in a building" ? Quequoi... Ce n'est que lorsqu'il s'agit de remakes que le risque de désorienter le public en changeant le titre du film freine les décideurs et prend l'avantage sur la règle consistant à coller au plus près du scénario. Ainsi, And Soon the Darkness n'a pas bougé, alors qu'il aurait cette fois-ci été sans doute plus judicieux de l'intituler "Two hot curvy babes in bikinis sugaring the pill get chased by morons" et être pour le coup totalement fidèle au déroulé de l'histoire. C'est un peu long, certes, mais avec un titre pareil, moi je suis installé au premier rang dès l'avant-première du film, les lunettes 3D solidement vissées sur le nez !




*A ce propos, si vous connaissez d'autres exemples, justement, n'hésitez pas à me les communiquer, soit en commentaire à cet article, soit en me les envoyant par mail à l'adresse électronique indiquée sur la page "A propos". Vos nouveaux apports me permettront d'étayer un peu mon propos, d'appuyer et renforcer mon argumentation. Cette petite note est un appel à l'aide.


Dos au mur d'Asger Leth avec Sam Worthington, Elizabeth Banks, Jamie Bell, Genesis Rodriguez et Ed Harris (2012)

Une initiative cinéphile - Entretien avec Jean-François Buiré

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En rencontrant Jean-François Buiré via ce blog, nous avons aussi découvert une vision, un désir très concret et très pensé de création de salle de cinéma indépendante dans le centre de Lyon, porté par ses amis lyonnais et lui-même : Le Trésor public. Ce beau et vaste projet, dont nous admirons l'ambition, que nous aimerions voir aboutir et dont nous souhaiterions qu'il fasse naître d'autres rêves du même genre dans nombre de grandes villes de France, nous a donné envie d'en savoir plus. D'où cet entretien avec Jean-François, qui est aussi l'occasion, à notre modeste échelle, de faire connaître cette belle idée de cinéma, qu'il faut vous sentir libres d'encourager et de promouvoir à votre tour.


- Bonjour, peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Jean-François Buiré, j'ai 42 ans et je vis à Lyon. Aussi loin que je me rappelle m'être intéressé au cinéma, j'ai tenté, pour l'essentiel, de transmettre des enthousiasmes, sous des formes diverses : écriture, enseignement, programmation et réalisation.


- Quelques mots sur les autres porteurs du projet Le Trésor public ?

Francis Forge, Maxime Hot, Jean-Baptiste Seguin et Ivan Sougy vivent également à Lyon, et y travaillent dans différents domaines touchant au cinéma: programmation, projection, administration culturelle, enseignement ou réalisation. Il y a quelques années, j'ai rencontré trois d'entre eux, alors étudiants, dans le cadre d'un cours théorico-pratique consacré à la projection 35mm et à la programmation cinématographique que j'avais créé à l'Université Lyon 2. Jean-Baptiste a eu une « autre vie » artistique, puisqu'il a été percussionniste à l'Opéra et à l'Orchestre National de Lyon.


Les porteurs du projet Le Trésor public : Ivan Sougy, Francis Forge, Jean-­Baptiste Seguin, Maxime Hot, Jean-­François Buiré et leur mascotte, Anouk Sougy Gouttenoire. (©Pierre Suchet)


- Peux-tu nous présenter, rapidement, ce fameux projet ?

Le projet Le Trésor public vise à créer une salle de cinéma indépendante dans le centre- ville lyonnais comportant trois écrans, et équipée pour la projection numérique, 35 mm, 16 mm, Super 8 et vidéo.

Dans cette phrase, tout compte : l'idée joyeuse du cinéma comme « trésor », qui est en même temps un bien commun ; la revendication de l'indépendance, plutôt que celle de l'Art et Essai, trop galvaudé ; la volonté de replacer fortement une telle salle au cœur de la ville ; l'inscription lyonnaise, dans la mesure où la situation cinématographique à Lyon est, on le verra, problématique. Les trois écrans et la diversité de l'équipement de projection permettraient de déployer une programmation ambitieuse, polymorphe et multi-supports.

Le statut juridique que nous souhaitons adopter est la société coopérative (SCOP, voire SCIC), de type SARL. En effet, mes camarades et moi-même avons conçu ce projet dans un esprit de démocratie amicale, d’égalité de parole et de proposition que nous souhaitons ne pas voir disparaître s’il vient à se concrétiser.


- Avez-vous songé à un nom de secours si l’appellation « Trésor public» devait vous être refusée pour des raisons légales ? Ce nom est d’ailleurs bien trouvé mais ne craignez-vous pas qu’il rebute un brin les spectateurs en leur évoquant le couperet annuel des impôts ?

Même si nous l'aimons beaucoup, Le Trésor public est un « titre de travail », forcément provisoire, car il poserait en effet des problèmes d'ordre légal (ne serait-ce que pour l'établissement de chèques !). Dans un premier temps, nous avions pensé au Flamboyant, mais certains d'entre nous ont jugé que ce nom conviendrait mieux à un porte-avions, ou qu'il faisait penser à la flamme du FN.

Dans la mesure où nous voulions éviter de baptiser cette salle du titre d'un film ou du nom d'un cinéaste en particulier, mais aussi d'adopter un nom rebattu de salle de spectacle à l'ancienne (Lido, Astoria, Rex, Louxor, etc.), nous avons temporairement opté pour ce jeu de mots évocateur, qui trouve souvent d'emblée un écho positif ou qui finit par être adopté par les personnes qui l'ont trouvé rebutant au premier abord (même s'il y en a bien quelques-unes, sans doute traumatisées par la fiscalité, pour qui ce nom reste rédhibitoire).

Le projet n'a pas encore de lieu d'implantation arrêté : s'il se concrétise, on peut espérer que sa localisation dans Lyon inspirera le nom effectif de la salle.


- Quand et comment l’idée est-elle née ?

Mes camarades et moi-même étions insatisfaits de la proposition cinématographique à Lyon, au quotidien, et cela depuis plusieurs années. Les raisons de cette insatisfaction sont trop nombreuses pour être toutes précisées ici, mais disons pour résumer que la situation est indigne d'une grande ville, qui plus est d'une grande ville ayant, pour les raisons historiques que l'on sait, un lien privilégié avec le cinéma (et j'ajouterai, subsidiairement : indigne d'une ville dont la mairie centrale est, depuis treize ans, étiquetée « socialiste »). À l'exception de la reprise réussie (depuis 2006) du cinéma Comœdia, lequel est cependant relativement excentré et qui ne saurait à lui seul couvrir tous les manques du cinéma à Lyon, le centre-ville, dans le même temps où il se « gentrifiait », s'est désertifié en termes de proposition cinématographique quotidienne.

Cette déshérence a été due, entre autres, au déclin des CNP. Ceux-ci ont constitué en leur temps un modèle national de salles d'essai et de recherche. Mais leur gestion désastreuse par Galeshka Moravioff, qui les a rachetées en 1998, et le honteux renvoi en 2009 de leur programmateur historique, Marc Artigau, ont entraîné leur chute, que personne parmi les instances culturelles lyonnaises n'a cherché à enrayer. Il faut préciser que, depuis quinze ans, au prétexte qu'elle n'aiderait pas les entrepreneurs culturels privés, la municipalité n'a soutenu ni secouru aucune salle de cinéma indépendante2— dans le même temps où, de concert avec le Grand Lyon, elle a favorisé l'éclosion d'une flopée de multiplexes.


Façade du CNP Odéon au moment où Galeshka Moravioff l'a fermé et vidé en pleins congés estivaux, sans en avoir prévenu ni le directeur ni les autres employés. (© Pierre Suchet)

Ces multiplexes, du fait de leur appétit « illimité », captent depuis quelques années les films dits « d'Art et Essai porteur » et divisent ainsi le potentiel commercial de ceux-ci sur un trop grand nombre de copies, le fragilisant au lieu de le fortifier. Beaucoup des films en question sont réalisés par des cinéastes dont les premiers films ont été exclusivement projetés par des salles indépendantes, qui récupèrent de moins en moins la mise de leur pari une fois que ces réalisateurs considérés à leurs débuts comme « obscurs » accèdent à la lumière d'une plus grande notoriété. Du fait de cette récupération par les grands circuits des films dits d'auteurs à la condition que ceux-ci aient déjà fait leurs preuves commerciales, c'est toute une écologie du cinéma qui risque de disparaître. Pour prendre un récent et unique exemple, les CNP1 ont été les premiers et les seuls à Lyon à montrer les films d'Alain Guiraudie, et ils ont continué à le faire pendant des années, alors que son cinéma restait relativement confidentiel. Après le succès de L'Inconnu du lac, on trouvera de plus en plus de salles qui voudront programmer le dernier film de Guiraudie (et qui le programmeront mal, le sortant de l'affiche aussitôt qu'ils n'aura pas rencontré le succès minimal exigé dans ce type de salles), mais qui pour autant ne prendront pas le risque de montrer « l'équivalent » de celui-ci à ses débuts. Le succès relatif d'un Guiraudie profitera de moins en moins à des Guiraudie « en puissance », et plus du tout à des cinéastes qui, quelle que soit leur importance, n'accéderont jamais au succès commercial, même relatif. Les Guiraudie en puissance et les éternels perdants (commercialement parlant) seront de plus en plus cantonnés aux projections de festival. Un paysage cinématographique qui ne serait plus constitué que de festivals, de salle « d'Art et Essai porteur » et de multiplexes, voilà qui serait bien triste, et contre quoi notre projet essaie, modestement mais fermement, de se battre.

Car au lieu de continuer à maugréer dans notre coin, mes camarades et moi-même avons décidé de nous lancer, il y a deux ans, pour tenter de combler une part des nombreuses lacunes de la proposition cinématographique lyonnaise. J'insiste sur ce point : si nous avions eu le sentiment que cette proposition était satisfaisante, nous ne nous serions pas décidés à apporter notre grain de sel. L'intention n'était pas de créer « une salle de plus ». Notre projet artistique a consisté à pointer les lacunes locales pour partir de celles-ci afin d'établir des lignes de programmation, et l'ensemble de ces lignes a fini par former un faisceau considérable (en volume et en ambition), tant ces lacunes sont nombreuses et profondes.

Les lecteurs pourront en prendre la mesure sur la page de notre site Internet qui présente ce projet de programmation.

Et pour un tableau objectif et documenté de la situation du cinéma à Lyon, on peut lire les pages 9 et 10 du dossier intégral de présentation du projet, consultable ici


- Où en est le projet à l’heure où l'on parle ?

Depuis quelque temps déjà, nous butons sur la question du lieu d'implantation. Lyon n'est pas Paris et pourtant, si l'on n'est pas adossé à un grand groupe capitalistique, il y devient extrêmement difficile d'accéder à des lieux qui soient à la fois disponibles, d'une surface propice et financièrement abordables. Les lieux vacants tombent très vite dans l'escarcelle des grandes enseignes, seules à pouvoir s'accommoder de la flambée des prix de l'immobilier et de la pratique déprimante du « droit au bail ». D'où le surinvestissement du centre de Lyon (comme de celui d'autres grandes villes) par les activités marchandes.

Dans ces conditions, au lieu de solliciter la municipalité de façon directement financière, nous avons tenté de l'amener à envisager avec nous les possibilités de faciliter notre accession à des lieux d'implantation — qu'il s'agisse de lieux d'obédience municipale, ou qu'elle préempterait à l'occasion d'une cession — et de nous faire bénéficier d'un loyer d'un montant symbolique ou d'un bail emphytéotique, ce qui permettrait à notre projet de ne pas être d’emblée grevé par les prix de l’immobilier. Or autant nous avons obtenu dès le début l'oreille attentive de la direction de l'exploitation au CNC3 et des différentes représentations culturelles (en particulier à la Région Rhône-Alpes, où l'on s'est montré réellement enthousiaste à l'égard de notre projet), autant il nous a été jusqu'à maintenant impossible de capter l'attention de la délégation à la culture de la Ville de Lyon, malgré toutes nos démarches en ce sens.

Cette aide non directement financière serait pourtant le coup de pouce initial dont nous avons besoin pour pouvoir nous lancer dans la recherche de financements : pour amorcer un montage financier, la condition sine qua non est de désigner au préalable un lieu d'implantation. Ce montage financier reposerait
sur quatre guichets principaux : 1. les deux aides à la construction de salles de cinéma indépendantes (le CNC au niveau national, et la Région) ; 2. les emprunts bancaires ; 3. les bailleurs privés ; 4. l'ESS (Économie Sociale et Solidaire).

Malgré l'enthousiasme réel dont ont témoigné les représentants de la culture à la Région, nous savons que celle-ci ne nous fera pas bénéficier de son aide à la construction de salle si la Ville ne fait pas un geste significatif au préalable, dans la mesure où il s'agit d'un projet à l'échelle municipale, en premier lieu. Or cette aide est un des très rares mécanismes de ce type, les subventions dévolues à la création de salles indépendantes étant sans commune mesure avec celles qui existent pour la production cinématographique. (Cette disproportion est rarement évoquée, et elle est pourtant criante.)

Le montant que nous avons estimé pour le budget prévisionnel de construction de la salle, qui se situe entre 1 335 000 et 1 850 000 euros, fait souvent lever au ciel les yeux de nos interlocuteurs. Ce montant est pourtant à évaluer au regard du budget moyen d'un long métrage français en 2013, qui est de 4 700 000 euros, soit un montant 2,5 à 3,5 fois plus élevé pour un seul film. Or la salle que nous souhaitons construire permettrait de montrer chaque année plusieurs dizaines de longs métrages !

Nous avons fini par comprendre qu'en matière de politique culturelle, la Ville de Lyon et le Grand Lyon sont pris entre d'une part leur désir (commun désormais à toutes les métropoles) de « rayonner à l'international », et d'autre part une disposition d'esprit plutôt villageoise : dénuée d'intérêt pour les aventures nouvelles et les porteurs de projets qui ne sont pas d'ores et déjà parfaitement identifiés, et encline à ne favoriser que des événements ponctuels (lesquels répondent en outre à la volonté municipale de « rayonnement » : la boucle est bouclée). Du coup, notre projet est a priori disqualifié : il ne cible pas d'emblée « l'international » (même si nous avons le culot de penser que la salle que nous appelons de nos vœux serait loin de ternir le prestige de cette ville), et il tente en même temps de faire preuve, en termes de proposition cinématographique quotidienne, d'une largeur de vues qui n'aurait rien de villageoise, entrecroisant des conceptions, des énergies et des aspirations très diverses.


- Les 25 et 26 avril derniers, vous avez déjà organisé quelques projections au Goethe Institut et à la MJC Monplaisir. Qu’avez-vous montré ? Pourquoi ? Comment ces journées se sont-elles passées ?

En marge de nos recherches de financements et de lieux d'implantation, une des façons de faire exister notre projet consiste à mettre sur pied des projections témoignant de la philosophie qui, le cas échéant, présiderait à la programmation de notre salle. Ces premières manifestations ponctuelles sont donc « programmatiques » à double titre : elles exposent les principes d'une programmation à venir, qui serait pour sa part quotidienne et pérenne. L'expérience de ces projections sans domicile fixe a confirmé à nos yeux l'importance d'un lieu dédié : en effet, nous avons eu beaucoup de mal à trouver des lieux qui puissent accueillir des séances de cinéma sur deux journées consécutives.

Le 25 avril dernier, nous avons projeté au Goethe Institut Le Voyage à Lyon (Die Reise nach Lyon), un film réalisé entre 1978 et 1980 par la cinéaste allemande Claudia von Alemann, qui n'avait pas été montré depuis longtemps dans la ville où il a été tourné (la dernière projection de l'unique copie, virée au rouge, qui existait alors remontait à 2003). Naturellement, nous n'avons pas choisi ce film uniquement parce qu'il se déroule à Lyon (même s'il s'agit d'un des rares longs métrages intéressants entièrement tournés dans cette ville4), mais parce que c'est une œuvre singulière et imprévisible, parfois très émouvante, et impossible à voir autrement qu'en projection cinématographique. Nous souhaitons entre autres mettre l'accent sur le respect, autant que faire se peut, des supports de tournage, or ce film avait à l'origine été tourné et diffusé sur pellicule 16 mm (ce qui explique l'extrême rareté de sa diffusion aujourd'hui) : nous avons projeté une copie qui a été retirée il y a quelques années par une petite maison de distribution basée à Londres, grâce à l'excellent projecteur 16 mm Buisse-Bottazzi (merci à Christophe Langlade !) que nous avons installé pour l'occasion au Goethe Institut.


Le Voyage à Lyon (Die Reise nach Lyon, 1980), de Claudia von Alemann (© Abisag Tüllmann, bpk)

Pour revenir tout de même sur l'inscription lyonnaise du film, il faut dire que celui-ci présente un intérêt quasi archéologique : tout en n'étant pas si éloigné de nous temporellement, il donne à voir des aperçus étonnants de cette ville que nous croyions connaître, captés par la caméra avant que le processus de normalisation urbaine intensive ne s'amorce. La question du féminisme y est abordée d'une façon originale et complexe, comme en abyme : le film suit l'arrivée et les déambulations à Lyon d'une jeune femme allemande qui a quitté mari et enfants pour marcher sur les pas de la militante socialiste et féministe Flora Tristan, laquelle, au cours de son « tour de France » où elle reproduisait elle-même le circuit des Compagnons, s'était arrêtée auprès des Canuts de Lyon. Un siècle et demi après, la protagoniste du Voyage à Lyon tente de revivre cette expérience de façon aussi concrète et sensorielle que possible.

Claudia von Alemann se faisait une joie de revenir à Lyon pour présenter son film, mais au dernier moment elle a dû annuler sa venue pour raison de santé. Cependant, ayant discuté longuement avec elle au téléphone, nous avons pu transmettre aux spectateurs présents ce qu'elle avait à dire aujourd'hui de ce long métrage si méconnu qu'il ne dispose même pas d'une page IMDb. Le public était au rendez-vous : 120 personnes, plus toutes celles qui n'ont pas pu entrer étant donné la capacité d'accueil du Goethe Institut. Pour reprendre la phrase du narrateur du Roman d'un tricheurà propos de la nuée de cadavres due à une ingestion de champignons toxiques (curieuse comparaison, j'en conviens) : « Il y en avait partout !»

Le 26 avril, nous avons proposé deux programmations à la MJC Monplaisir. La première, intitulée « L'individu / le groupe, allers et retours », consistait en une dizaine de films courts d'époques, de pays, de registres et de styles très divers, mais qui tous témoignaient de cette oscillation entre l'individu et le collectif qu'on trouve à bien des niveaux du cinéma, du tournage à la réception des films en passant par la façon dont ceux-ci donnent à voir les êtres humains sur l'écran, un par un ou en foules. Ce programme de courts métrages était lui-même à la fois collectif — puisque nous avons choisi chacun des films en totale concertation —, et individué — puisque composé de films plus particulièrement portés, et présentés lors de leur projection, par l'un ou l'autre d'entre nous. La seconde programmation du 26 avril s'appelait « Films de chevet » : convaincus que la parole cinéphile ne doit pas être seulement l'affaire des « professionnels de la profession », nous avons invité des personnes qui ne sont pas identifiées comme faisant partie du sérail cinématographique à parler d'un film qui leur tenait particulièrement à cœur, et qu'elles avaient envie de faire découvrir ou redécouvrir, en présentant un extrait choisi du film en question. Cela allait de John Carpenter à Apichatpong Weerasethakul en passant par Victor Erice, Carol Reed, Maurice Pialat et même Claude Lelouch !

Nous étions obligés de faire avec les disponibilités des lieux qui voulaient bien nous accueillir, or le 26 avril était à Lyon le premier jour des vacances de Pâques (et un premier jour de beau temps depuis belle lurette). Le public est donc venu moins nombreux que pour la projection du Voyage à Lyon : il y a eu entre quarante et cinquante spectateurs pour chacune des deux programmations, c'était un peu décevant au regard de l'affluence de la veille mais la réaction des personnes présentes a été excellente.

Nous sommes en train de travailler à notre prochaine programmation, qui devrait tourner autour d'un grand cinéaste contemporain, d'une manière que nous espérons originale. Nous avons organisé les trois programmations d'avril dernier avec nos propres deniers, majorés d'une participation du Goethe Institut, mais nous espérions que cela changerait à l'avenir : la mairie ayant botté en touche par rapport à nos demandes de concertation sur les possibilités d'implantation du projet, elle nous avait, comme par compensation, vivement recommandé de déposer des demandes de subvention municipale pour des programmations futures. Ce que nous avons fait. Nous pensions obtenir au moins une petite partie des aides demandées, mais en définitive nous n'avons pas reçu un kopeck. Tant pis, nous nous débrouillerons de nouveau avec nos propres moyens, et avec ceux que nous glanerons autour de nous.


- La cinéphilie se pratique de plus en plus en dehors des salles, chez soi, sur Internet, etc. L’ambition du Trésor public est-elle aussi de remettre la salle en valeur ? Si c’est le cas, quelles sont vos idées pour rendre la salle plus attractive et proposer quelque chose que les cinéphiles solitaires ou casaniers n’auront pas déjà à domicile ?

La conception du projet de programmation s'est fondée sur cette conscience du fait que, désormais, tout un chacun peut devenir son propre programmateur sans bouger de chez lui. Si l'on met de côté la question des conditions de visionnage et de la qualité des copies (quoique la HD domestique soit à portée de téléchargement), un ordinateur permet désormais d'accéder dans des délais très courts, que ce soit par des moyens légaux ou non, à plus de films que le plus vorace des cinéphiles n'en pourrait absorber en plusieurs vies.

L'accès aux films pris un par un n'étant plus un problème, c'est le moment ou jamais d'inventer en termes de programmation. Nous entendons par « programmation » (qui est un assez vilain mot, en soi) une façon de monter les films entre eux — tous les films, de toutes époques, de tous pays et de tous types. Notre credo n'est pas neuf, mais il pourrait se perdre ou se diluer à un moment où, lorsqu'on est censé proposer une programmation ambitieuse, on tend à ne plus concevoir les spectateurs qu'en termes soit de « niches » (le cinéma bis, geek, queer, expérimental, documentaire, classique, militant, de genres, etc.), soit au contraire de foules fascinées par de grands événements ponctuels, hyper-médiatisés et subventionnés (qui ont leur intérêt et leur public, mais qui ne sauraient remplacer une proposition de cinéma quotidienne et pérenne). Or ce credo ancien de la cinéphilie, qui nous semble toujours le seul valable moralement et artistiquement, intellectuellement et esthétiquement, c'est que le cinéma est comparable à l'humanité. Depuis un demi-siècle, on sait que le concept de race n'a pas de validité scientifique : l'humanité est un continuum, avec des différenciations progressives qui suscitent des types culturels et morphologiques variés, lesquels sont au fondement de la diversité et de la richesse de « l'espèce humaine ». Le cinéma, c'est la même chose : au bout du compte, il est un, dans toute sa diversité. À partir de là, ce sont les visions de cette unité du cinéma qui devraient différer, d'une programmation à une autre, d'une salle à une autre. Or l'idée que chaque salle devrait, sans pour autant tomber dans des phénomènes de niche, affirmer et revendiquer des goûts et des dégoûts, des principes et des rejets qui, par leur cohérence, fonderaient une vision particulière de cette unité cinématographique — cette idée devient aussi rare que des fleurs en plein Sahara5.

Alors c'est vrai, nous faisons un pari — c'est-à-dire quelque chose qui, en dernière instance, ne peut qu'échapper à ces études de marché et à ces business plans par lesquels nos édiles (fussent-ils, censément, « de gauche ») ne font plus que jurer. Le pari que dès lors qu'une salle réaffirmera fortement une identité de programmation (et cette identité doit passer non seulement par le choix scrupuleux des films, de quelque catégorie qu'ils relèvent a priori, mais aussi par la façon de les accompagner dans le temps par de l'écrit, de la parole, etc.), elle marquera des points considérables : ni définitifs, ni renversants, mais considérables. À condition bien sûr que l'affirmation de cette identité s'appuie sur une alliance indéfectible de sérieux et de fantaisie, de constance et de remise en question, de sens de l'Histoire et de goût du présent.


Jean-François Buiré (©Renaud Araud)

Idéalisme ? Ce n'est pas un gros mot, n'en déplaise aux édiles déjà cités. Sans idéalisme, pas de grand montreur de films : pas de Laurence Myrga ni d'Armand Tallier, pas d'Henri Langlois, pas de Jean-Louis Chéray, pas de Raymond Borde, de Line Peillon, de Jacques Robert, de Charles Rochman, et pas plus de Jean-Loup Passek, de Boris Gourevitch, de Patrick Brion, de Robert Gilbert, ni de Roger Diamantis, de Jean-Jacques Schpoliansky, de Jacques Willemont, de Jean-Michel Arnold, de Jackie Raynal, de Frédéric Mitterrand, de Paulo Branco, de Dominique Païni, de Geneviève Troussier, de Patrick Leboutte, de Françoise Calvez, avec leurs qualités et leurs défauts respectifs. Cette litanie un peu fastidieuse (et encore, je m'en suis tenu aux grands programmateurs et exploitants français) pour rappeler ce qui est une évidence, qu'on est pourtant en train d'enterrer : en cinéma comme ailleurs, les grands « passeurs » n'ont pas été seulement ce qu'on appelle aujourd'hui des « prescripteurs », ce sont des individus qui ont fait de vrais choix et qui ont inventé une façon toute personnelle de mettre des films ensemble, en vertu d'une certaine vision, au sens fort du terme.

Pourquoi les salles estampillées Art et Essai sont-elles souvent si ternes et peu enthousiasmantes ? Parce qu'elles tendent à se ressembler toutes, et à ne jamais faire de pas de côté par rapport au registre, devenu hyper-conventionnel, de la programmation cataloguée Art Essai. Dans trop de salles, au même moment, il y a désormais les mêmes deux ou trois films « d'Art et Essai porteur », le même film « d'une cinématographie rare » (mais artistiquement méritoire), le même « film-dossier » qui confère un vernis d'engagement militant, la même programmation « Jeune public », la même ressortie d'un « film de patrimoine » en version forcément restaurée, voire le même « film de studio américain mais de qualité tout de même », quand ce n'est pas, commémorations du moment obligent, la même rétrospective filmique de la Première Guerre mondiale.

Je noircis le tableau (et je sais que la critique est aisée), mais on tend vers cela, et nous comprenons ceux, cinéphiles « lambda » ou « pointus », qui ne se sentent plus concernés par ce type d'endroit. Or, dans l'idéal, ce que nous voudrions reconstruire (car cela n'existe plus à Lyon depuis au moins quinze ans), c'est un lieu de ralliement pour les amateurs de cinéma, un port d'attache où ils auraient plus envie qu'ailleurs de venir faire un tour, ne serait-ce parfois que pour discuter. Pour employer un mot un peu désuet, un lieu qui aurait une âme, sans pour autant que celle-ci soit complaisamment étalée sur la table.

Pour ce qui est d'une présentation plus spécifiquement physique des lieux que nous avons en tête, je me permets là encore de renvoyer à la page qui lui est consacrée sur notre site (conçu par Ivan Sougy).

Un grand merci, en tout cas, au blog Il a osé pour l'intérêt dont il fait preuve à l'égard de notre projet, et des difficultés qu'il rencontre. Difficultés auxquelles font sans doute face, actuellement, d'autres projets de création de lieux indépendants de diffusion culturelle, en tout cas ceux qui ont l'exigence de ne pas s'en tenir à appliquer des recettes toutes faites.


1 Cinéma National Populaire, salles créées dans le sillage du Théâtre du même nom.
2 Seule exception : avoir empêché qu'un cinéma MK2 vienne s'installer à proximité du Comœdia.
3CNC : Centre national du cinéma et de l'image animée. 
4Un condamné à mort s'est échappé est censé se dérouler à la prison de Montluc, mais le film de Robert Bresson a été en réalité presque entièrement tourné aux studios de Saint Maurice, dans le Val-de-Marne.
5 J'use de cette comparaison parce que je sais qu'il y en a tout de même plus qu'on ne croit, des fleurs dans le Sahara. Voir par exemple ici. 


Entretien réalisé par mail le 22 septembre 2014.

Star Wars Episode II : L'Attaque des Clones

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Lettre ouverte à Lucas George à propos de L'Attaque des Clones :

Il y a quelques années, nous avons vu un film, intitulé L'Empire contre-attaque, à Port-de-Bouc, sous la recommandation de nos cousins port-de-boucains.

Dans la salle, nous avons été informés que le jeune homme qui avait fait le film était présent, mais quand nous avons dit que nous voulions le rencontrer parce qu'on était tellement impressionnés par la qualité du film, il a fui par le couloir sans un mot. Nous étions décontenancés par son comportement, et un de nos cousins port-de-boucains nous a dit qu'il était timide.




Nous avons su ensuite que le superbe talent que nous avions vu dans L'Empire contre-attaque serait diffusé un jour dans toute l'industrie cinématographique mondiale, et nous avons attendu d'en entendre parler. Nous avons été mystifiés de ne pas nous souvenir en avoir jamais entendu parler de nouveau. Jusqu'à aujourd'hui.

Nous avions tout faux. C'était juste parce que nous vivions dans le Gouffre de Cabrespine que nous n'avions jamais réentendu parler de lui. Nous ne savions donc pas que les talents de Mr. Lucas avaient été hautement reconnus aux USA depuis un moment. C'était pour ça...

Quand nous avons su que L'Attaque des Clones avait été fait par l'homme qui avait fait L'Empire contre-attaque, nous étions si contents et excités que nous nous sommes retrouvés à taper dans nos mains. Nous n'étions pas seulement ravis parce que notre jugement sur lui s'était avéré juste, mais aussi parce que nous nous rendions compte que notre vieille conviction - que les vraiment grands talents ne restent pas enterrés - était validée.

Ce jeune homme que nous avions vu dans la salle de projection du Méliès à Port-de-Bouc doit maintenant avoir plus de 50 ans. Cependant, la jeunesse et la fraîcheur de la mise en scène que nous avions trouvée dans L'Empire contre-attaque sont toujours là dans L'Attaque des Clones.




Nous pensons que la beauté avec laquelle les séquences sont exécutées et la façon dont elles sont mises ensemble sont une chose naturelle - que l'homme en question est né avec ça.

Nous avons vu beaucoup de bons films et nous avons été impressionnés et émus beaucoup de fois auparavant. Mais l'excitation que nous avons ressentie dans la salle de projection du Colisée de Carcassonne, où nous avons vu L'Attaque des Clones, était quelque chose de spécial. Peut-être était-ce parce que nous avions ressenti la même sorte d'excitation plus de vingt ans plus tôt dans la salle de projection du Méliès, parce que nous pouvions ressentir la même sorte d'excitation après un si long intervalle.

Félix & Rémi

Vous trouvez notre lettre à chier ? Ask Kurosawa, dont la missive envoyée à Cassavetes, enfin émergée des archives personnelles du cinéaste nippon après 16 ans de silence radio, vient de faire le tour du web, suscitant une vague d'admiration béate sur tous les réseaux sociaux, y compris Feedly. Certes c'est sympathique d'apprendre que Kurosawa aimait le cinéma de Cassavetes (ça nous fait les belles gambas de Cyd Charisse...), mais ça ne fait pas de son courrier - ici scrupuleusement traduit, style au beau fixe - un modèle du genre devant lequel se pâmer...




Star Wars Episode II : L'Attaque des Clones de George Lucas avec Ewan McGreggor, Liam Neeson, Hayden Christensen, Natalie Portman et Samuel L. Jackson (2002)

Val Abraham

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Val Abraham, réalisé en 1993, est la libre adaptation par Manoel de Oliveira d'une réécriture du Madame Bovary de Flaubert par la romancière portugaise Augustina Bessa-Luis. La reprise portugaise et actualisée de l’œuvre flaubertienne permet au cinéaste de ne pas raconter - sinon indirectement - l'histoire de la vraie Emma Bovary, mais celle d'une femme d'aujourd'hui, Ema Cardeano future épouse Païva, que son entourage ne cesse de qualifier de "Bovarinha" (petite Bovary). Et pour cause, puisqu'elle vit pratiquement la même existence que la plus célèbre héroïne de roman du monde, quand bien même elle refuse ce sobriquet après avoir lu et relu dès l'âge de 14 ans l'œuvre de Flaubert, ce qui lui permettra sans doute d'être moins naïve que son modèle original et de savoir très tôt ce que sa féminité lui réserve. Elle est en cela l'exact opposé de l'héroïne du Rouge et le noir, dont Stendhal disait : "Comme Madame de Rênal n'avait pas lu de romans, toutes les nuances de son bonheur étaient neuves pour elle". Mais tout le roman de Flaubert est là ou presque : l'adolescence de la jeune femme auprès d'un père austère et d'une tante bigote, la découverte de son potentiel érotique sur la foule des hommes, le mariage avec un petit médecin veuf répondant au nom de Carlos (pour Charles) Païva(interprété par l'excellent Luis Miguel Cintra), la vie de couple morose des jeunes mariés faisant chambre à part, la révélation chez Ema d'un goût prononcé pour la richesse et pour la réussite, ainsi que l'éveil au désir et à la sexualité à la suite d'un bal mondain donné chez des amis de son mari, sans oublier l'adultère à bord non pas d'un fiacre mais d'un bateau à moteur, et la rencontre de nouveaux amants, l'un riche, l'autre pauvre, puis la jalousie de l'époux et finalement le suicide, ici aussi délicat et poétique qu'il est horrible et repoussant dans le roman de Flaubert.




La première chose qui saute aux yeux en voyant le film aujourd'hui, c'est ce qu'il contient des œuvres plus récentes du cinéaste portugais. On pense immédiatement à Singularités d'une jeune fille blonde lors du portrait de l'adolescente Ema, jouée par Cécile Sanz de Alba. La jeune fille découvre son pouvoir de séduction magnétique sur la gent masculine et en joue avec malice, allant par exemple se poster derrière la balustrade de la terrasse de la maison du père pour provoquer par ses charmes, prompts à aveugler les automobilistes, des accidents de voiture. Le handicap physique dont souffre la jeune femme, cette claudication dont n'était pas immédiatement affligée l'héroïne flaubertienne, lui donne en prime une démarche mécanique, préfigurant chez elle un avenir proche de celui du bellâtre rencontré au début du film, qui avoue mener une vie de robot programmé pour séduire, et la rapprochant dans le même temps de la singulière jeune fille blonde de l'antépénultième film de Manoel De Oliveira, incarnée par Luísa Vilaça, qui, après avoir pris un homme dans ses filets, révèle sa tare (la cleptomanie) et finit seule dans son appartement, assise sur un fauteuil, tête penchée en avant, bras ballants et jambes écartées, tel un pantin désarticulé. On retrouve d'ailleurs cette idée d'un automate usé par l'exercice quotidien de la séduction à la fin de Val Abraham quand Ema, qui a bien davantage que son décalque romanesque assouvi un appétit sexuel constant, au point de s'emparer d'un troisième amant d'abord destiné à sa fille aînée, s'apprête devant son miroir (énième miroir, l'héroïne, moins Narcisse que projection fictionnelle d'elle-même, admirant son reflet d'un bout à l'autre du film) et répète ses gestes en se levant et en s'asseyant plusieurs fois, avec un sourire figé, comme une machine pathétiquement enrayée.





Et puis il y a cette scène, toujours au début du film, où Ema, toujours adolescente, va s'asseoir sur un petit escalier au milieu d'un champ où travaillent les ouvriers de son père, robe relevée sur son entre-jambe, fixée par le regard de jeunes hommes frustes qu'elle insulte avant de se dérober à leur désir. Cette séquence préfigure celle de L’Étrange affaire Angelica où de vieux agriculteurs travaillent durement les mêmes vignes en terrasses du Douro. L'improbable voisinage d'une jeune fille pure et gracieuse et de ces travailleurs aux regards brûlants dans Val Abraham entre en résonance avec la juxtaposition par le héros de L’Étrange affaire Angelica des photographies de la sublime morte éponyme, à l'insaisissable réveil souriant, et des mêmes ouvriers vieillis et dévoués à leur labeur éternel. La thématique temporelle est d'ailleurs capitale dans les deux films à travers la convocation de la Joconde, œuvre sur le temps et sur la fragile grâce féminine confrontée à la minéralité d'un paysage pré-historique et millénaire. Val Abraham, film non seulement sur le temps mais dans la durée, puisqu'il s'étend sur près de 3h30, n'a de cesse de représenter son Ema face à des miroirs qui encadrent son visage resplendissant sans le figer, modèle pictural aussi parfait qu'insaisissable. Le film s'ouvre d'ailleurs sur un magnifique paysage découpé en son milieu par le lit serpentin d'un fleuve réunissant les deux bords du tableau du Vinci (accroché à un mur chez le père d'Ema), soit le chemin sinueux s'étirant dans la longueur sur la gauche de la Joconde, et le cours d'eau symbole du temps sur sa droite. On imagine sans mal Ema hanter ses amants et ses prétendants par-delà sa disparition dans les eaux du fleuve, comme La Joconde et comme Angelica.




Ema a du reste un rapport particulier au temps. Manoel de Oliveira a l'idée géniale de la transformer complètement d'une scène à l'autre quand Charles retourne chez le père de la jeune fille, dont la tante vient de décéder. Il la retrouve totalement changée, les traits de Cécile Sanz de Alba ayant laissé place à ceux de Leonor Silveira, comme si l'événement tragique de la mort de la tante avait fait grandir l'héroïne d'un seul coup au point de provoquer une métamorphose physique fulgurante. Ou comment devenir femme le temps d'un raccord. A partir de là Ema, malgré le passage des ans et la naissance de ses deux filles, ne changera plus jamais, gardant une beauté éternelle jusqu'à sa mort, passant dans les cadres successifs de nombreux miroirs pour y rencontrer toujours le même reflet et sans jamais s'y arrêter. D'où un deuxième rapport au temps, inversement proportionnel : perdre dix ans en une seconde... et ne plus vieillir (libre à vous de prononcer cette phrase avec l'aplomb de Parvulesco, aka Jean-Pierre Melville, derrière ses lunettes noires, dans A bout de souffle, à qui l'on demandait "Quelle est votre plus grande ambition dans la vie?", et qui répondait "Devenir immortel... et puis mourir").





A ce titre la transformation d'Ema, non pas physique mais bien en termes d'épanouissement sexuel, se déroule paradoxalement très lentement et à force de métaphores visuelles progressives pour le moins remarquables. C'est d'abord la jeune Ema qui caresse une rose rouge de ses doigts avant de plonger son index au cœur de la fleur dans un geste de masturbation détournée d'une grande beauté ("Chaque fleur est un sexe. Y avez-vous pensé quand vous respirez une rose ?", disait René Barjavel), rose qui symbolise par ailleurs l'évanescence et la grâce féminine, et à laquelle Ema se comparera plus tard pour se décrire comme un "désir qui balance entre deux états d'âme". Puis la nouvelle et éternelle Ema (personnage décidément double, à la fois "Bovariette" et toute autre, incarnée par deux femmes différentes), celle interprétée donc par Leonor Silveira, sent monter une soif sexuelle en elle après le bal et, le soir venu, porte la flamme d'une bougie contre son visage, devant un nouveau miroir, caressant littéralement sa peau par la chaleur d'un désir ardent, portée dans sa cérémonie érotique solitaire par la musique de Debussy, tandis que celles de Chopin et de Beethoven notamment accompagnent ailleurs ce film tranquille, langoureux et mélancolique.






Le génie qu'a Manoel de Oliveira de créer des analogies visuelles et des images aussi simples qu'envoûtantes s'exprime encore à la fin du film quand Ema discute chez elle avec un potentiel amant. Au bout d'un temps, Carlos et ses filles rejoignent la conversation. Le mari d'Ema et son nouveau concurrent débattent alors de questions politiques sans se regarder, préférant tous deux fixer Ema, qui quant à elle fige son regard diabolique sur son invité en caressant langoureusement une chatte posée sur ses genoux, dont les grands yeux bleus hypnotiques redoublent ceux de la jeune femme. On retrouve exactement la posture de la sorcière interprétée par Kim Novak (avant-dernier photogramme ci-dessus), hypnotisant James Stewart avec l'aide de son chat Pyewacket dans L'Adorable voisine de Richard Quine, double quine, carton plein, et pour ainsi dire celle de la sorcière fantasmatique de l'Inferno de Dario Argento, surgie au beau milieu d'un cours à l'université au détriment de l'attention d'un étudiant. Carlos échange avec le courtisan tout en observant le manège infernal de sa femme et s'emporte peu à peu, mais il continue à parler et tire sur sa pipe pour recracher la fumée par bouffées successives, donnant l'impression de fumer lui-même littéralement, jusqu'au moment où il finit par se lever, prend l'animal des bras de sa femme et le jette en l'air vers la caméra, qui tremble sur son pied au moment où le chat s'écrase près d'elle avec un effet comique certain et, dans le même temps, un éclatement, dans le corps même du film, dans cette image qui soubresaute, de la tension qui grimpait sans cesse au sein des plans et entre eux.




Manoel De Oliveira coupe ses scènes avant le début de chaque étreinte d'Ema et de ses amants mais fait passer beaucoup de sensualité et un grand sens du désir par le jeu des regards et des paraboles, et puisque Emma Bovary se réfugiait dans le romantisme de ses lectures pour parer à son ennui conjugal et s'enivrait d'élans romanesques pour échapper à sa vie de couple, le cinéaste n'a de cesse de placer des ouvrages entre Ema et ses prétendants, qui tous parlent comme des livres dans un reflux de dialogues aussi enivrants que l'exquise et engourdissante voix-off (étrangère au texte de Flaubert, dont le cinéaste se tient écarté) qui rythme ce "film-fleuve". Ce sont pourtant des images, nombreuses, et des scènes entières, qui resteront, à l'image peut-être de la dernière séquence où Ema, qui n'a pour ainsi dire jamais quitté l'image et qui s'y est même dédoublée plus souvent qu'à son tour, traverse une orangeraie, filmée en contre-plongée et en travelling arrière, souriante et lumineuse, avant de sombrer dans le hors-champ et dans le fleuve, n'importe quel fleuve, hors celui de l'oubli.


Val Abraham de Manoel de Oliveira avec Leonor Silveira, Cécile Sanz de Alba et Luis Miguel Cintra (1993)
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