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Channel: Il a osé !
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Je vous trouve très beau

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Isabelle Mergault... Dans ces trois petits points de suspension imaginez toute la haine du monde. Rappel du CV : comédienne de théâtre criarde et vulgaire de formation, elle est surtout connue pour avoir fait partie de la "bande à Ruquier", où elle passait pour une tuerie au milieu d'une troupe de vieillards (dont le baveux Maurice Béchamel et le nain Jean Bengimli) et aux côtés d'une seule concurrente, la clébarde de garde Isabelle Alonzo, qui avait elle aussi un énorme problème de dentition. En fait il y avait d'autres tromblons sur le plateau d'On a tout essayé : le squelette de Claude Sarraute, Sophie Garel, qui a joué dans The Return of La Momie avec Brendan Fraser, Elsa Fraser, la sœur de Brendan Fraser justement, refaite de la cave au plancher à seulement 32 ans, Valérie Mairesse, la grosse ménagère d'à peine moins de cinquante ans (fallait prévenir France 2 que cette catégorie de la population est censée regarder l'émission, pas faire le show), Christine Bravo dans le rôle de l’alcoolo de service, Péri Cochin, le corbeau humain, et Maureen Dor, l'éternelle enfant enceinte qui faisait fantasmer les plus pervers d'entre nous avec ses énormes seins qui trainaient sur tout le plateau et qui lessivaient le parquet. On a fait le tour du proprio. Concentrons-nous donc sur le cas Mergault.




C'est moche de commencer une critique comme ça, en s'attaquant au physique, sachant qu'on est loin d'être intouchables. Revenons donc au sujet. Après nous avoir fait chier au quotidien pendant des années sur le service public et aux frais de la princesse avec sa frimousse de malade, son dentier de macchabée, sa voix de mouette à l'agonie et ses mille postillons à la seconde, propulsés par l'éolienne à merde qui lui sert de bouche et de fourre-tout, Mergault s'est cru le droit de passer derrière la caméra, épaulée par les plus grands acteurs de sa génération : Michel Blanc d'abord, puis Jacques Gamblin et Daniel Auteuil. Mergault avait la haute ambition de renouer avec le cinéma populaire français de qualité à tendance vaudevillesque. Au final, on a du mal à faire la synthèse de la masse énorme de saloperies contenues dans ce seul premier film, aussi facho que mégalo, aussi populo que vérolé. L'histoire est un medley des pires épisodes de L'Amour est dans le pré, cette émission présentée par l'ex-femme de Lilian Thuram (Karine Le Marchand, que le frère aîné avocat de Félix, dont nous tairons le nom, a vue en vrai, et quand on lui a demandé ses impressions il a utilisé cette expression très rare dans sa bouche : "Peau de zob"), où des fermiers au bord du suicide et analphabètes rêvent de s'encastrer dans des grosses coiffeuses de villages de campagne qui rêvent de pognon quitte à faire une croix sur les grattes-ciel, pour aller s'enterrer avec un demeuré ou son voisin trépané, ayant littéralement le choix entre l'âne et le gros porc. Au final ces pauvres malheureuses se retrouvent soit prises au piège de l'un des outils agricoles détournés de leur utilité initiale par un paysan aux couilles gorgées de sang, soit les voilà qui prennent leur jambons à leur cou pour retourner chialer chez Dilloy's.




Medeea Marinescu incarne donc dans le film de Mergault une future pute roumaine prête à sucer Michel Blanc inside out pour obtenir un visa de séjour, quitte à finir coincée entre une botteleuse et un épandeur de fumier. Vous l'aurez donc compris, Michel Blanc prête son crâne d’œuf à un agriculteur grincheux et insupportable dont la femme vient de mourir (c'est la scène d'intro du film, où la vieille épouse acariâtre de Blanc crève en passant sous la roue de son tracteur, une scène ni drôle ni triste, plutôt gênante en fait, car c'est le genre d'accident qui se produit quotidiennement dans les campagnes) et qui a pour projet d'investir l'un des milliards qu'il a accumulés au Crédit Agricole dans un billet d'avion d'abord puis dans un bidet humain ensuite. Mergault nous livre un regard puant aussi bien sur les roumaines que sur les paysans. Celle-ci est prête à tout pour rouler du cul dans un jean Celio* en plein Paname, celui-là en est au même stade d'avancement intellectuel et culturel que Jacquouille la Fripouille débarquant à notre époque dans Les Visiteurs, la bonne humeur en moins. Il faut voir Blanc prendre l'avion pour la première fois pour aller dégoter sa trainée de moins de 18 ans dans les Balkans et s'émerveiller de l'invention de l'aéroplane puis cracher entre les jambes des contrôleurs qui lui demandent de retirer sa faux de son bagage à main.




Ce film haïssable, et surtout répugnant (la mise en scène de Mergault, c'est même pas de la mauvaise télé) a fait un carton : 4 millions d'entrées dans l'hexagone. On a permis à Mergault de se prendre pour une fameuse réalisatrice et elle nous l'a fait payer cash en réalisant deux nouvelles saloperies intégrales : Enfin veuve et Donnant donnant, autant de supplices repoussant toujours plus loin les limites de l'horreur et de la débilité, à la fin desquels on se dit inévitablement qu'on a sans doute vu ce qui s'est fait de pire avec une caméra. Je vous trouve très beau a en prime le tort irréversible d'avoir lancé la mode des titres en "Je", exemples : Je vais bien ne t'en fais pas, Je l'aimais, Je préfère qu'on reste amis, Je suis une légende, etc. Bref, tout est dit. Va crever Mergault.


Je vous trouve très beau d'Isabelle Mergault avec Michel Blanc (2006)

Bilan 2014

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Chaque année, nous faisons partie des derniers blogueurs ciné à livrer leur verdict sur l'année cinématographique passée. Chaque année, nous invoquons de nouvelles excuses ; cette fois-ci, nous attendions d'avoir vu Dracula Untold avant de boucler nos classements. En janvier 2011, c'est à reculons que nous nous étions soumis pour la première fois à cet exercice ; pas préparés, nous avions à peine été capables de fournir un malheureux top 5 chacun. En janvier 2012, c'est à reculons que nous nous étions adonnés pour la deuxième fois à cette pratique désormais incontournable et, pour la franchir, nous avions eu la chic idée d'unir nos forces, lors d'une froide après-midi d'hiver, autour d'un kefta-chocolat auch, passée à rédiger ensemble et sans effort une fine analyse de l'an de grâce cinématographique 2011, accompagnée du top officiel de QT, livré un exclusivité. En janvier 2013, rebelotte : kefta, chocolat, et c'était plié. Mais, déjà, l'écriture se  faisait plus laborieuse, la difficulté de l'exercice nous rattrapait et l'année suivante, cette "session" où la rédaction du top annuel était seule à l'ordre du jour, se transformait en un épinglage en règle d'un film de Rob Reiner que nous gardions depuis trop longtemps en travers de la gorge. C'est donc séparément, sans ardeur, que nous avions écrit puis regroupé nos grifouilles, surtout satisfaits de se débarrasser de ce fardeau régulier. Aujourd'hui, alors que des kilomètres nous séparent, nous avons choisi de faire plus court et, après des années de tergiversations, nous allons pour la première fois vous proposer un top commun, réunissant donc nos films préférés de 2014 en un seul et même classement de 20 titres. Une décision prise face à la si grande similarité de nos tops respectifs, et malgré la présence, un peu embêtante pour l'un d'entre nous, du Gone Girl de David Fincher. Voici donc notre top 2014 :



http://ilaose.blogspot.com/2014/02/tonnerre.html
 

http://ilaose.blogspot.com/2014/07/bird-people.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/04/night-moves.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/05/the-battery.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/04/aimer-boire-et-chanter.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/03/her.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/12/mister-babadook.html

 


1/ Under the Skin
2/ Tonnerre
3/ Deux jours, une nuit
4/ Bird People
5/ Night Moves
6/ The Battery
7/ Aimer, boire et chanter
8/ Her
9/ Mister Babadook
10/ Sils Maria
11/ Still the Water
12/ Les Bruits de Recife
15/ Sunhi
16/ P'tit Quinquin
18/ Boyhood


Il aura été assez difficile cette année d'établir un ordre précis, surtout en tête de classement. Aucun film ne s'est véritablement et très nettement détaché à nos yeux. Au lieu d'un élu écrasant, trônant seul et de façon incontestable sur l'année, on perçoit plutôt, couronnant le tout, un lot de très beaux films avec leurs petits défauts, des œuvres pour le moins différentes mais ô combien estimables. Puisqu'il en faut une, la première place revient à Under the Skin du surdoué Jonathan Glazer, peut-être le film le plus surprenant, le plus remuant, le plus ambitieux, qui sait, de l'année. Nous ne l'avons pas encore critiqué dans ces pages mais il a suscité une longue et foisonnante conversation entre tous les membres de la rédaction, trop longue et trop foisonnante sans doute pour que l'un d'entre nous trouve le courage de s'y attaquer dans un article. Pourtant le cœur y est.


Kleber Mendonça Filho, retenez ce nom, il aura une Palme un jour ! Les Bruits de Recife, son "soap opera filmé par Carpenter" est déjà une belle proposition de cinéma et, surtout, une sacrée promesse.

Deux autres films de notre top 10 n'ont pas généré de bafouilles sur ce blog, à commencer par l'excellent film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, œuvre profondément bouleversante, aussi galvaudé que soit ce mot. Comme d'autres grands films de cette année (ceux de Pascale Ferran ou de Spike Jonze, par exemple), celui des Dardenne prend notre époque à bras-le-corps (avec une triste mais évidente justesse, n'en déplaise à certains critiques pourtant habitués à mieux, qui lui ont reproché de s'arranger avec la vérité et n'ont que prouvé leur terrible méconnaissance de ladite vérité, celle du monde contemporain en général et de l'entreprise en particulier), et hausse à un niveau encore jamais atteint le cinéma des frères aux pieds palmés venus tout droit des Awires, mot compte automatiquement double au Scrabble. Tout compte double avec les Dardenne : ils sont deux, ils ont deux Palmes, l'histoire de leur dernier film se déroule sur deux jours, et ils possèdent bien deux paires de couilles grosses comme des marmites.


Le petit Ellar Coltrane zieute la même chose que nous : ce petit téton qui pointe sous le débardeur de sa mère.

L'autre "lauréat" de notre bilan qui ne figure pas encore parmi les 1040 titres (toujours bon à rappeler) de notre index, c'est Sils Maria, de l'ami Olivier Assayas, qui fêtait ses 60 ans hier (bon anniv Ounivié !). Ce film à double visage, qui puise dans toute une histoire du cinéma au risque de manquer de surprises, mais se révèle par ailleurs d'une rare maîtrise et permet à son auteur de renouer avec les sommets, trouve une place logique et somme toute assez confortable à mi-chemin de notre grand classement commun. Les autres films ? Inutile d'en dire plus, nous les avons pour la plupart critiqués (cliquez sur les liens, y'a de l'hypertexte à tous les étages sur ce blog à la pointe). Mais ne tardons plus et passons directement à l'essentiel, autrement dit à vos classements, le top et le flop de nos chers lecteurs :



http://ilaose.blogspot.com/2014/03/12-years-slave_4.html


Même si nous avons chaque année beaucoup de titres en commun, c'est la première fois que nous partageons le même n°1 que vous, et nous en sommes ravis. Under the Skin, pour le coup, domine votre classement de la tête et des épaules. L'écart qui le sépare des suivants est vertigineux. Pour le reste, le classement a somme toute bien fière allure et, si cette phrase a le moindre sens, nous pouvons dire que nous ne sommes pas peu fiers de nos lecteurs.

Autant d'ailleurs pour votre Top que pour votre Flop, qui réunit une belle envolée d'oies galeuses sur lesquelles, pour une bonne partie, nous avons tiré à feu nourri cette année (à commencer par vos trois vainqueurs, 12 Years a Slave, Lucy et Maps to the Stars, mais aussi l'inévitable Gilliam qui obtient un zéro pointé pour son archi-naze Zero Theorem). Autant d'oiseaux de mauvais augure que nous sommes ravis de voir s'éloigner pitoyablement vers les rivages de l'opprobre avec des tonnes de plomb dans l'aile. Un seul film nous semble injustement mitraillé, le très clivant Her de Spike Jonze, qui arrive 7ème de ce par ailleurs très juste flop infamant et 10ème de votre glorieux top (exploit déjà réalisé par David Cronenberg avec Cosmopolis en 2012 et par Harmony Korine avec Spring Breakers en 2013).

On remarque, statistiquement parlant, et on en terminera sur cette analyse, que le flop contient six titres de films en un seul mot. Six sur dix ! Après un petit calcul nous pouvons assurer que cela représente 60% des suffrages. Hasard ou coïncidence ? Claude Lelouch hésite en clignant des paupières comme un dingue, mais une chose est sûre, c'est que les films dont le titre tient en un mot sont manifestement plus menacés d'être à chier et de finir épinglés sur le mur de la tehon en fin d'année. Ceci expliquerait peut-être la présence forcée de Her dans le flop, malgré ses indéniables qualités. Et aurait pu justifier que Nymphomaniac y finisse aussi, qui le mérite, du coup, objectivement. Ceci est, quoi qu'il en soit, un sérieux avertissement lancé aux cinéastes qui s'apprêtent à sortir un film en 2015.


 A coup sûr, l'une des tronches marquantes de l'année 2014.

Que dire pour conclure ? Sinon merci. Cette année encore, vous avez été nombreux à participer aux votes, et nous tenons à vous remercier. Notamment Fabrice Guedon (aussitôt rebaptisé, au vu de son top tonitruant, Fabrice Guedin), Sylvain Métafiot (notre ptit, ptit, ptit, ptit métafillot), Pierre Guilho (qui a toujours du mal à établir son top de fin d'année, la faute à une persistance rétinienne de malade qui fait que les images des films de l'an passé sont encore imprimées dans sa tronche) Olivier Père (et Dieu sait que nous vous engageons à régler votre pas sur le pas de notre Père), Hamsterjovial (nous aimerions que ces jours où il est en verve et nous lâche quelques uns de ces commentaires dont il a le secret soient des jours sans fin), Le Ciné-Club de Caen (des années que nous envoyons nos souscriptions sous forme de chèques et toujours pas reçu le moindre programme, ça tourne au moins ?), Gondebaud (qui cette année nous a un peu fait faux bon de gaud), Thibault et Olivier (nos dirlo photo travelo), Édouard Sivière (qu'on attendait au tournant sur Night Moves - Nage Nocturne en VF - cette année), Max L. Ipsum (dit "Max l'Opossum" sur Senscritique.com), Camille Larbey (dont le top est tout à fait zarbey), Céline P. (que nous remercions pour les triples glaucomes dus à l'ancienne présentation de son, au demeurant, très chouette blog), le dr. Orlof (accro à la piquouse, et qui ne nous en a donc pas trop voulu d'avoir loupé son giga anniversaire cette année, une patte ce doc, bon anniv ! on est dans les temps ?), Inisfree (c'est quand que tu payes ta tournée ?!), Guillaume A. (la ramasse sur le flop, comme d'hab), Josette K. (notre chef machino, à gauche, sous le lien, sur la photo), Émilien (qui n'a pu voir que les films qui passaient dans le quartier chinetoque de Paname...), Jean-Pascal Mattéi (qui n'a pas mattéi grand chose cette année, si ce n'est son pote Taddéi), Asketoner (littéralement "demandez-le à elle", donc vous gênez pas), Fred MJG (quand se décidera-t-elle a changer de boîte mail ? Pour la 3ème fois, on ne reçoit pas tes messages !), Kevin Watrin (il a changé la première lettre de son nom, ça a changé sa vie), Victor Coulon (& the gang), Tepepa (test), Semmelweis (si vous pouviez nous en ramener un ou deux de votre prochain séjour en Suisse ? paraît que ça porte la chkoumoune !), Nolan (le changement de nom, ça suit son cours ?), Rick et Pick (mais aussi leurs acolytes Colégrame, Bour et Bour et Ratatam), Mathieu Ash (tes souhaits), Magenta Prod (frère de Pascal ? On espère pas...), et d'autres, nous avons sûrement oublié des noms, que leurs porteurs se manifestent gentiment et nous pardonnent, ou se taisent à jamais.


On espère à présent que l'année 2015 sera faite de moments de grâce, comme ceux qui parsèment le beau Still the Water de Naomi Kawase.

Mais remercions aussi nos collaborateurs fidèles de cette année, à commencer par celui qui, pour la première fois, a maté des films, déjà, puis a chaussé ses lunettes et pris la plume, nous avons nommé Vincent, routier cinéphile en direct de Salamanque (où il est connu comme le loup blanc sous le surnom de Piso 2C), mais aussi les vieux routards : Poulpard, jamais avare en racontards, Joe G. et ses multiples avatars, qui ne perd pas une occasion de foutre tout le monde mal à l'aise, Nônon Cocouan, juge et parti dans cette affaire, toujours prodigue en coups de latte pour ses têtes de turcs favorites, et puis Simon, le "darron", fan de Dominique A.(bus de voix aigüe est dangereux pour la santé) et dénicheur de gros coups invétéré (mais après coup).

Merci à tous d'avoir participé à ce bilan 2014 et, d'une manière ou d'une autre, à la vie de ce blog, que nous espérons encore longue en votre compagnie.

Isolation

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A partir du milieu des années 2000, plusieurs films d'horreur venus d'outre-Manche déboulaient sur nos écrans accompagnés d'une réputation très flatteuse et nous faisaient croire en l'éclosion salvatrice de nouveaux cinéastes talentueux. Des films comme The Descent ont même réussi à plaire au-delà des seuls cercles d'amateurs bien renseignés de cinéma de genre. Hélas, force est de constater aujourd'hui que les espoirs placés en ces réalisateurs ne se sont pas confirmés et quelqu'un comme Neil Marshall, après deux tentatives décevantes réalisées dans la foulée de The Descent, cachetonne et enchaîne désormais les épisodes de séries télé (Black Sails, Game of Thrones et Constantine). N'empêche qu'il n'est jamais trop tard pour redécouvrir les œuvres moins connues de cette timide nouvelle vague du cinéma d'horreur britannique, et parmi elles, il y a un titre dont je garde un souvenir particulièrement positif : Isolation, de l'irlandais Billy O'Brien.




Isolation nous plonge immédiatement dans une ambiance lourde et poisseuse à souhait, Billy O'Brien choisissant de prendre pour décor une ferme sombre et perdue, giflée par une pluie incessante, sale, bruyante, envahie par la rouille, la crasse et le purin. A l'intérieur, un éleveur de bovins tente laborieusement d'éviter la faillite définitive de son exploitation. Pour cela, il permet à un laboratoire de mener des tests de fécondation sur son bétail, des expérimentations supposées accélérer la gestation des vaches et la croissance des futurs veaux. Lors d'un contrôle de routine, certaines anomalies troublantes sont détectées, et très vite, la ferme bascule en plein cauchemar. Le fermier, aidé par son ex-femme vétérinaire et par un couple de jeunes paumés vivant dans une caravane non loin, essaiera dès lors d'empêcher la propagation d'une abominable mutation, particulièrement gluante et carnivore...




Je vous l'annonce tout de suite : Isolation n'atteint pas des sommets d'originalité. Il s'agit typiquement d'un film d'horreur qui nous rappelle qu'avec un peu de talent, on peut faire des merveilles à partir d'un pitch pourtant très basique. Billy O'Brien, dont la page Wikipédia nous apprend qu'il a "commencé sa vie dans le monde agricole" (une expérience que l'on imagine traumatisante...), a l'intelligence de tout miser sur l'ambiance et, sur ce point-là, son film, au réalisme crasseux, est diablement réussi, un petit modèle du genre. Nous sommes tout de suite happés par l'atmosphère sordide et claustrophobique d'un film hautement anxiogène qui démarre très fort et s'appuie sur un suspense tout simple pour permettre une montée progressive dans la terreur.




Si l'ambiance est sans conteste l'atout numéro un, quelques scènes sortent du lot : on se souviendra longtemps, par exemple, de ce vêlement pénible, accompli dans la douleur, rythmé par les plaintes d'une pauvre vache dont on finit par extraire une aberration de la nature, un veau atroce, anormalement développé. Car il faut savoir que les monstres d'Isolation sont informes et dégueulasses, quasi lovecraftiens, sans doute conçus avec le souci d'imaginer ce qu'une nature insultée, corrompue et défaitiste pourrait réellement nous donner à voir. Ils apparaissent donc particulièrement bien pensés.




A l'image du Creep de Christopher Smith, autre film d'horreur britannique de cette même période où une jeune bourgeoise londonienne se retrouvait coincée dans les tréfonds du métro et redescendait d'un seul coup l'échelle sociale, Isolation n'oublie pas non plus ses origines et prend également les aspects non-négligeables d'un film social remonté à bloc. Ainsi, tous les personnages luttant pour survivre sont des marginaux, sans le sou, isolés, délaissés, abandonnés, qui tentaient déjà vainement de subsister dans un monde qui ne s'embarrassait pas d'eux, les laissant pourrir et mourir loin des villes. On imagine aisément que Billy O'Brien voulait peut-être en profiter pour faire passer un message alarmant sur la situation des agriculteurs irlandais dont il dresse un portrait assez terrible. L'épouvante se mêle donc au social, "Ken Loach rencontre John Carpenter" pourrait-on dire, dans un film qui ne se limite pas à rappeler, inévitablement, les références imposantes que sont Alien et The Thing, mais qui, sans révolutionner quoi que ce soit, s'impose comme une belle réussite.


Isolation de Billy O'Brien avec John Lynch, Ruth Negga, Sean Harris et Essie Davis (2005)

Salem's Lot

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Mini-série signée Tobe Hooper et adaptée d'un roman de Stephen King, Salem's Lot a ensuite été regroupée en un film de 3h07 qui, malgré sa longueur, passe comme une lettre à la poste, grâce entre autres à un charme discret mais constant et à un rythme accueillant. On entre dans cette histoire du King et on s’y plaît. Tout repose sur l’ambiance de cette petite ville de Salem que nous visitons en même temps que Ben Mears (David Soul), de retour au bercail après une longue absence. On voyage lentement entre les habitants de la bourgade : ce couple au bord de la rupture, madame trompant son mari bedonnant avec le patron de l'agence immobilière où elle travaille ; ce flic à la petite semaine qui bouffe des sandwichs et des donuts entre deux interrogatoires (et rappelle les enquêteurs bonhommes de Twin Peaks - et autant dire, quitte à être seul sur ce coup, que je me sens mieux devant la petite série de Tobe Hooper que devant celle, cultissime, de David Iench) ; cet enfant passionné par le paranormal ; ou encore ce vieil homme étrange qui vit dans la maison hantée du coin (celle qui terrifie notre héros depuis toujours, au point qu'il semble être revenu sur les lieux uniquement pour en finir avec elle), et qui ne cesse d'annoncer la venue d'un estimé collègue, attendu de pied ferme pour ouvrir avec lui son petit magasin d'antiquaire et, on s'en doute déjà, bien plus que ça.




Salem's Lot est un film télé de vampires assez simple en soi, et peu prodigue en véritables coups de théâtre, mais qui pourtant ne cesse d’étonner, à sa modeste mais bien efficace façon. Et notamment par son art de réinventer les vampires. Ils contaminent les innocents du village la nuit, en venant se présenter à leur fenêtre, flottant lentement dans les airs, sans précipitation aucune, et attirant leurs proies par un regard lumineux envoûtant avant de venir, presque délicatement, les prendre au cou. Cette belle idée de croiser, si l’on peut dire, et notamment dans la première partie du film, un récit de vampires avec l’univers des contes (on ne peut s'empêcher de penser à Peter Pan), éloigne le film des codes du genre, à tel point, Tober Hooper tardant à filmer une morsure proprement dite, que l’on met un certain temps, après avoir déjà vu des disparus venir se présenter à la fenêtre de leurs proches, à se rappeler du titre français du film, Les Vampires de Salem, et de la véritable nature de ceux que l'on avait fini par prendre pour de simples fantômes surgis d'entre les morts pour hanter, sans velléité maléfique, les nuits des vivants.




Certains effets spéciaux sont évidemment un peu grossiers, mais comme dans certains des plus beaux films gothiques de Roger Corman, la délicatesse de la réalisation et la sincérité que l’on sent derrière tout cela évitent, ou devraient logiquement éviter, les rires du spectateur. Les quelques apparitions de vampires un rien grotesques (façon marionnette surgissant d'une boîte à chapeau) sont en outre contrebalancées par toutes celles qui fonctionnent à merveille. Par exemple celle du jeune enfant, première victime du « maître vampire » (un Nosferatu pur jus, à la peau bleue de toute beauté), qui vient faire crisser ses ongles contre les carreaux de la fenêtre de son grand frère. Ce dernier est d'ailleurs au cœur d'une belle scène lui aussi quand, contaminé à son tour puis retrouvé mort, un des villageois l'exhume et le découvre, allongé dans sa tombe, inanimé certes, mais les yeux jaunes grands ouverts. Sans oublier, toujours du côté des personnages diaboliques, l'antiquaire du coin, le sublime James Mason, avec sa voix aussi élégante que traînante et son bel accent aristocratique, qui livre là une prestation à sa mesure, en serviteur raffiné du mal.




Les autres acteurs s’en tirent plutôt bien aussi. C'est vrai de tous ces seconds rôles que l’on aime toujours recroiser (Elisha Cook Jr. en tête, dans le rôle d'un poivrot, ou Fred Willard, le patron de Ron Burgundy dans Anchorman, idéal en petit directeur d'agence immobilière). C'est vrai aussi de David Soul, dans le premier rôle (qui jouera, presque dix ans plus tard, dans une autre mini-série particulièrement chère à mon cœur et elle aussi dotée d'un casting quatre étoiles : Le Secret du Sahara). Sans oublier Bonnie Bedelia, l’éternelle ex-femme de John McLane dans Die Hard. A force d’incarner madame tout-le-monde aux côtés de Bruce Willis dans la saga initiée par McTiernan en 88, magnifiée par lui en 95, et depuis complètement tombée en ruines, elle finissait par ressembler à madame dégun. Elle est ici ô combien plus ravissante, certes avec dix ans de moins, et plus captivante,à l’image de cette mini-série horrifique dont elle est la touche féminine non-négligeable.




Film-fleuve, Salem's Lot se laisse apprécier en toute simplicité et réserve son lot de scènes mémorables, via de bien petites choses a priori : une simple caisse en bois, étrangement glaciale, transportée dans un camion ; une conversation entre un vieux prof et son ancien élève autour d’une table de restaurant recouverte d’une de ces nappes à carreaux rouges et blancs dont les américains ont le secret ; ou encore un type, laissé raide mort sur son lit dans la scène précédente, retrouvé assis dans une chaise la scène suivante, les mains sur les accoudoirs, immobile, le regard fixe et terrifiant. Autant de beaux moments qui font le sel de cette plongée de trois heures dans un huis-clos aux mesures d'un village condamné, Salem, qui n'est plus le berceau des sorcières (ni de la "chasse aux sorcières" des années MacCarthy, comme dans la sublime pièce d'Arthur Miller, The Crucible), mais bien celui de vampires shakespeariens, obstinés à venir charmer et posséder leurs proies en flottant, faussement innocents, à leur balcon.


Salem's Lot de Tobe Hooper avec David Soul, Bonnie Bedelia, James Mason, Fred Willard, Elisha Cook Jr., Lance Kerwin, Lew Ayres, Julie Cobb, George Dzundza, Ed Flanders, Geoffrey Lewis et Kenneth McMillan (1979)

Fury

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Que sait-on de David Ayer ? Nous lui avons récemment consacré tout un article-bilan, doté d’un large corpus (toute sa filmographie, rien de moins), mais, il faut l'avouer, nos recherches bibliographiques sur l'individu Ayer furent assez courtes, puisqu’elles n’ont jamais eu lieu. En Master 1 d'études cinématographiques notre mémorandum, pourtant assez fin en analyses, aurait reçu la généreuse note de 0.25/20 (sachant qu'il faut 14 pour passer en Master 2), avec, dans la marge, la mention de notre directeur de recherche précisant à toutes fins utiles : "Et encore, chuis large". J’ai donc décidé de réparer cette faute à l’occasion de cette critique du dernier opus de notre cher cinéaste skinhead, en allant lire la page wikipédia française qui lui est consacrée, et j’y ai appris (je vous le livre gratos, ne me remerciez surtout pas de mâcher le travail aux futurs exégètes du cinéaste) que ses parents l’ont foutu dehors à l’adolescence, et qu’il est alors parti vivre avec son cousin Toussaint (auquel il rendra un bel hommage dans son premier film) à Los Angeles. C’est apparemment tout ce que l’on sait de David Ayer, et c’est peut-être d’ailleurs tout ce que l'individu sait lui-même. Par conséquent, ergotons plutôt sur ce qu’aurait pu être sa vie. S’il était né, non pas en 17 à Leidenstadt, comme Jean-Jacques Goldman, mais disons en 17 à Pétrograd, Давид Ayerovitch serait probablement devenu komsomolet. C’est vrai qu’il a l’air d’un garde du corps russe avec son crâne luisant, son bouc d’un autre temps, ses yeux chassieux et ses épaules de bûcheron. Mais il est né en Amérique et s’est retrouvé à errer dans des quartiers malfamés de la cité des anges, qui lui ont inspiré ses premiers films bourrés à craquer de coke, d’armes à feu et de morts violentes sans mobile apparent.


Il y a bien longtemps, dans une prairie lointaine, très lointaine...

Dans notre article-bilan (un backlink supplémentaire) consacré à la carrière de David Ayer, cinéaste de jour et portier de nuit, nous constations, de film en film, une fracassante chute libre. Le dernier né de la filmographie Ayer, Fury, sorti sur les écrans l’an passé, confirme malheureusement la règle et fait de notre homme une sorte de komsomolet américain, fier de quitter un moment les action flicks sur les no-go zones du South Central de Los Angeles pour nous livrer un film historique de pure propagande. Comment peut-on encore, en 2014, faire un tel tam-tam pour l'armée américaine, et le faire qui plus est en repassant par la case archi-rebattue de la seconde guerre mondiale ? David Ayer n’a peur de rien, et à l’heure où Eastwood s’excite sur un tireur d’élite au tableau de chasse impressionnant, jouasse d'avoir dégommé des dizaines de personnes en Irak, lui nous raconte comment l’équipage d’un banal char Sherman, entre 1942 et 1945, aurait nettoyé le continent européen d’environ la moitié de l’armée allemande à lui tout seul…


La scène-choc du film, celle qui veut déranger. Pour que son trouffion apprenne à tuer, Brad Pitt le force à abattre un prisonnier sous le regard bovin des copains.

Ayer glisse bien un soldat ennemi « humain » à la fin de son film, mais c’est pour mieux faire passer tout ce qui précède, un film idiot à la gloire des surpuissants soldats américains venus éradiquer la peste nazie jusque dans les tréfonds de l’Allemagne. Il renoue même avec le manichéisme bienheureux de la saga Star Wars : à filmer la seconde guerre mondiale en 2014 pour mieux s'enflammer sur la force militaire américaine, il fallait bien moderniser ce vieux conflit ringard, aussi Ayer mise-t-il tout sur les balles traçantes des mitrailleuses alliées et ennemies, qui se transforment pour les besoins du dépoussiérage en authentiques lasers, verts et rouges, pour bien distinguer les deux camps. Ici, contrairement au code couleur des sabres-lasers en vigueur dans la galaxie lointaine de George Lucas, les gentils tirent à boulets rouges (c’est plus violent, plus fort, plus mortel ! du reste leurs armes sont apparemment les seules à faire mouche), tandis que les méchants tirent en vert (tarlouzes…).



Brad Pitt, à mi-chemin entre le chasseur de nazis vengeur et prognathe d'Inglourious Basterds...

Brad Pitt, producteur, s’offre un rôle sur mesure : coiffé comme le dernier des footballers professionnels trépanés du XXIème siècle, il incarne le chef de brigade respecté, indestructible et cultivé (parlant couramment l’allemand). Il est endurci mais humain. On le voit multi-gifler Percy Jackson, sa nouvelle recrue (Logan Lerman), puis forcer ce dernier à tuer un prisonnier de guerre sans autre forme de procès, quand il ne massacre pas ses ennemis à coups de couteau dans les yeux (dans la scène d'intro du film, où il se montre moins méticuleux coutelas en main que dans l'ultime séquence du film de guerre de Tarantino). Sauf qu’après chaque geste minable, il s’éloigne pour chialer, ou au moins trembler du menton, à l’abri des regards. C’est un subtil mélange entre le lieutenant Aldo Raine, le gros bâtard peu glorieux que Pitt interprétait dans le Inglourious Basterds de Tarantino, et le lieutenant Miller, Tom Hanks, l'intouchable prof de lettres d'Il faut sauver le soldat Ryan. Le beurre et l’argent du beurre. L’enflure badass et le bon samaritain humain. Trop humain.



...et le fin lettré sensible et pudique interprété par un double-academy-award-winner, Tom Hanks, dans Il faut sauver le soldat Ryan.

Dans une longue scène spécialement pénible*, David Ayer nous laisse longuement croire (du moins l’espère-t-il) que ce meneur d'hommes téméraire, ce salopard en chef, va violer deux allemandes en culottes courtes. Mais Brad Pitt se contente de se laver le torse - il fallait bien qu’il l’exhibe ! - et de manger une omelette aux gravats en écoutant un morceau de clavecin. Puis, quand ses gaillards menacent les deux innocentes petites aryennes de passer au plat de résistance, Brid Patt les retient d’une poigne de fer, en pur défenseur du droit des femmes. Sublime à tous les étages. Quitte à vous gâcher le plaisir, disons-le, le beau Brad mourra en héros, dans un finale proche de celui du film de Spielberg (une poignée d’hommes contre trois bataillons de boches), mais avec 2 de QI devant et derrière la caméra (en les additionnant). Brad se sacrifie et sacrifie ses hommes pour sauver des centaines d’autres amerloques, et finit par tomber après avoir reçu environ douze balles, tirées une à une par un sniper allemand attifé comme Dark Vador, le tout sur fond de chorale élégiaque. Mieux, après que les allemands ont fait sauter deux grenades dans le char où Brad, déjà transformé en passoire et à moitié mort, venait de se replier, on retrouve ce dernier certes cané, quand même, enfin !, mais pas du tout abîmé. Deux stielhandgranates viennent de lui sauter à la gueule à bout portant mais il semble s’être éteint dans son sommeil, la mèche d’Olivier Giroud toujours impeccablement plaquée sur le crâne. Dur à cuire...


Brad prépare ses ablutions. Il n'a rien perdu de sa superbe depuis Fight Club. Le tankiste est tanqué.

Qui dit joyeuse propagande américaine dit bondieuseries, et elles sont sans fin dans Fury. Shia LaBeouf, dont le personnage est surnommé « The Bible » par ses camarades, est plus ou moins seul, au début du film, à prier Dieu, quitte à affronter les railleries de ses petits copains. Mais peu à peu les autres passagers du char doivent bien se rendre à l’évidence : ces types ont le cul béni, ils sont protégés par le ciel, seuls aimés de Dieu, et ils en sont ravis. Le plan final nous montre le char éponyme arrêté à un carrefour, au cœur d'une gigantesque croix, prise en plongée, lentement recardée par un mouvement d’appareil ascensionnel qui veut peut-être mimer la montée aux cieux des hérauts de la liberté… Et, tout autour, s'étendent les cadavres des 300 soldats allemands (au bas mot), vraiment pas doués faut-il croire, que nos quatre valeureux martyrs ont dégommés sans trop d'efforts, planqués dans leur bastion à chenilles en panne. Cette image, piteuse, nous laisse avec un goût amer en bouche, et la conviction d’avoir consacré un article-bilan à un vrai débile.


Pour David Ayer, Dieu n'est pas un fumeur de havanes, c'est un char Sherman.

* Dotée d’un passage présumé poignant mais particulièrement douteux, où nous apprenons que l’horreur absolue de la guerre, telle que décrite par les mercenaires de Brad Pitt, aurait consisté à achever des centaines de chevaux sur une côte de Normandie après le débarquement (et après avoir massacré des centaines d’allemands qui se repliaient, mais c’est un détail à côté des canassons). Probable d’ailleurs que ces tankistes qui, en 1945, traversent l’Allemagne direction Berlin, auront croisé quelques camps sur leur route, mais il n’est rien dit de tout cela. Rien n'y obligeait, certes, mais il est déroutant de voir des hommes bouleversés à ce point par des chevaux achevés d'une balle dans la nuque quand, pratiquement à la même période et non loin de là, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants étaient assassinés selon le même mode opératoire (ou d'ailleurs un autre). Pour notre brigade héroïque, le traumatisme des chevaux était apparemment indépassable. Ne soyons tout de même pas malhonnêtes, nos héros hurlent à d’innombrables reprises « salauds de nazis ! » en les canardant, ce qui veut tout dire et suffit bien.


Fury de David Ayer avec Brad Pitt, Shia LaBeouf, Logan Lerman et Jason Isaacs (2014)

The Guest

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Avec un tel film, Adam Wingard va forcément asseoir sa petite réputation auprès des amateurs de bonnes vieilles séries b, directes et efficaces, comme on n'en fait plus guère, lui qui avait déjà conquis son monde avec le home invasionYou're Next. Sans doute nourri du cinéma de genre des années 80, Adam Wingard s'inspire cette fois-ci de tous ces thrillers américains dans lesquels un individu a priori bien sous tous rapports s'introduit dans une famille et se révèle de plus en plus inquiétant et nocif... Ici, il s'agit d'un jeune soldat revenu du front qui débarque dans le foyer endeuillé d'un camarade tombé au combat. David, c'est son nom, ou en tout cas celui qu'il se donne, va devenir le protecteur de la famille, le grand frère de substitution, aux méthodes expéditives mais appréciées. On ignore le but réel de ce personnage mais, ne faisant jamais dans la dentelle et encore moins dans l'étude de caractères, le réalisateur ne nous permet à aucun moment de douter de sa réelle sagesse...




L'intrigue est cousue de fil blanc, le film ne surprend à peu près jamais, mais il a au moins le mérite de ne pas s'embarrasser d'explications fastidieuses et de retournements de situation grandiloquents. Adam Wingard sait très bien que nous ne sommes pas venus là pour ça. Il cherche simplement à nous amuser et il y parvient aisément, à condition, bien sûr, d'être dans les dispositions adéquates. Il faut alors bien reconnaître que l'on suit tout ça avec un certain amusement. On ressent très exactement ce plaisir un peu coupable, gentiment régressif, que seules des films de (ce) genre sont capables de procurer. C'est assez idiot, ça n'élève pas vraiment les esprits et c'est le moins qu'on puisse dire mais, une fois de temps en temps, un film comme ça est drôlement appréciable !




On sent qu'Adam Wingard n'aime quant à lui rien de plus que filmer des moments de violence cocasses et sanglants lors de scènes d'action pas si mal exécutées et toujours très lisibles. Je pense tout particulièrement à cette soudaine mais très attendue bagarre dans le bar où notre "guest"étale une bande de jeunes en deux temps trois mouvements, et à cette grande fusillade où toute l'équipe de tournage a semble-t-il pris un malin plaisir à transformer une maison entière en passoire géante. Les acteurs, à commencer par le bellâtre Dan Stevens dans le rôle du mystérieux parasite, ont l'air de bien s'amuser aussi. La jeune Maika Monroe, remarquée dans It Follows, est une présence agréable, elle parvient sans souci à se différencier des bimbos qui hantent habituellement ces films-là.




Il faut également reconnaître que le jeune cinéaste n'est pas manchot et qu'il a parfois quelques idées. Le final, qui se déroule dans un grand décor de foire spéciale Halloween aux lumières flashy et plongé dans un brouillard artificiel, où les personnages parcourent un labyrinthe avant de se retrouver au palais des glaces, propose ainsi de belles trouvailles visuelles et une ambiance soignée. Bref, si, comme moi, vous aimez, à l'occasion, vous envoyer ce genre de films, The Guest est carrément fait pour vous ! Ce sont des titres comme celui-ci que Tarantino devrait placer dans ses fameux tops annuels...


The Guest d'Adam Wingard avec Dan Stevens, Maika Monroe, Leland Orser et Lance Reddick (2014)

It Follows

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Déjà remarqué au Festival de Cannes l'an passé, It Follows a, depuis, suivi son petit bonhomme de chemin, en ne ratant aucune étape. Couvert de louanges et de récompenses, le film de David Robert Mitchell arrive aujourd'hui sur nos écrans auréolé d'une réputation écrasante qui entraîne logiquement des réactions passionnées. Moi-même, je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir une petite pointe de déception à la sortie de la séance, rapidement dissipée. On en oublie en effet le film que l'on a devant soi, pour ne penser qu'à celui que l'on s'imaginait et que l'on s'était mis à attendre. Et pourtant, It Follows est peut-être bien celui-ci. Le film d'horreur nécessaire et espéré. Un film certainement voué à devenir culte et qui saura conserver une place de choix dans la cinéphilie de beaucoup de ses spectateurs. Une chose est sûre : il vaut le coup d’œil, mérite qu'on lui donne sa chance et justifie que l'on s'y attarde un peu.




Non, ce film ne révolutionne pas le genre. Mais pourquoi le cinéma d'horreur aurait-il besoin d'une révolution ? Quand déboule un film comique qui fait marrer tout le pays, on ne se plaint pas qu'il ne révolutionne guère la comédie, non ? Condamné à une certaine redite, inondé de navets intenables et purement commerciaux, baignant ainsi dans une médiocrité crasse et une répétition lassante qui lui semblent inhérentes, le genre horrifique devrait donc trouver son salut dans un indispensable bouleversement. On peut encore l'attendre, cette révolution... Si l'élégant It Follows parvient à susciter de tels éloges, c'est peut-être tout simplement parce que le second film de David Robert Mitchell se trouve au bon endroit, au bon moment. Avant d'aller plus loin, ouvrons une petite parenthèse pour établir un bien triste constat : avant, les noms des cinéastes spécialisés dans l'horreur avaient quand même autrement plus de gueule ! Wes Craven, John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper, George Romero... C'est autre chose que "David Robert Mitchell", non ?! C'est quand même dommage... Je ne suis pas contre l'usage d'un pseudonyme quand on a un patronyme si plat et que l'on s'essaie à l'horreur. Enfin bref, passons. 




It Follows m'apparaît donc, à sa façon, comme le film d'horreur nécessaire et attendu. Pourquoi ? Parce qu'il est à la croisée des chemins de plusieurs tendances actuelles, qui généralement n'arrivent pas à s'entendre et à se rejoindre pour de bon, et parce qu'il parvient à tirer et à représenter le meilleur de chacune d'elles. Dès les toutes premières images, et ce superbe plan-séquence en panoramique dans un quartier pavillonnaire qui nous est étrangement familier, nous savons que nous sommes en présence d'un film issu tout droit du cerveau et de l'imaginaire d'un cinéaste ayant grandi avec le meilleur du cinéma de genre des années 70, 80 voire au-delà. Wes Craven, David Lynch et, bien sûr, John Carpenter, sont les premiers noms qui me viennent en tête. Nous tenons là une œuvre sous influences, qui ne cache pas sa filiation, et qui pourrait même être interprété, mais ce serait bien réducteur, comme une brillante variation autour d'Halloween, sa référence la plus voyante. Il est d'ailleurs à la fois amusant et consternant de constater que les mêmes griefs sont dirigés à l'encontre des deux films. A près de 40 ans d'intervalle, ils véhiculeraient un même puritanisme rétrograde, dangereux et nauséabond, ils consisteraient, somme toute, en un même appel grotesque et odieux à l'abstinence, car la relation sexuelle tue, transmet le mal. S'arrêter à une interprétation si terre-à-terre pour un film qui nous laisse si libre d'y voir ce que l'on veut, qui multiplie intelligemment les pistes et déploie une vraie richesse thématique, est surtout, en réalité, d'une grande tristesse et atteste d'une sacrée étroitesse d'esprit. 




It Follows se présente ensuite comme un film indépendant qui s'intéresse exclusivement à la jeunesse, ne montre quasiment pas un adulte, et porte sur ses jeunes protagonistes un regard attentionné et inquiet, doux et mélancolique. Un dialogue délicatement amené et survenant assez tôt nous apprend que l'un des grands garçons souhaiterait tout simplement retourner en enfance, à cet âge où l'on est encore heureux car tout est encore possible. Cette jeunesse est donc plutôt blasée, pessimiste, cernée par la crise et par la mort, abandonnée par ses aînés ; elle ne sait pas quoi faire de sa vie, et paraît avoir accepté une certaine fatalité, le caractère inéluctable d'une existence sans éclat, d'un avenir morose, sans réelle liberté. Les sinistres "suiveurs" sont souvent des parents, des personnes âgées, qui symbolisent toutes leurs peurs. David Robert Mitchell n'oublie pas non plus de se doter d'un regard social bienvenu en filmant très frontalement les banlieues grises, délaissées et sacrifiées de la ville de Detroit. Des zones pratiquement interdites, dont on ne parle plus, où la petite bande se rend dans l'unique but de retourner sur les traces éventuelles de leur malédiction, à son origine. Avec ce double regard adroit et discret, le cinéaste convoque toute une frange de ce cinéma indé américain que l'on aime et que l'on défend, les Kelly Reichardt, Matthew Porterfield et compagnie, en remontant plus loin, on pourrait même citer Gus Van Sant.




Enfin, et c'est ce qu'il y a sans doute de plus agréable à observer, It Follows porte clairement la marque d'un nouveau cinéaste, encore en devenir certes, mais qui, de par la maîtrise formelle éclatante dont il fait de nouveau preuve, la capacité rare à investir et à s'approprier les codes d'un genre, ainsi que la cohérence avec son précédent film (le méconnu The Myth of the American Sleepover qui sera, je l'espère, redécouvert à la lumière de son poursuivant), vient ici confirmer son éclosion. On a comme l'assurance d'avoir là affaire à l’œuvre d'un auteur à suivre, et la vision d'un film d'horreur offre rarement cette intime conviction. Ces derniers temps, la plupart des réussites du genre apparaissent souvent d'emblée comme des coups uniques, laissés sans suite. Le prochain opus de Mitchell sera très attendu, et il ne s'agira sûrement pas d'un film d'horreur, mais il y reviendra peut-être, et celui qu'il a déjà réalisé atteste d'une vraie singularité, d'une personnalité polyvalente, et c'est bien là l'essentiel. Aussi banal soit-il, son nom à rallonge va désormais compter dans le paysage du cinéma indé US. Pour toutes ces raisons, on peut comprendre l'accueil réservé à It Follows, titre horrifique qui tombe à pic et saura séduire le cinéphile lambda.




Si la forte reconnaissance que ce film a réussi à obtenir permet enfin de faire prendre conscience que, oui, c'est bel et bien de ce côté-là qu'il faut aller chercher les pépites, dans les marges du cinéma indépendant, alors tant mieux ! C'est là que sont produits les meilleurs films de genre depuis maintenant un moment. It Follows n'est donc pas une révolution, peut-être pas un chef-d’œuvre ou quoi que ce soit, mais c'est un film nécessaire, arrivé au moment le plus opportun, qui réussit à cristalliser, en beauté, différentes aspirations, pour 100 minutes qui font un bien étonnant au cinéma de genre entier. On peut simplement prendre du plaisir à y repenser en le considérant comme une sorte de vaste cauchemar dont ses jeunes protagonistes ne sortent jamais. On sort d'ailleurs du film comme on se réveille d'un mauvais rêve particulièrement marquant, en essayant d'en trouver le sens, persuadé qu'il y a une signification forte, évidente, mais insaisissable. Son ambiance onirique et flottante, ses décors désolés et hors du temps (habilement, le réalisateur se plaît à mêler les époques, à travers des accessoires incongrus et très peu d'indices temporels clairs) ont tôt fait de nous envelopper, de nous installer pleinement et confortablement dans une atmosphère étrange, incertaine, où la peur peut surgir au fond de l'image, hors-champ, n'importe où, n'importe quand et, pire encore, être incarnée par n'importe qui.




Même si le film n'est pas le choc ou le traumatisme que certains auront peut-être eu le tort d'attendre puis de regretter, les pures scènes de trouille sont d'une vraie efficacité et rythment idéalement l'ensemble. Des ellipses savamment placées distillent également un malaise véritable, on en vient par exemple à croire que notre jolie et pure héroïne (incarnée par Maika Monroe, actrice à suivre !) a été poussée à s'offrir à trois étrangers pour transmettre, temporairement, son malheur. Cette idée de transmission maléfique, ce jeu permanent sur le hors-champ, et un autre clin d’œil anecdotique autour d'une piscine, viennent d'ailleurs rappeler les grands films de Jacques Tourneur (Rendez-vous avec la peur, La Féline). Le talent de DRM (c'est déjà plus classe que son nom complet !) a le mérite de titiller notre imagination, comme en ont été capables avant lui les grands noms du fantastique. Sa mise en scène, appuyée par une bande son au diapason qu'il faut vraiment saluer aussi, nous rend légèrement paranos et donne une nouvelle saveur à ces peurs enfantines et adolescentes qui, depuis toujours, nourrissent et inspirent le cinéma d'horreur. Mitchell connaît bel et bien ses classiques et s'amuse à nous faire scruter le cadre, à la recherche d'un rôdeur éventuel, d'une menace avançant lentement mais sûrement ; il nous pousse à essayer de reconnaître les signes distinctifs de cette mort qui rôde, constamment, inarrêtable, se tenant toujours prête à nous rattraper, à nous happer. Pour toutes ces qualités, pour la peur et l'espoir qu'il parvient à susciter, It Follows est un film digne d'éloges, un modèle du genre, et il serait bien dommage qu'à l'instar de ces jeunes filles qu'il fait frémir et disloque, il ne soit, en quelque sorte, victime de son propre charme.


It Follows de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Lili Sepe et Daniel Zovatto (2015)

Le Corbeau

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Film mineur dans la série des adaptations de Poe par Corman, Le Corbeau sort tout de même du lot par sa qualité de comédie. Le film ne nous fera pas marrer comme des baleines, mais il est clairement léger et voué à distraire tranquillement. Pas d’horreur ici, pas de véritables créatures maléfiques ni aucune zone d'ombre. On retrouve bien quelques motifs récurrents (un tombeau, un amour perdu, un château en flammes), mais Corman et son scénariste attitré, Richard Matheson, se fichent un brin du poème éponyme d'Edgar Allan Poe, cité au début et à la fin du film par principe. L’œuvre s'éloigne ainsi allègrement des vers mélancoliques du poète pour nous offrir en spectacle les conflits de trois magiciens, incarnés par des acteurs qui aident à se sentir bien : Vincent Price, bien sûr, qui en fait des tonnes, mais aussi Peter Lorre, dans le rôle d’un magicien raté, alcoolique et maniganceur, et ce cher Boris Karloff, dans la peau du vilain. Sans oublier Jack Nicholson, collaborateur de Corman et déjà acteur pour lui dans le célèbre et plus directement potache La Petite boutique des horreurs, qui est ici producteur en plus d'incarner le fils un rien benêt du magicien aux yeux globuleux joué par l’éternel M le maudit.



Ce geste de Vincent Price résume assez bien la position de Corman vis-à-vis de tout esprit de sérieux dans cette adaptation.

Le film, tourné avec un budget extrêmement maigre (comme d'habitude ; d'ailleurs le cinéaste recyclera quelques plans en contreplongée sur un château gothique l'année suivante dans La Malédiction d'Arkham), souffre de quelques longueurs (comme beaucoup d'épisodes de la série, y compris parmi les meilleurs), mais aussi d'un manque d'efficacité, y compris dans la trivialité. Corman nous livre une suite de situations cocasses devant lesquelles on se contente de sourire. Mais on peut prendre quelque plaisir devant cette scène où Vincent Price va couper une mèche des cheveux du cadavre verdâtre de son père (qui n'est pas sans évoquer l'incroyable Hulk) puis mitonne une potion magique sous les conseils d’un Peter Lorre transformé en corbeau (d'où le titre). Idem avec cette autre scène où Boris Karloff transforme le même malheureux Peter en flaque fumante de confiture de framboise, et, surtout, celle, clou du film, malheureusement un poil trop longue, où les deux véritables magiciens du film, Price et Karloff, s’affrontent dans un duel à mort plus pépère que cruel, assis face à face dans des fauteuils et s’envoyant toutes sortes d’objets au visage qu’ils évitent par mille ruses et autres tours de magie. Les effets spéciaux sont ce qu'ils sont, le jeu des acteurs est plus souvent grotesque que burlesque, et on aurait pu espérer mieux – quitte à rester dans le genre comique – de la réunion de tels comédiens, mais tout cela conserve le petit charme des immenses acteurs en présence et des choses idiotes que Corman leur donne joyeusement à faire.


Le Corbeau de Roger Corman avec Vincent Price, Peter Lorre, Boris Karloff, Jack Nicholson et Hazel Court (1962)

Locke

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Le film Locke, de Steven Knight, nous aura appris un truc : que concrete, en français, veut dire « béton ». En fait il nous aura appris deux trucs. On a toujours pensé que l’album Concrete Jungle de Bob Leymar parlait d’une « jungle concrète », et nous pigeons désormais le vrai sens de ce titre. Ce film nous a appris trois trucs, pour être honnête. On pensait aussi, de proche en proche, que Concrete Island de J. G. Ballard parlait d’une « île concrète » (titre plausible pour un livre de SF !), avant de piger que l’écrivain causait simplement d’une « île de béton », ce qui fait complètement sens étant donné le contenu de l’ouvrage. Le film Locke a donc considérablement simplifié nos vies. Et ce n'est pas son seul mérite. Avez-vous vu beaucoup de films dont le héros travaille dans le bâtiment ? Il ne s’agit pas d’un pilote du tout, comme l’affiche, appelant sournoisement l’amalgame avec celle de Drive, pouvait le laisser croire. Il ne suffit pas de mater l’affiche, il faut s’intéresser au pitch parfois pour cerner un film ! C’est bien d'un maçon dont il s'agit. Le film dure une heure et quart, c’est un film à idée de base forte, comme Buried ou autres. C’est l’histoire d’un type qui zone une heure et quart en bagnole, à passer des coups de fil pour le salut de sa vie.




Au moment où le film démarre, qui coïncide avec le moment où Tom Hardy met le contact dans sa bagnole, le personnage apprend qu’il va devoir gérer la plus grosse coulée de béton de toute l’histoire du génie civil hors ouvrages militaires. Ce qui n’est pas rien. Le bonhomme maîtrise son sujet pour qu’on lui confie de telles responsabilités. Mais non content d’avoir ce poids sur les épaules, Locke, puisque c’est le nom de notre maçon, apprend d’un coup de fil que sa vie va basculer : sa maîtresse l’appelle pour lui dire qu’elle est enceinte et qu’elle va accoucher dans neuf mois vu qu’ils viennent de baiser il y a neuf jours (Locke se justifiera de cet acte manqué dans une scène de confession en avouant : « Un soir où ma femme a tardé à répondre au téléphone, je l’ai trompée, j’en ai bousillé une autre »). Aucune incohérence dans ce film qui a été écrit d’un coup sec, pas le temps pour les incohérences, l’auteur a foutu une gifle à son clavier et ça a donné cette histoire. C'est unfilm à records, puisque c’est aussi le seul film où un seul acteur, Tom Hardy donc, apparaît à l’écran. Il y avait également huit caméras casées dans le véhicule de Tom Hardy. Huit caméras ! Tous les records sont battus dans ce film, sauf un ou deux.




Pour revenir au script, le film est une série de coups de fil entre Tom Hardy, sa femme trahie et éplorée, ses employeurs à bout de nerfs, son gamin qui lui fait le résumé minute par minute façon L’Équipe du match du soir opposant Liverpool à Twickenham à coups de « Papa ! Papa ! T’as raté le coup d’envoi ! », « Papa ! Papa ! T’es fan de foot et t’es pas là ! »... bref, l'homme est scié entre sa femme en larmes, son fils hooligan en herbe et sa maîtresse, son coup d’un soir, son one perfect shot. Pour gérer tout ça, Tom Hardy a un kit main libre et une bonne bagnole tout confort de marque BM avec options comprises et incrustées sur le tableau de bord (c’était les conditions de Tom Hardy pour accepter de faire le film). Dans ces conditions optimales, Locke plaque sa femme et son boulot pour retrouver son one perfect shot.




Le personnage, on le comprend assez vite, a perdu son père. On le comprend quand on voit Tom Hardy parler à son paternel mort assis sur la banquette arrière (pour rappel Tom Hardy est seul à l’image, et joue donc contre le rétro), lui répétant non-stop « Tu vois P’pa ! J’fais pas comme oit ! ». Avec un flegme imperturbable, il quitte sa femme et lui raccroche au nez, pour aussitôt se connecter au web et poster « Larguer ma meuf : check » sur Facebook. Il gère avec le même calme olympien un de ses employés qui menace de faire foirer la plus grande coulée de béton ever faute de trouver les clés que Tom Hardy a emportées avec lui dans sa besace en quittant le boulot. Le film se termine sans qu’on en sache beaucoup plus. On se dit que Locke a sans doute bien géré la coulée, vu qu’il s’est assuré de plein de détails avec scrupule et soin (c’est une perle, c’est pourquoi ses boss lui en veulent de les quitter en si bon chemin). Pour conclure, saluons Tom Hardy. Pas une critique de ce film, dans le monde entier, n’a omis de saluer la performance bluffante de Tom Hardy, sauf nous.


Locke de Steven Knight avec Tom Hardy (2014)

Avant d'aller dormir

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Bien tenté. Rowan Joffé, comme blaze, c’est bien tenté. Le gars s’est dit qu’en se donnant un prénom très proche de celui de son père cinéaste, palmé à Cannes en 86 pour Mission, j’ai nommé Roland Joffé, il créerait le doute et, sur quelques malentendus, pourrait au mieux monter les marches à Cannes, au pire passer preums dans la file d’attente de L’Entrecôte. C’est bien tenté. Roland Joffé, Rowan Joffé, avouez qu’on se laisse facilement avoir, et nul doute que les films du second auront gagné trois ou quatre entrées grâce à des spectateurs inattentifs (moi-même j’ai regardé le film en croyant découvrir le nouveau bébé du papa de Vatew). Mais il fallait carrément changer de blaze et en choisir un plus vendeur ! Je sais pas moi… Terrence Mawick peut-être, ou Cristopher Nowan. Rowan a déjà piqué le script de Memento, il pouvait aussi tirer son patronyme complet au nouveau pape d’Hollywood.




Ceci dit Avant d’aller pioncer porte bien son titre : le film n’empêchera personne de dormir. Il raconte l’histoire de Christine (Nicole Kidman), quarante ans, amnésique. Tous les matins elle se réveille à poil et a tout oublié. Tous les matins, son mari, qui est du genre patient, lui explique avant d’aller au boulot comment elle s’appelle, où elle vit, qui il est, ce qui lui est arrivé, et ainsi de suite, aidé par une foule de post-it et de photographies accrochés sur tous les murs. Et chaque soir, une fois endormie, Christine oublie tout. Rowan Joffé ne manque pas de mémoire quant à lui puisqu’il mise donc tout, d'une part, sur les belles sonorités de son nom, empruntées à celui de son père, cinéaste britannique quant à lui depuis longtemps oublié, et d'autre part sur le script du premier grand succès de Nolan (en réalité le film est adapté d'un best-seller, pas fou...), mais aussi sur ses propres wet dreams de Nicole Kidman : le tout premier plan est un clin d’œil à l’un des plus fameux du film Les Autres, et trente secondes plus tard Nicole Kidman (ou une doublure ?) se trimballe cul nu, de dos, dans sa salle de bain, ce qui ne peut manquer de nous rappeler (en mode nostalge...) la première image, inoubliable, de l'Eyes Wide Shut de Kubrick.




Autour d’une Kidman qui ne sait plus où s’acheter des cheveux pour les rabattre sur ses joues et sur son front histoire de cacher la misère, rôdent Colin Firth, dans le rôle du mari, et Mark Strong, dans celui du médecin, et tout le film, qui est un thriller mou du genou, consistera à nous faire douter de l’un et de l’autre. Christine est certes amnésique mais elle l’est depuis une agression aussi barbare que mystérieuse et, manifestement, on lui cache des trucs. Chaque jour, elle s’enregistre dans des vidéos qui lui servent de journal, afin de se remémorer ses découvertes le lendemain et d'avancer dans son enquête. Mais je ne vais pas vous dévoiler le fin mot, on ne sait jamais, des fois que vous en auriez quelque chose à foutre… En même temps, à part moi, seuls les lecteurs du bouquin à succès verront le film, et ils n'auront même pas la vague curiosité de découvrir le dénouement pour les maintenir vivants jusqu'au bout. Oublions Rowan Joffé, et inutile de coller un post-it sur la tête de lit pour se souvenir de lui demain ! A quand, en revanche, le premier film de Rowan Emmerich ?


Avant d'aller dormir de Rowan Joffe, avec Nicole Kidman, Colin Firth et Mark Strong (2014)

Comme des frères

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Quand Charlie (Thierry Mélanie) clamse, les vies de Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) volent en éclats. Ces trois hommes avaient pour Charlie un amour singulier. Elle était leur sœur, la femme de leur vie ou leur pote, c’était selon. Sauf que Charlie est morte et ça, ni Boris, homme d’affaires facho accompli, ni Elie, scénariste nymphomane, ni Maxime, 25 ans toujours puceau, ne savent comment y faire face. Mais, parce qu’ils avaient prévu de partir tous ensemble en Corse pour un roadtrip sans permis, ils décident de s'y rendre tout de même, comme une catharsis. Seulement voilà, 900 kilomètres coincés dans une C5, à la merci de la stupidité de ses occupants, quand on a pour principal point commun un attachement pour la même femme-enfant, c’est long… Boris, Elie et Maxime, trois hommes endeuillés, trois générations brisées, et zéro affinité sur le papier, se retrouvent donc engagés dans un voyage qui n'aurait jamais dû commencer. C'est le début d'un long supplice pour le spectateur.




Hugo Gélin est le fils de Xavier Gélin, le petit-fils de Daniel Gélin et Danièle Delorme, l’arrière-petit-fils d’André Girard et le neveu de Maria Schneider, Manuel Gélin et Fiona Apple. C'est son premier long métrage et, on l'espère de toutes nos forces, le dernier. Comme des frères a été projeté pour la première fois au festival de Cannes 2012, lors d'une séance spéciale pour les exploitants. Cette séance fut un échec total puisque tous les exploitants quittèrent la salle lors de cette scène où Nick Duvauchelle retire le bas. Malgré cela, ce passage inespéré sur la Croisette a laissé un très bon souvenir à toute l'équipe du film, et tout particulièrement à la starlette Mélanie Thierry. "La veille de la projection-test, se souvient-elle, on s’est retrouvés tous les quatre dans ma chambre d’hôtel autour d’une bouteille de shampoo. Au début, on se regardait tous en chiens de faïence car cela faisait plus de 8 mois que nous nous étions pas vus, depuis la fin du tournage. Pierre était quant à lui en chien de fusil sur le lit. Au bout d'un moment, pour rompre un silence de mort, Nicky s'est mis à faire des percussions sur un coin de table, c'était du dubstep amateur dont il a le secret, il complétait la section rythmique de ses morceaux par des acrobaties vocales dignes du Scatman. Bip papapa lopo. Après un petit moment de malaise, on s'est rapidement mis à danser en regardant la mer. Puis, sous l'impulsion de FX 2Maison, on s'est tous mis à saisir les objets qui nous tombaient sous la main, qui devenaient autant d'instruments plus ou moins mélodieux. On avait strictement rien à se dire, mais la musique parlait pour nous. C'était un retour aux racines même de l'humanité. Il faisait beau et on était sincèrement heureux de se retrouver." Ce que Mélanie Thierry ne dit pas, c'est que ce petit bœuf n'a duré qu'une dizaine de minutes, c'est-à-dire jusqu'à ce que le propriétaire de l'hôtel, à cran, finisse par péter un boulon avant d'appeler les flics pour tapage diurne. Une accusation qui d'habitude se règle à l'amiable mais qui a cette fois-ci débouché sur un procès médiatique sanctionné d'une peine de prison ferme pour le réalisateur Hugo Gélin. On s'en réjouit !




Le tournage de Comme des frères s'est déroulé à plusieurs centaines de kilomètres de Paris, notamment dans le sud de la France, plus exactement dans les Landes. Cette région fut choisie par Hugo Gélin pour sa soi-disant ressemblance avec les paysages de l'Île de Beauté. A l'écran, cette prise de liberté ne pardonne pas. Les routes corses n'ont jamais été aussi droites. Autre souci : cet éloignement de la capitale gênait considérablement les acteurs, notamment Nick Duvauchelle qui n'arrivait plus à se fournir en coke. Mais au bout d'un mois de tournage, ponctué par les prises de becs et les menaces de stars incapables de supporter l'isolement, la petite bande a fini par s'adapter. François-Xavier Demaison raconte : "On séjournait dans un petit motel en bord de mer et on se baignait à la pause déjeuner, au grand dam de l’assistant réalisateur, paniqué à l’idée des raccords !". Si les acteurs se sont bien amusés à jouer dans l'eau entre les prises, dites-vous que l'assistant réalisateur avait raison de voir rouge. François-Xavier Demaison a peu de cheveux, certes, mais cela se voit tout de même quand, d'un plan sur l'autre, ses quelques mèches apparaissent collées par le sel avant de se mettre à danser le tango sous l'effet d'une légère brise à l'image suivante. Nick Duvauchelle a beau être assez beau mec, c'est choquant de voir ses tétons pointer sous son t-shirt mouillé d'abord, puis cachés derrière un pull à col roulé fuchsia ensuite. Fayot du dirlo photo, seul Pierre Niney obéissait aux directives et était raccord entre les plans. Faut dire qu'il ne sait toujours pas nager... De toute façon, avec les litres de gel qui recouvrent en permanence ses cheveux, on aurait rien calculé.




Plus triste encore, Comme des frères est une nouvelle comédie française à classer dans la catégorie des films qui semblent conçus pour nous faire pleurer et nous coller une sévère dépression. Les couleurs dominantes sont gris clair et gris foncé, avec parfois quelques nuances : gris amiante, jaune pisse, rouge sang, vert glauque et blanc cassé. Conseil amical : regardez ce film un beau jour de printemps, dans une pièce bien illuminée avec, si possible, une baie vitrée donnant sur un jardin fleuri rempli d'animaux de compagnie bienveillants et de jeunes femmes dans le plus simple appareil. Autrement, c'est le cafard assuré. Plus simple : ne le regardez pas. Même quand notre trio infernal pique-nique dans un champ, sous un soleil de plomb et un ciel que l'on devine d'un bleu éclatant derrière les filtres utilisés par Gélin, tout paraît gris et mort. Comme dans beaucoup de films français, la prise de son est également à chier et n'arrange rien à notre mal de crâne. On cherche les sous-titres anglais sur le net, histoire de piger une ou deux phrases. En vain. Il faut dire que Nick Duvauchelle n'est pas non plus réputé pour son excellente diction, et que François-Xavier Demaison a davantage de poils sur la langue qu'au-dessus du crâne.




Ce film est aussi l'occasion de constater le mépris parisien pour la province. Dans une campagne plate, pas de réseau. Nos personnages perdent patience ! Ils montent dans un bus sans âge, tout droit sorti des années 80, qui les emmène droit vers les emmerdements sur une départementale toute cabossée. Beaucoup de mépris aussi pour la populace locale, que ce soit des gendarmes bien intentionnés, qui leur demandent un autographe parce que l'un d'eux est le fils d'un acteur de feuilleton télé minable, ou des vieux sympathiques, qui supportent avec le sourire leurs attitudes hautaines dans l'autobus. Le comble du glauque est atteint lors de cette scène hautement anxiogène dans un night club d'Aix-en-Provence où les trois zigotos ont l'air de penser très fort au suicide, coincés dans un décor vraisemblablement inspiré de la ville de Pripiat (Припять), subissant les amusements des dégénérés mentaux qui les entourent. Ils finissent toutefois par se prendre au jeu et Nick Duvauchelle nous livre une interprétation coup de poing de la chanson phare de Toto Cotugno, L'Italiano. L'acteur a perdu 3685 followers sur Twitter et 25850 fans sur Facebook suite à cette scène (alors qu'il n'en comptait pas tant), sans parler de ses cheveux...




Le film, qui a le look d'un téléfilm de sixième partie de soirée, est construit comme un road movie freiné dans sa course laborieuse par un enchâssement ridicule de flashbacks explicatifs. Un premier flashback nous montre une scène de foot entre amis, qui ferait détester le foot entre amis à n'importe qui. Ces flashbacks rythment le film et nous sont utiles pour comprendre les liens qui unissent les personnages entre eux, et leur rapport spécial avec Charlie, interprétée par Mélanie Thierry, la raie humaine (Aetobatus narinarithierry). Charlie tousse, elle a des glaires, elle est malade, mais le cache à ses meilleurs potes, pour ne pas les embêter avec ça. Dans mon cercle de potes, je passe pour celui qui aime défendre les femmes aux tronches originales, celui qui se plaît à souligner leur charme singulier, quitte à me retrouver dans la situation d'Erin Brokovich, c'est-à-dire seul contre tous. Avec Mélanie Thierry, je peux pas. Je déclare forfait. J'aime l'atypique et tout ce qui est de guingois. Mon vieil appartement en est la preuve. Mais Mélanie Thierry dépasse mon seuil de tolérance. Elle passerait inaperçue au milieu de la fameuse clique de fumeurs de oinjs de Courtauly & Saint Benoît, avec sa tronche de belge enfarinée et ses habits de clodo. Elle passerait incognito au marché de Mirepoix, entre deux vendeurs de fripes, en train de mendier quelques centimes auprès de touristes anglais à bout de nerfs.




Dans une scène ô combien méprisable, on s'aperçoit que, comme d'habitude, ces personnages sont richissimes et habitent dans des appartements de 8000m² avec jardin, en plein cœur de Paris. Ils n'hésitent pas à insulter sans ménagement leur domestique d'origine chicanos quand celle-ci les gêne pendant qu'ils jouent à Fifa 12 sur un écran mural de 4 mètres d'envergure. Ils sont donc misogynes en plus d'être racistes. C'est à la suite de cette partie de foot virtuelle qu'ils apprennent la mort de Charlie. Et c'est là qu'on se rend compte que ce ne sont pas des mauvais acteurs, mais de très mauvais acteurs. On ne peut s'empêcher de souhaiter une mort rapide bien qu'extrêmement douloureuse à chacun de leur personnage. Pierre Niney passe tout le film sur la banquette arrière, sans ceinture de sécurité, la tronche plongée entre les deux sièges avant, déblatérant des saloperies à ses deux collègues, à la façon d'un débile mental sous acide. En le voyant comme ça, on ne rêve que d'une chose : que le conducteur freine un coup sec. Et est-ce normal d'avoir envie de s'arracher le cœur quand Nick Duvauchelle apprend, les larmes aux yeux et dans une interprétation qui cumule tous les clichés, qu'il va être papa ?!

Ce film confortera les haters du cinéma français dans leur opinion et leurs préjugés. C'est à pleurer.


Comme des frères d'Hugo Gélin avec Nicolas Duvauchelle, François-Xavier Demaison, Mélanie Thierry et Pierre Niney (2012)

Safe

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Cela commence par un petit rhume a priori anodin. Et puis il y a cette sensation de fatigue, persistante, encombrante, usante. Les médecins sont pourtant affirmatifs : Carol White (Julianne Moore) est en parfaite santé. Tout devrait rentrer dans l’ordre avec un peu de repos. Elle est « surmenée » disent-ils. Nouvellement installée dans une banlieue chic du nord de Los Angeles avec son fils et son mari, un cadre supérieur peu attentionné, Carol White mène pourtant une existence bien confortable, apparemment éloignée de tout stress. Face au psychiatre qu’elle finira par aller consulter, elle se présentera comme une « femme d’intérieur » travaillant sur « la décoration de sa maison », quand elle a du temps libre prendra-t-elle le soin de préciser. En réalité, sa vie est à peu près totalement vide. Son quotidien est fait d’allers-retours vers le centre commercial et le pressing, de jardinage et de séances d’aérobic. Son mariage est stable, mais austère, froid, dépourvu de réelle intimité émotionnelle. Son fils, d’une présence fantomatique, est en fait son beau-fils, issu du mariage précédent de son mari. Ses amies existent et elle les voit régulièrement, mais leur amitié est distante, superficielle, éteinte.




On comprend assez vite que c'est sa vie stérile et transparente qui a rendu Carol malade. Elle en était inconsciente, mais c'est son corps qui a sonné la révolte. Elle devient peu à peu allergique à tout ce qui l'entoure : les gaz d'échappement des voitures, les textiles chimiques de son nouveau canapé, les bombes aérosol, l'encre des journaux... Tout cela l'agresse et dérègle progressivement sa vie douillette, si lisse et si nette, morte. Elle s’enfonce dans sa dépression et personne ne saura lui venir en aide. Les spécialistes qu’elle va voir s’avèrent tous incapables d’identifier son mal, et paraissent toujours peu concernés, insensibles. Incomprise, la jeune femme décide alors d'entrer dans un drôle d'institut : un endroit étrange et déconnecté de tout, coincé en bordure d’un désert, qui accueille les victimes des maladies que l’on suppose liées à l'environnement. Ces malades forment une petite communauté vivant en autarcie, chapeautée par un homme a priori sensible et perspicace, donnant régulièrement des discours rassembleurs. Ce centre est le lieu idéal, paraît-il, pour se ressourcer, moralement et physiquement...




On pourrait qualifier Safe, film étonnant et singulier, qui nous rappelle la vivacité du cinéma indépendant des années 90, de « thriller psychologique », mais cette appellation en surprendrait plus d’un étant donné le rythme particulier du film. L'angoisse est pourtant bel et bien au rendez-vous. Le réalisateur, Todd Haynes, dont il s’agissait du second long métrage, a une manière assez fascinante de nous montrer le lent processus de décomposition et d'isolement de son personnage principal. Il procède par touches imperceptibles, en creux. Il apporte notamment un soin particulier à la bande-son, silencieuse et principalement faite des bruits de fond issus du quotidien de l’héroïne, peu à peu dérangeants, envahissants, énervants. La première partie du film, c'est-à-dire jusqu’à ce que l’héroïne entre dans l'institut isolé, est de loin la plus réussie et maîtrisée. Le découpage est harmonieux, le ton, lent, déploie une force tranquille, sereine, sûre de parvenir à ses fins. Il ne se passe pratiquement rien, l’action est réduite à des petits riens sans importance, mais un malaise diffus sourd de chaque plan et devient de plus en plus évident. Les incidents paraissent d’abord anodins, mais à mesure qu'ils s'accumulent l'inquiétude s'installe. Todd Haynes cultive une tension insidieuse, gênante, bizarre. Julianne Moore, idéale dans ce rôle, est d’abord une petite femme tirée à quatre épingles, figée dans un coin de l’image, perdue dans des décors vides, immenses et sans vie. Puis elle devient progressivement une plante desséchée, agonisante, sur laquelle l’ultime plan du film, glaçant, finira par se focaliser, en nous laissant à peine espérer un sursaut de vie.




La seconde partie est un peu trop longue et peine à retrouver la force de la première heure du film. Mais Todd Haynes y dépeint toujours assez brillamment le fonctionnement de l’institut étrange et quasi sectaire où Julianne Moore a trouvé refuge. Il nous montre avec talent et sans aucune lourdeur l’endoctrinement sournois qu’y exerce son grand gourou. Le cinéaste ne porte cependant aucun jugement, il se contente de décrire froidement la capacité de séduction de ce type d’organisation, dont le responsable est un personnage ambivalent, parfaitement joué par Peter Friedman, qui tenait là un rôle pourtant pas évident et pour lequel il fallait nécessairement trouver le ton juste, un équilibre délicat. Entre deux de ses discours, l’un des malades du centre raconte à son voisin une anecdote à propos de l’un de ses proches : un type chez qui rien ne clochait, en pleine santé, tout à fait normal, mais qui, dès qu’il mettait les pieds dans une grande surface, était soudainement pris de sanglots et déprimait complètement, au point de penser au suicide. C’était systématique. Pour retrouver son état normal, il suffisait à ce drôle d’individu de sortir du centre commercial. Cette anecdote, sournoisement placée là par Todd Haynes, l'air de rien, m’a beaucoup parlé. Je me suis totalement reconnu en ce pauvre homme qui perd ses moyens dès qu’on a la sale idée de le traîner dans un centre commercial, car cela m'arrive très souvent aussi. Les supermarchés me rendent malade ! Safe, film visionnaire et plus que jamais d'actualité, m’a laissé une drôle d’impression !


Safe de Todd Haynes avec Julianne Moore, Peter Friedman, Xander Berkeley et April Grace (1995)

Willow

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Willow fait partie de ces films pour enfants des années 80, chapeautés de près ou de loin par la clique Spielberg/Lucas, pour lesquels je garde une profonde affection, aux côtés de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Gremlins, Les Goonies, ou encore des sagas Indiana Jones et Retour vers le futur. Comment ne pas se laisser embarquer dans les aventures de Willow Ufgood, bon père de famille et apprenti magicien Nelwyn (nain), placé à la tête d’une petite communauté chargée non pas de cramer un anneau mais de confier à une personne responsable la petite Elora Danan, bébé daïkini (humain), trouvée au bord d’un fleuve par les enfants de Willow, et qui, selon la légende, est censée mettre fin au règne de la despotique Reine Bavmorda (Jean Marsh). Comment surtout ne pas tomber sous le sortilège de Joanne Whalley (voir paragraphe ci-dessous) dans le rôle de Sorsha, fille de Bavmorda, ou ne pas craquer face au charme ravageur de Val Kilmer, dans la peau de Madmartigan, chevalier déchu qui deviendra l’ami de Willow. Ces deux-là ont d’ailleurs fini en couple, à la vie comme à l’écran. Comment ne pas souhaiter, enfin, vivre dans le village des Nelwyn, parmi toutes ces personnes de petite taille si bonhommes et affables ? Bon, à toutes ces questions, on peut certes répondre qu'il suffit d'être allergique à l'empire Lucasfilm, à l'héroïc-fantasy, aux films pour enfants, à Ron Howard, et ainsi de suite. Mais, je l'avoue, difficile pour moi de résister à la sympathie sans limites de Willow Ufgood et de son ami Meegosh, aux facéties du grand Aldwin, sans oublier, parmi les compagnons qu'ils croiseront au cours de leurs aventures, les cabotins Rool et Franjean, deux brownies (lilliputiens) hauts comme une pomme et timbrés.




Mais qui dit film de nains dit aussi acteurs nains, et nos amis de petite taille sont souvent traités par-dessus (ou par-dessous ?) la jambe au cinéma. On est habitué à ce que les bébés se relaient à l’écran dans les films impliquant des nouveaux nés, pour des raisons tout à fait évidente de planning, de couches et de biberons, mais aussi parce qu’ils ont tous plus ou moins la même tronche. C’est d’ailleurs le cas dans Willow, avec la petite Elora Danan, à laquelle deux gamines, les sœurs Greenfield, Ruth et Kate, ont prêté leurs traits poupins. Plusieurs acteurs pour incarner un même personnage dans un film, ça passe quand il s’agit de bébés (les personnages adultes qui changent de façade d’un film à l’autre au sein d’une même saga, parce que le comédien d’origine avait un semi-marathon ce jour-là ou juste parce qu’il avait flairé la suite merdique, c’est déjà moins évident). Mais on admet. Par contre un seul acteur recyclé dans plusieurs scènes, au sein d’un seul et même film, là, perso, ça coince ! Et c’est trop souvent le cas pour les acteurs nains, à qui l’on demande de jouer plusieurs rôles en croyant que personne ne le remarquera. Passe encore quand ils sont grimés, planqués sous un costume et donc méconnaissables. Exemple : Kenny Baker, le seul et l’unique R2-D2, qui, dans Le Retour du Jedi s’est aussi glissé sans prévenir dans la fourrure d’un Ewok nommé Paploo (l’acteur était ravi de pouvoir, une fois dans sa vie, bouger ses bras et ses jambes dans tous les sens sous l’objectif d’une caméra, quitte à le faire au devant d’un AT-ST, engin de transport bipède de l’empire, sur le point de le dégommer).




Mais que dire de ce brave Warwick Davis, l’éternel Willow ? Saviez-vous qu’il a joué Pinocchio et Gepeto dans Pinocchio et Gepeto ? L’acteur a aussi prêté sa petite taille à six Leprechauns différents (dont le personnage éponyme, Lepre Chaun) dans la saga des Leprechauns. Six ! A quoi ça rime ? Plus difficile encore à avaler, ses multiples interventions dans la saga Star Wars, encore elle… Il était bien sûr et avant tout Wicket, le plus mignon de tous les Ewoks, à deux doigts de se serrer la princesse Leïa entre deux séquoias, sur la planète forestière Endor, dans le Retour du Jedi. Mais dans Star Wars : épisode 1 - La menace Fantôme, il devient subitement un dénommé Wald, ami d’Anakin Skywalker doté d’une gueule pas possible, ainsi qu’un spectateur lambda de la course de pods, amateur de vitesse et de sensations fortes, les mains plongées dans un pot de pop-corn plus grand que lui, mais aussi un citoyen sans histoires de Mos Espa, habillé comme un clodo… Qui incarnera-t-il dans Star Wars : épisode VII - Le Réveil de la force ? L’animal de compagnie de ce vieux con de Mark Hamill ? L’arrière-train de Chewbacca ? Un jawa numérique sur Tatouïne ? Un 7ème Leprechaun ? Idem dans la série de films Harry Potter, où Warwick est à la fois Craspec le gobelin, le professeur Filius Fistfuck et un type tristement nommé Griphook, sans oublier Magicien (c’est apparemment le prénom du personnage, pas sa fonction, car c’est comme ça que le présente l’encyclopédie en ligne du cinématographe) dans le meilleur épisode de la saga, Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban.




Warwick n’est pas le seul à cumuler les rôles dans un même film, c’est aussi le cas, par exemple, toujours dans l’épisode I de Star Wars, de Silas Carson, qui interprète Nute Gunray, Ki-Adi-Mundi, Idi Amin Dada et Lott Dodd, rien que ça... sauf qu’un seul de ces personnages ne porte pas (ou pas totalement) de masque. Alors que Warwick, quand il suit la course de pods  sur Tatouïne ou quand il fait la manche dans Mos Espa, le fait à visage découvert ! Sans véritables postiches et surtout sans être l'acteur principal du film, volontairement décliné dans plusieurs rôles, tel Peter Sellers dans Docteur Folamour. Comme si, de toute façon, personne n’allait le reconnaître. N'est-ce pas un brin insultant ? Car il ne s’agit pas d’un de ces films dont c’est le parti pris que de faire jouer plusieurs rôles à un même acteur, parce qu'il s'agit d'interpréter des jumeaux ou des clones (Van Damme s’en est fait une spécialité), parce que c’est la famille (Jerry Lewis dans Les Tontons farceurs, Eddie Murphy dans Professeur Foldingue, ou Alec Guinness, non pas dans Star Wars cette fois mais dans Noblesse oblige), parce qu'une descendance consanguine en a décidé ainsi (Michael J. Fox dans Retour vers le futur, ou les villageois de La Malédiction d’Arkham, affaire d’héritage et plus encore), parce que le héros se dédouble (Michael Keaton dans Mes doubles, ma femme qui n’en demandait pas tant et oim), parce qu'il est question d'un acteur qui devient tout un tas de personnages (Holy Motors), parce que c’est brillant (Smoking, No Smoking) ou parce que c’est nawak (Cloud Atlas).




Je concède, ceci étant, que c’est un bon moyen pour ces comédiens de cumuler les contrats et les paychecks, car la vie n’est pas toujours facile pour eux. Il n’y a bien que Peter Dinklage pour rouler des mécaniques (sa jambe gauche plus courte que l’autre l’aide bien) à la tête de Games of Thrones, même s’il galère un maximum pour grimper sur lesdits thrones, perdant régulièrement aux fameux "jeux des trônes" rythmant chaque épisode, simple jeu de chaises musicales avec des trônes musicaux à la place des chaises, qui a donné son nom à la série et qui en a assuré le succès auprès des gosses. Mais il peut dire merci à Warwick Davis, qui méritait amplement ce rôle, pour faits d’armes. J’ai personnellement une molaire contre Peter Jackson qui n'a pas filé à Willow Davis le moindre nain à jouer dans sa trilogiedel'anneau et autres films de Hobbits, qui en sont remplis à ras-la-gueule, préférant sans doute engager des mecs de 2m10 pour ensuite les miniaturiser grâce à Paint ou autre logiciel de retouche d’image à la pointe, comme il l’a fait pour Froton et ses potes. Triste monde.




Mais revenons à nos moutons (pas d'offense). Vous me direz qu’il n’est pas rare, dans des films à petits budgets, voire dans des séries B, que des figurants jouent plein de rôles différents. Mais Star Wars, petit budget ? Soyons sérieux. Pire encore : Warwick Davis, un figurant... On aura tout vu. Vous me direz aussi que dans le cas de Warwick Davis il s'agit plus d'un caméo, d'un clin d’œil, qu'autre chose. Mais aurait-on imaginé Harrison Ford interprétant deux ou trois clochards anonymes au détour d'une paire de faux-raccords dans Star Wars : la menace I - l'épisode fantôme, pour faire coucou ? Caméo, mon cul... Alors quoi ? Ca veut dire que les nains sont interchangeables, comme les nourrissons, ou comme les chiens dans tous les films de chiens ? On s’était assez plaint, rappelez-vous, de l’utilisation de toute une portée de clébards pour incarner Sébastien dans Belle et Sébastien, mais ce maudit film n’était que l’arbre qui cache la forêt, car c’est le cas dans pratiquement tous les films du genre ! Un seul saint-bernard de Clairvaux dans Beethoven ? Croyez-le... Un seul Willy dans Sauvez Willy ? Tu parles ! L'équipe de tournage en bouffait un exemplaire entre chaque scène ! Un seul rat dans Ratatouille ? Mon œil... Un seul ours dans L'Ours ? Un seul frère dans Deux frères ? Non, il y en avait au moins deux. Quoique, ce fourbe de Jean-Jacques Annaud est capable de n'en avoir utilisé qu'un, avec tout un système de miroirs à l'appui, dans le seul film où il en fallait bien deux au casting ! Jean-Jacques Annaud parlons-en. Il sort aujourd’hui Le Dernier loup, mais je déteste déjà son film qui prétend nous faire admirer le dernier leup alors que le cinéaste, coupable du même subterfuge sur de nombreux films par le passé (on a longtemps cherché à se convaincre du contraire, mais à un moment il faut regarder la vérité en face), se vante encore en interview d’avoir utilisé 150 loups d’élevage différents au bas mot pour incarner son soi-disant héros, ultime bestiasse de sa race. Mais que dire quand il s’agit d’un nain ? Et pas de n’importe quel nain… Remarquez, Hollywood a fait pareil avec les indiens, qui devaient passer et repasser dans le champ, à l’arrière-plan, cinquante mètres au moins (distance de sécurité) derrière telle illustre star déguisée en cowboy, et changer de chapeau à plumes, de mocassins et de démarche chaloupée pour avoir l’air, à chaque passage, d’un autre indien. On sait gré à Michael Mann de voler un poil au-dessus de J.J. Annaud, puisqu'il a refusé de faire tourner 50 indiens différents pour incarner Chingachgook, le dernier des Mohicans, dans Le Dernier des Mohicans. C’était le dernier ou c’était pas le dernier ? Bon ben si c’est le dernier y’en a pas une chiée plus mille qui attendent leur tour derrière le combo…




Méditez là-dessus… Est-ce que tout le monde trouverait ça parfaitement banal si le fringuant Val Kilmer incarnait Madmartigan dans une scène, la sorcière Fin Raziel dans la suivante, la fée Cherlindrea dans la troisième et un poivrot sans répliques, assis dans le fond d’un plan de coupe, au milieu de la séquence de la taverne, celle où il est d’ailleurs déguisé en femme (mais toujours dans la peau de Madmartigan !), et où l’un des deux brownies, celui joué par Kevin Pollack, est à deux doigts de se noyer dans une pinte de bière (un conseil : c'est bien meilleur trempé dans du lait) ? Permettez-moi d’en douter. C'est donc limite… Remarquez, pas plus que de les foutre dans tout un tas d’appareils ménagers (R2D2) et autres peluches (les fameux Ewoks), et que d’embaucher six ou sept nains à tout casser par mesure d'économies puis de les jeter dans quinze costumes différents pour tromper le spectateur (aujourd'hui, on n'hésiterait pas à les démultiplier numériquement...). Mon affection pour Willow n’en est pas altérée, parce que ce problème ne se pose pas dans ce film, tout connement. Au contraire, il n’en sort que grandi, d’abord parce que Ron Howard, cet homme d'exception, l'un des rares cinéastes rouquins de l’histoire d'Hollywood (le seul ?), qui en sait donc long sur les minorités visibles, a, quant à lui, fait tourner une foule de nains pour composer la population du village Nelwyn (parmi lesquels Tony Cox, le célèbre nain de Fous d’Irène), et a donné au cinéma (avant de lui prendre beaucoup...) l’un de ses rares héros nains, sans costume poilu pour le recouvrir de la tête aux pieds. Ensuite parce que Warwick Davis sera à jamais pour moi un caméléon, et l’un des meilleurs acteurs nains de l’histoire du cinéma.


Willow de Ron Howard avec Warwick Davis, Val Kilmer, Joanne Whalley, Jean Marsh, Patricia Hayes, Kevin Pollack, Billy Barty, Phil Fondacaro, Tony Cox et David Steinberg (1988)

Fast & Furious 6

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On a très souvent relié la saga Fast & Furiousà la célèbre série de jeux vidéo Final Fantasy. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de deux franchises fort lucratives dont les initiales, FF, sont en tous points identiques, et qui ont toutes deux connu un tournant décisif lors de leur 7ème épisode. Final Fantasy VII, c'est près de 10 millions d'exemplaires vendus à travers le monde, c'est la mondialisation des RPG et l'un des premiers grands succès de la Playstation de Sony, ainsi mise sur orbite. Fast & Furious 7, c'est la mort dramatique de Paul Walker, c'est un film en forme de point d'interrogation et une saga en suspens... Dans les deux cas, le 7ème épisode marque un tournant, pour le meilleur ou pour le pire. Les franchises, toutes deux destinées à un public adolescent plutôt masculin, apparaissent ainsi intimement reliées et, dans les deux cas, peu de personnes se souviennent des sixièmes opus, toujours dans l'ombre du suivant et parfois même aussi du précédent. C'est le cas de Fast & Furious 6 !




Fast & Furious 6 apparaît très vite comme un épisode de transition, après un cinquième volet infiniment supérieur et, donc, avant un virage crucial pour la suite de la série. A l'approche d'un tel virage, en général, on freine et on rétrograde, ce qui la fout mal pour un tel film : ça donne cet épisode sans charme ni relief où seul The Rock surnage un peu. L'acteur bodybuildé, qui prouve à chacune de ses apparitions publiques qu'il a très vraisemblablement de l'humour, sort quelques répliques bien senties et tout à fait débiles, avec un réel talent de comédien : à un moment, il déboule dans une pièce (un type comme ça déboule forcément dans une pièce, il n'entre pas) et gueule "Hey, fermez tous vos gueules !" alors que strictement personne ne cause, mais The Rock aime simplement balancer ça pour préparer le terrain à son petit texte, et ça fait son petit effet ! Bref, à part quelques éclairs du sympathique Dwayne Johnson, on s'ennuie ferme devant FF6 et on repense avec nostalgie au cinquième volet, que l'on revoit encore à la hausse comme un film de braquage tout à fait honnête et bien ficelé.




Inutile de dire que ce sixième film raté a aujourd'hui un goût particulièrement amer... Le beau Paul Walker y perd un temps fou, un temps qu'on lui rendra jamais, pour préparer une suite qu'il ne pourra jamais voir... C'est d'une tristesse ! On ne compte pas le nombre de scènes où l'acteur survit à une acrobatie bien plus risquée que celle qui lui a été fatale il y a deux ans. Le grand évènement de ce sixième volet, c'est aussi le retour en fanfare de Michelle Rodriguez, dont on croyait le personnage mort dans le numéro 4. Un petit flashback nous apprend que son terrible accident de voiture n'était pas si grave que ça, que les flammes et les explosions n'avaient pas réellement suffit à avoir sa peau. Tout ça est désormais de très très mauvais goût... Cela me rappelle ma mère. Ma maman, dont la conduite sportive n'est un modèle pour personne, me dit souvent, quand elle est sur le siège passager, à cran, tandis que je suis au volant, trop prudent : "On accélère dans les virages, pour prendre de la vitesse, on ne freine pas. Accélère !". Je lui rappelle souvent les dernières paroles du regretté Ayron Senna, ces mêmes paroles qu'il aurait fallu chuchoter aux producteurs de Fast & Furious 6. Les connaissez-vous ? "On accélère dans les viraaaaaaaaaaaaaaa". 


Fast & Furious 6 de Justin Lin avec Vin Diesel, Paul Walker, Dwayne Johnson, Michelle Rodriguez, Jordana Brewster, Luke Evans, Gal Gadot et Gina Carano (2013)

Alceste à bicyclette / Gemma Bovery

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J’ai de la sympathie pour Fabrice Luchini. Le personnage peut parfois agacer dans ses multiples interventions promotionnelles, sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, quand il se lance dans son éternel numéro de "bon client" en roues libres, citant à tours de bras ou rebootant Valéry en l’adaptant à un pseudo-langage des cités qu'il croit actuel et qui est pourtant déjà vieux d’il y a quinze ans au moins. Mais je lui garde ma sympathie, d’abord parce qu’il a été Perceval et tant d’autres personnages mémorables chez Rohmer, ensuite parce que certains de ses spectacles valent leur pesant de cacahuètes. Sa passion de la littérature s’y éprouve et s’y transmet formidablement, bien mieux que dans ses envolées médiatiques surfaites. Aussi peut-on comprendre que notre homme saute sur les scripts qu’on lui envoie et qui évoquent, de près ou de loin, l’amour des lettres (rappelez-vous, déjà en 2007 il était à l'affiche de Molière). Mais bon sang il y a des limites. Je vois mal ce qui peut donner moins envie de lire Molière ou Flaubert qu’Alceste à bicyclette et Gemma Bovery.




Petite blague pour détendre un peu les esprits, enfin surtout le mien, parce que je suis tendu là et je n'ai pas envie de faire de cet article une salade composée d’injures contre deux films anodins. Blague donc, que je vous autorise à resservir dans les dîners pour y paraître sympathique :

- Gay et Pagaie sont sur un bateau. Gay tombe à l'eau. Qui reste-t-il ?
- Pagaie.
- Ok, mais du coup qui reste-t-il ?
- Pagaie !
- Soit, mais du coup ?
- Pagaie putain Pagaie !
- D’accord, pas Gay, il est tombé à l'eau, mais du coup, qui reste-t-il ?

Ad libitum... Maintenant beaucoup moins drôle : Philippe Le Guay et Anne Fontaine sont sur un bateau. Philippe Le Guay tombe à l'eau. Qui reste-t-il ? Anne Fontaine, et là pas d'entourloupe possible, et c'est tout le problème, parce que du coup on est bien dans la merde. Et c’est idem si c’est Le Guay qui reste à quai. Mais, l’un dans l’autre, si l'un des deux chavire, ça fera du bien au cinoche français.




Il ne faut jamais dire Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. Mais on peut dire Anne Fontaine, je ne mangerai plus de ta merde. Je m’abstiendrai de faire toute vanne sur le blaze de Philippe Le Guay, il n’a pas besoin de ça. Mais tant pour la finesse de leur nom que pour celle de leur art, Phil Le Guay et Femme Fontaine peuvent se donner la main. Dans le film de Le Guay, deux acteurs jadis grands amis se retrouvent pour adapter Le Misanthrope. L’un, Lambert Wilson, est une vedette qui a fait dans le compromis pour réussir, il jouera Philinte, l’ami d’Alceste, prompt au compromis. L’autre, Luchini, est un misanthrope, il jouera Alceste, le misanthrope. Tout cela est bien ficelé. Le personnage de Luchini vit reclus à la campagne, loin des planches, mais il finira par accepter la proposition de son ami de remonter le chef-d’œuvre de Molière, jusqu’à ce que les tensions entre eux rejaillissent, évidemment, le bellâtre mondain reprenant ses habitudes de séducteur pernicieux et l'atrabilaire amoureux se repliant définitivement après une énième blessure sentimentale. Pour mettre un peu de piquant entre les deux vieux croulants, Le Guay glisse non seulement une femme aimable mais aussi une jeune actrice porno qui veut se lancer sur scène, personnage qui ne suscite rien de savoureux, outre une vieille réplique de Luchini maintes fois recyclée (l'actrice porno lui aurait avoué qu'« une double péné à 8h du mat', c'est auch »). Je veux bien l’aimer, Luchini, mais j’aimerais que son amour de la littérature ne le pousse pas davantage à errer dans ces comédies littéralement dramatiques dont les fabricants osent s’appuyer sur les grands auteurs pour nous livrer de fabuleuses bennes à ordures.




Du côté de Fontaine, Luchini vit également reclus à la campagne, il a quitté le boucan parisien pour se consacrer à la boulangerie, en Normandie, sur les terres de Flaubert. Mais, entre deux fougasses, il redécouvre les fugaces sensations de l’érection quand il fait la connaissance de son nouveau couple de voisins, Charly et Gemma Bovery, dont les patronymes ne tardent pas à lui évoquer le chef-d’œuvre de son auteur fétiche. Et ça ne s’arrête pas là. Gemma s’ennuie beaucoup dans sa campagne et rêve d’une autre vie, comme Emma dites donc. Bref, vous l'aurez compris, le film est une sorte d'adaptation de Madame Bovaryà travers le portrait d'un double de l'héroïne flaubertienne (façon The Hours mais sur Flaubert et pour les nuls). Big up quand même pour Luchini, qui change de partenaire et bénéficie de la plus belle promotion canapé de l'histoire du cinéma français, passant sans transition de l'épaule droite certes confortable de Lambert Wilson aux nibards indénombrables de l'anglaise Gemma Arterton. Chez Fontaine, qui marche dans les pas de Le Guay, on essaie aussi de pimenter un peu l'amour de la langue et de ne pas s'en tenir à la stricte littérature, aussi nous gratifie-t-on de quelques plans qui visent juste et sont, en même temps, à pleurer, à pleurer de joie et de tristesse d'ailleurs, je veux parler des plans sur les grosses miches de Gemma Arterton, reluquées par Luchini tandis qu’il lui apprend à pétrir la pâte à pain (pas un plan sur Gemma Arterton ne démarre d'abord sur sa poitrine, en fait)... Tout cela ne donne envie d’aimer ni la littérature, ni le cinéma, mais cela pourra vous conforter dans votre passion si vous aimez les nichons. Et là, enfin, je pige un peu mieux Luchini, qui n'a pas tant fait ce film pour transmettre aux spectateurs le goût du participe présent de Flaubert que pour se voir transmettre quelques raisons de bander. Et face à ça, face à ce Luchini-là, qui pendant la promo n'avait de cesse de répéter : "Je m'en taaaaaaape, mate l'affiche...", face à ça, je ne trouve rien à dire.




Aussi me contenterai-je de réclamer à une âme charitable de réaliser, à partir de quelques séquences du film d'Anne Fontaine (on aurait plutôt attendu cela du film de mec dans ce maudit diptyque, mais comment en vouloir à Le Guay ?), quelques gifs dignes de ceux tirés des aventures du mini-short de Gemma Arterton dans Tamara Drew. Je songe entre autres à cette scène complètement gratuite où l’actrice britannique se met au jogging et trottine dans un village normand dans une tenue de sport qui aura vu du pays... Ou à cette autre scène où Gemma retire son manteau et se retrouve en sous-vêtements pour le plus grand plaisir du grand blond bouclé au strabisme divergent des Amours Imaginaires, qui incarne ici la version moderne de Rodolphe, et que le spectateur a aussitôt envie de soumettre à la question dans un pur autodafé. Luchini lui-même cherche le gif sur toute la toile. On peut le croiser (@Robert_Luchini_officiel) à toute heure du jour et de la nuit, et surtout de la nuit, en train de rôder sur twitter, TumblR et Printerest, quémandant ce foutu gif qui lui trotte dans la tronche depuis le tournage et qui a carrément remplacé dans sa caboche toutes les citations de Jean de La Molière, Louis-Ferdinand Fontaine, Paul Nietzsche, Friedrich Valéry, Philippe "Murray" Head et Fabulous "Fab" Barthes qu'il croyait à jamais enregistrées sur son disque dur.


Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini et Lambert Wilson (2013)
Gemma Bovery d'Anne Fontaine avec Fabrice Luchini et Gemma Arterton (2014)

Inherent Vice

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Si on regrette de ne pas avoir vu ce film "sous influence", on se mord encore plus les doigts de ne pas écrire sa critique en étant high in the sky. Après deux heures trente d'expérience extra-corporelle, Dieu sait qu'on a envie d'un petit remontant et de sauver sa soirée de toutes les façons possibles. Les trois pizzas recouvertes de roquette engrangées à la sortie du film ne suffisent pas à se remettre d'humeur. On y a pourtant cru, ticket de caisse faisant foi. Vice caché, le roman de Thomas Pynchon, acheté à prix d'or en format poche et entamé avec passion il y a quelques mois dans l'idée d'être au taquet à la sortie de l'adaptation, faisant foi et foutant les foies. Sauf que le livre nous était tombé des mains. Sauf que nous n'avons jamais été très forts pour comprendre les intrigues à plus de quatre personnages. Et sauf que Paul Thomas Anderson nous l'avait déjà faite à l'envers avec son dernier film, The Master.




Certes on n'a pas la lumière à tous les étages, même si on a bac +13 à tous les deux (vu qu'on a eu notre bac il y a 13 ans), et même si on mène notre vie sans l'aide d'un tuteur légal ou autre auxiliaire de vie scolaire. Mais ne rien piger à ce point ? Et dès la première seconde de film ? Dès le premier dialogue, dès le premier échange, on s'est regardé, figés côte à côte, l'oeil mort, puis on s'est foutu des petites baffes, on a fait quelques moulinets des bras, pris une gorgée d'eau recrachée aussitôt sur le siège de devant, bref, on s'est remis dans la course, comme après un but encaissé dès l'engageot sur une balle perdue, l'air de dire : "On se remet dedans, on n'y était pas, ça arrive, c'est pas la première fois, c'est pas la dernière, y'a de très grands films qui nous ont pris à rebrousse-poil, rappelle-toi Stalker... au début on savait pas... Y'a pas mort d'homme, balle au centre, on recommence tout depuis le début, on est parti du mauvais pied, tant qu'il n'y a pas la cloche tout est jouable, il nous reste 2h29 pour mordre dedans". Manque de bol c'était le premier but concédé d'une soirée noire, d'une rouste historique, d'un camouflet subi à domicile, sur tapis vert, après forfait, d'autant plus dur à vivre que cette déculottée sanctionnait une préparation physique et mentale dont on avait respecté toutes les étapes : on a vu tous les PTA, on a tenté le bouquin, on a fait fi des critiques négatives, on a placé toutes nos billes sur un dénommé Milou (qui se reconnaîtra, qu'on retrouvera), fan du film décomplexé prompt à jeter les innocents dans les salles ("allez-y les yeux fermés", voilà sa critique).




Que dire, du coup ? Faire le résumé ? Impossible. Parler de mise en scène ? Alors oui, Paul Thomas Anderson a officiellement bien ses deux bras. Son film n'agresse pas l'oeil, mais jamais ne l'accroche. On comptait toujours quelques fulgurances dans ses précédents films : les grenouilles de Magnolia, les ratons-laveurs de Punch Drunk Love, les anacondas de Boogie Nights, les chèvres de There Will be Blood, les dauphins de The Master, autant de moments d'anthologie qui ont marqué l'indiewood. Devant Inherent Vice, on cherche longtemps le moment de bravoure, on est à l'affût du moindre mouvement de caméra ou autre plan-séquence un peu frappant, on attend l'ellipse qui nous foutra sur le cul, on espère la lueur, mais en vain. Au lieu de ça, nous sommes demeurés plongés dans un ennui abyssal, aucune scène ne sort du lot, on est dans la mélasse d'un scénario volontairement brumeux comme une fumée de marijuana. 




Tous les efforts de Paul Thomas Anderson pour nous alpaguer, nous séduire, ne font que renforcer le sentiment d'arnaque, d'esbroufe, le mot est lâché, et ça nous fait mal d'employer ce mot pour PTA, mais il faut le dire, comme quand un bon pote a joué au con. Adapter Pynchon c'était déjà s'en foutre quelques uns dans la poche, s'étendre sur la période mythique de la fin des années 60, avec ses hippies, ses putes et sa ganja, n'en parlons pas. Mais que dire d'engager un casting de rêve, composé d'un acteur intouchable (on ne parle pas d'Omar Sy mais de Joaquin Phoenix), d'acteurs "cools" (Benicio del Toro, Josh Brolin, Reese Witherspoon, Owen Wilson), de quelques revenants (Eric Roberts, sœur de Julia Roberts, inoubliable dans Runaway Train ; Martin Donovan, acteur fétiche de Hal Hartley, notamment dans Trust me ; Martin Short, le héros de L'Aventure intérieure), de gros veaux humains (Maya Rudolph... qui nous dit qu'elle ne s'appelle pas plutôt Rudolph Maya ?) et autres guest-stars de rêve que seul PTA pouvait se payer (Joanna Newsom), sans oublier une bande originale aux petits oignons (faite de Jonny Greenwood, Neil Percifal Young, Buffalo Springfield, The Squires, Crazy Horse, Crosby Stills Nash & Young, etc.). Et, pour couronner le tout, une direction artistique survoltée, qui nous laisse une image des années 70 assez triste, entretenant tous les gros clichés et sûre de faire un tabac dans les couloirs de l'UFR de lettres de la fac du Mirail.




On se félicite d'être en mars... Finir l'année là-dessus aurait été trop moche. On nous dira qu'il faut avoir vu le film avec un gros oinj entre chaque main. On nous dira peut-être que ce n'était pas la peine, que le film parvient à nous mettre dans cet état-là avec son script en forme de sables mouvants. Mais si la drogue, le sexe et le rock'n'roll (avec Neil Young c'est plutôt du soft-rock quand même, ça reste gentil) créent cet effet-là, alors nous voulons bien devenir Bernard l’Hermite, de véritables pagures, renoncer à tout, et suivre le même régime que notre tonton Scefo, à qui on a greffé deux cœurs pour être sûr que son mode de vie lui permette de suivre l'Euro 2016 en France. En réalité il était victime d'un situs inversus, maladie congénitale dans laquelle les principaux viscères et organes sont inversés. Les chirurgiens port-de-boucains qui l'ont opéré, ayant ouvert son torse du mauvais côté pour lui faire une greffe, ont découvert une simple cavité dans laquelle ils ont décidé de tout de même balancer le cœur tout chaud extirpé à son berger allemand, qui venait de prendre une balle perdue lors d'une partie de chasse dans le Battelfield Earth qui leur sert de domicile. Bref, comme vous pouvez le voir, avec une famille pareille, on n'a pas besoin de se ruiner les méninges à blanc devant le dernier PTA. On est d'ailleurs les plus cartésiens de la famille, les seuls à ne pas croire aux théories du complot, parce qu'on ne connaît pas du tout les événements sur lesquels ils s'appuient. Nous sommes encore très étonnés (mais assez flattés) de l'immense marche républicaine qui s'est récemment mise en branle pour l'anniversaire de notre chien Baltasar Kormákur.


Inherent Vice de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Benicio del Toro, Joanna Newsom, Katherine Waterston, Reese Witherspoon, Maya Rudolph, Owen Wilson, Eric Roberts, Martin Donovan et Martin Short (2015)

I Used to be Darker

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Deux ans après le beau Putty Hill, Matthew Porterfield continue de jouer sa petite musique folk venue de Baltimore. Un air singulier, frais, discret et agréable, que l'on reconnaît de plus en plus rapidement, qui nous devient étrangement familier. On retrouve en effet la même délicatesse, la même douceur, la même sensibilité dans ce regard porté sur des personnages paumés, pour la plupart tout juste sortis de l'adolescence, et qui ne rentrent dans aucune des cases habituelles du mauvais cinéma indé US. Des personnages que le cinéaste américain prend le temps de nous dévoiler pour mieux les faire exister, et auxquels on finit naturellement par s'attacher. Alors que Putty Hill empruntait beaucoup au documentaire, ce nouveau film nous donne encore l'impression de montrer la vie telle qu'elle est, d'être une simple mais belle photographie d'un instant donné dans l'existence de ses personnages. Ici, on suit surtout Taryn (Deragh Campbell), adolescente en crise qui se retrouve chez sa tante après avoir fui le foyer familial. La jeune fille atterrit dans une petite famille en pleine dissolution. Son oncle et sa tante, musiciens de Baltimore, se séparent, sous le regard impuissant et réprobateur de leur fille unique, Abby (Hannah Gross), du même âge que Taryn. 




Matthew Porterfield filme tout ça patiemment, élégamment, et parvient peu à peu à nous captiver, à nous intéresser à ces existences qui se défont. Le réalisateur n'a même jamais dû ressentir la tentation de transformer cette rupture en un spectacle facile, d'en faire un prétexte à un enchaînement forcément captivant de scènes dérangeantes faites de vives engueulades et de coups de sang. Rien de spectaculaire ici, simplement la réalité telle qu'elle est le plus souvent, sans éclat. Kim, la tante, et Ned, l'oncle, se quittent, et c'est comme ça. La vie continue. Ils chantent chacun leur mal-être, lors de moments musicaux toujours très beaux où leurs voix sont uniquement accompagnées d'une guitare (les deux acteurs, très bons, sont des musiciens confirmés - d'ailleurs, Ned Oldham n'est autre que le frère de Will, plus connu sous le nom de Bonnie "Prince" Billy et déjà croisé chez Kelly Reichardt). On retient bien quelques scènes, quelques passages plus mémorables, mais le film semble toujours suivre un fil tranquille, une évolution toute naturelle. Porterfield parvient à nous maintenir en alerte malgré un rythme assez langoureux et des circonvolutions discrètes, et il réussit parfois à capturer quelques vrais mais discrets moments de grâce. I Used to be Darker, dont le titre est emprunté aux paroles d'une superbe chanson de Bill Callahan, dégage une calme mélancolie, une beauté effacée ; la douceur du regard d'un cinéaste dont on continuera à écouter et regarder les petites histoires.


I Used to be Darker de Matthew Porterfield avec Deragh Campbell, Hannah Gross, Kim Taylor et Ned Oldham (2013)

Birdman

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Cette année, bonne limonade, l'Oscar du meilleur film a leaké avant son sacre et sa sortie officielle en salles. Qualité bluray. Merci à Yify. Sous-titres impec'. Ni trop longs, ni trop concis, qui permettent de bien se concentrer sur la mise en scène maraboutante du fou volant Alejandro Gonzalez Iñarritu. On peut dire (si vous connaissez le blog, vous le savez) qu'on ne l'aime pas, malgré beaucoup d'intérêt pour la péninsule ibérique, la paëlla, la civilisation maya, le Machu Picchu, les empañadas, sa sainteté Popocatépetl, le Quetzatcoatl, Fernando Pessoa, Pablo Ñeruda, Brazilia la ville-avion et les bruits de Recife. On a pourtant vu absolument tous les films du génie des favellas de Mexico (sauf Amours de chiennes, plus vieux fichier sur notre disque dur, preuve d'un nez creux, quand même, et d'un certain feeling, en prime).




21 grammes, Babel, depuis ses débuts Iñarritu alterne le moins bon et le moins bon, et Birdman ne déroge pas à la règle. Sacrer ce film est une erreur historique de la part de l'Académie des Sciences et des Oscars, historique ! Comme chaque année. Ceux qui s'étaient indignés de voir Kevin Spacey recevoir l'Oscar du meilleur acteur au nez et à la barbe d'Haley Joel Osment (et pour quel résultat ? deux carrières brisées net...), ont encore de quoi chialer avec ce braquage organisé par un sylphe chicanos venu nous cracher toute sa prétention au visage dès les premières images. S'inspirant de Truffaut et de Cassavetes pour mieux tringler leurs fantômes, Iñarritu change de registre et veut définitivement s'installer dans le paysage du cinéma contemporain. Jusqu'à présent gens du voyage, le cinéaste à la réussite insolente semble avoir décidé de planter sa tente et de camper dans le salon d'Hollywood. Il s'achète une respectabilité avec Birdman. Sur le papelard, on a tous bavé : Michael Keaton dans un métafilm, incarnant un acteur sur le retour hanté par des succès passés (sommes-nous les seuls à avoir fait le rapprochement entre "Birdman" et "Batman" ? à ce jour nous ne l'avons lu nulle part. So obvious...). Le personnage de Michael Keaton essaie lui aussi de s'acheter une crédibilité dans le film, en montant une pièce de Raymond Carver à Broadway. Il s'entoure d'une galerie de personnages censés nous délivrer un message sur l'industrie du rêve, ce qui nous vaut un défilé d'acteurs qui nous imposent tour à tour leur ptit numéro : Edward Norton, Naomi Watts, Zach Galifianakis ou Emma Stone.




Emma Stone parlons-en. Voilà quelques années qu'elle est là. Souvent dans des films qu'on ne regarde pas. On aime bien les rousses. On n'a rien contre les taches de rousseur ni contre le teint diaphane. Les yeux globuleux ne nous répugnent pas spécialement. Mais Emma Stone est la preuve sur pattes qu'on peut tout à fait correspondre aux tags cochés pour aboutir à un résultat rageant. Invitez-nous dans une banque du sperme, proposez-nous deux supports pour remplir la mission, l'un est une photo de plain pied d'Emma Stone, l'autre un portrait A4 de Morgan Freeman : notre choix est fait. On préfèrera toujours partir de la base Morgan Freeman, quitte à ce que notre imagination doive franchir quelques haies. L'actrice a son moment de bravoure, soit une scène où elle hurle ses quatre vérités à son père, Michael Keaton, en tirant une tronche pas possible, à tel point que le spectateur inattentif croira qu'Iñarritu a tourné la scène en fish-eye. C'est juste l'actrice qui possède des fish eyes.




Un mot, au passage, sur la mise en scène d'Iñarritu. Tout le film se présente comme un seul et unique plan-séquence, qui se veut une mise à sac du spectateur éberlué, un tour de force admirable et monumental. On a repéré les coupes (là encore, sommes-nous les seuls cons à avoir ponctué l'avant-première au Grand Rex en hurlant toutes les cinq secondes : "Là ça a dû couper ! Là ça a dû couper !"). Ne jetons pas bébé avec l'eau du bain, Iñarritu a une petite idée sympa (on en compte toujours une dans la copie des purs cancres), celle de ménager des ellipses étonnantes comme autant de coutures temporelles improbables dans la supposée continuité de ses longs plans-séquences. Mais quitte à ne pas jeter bébé, on peut dire qu'il a globalement une sale tronche. Les mouvements de caméra incessants et tape-à-l’œil nous épuisent rapidement, d'autant qu'ils sont au service d'un discours très lourd et d'acteurs peut-être sympathiques mais qui en font somme toute des caisses. On a par exemple déjà hâte de réhabiliter Zach Galifianakis et Naomi Watts, même si on commence à perdre espoir pour la seconde. Quant à Norton, sa fameuse baston en slip ne fait pas le buzz par chez nous. Nous ne sommes pas dans ton délire Edward, pas plus que dans celui d'Iñarritu, qui était plus à l'aise dans ses baskets quand il bossait chez Taco Bell | Your Destination for Tacos and Burritos All Day.


Birdman d'Alejandro Gonzalez Innaritu avec Michael Keaton, Edward Norton, Naomi Watts, Emma Stone, Zach Galifianakis et Amy Ryan (2015)

Divergente

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Adapté d'un gros bestseller pour adolescents, et bourré lui-même d'adolescents (Shaïlene Woodley, qui jouait dans The Spectacular Now ; Zoë Kravitz, fille du célèbre chanteur René Kravitz, qui jouait dans X-Men Le Commencement ; Ansel Elgort, qui jouait dans Carrie, La Revanche ; Miles Teller, qui jouait du tamtam dans Whiplash ; Ben Lloyd qui jouait dans Tormented (?) ; et Theo James, qui jouait dans sa chambre), Divergente a été confié en toute connaissance de cause à un cinéaste pas terrible mais très au fait des goûts des jeunes gens de notre époque : Neil Burger. Comme son nom l'indique, l'homme n'a pas peur de tout ce qui est gras et lourd, et il nous le prouve à chaque instant de ce film, qui nous dépeint pendant 2h30, dans un Chicago dystopique rebaptisé le Grand Chicago Bold Bbq, une société divisée en factions, c'est-à-dire en cinq catégories "sociales" auxquelles les gens appartiennent en fonction de leur aptitudes : les érudits, les fraternels, les altruistes, les sincères et les audacieux. 


Sur cette photo de tournage on peut voir que la production hésitait jusqu'au bout entre deux titres, "Divergent" ou "Catbird", au point d'utiliser deux claps pour chaque scène. (Entre parenthèses, on remarque aussi que cette scène a nécessité 18 354 409 prises. Seriously ?)

La première scène, qui nous expose la situation et nous présente chaque faction avec l'aide d'une petite voix off, est éloquente : les érudits sont intelligents, ils savent tout, ils bossent dans des buildings tout de costards/tailleurs bleus vêtus, mais ils ont l'air de s'emmerder royalement. Les fraternels sont des cultivateurs habillés en orange, ils font pousser des patates et des carottes à longueur de journée mais sont tout le temps heureux. Les altruistes s'occupent des autres, n'ont pas le droit de se regarder dans un miroir plus de 30 secondes et sont habillés avec des loques grises. Les sincères ne peuvent pas mentir, mais on ne les voit pas des masses, il faut croire que tout le monde s'en fout et d'ailleurs ils n'ont aucun rôle dans la société. Quant aux audacieux, en gros c'est la police, ils assurent la sécurité et sont un peu foufous (ils courent souvent dans la rue, sans raison, et ils ne descendent pas du métro, ils sautent directement sur le quai en faisant un roulé-boulé), ils sont intrépides, peur de rien peur d'un chien, et ils font drôlement rêver la jeune héroïne, fille d'un couple d'altruistes qui s'emmerde sec à aider les autres. Et puis il y a les sans-factions (ceux qui ne sont ni intelligents, ni courageux, ni généreux, ni honnêtes, ni communistes, et qui du coup sont des clochards).


"Ça les gars, c'est un crayon à papier, un criterium... Répétez après moi, "cri-te-rium"... Bon laissez tomber, toute façon vous jouez pas des érudits. Allez, foutez-moi le camp..."

On vient de passer les 3 premières minutes du film, il en reste 292. Deux possibilités : soit on est audacieux et on est allé se fracasser le cerveau sur ce film au cinéma, soit on est assez érudit pour ne pas s'infliger ce spectacle sur grand écran ; quoi qu'il en soit, à ce stade, on cherche un miroir pour se regarder soi-même en chien de faïence. On se dit que forcément le film va nuancer son propos, remettre en cause ces clichés gerbants. Alors bien sûr, l'héroïne va se révéler être une "divergente", c'est-à-dire que, d'après un test effectué en deux temps trois mouvements, elle cumule diverses aptitudes et correspond par conséquent à plusieurs catégories. Le personnage contribue donc à remettre en cause le principe d'une société cloisonnée en castes. N'empêche qu'on ne croisera qu'une paire de "divergents" dans le film, évidemment présentés comme des surhommes extrêmement rares qui cumulent toutes les qualités (retour du héros des années 80, c'est Rocky version barbie-acné trempée dans une fondue savoyarde), alors que les clochards bons à rien pullulent. Les personnages complexes, comprendre qui possèdent plus d'une facette, ne courent pas les rues de Grand Chicago Bacon Classic.


Au vu des conditions de tournage, le cadreur a décidé de n'en faire qu'à sa tronche.

Toujours est-il que Shailaide Woodley va devoir choisir sa case, et comme elle est gaga des audacieux, qui ont l'air si cools, elle va renier sa famille d'altruistes et partir faire ses classes en tant qu'initiée chez les têtes brûlées. Et c'est peut-être là que ça continue à puer mortellement. En gros : un audacieux c'est une espèce de connard qui n'a peur de rien et qui n'utilise son cortex cérébral qu'avec parcimonie. On est audacieux quand on choisit d'entrer dans la police, quand on n'a pas peur de se jeter dans le vide, quand on sait se battre, quand on ne craint pas de tuer, quand on fait de la tyrolienne en prenant son pied et quand on se fait tatouer. Sic. Aux inconscients idiots et violents le privilège de l'audace. Mais comme un audacieux est aussi un con, l'héroïne doit parfois se montrer un peu plus bête qu'elle n'est, sous peine de passer pour une érudite et donc de se faire virer de chez les audacieux (pour se retrouver sans-faction). Véridique. Le film est très long, très long, mais pour vous épargner 2h30 de pathos, d'incohérences et de débilités profondes, voici un résumé rapide du fin mot de l'histoire : les érudits (qui luttent contre l'instinct humain, les émotions) se servent  de leur intelligence pour manipuler les cons (les audacieux/la police) dans le but d'exterminer les gentils (les altruistes). Plus belle la vie. Plus simple aussi.


Le jeune comédien Miles Teller, récemment à l'affiche de Whiplash, aime l'autorité. Il est en train de se construire une jolie filmo à base de percu' et d'armes à feu.

Pas de coup de Tipp-Ex, de rature dégueulasse ou de petite astérisque apportés à la séquence d'ouverture, les traits de caractère associés à chaque "aptitude" ne sont pas démentis ni nuancés.  Les catégories sont bien là, les intellos sont chiants, et accessoirement des ordures manipulatrices dépourvues d'émotion ; les altruistes sont des victimes faiblardes ; les audacieux un troupeau de connards punks sans peur et sans reproche ; les cultivateurs des imbéciles heureux ; les gens sincères, sans intérêt ; et les clochards des incapables dépourvus de toutes les qualités humaines essentielles. Belle vision de l'humanité pour les adolescents de l'an 2010, et jolie leçon de vie délivrée par ce récit d'apprentissage qui certes prône l'affirmation de soi et le libre-arbitre, mais n'oublie pas d'envelopper ces belles valeurs dans l'esprit de compétition, les défis crétins, la boxe thaï et les décalcomanies. Vous serez forcément une meilleure personne et un adulte accompli si vous sautez la tête la première et sans parachute du 92ème étage d'un building de Chicago Chicken Mythic. La suite, Divergente 2 : l'insurrection, sort dans quelques jours, puis viendront deux autres films, Allegiant part 1 et Allegiant part 2. Sur place ou à emporter ? Ça ira, merci.


Divergente de Neil Burger, avec une grande frite et un coca zéro, et aussi avec Shaïlene Woodley, Theo James, Kate Winslet, Zoë Kraviz, Ansel Elgort, Miles Teller, Jai Courtney et Maggie Q (2014)

Big Eyes

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Vingt ans après Ed Wood, Tim Burton, à défaut de renouer avec la qualité, renoue avec le biopic. Il nous raconte l’histoire de Margaret Keane (Amy Adams), peintre soi-disant géniale dont toutes les toiles représentaient des enfants aux yeux globuleux hypertrophiés*. L'artiste américaine, après avoir subi en silence et des années durant la tyrannie de son mari, l’escroc Walter Keane (Christoph Waltz), qui s’appropria sans vergogne l’ensemble de l'œuvre picturale de sa femme pour en tirer reconnaissance et fortune**, partit s'installer à Hawaï où elle devint témoin de Jéhova. Difficile de dire qui des pourfendeurs ou des adorateurs de Tim Burton détesteront le plus Big Eyes… Il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher au cinéaste, c’est d’avoir eu l’intention de se renouveler, de changer un peu de registre. 


Le génie dans un pur moment d'inspiration !

Malheureusement le changement n’aura pas consisté à réaliser enfin un bon film après en avoir mis en boîte de si mauvais depuis des années. Non Burton a plus simplement laissé au placard ses marionnettes favorites, les increvables Helena Bonham-Carter et Johnny Depp. Prenant par ailleurs conscience que tous ses films étaient tournés en studio et qu’ils étaient plutôt sombres,  il est allé dans la rue et a tourné sous un soleil de plomb (un vrai risque pour Burton, qui est un enfant de la lune - en plus d'être un enfant-huître, comme nous l’a révélé son autobiographie en 1997 - et qui n’avait pas vu la lumière du jour depuis le 25 août 1958). Allez savoir si c’est l’effet d’un coup de soleil de cinglé, mais Burton en a aussitôt perdu tous ses moyens, oubliant ce qui faisait le sel de ses films sur-assaisonnés : Big Eyes, dont le scénario, cousu de fil blanc et d’un rasoir prodigieux, n’a rien à envier à une mise en scène aux abonnés absents, comptera sans doute parmi les films les plus plats de l’année 2015, et domine sans conteste la filmographie burtonienne en termes de vide et de fadeur.


En voyant cette image, on peut s'imaginer que Christoph Waltz est drôle.

Contrairement à l’ennui du spectateur devant le film, la révolution du cinéma de Burton n’est pas totale, rassurez-vous. On reconnaît encore la vieille patte fatiguée de Tim aux mains de plomb ici et là, via quelques correspondances auteuriales à la noix (le personnage du plagiaire, interprété par un Christoph Waltz toujours aussi cabotin et résolument insupportable, vit dans le mensonge, comme le père d’Ewan McGregor dans Big Fish, et il finit par se lancer dans un numéro pseudo-loufoque lors du procès final, aussi absurde que celui qui conclut Alice au pays des merveilles), ou autres allusions finaudes au vaste domaine des contes (le méchant Walter Keane pète progressivement un plomb et décide d’incinérer son épouse - c'est ce qui la poussera vers Hawaï et les tarés de Jéhova - jetant une allumette incandescente à travers la serrure de l'atelier où elle vient de se barricader avec sa fille, tel le grand méchant loup face aux petits cochons ; et c’est insultant pour Amy Adams, qui a certes le teint rose et le nez retroussé mais qui mérite mieux que cette association - à un porc ou d’ailleurs à Burton).


Le cinéaste a casé l'une de ses œuvres d'art perso dans la scène du musée. En haut à gauche sur cette image. Magnifique huile de tournesol sur bois. Il s'agit, d'après mes informations, d'un portrait de Jack Nicholson dans Batman.

Mais tout de même, on se demande où est passé Tim Burton, l’homme aux lunettes bleues et aux cheveux enfumés, le cinéaste « décalé », comme ils disent, l'artiste fou dont tous les critiques sont fous, l’artisan sans complexe, qui répète sa petite musique lancinante sans se fouler depuis des lustres, dont les derniers films sont coulés dans un moule ultra-rôdé qui ne gratte absolument personne. Où sont ses joujous de toujours, ses créatures farfelues, ses motifs permanents, ses effets signatures ? Au vu de ses derniers opus, on pourrait se réjouir que le cinéaste ait entrepris un voyage sans escale vers la mesure, la finesse et la sobriété, mais pas si ce voyage doit nous révéler à quel point, délesté de ses attributs fantaisico-baroques, le cinéma de Burton n’est rien. Big Eyes correspond en tout point au téléfilm quotidien de l’après-midi sur M6. Il y a bien deux scènes où Burton se réveille (on l'imagine, couvert de biafine jusqu'aux extrémités des tifs et reprenant du poil de la bête derrière son combo), pour représenter sa dessinatrice d’héroïne soudain affublée des gros yeux de ses portraits tandis qu'elle se regarde dans un miroir, ou croisant une ménagère elle aussi atteinte de triple glaucomes dans un supermarché, mais que c’est timide… de la part de celui auquel on prête habituellement tout un « univers » !


Beau placement de produit pour Jiffy. Tim Burton n'a plus qu'à trouver des idées de génie...

On en vient à s’imaginer que ce film est porteur d’un message secret. Peut-être est-ce, en réalité, le premier film de Tim Burton ! Imaginez ! Son premier ! Le soulagement de dingue !... Pourquoi son premier ? Parce que les autres auront été réalisés par sa femme, Helena Bonham-Carter***. Et Burton, comme Walter Keane dans le film, fort d’un bagout de tous les diables et d’une allure de malade susceptible d'accrocher les photographes, se sera accaparé le travail de sa compagne. Les deux freaks ayant divorcé tout récemment, Burton s’est retrouvé comme un con avec ce drôle d’objet qu’il n’avait encore jamais touché de sa vie, non, pas un peigne, une caméra, et dépourvu de tout le pognon habituel qui plus est, forcé de fabriquer un film avec les moyens du bord pour ne pas se retrouver comme Christoph Waltz à la fin du récit, contraint à mimer un tennis elbow inopiné pour ne pas avoir à dessiner un enfant aux yeux exorbités devant un juge de cour peu commode. D’où Big Eyes, qui nous révèle en pointillés cette sombre affaire. Et alors, si tout cela est vrai, autant dire que notre cinéaste décalé, au panthéon des plus adulés du XXIème siècle, a un sens du cinéma aussi étroit que les yeux de son titre sont gros, et aussi ras que (l'arrière de) son crâne est hirsute.


Série de croutes mises à sécher.

* Mes connaissances en histoire de l’art sont trop limitées pour le dire, mais si Margaret Keane a contribué à la mode aujourd’hui souveraine des personnages de films animés destinés aux enfants dotés d’yeux au-delà de disproportionnés, nous ne remercions pas cette brave dame.

** On se rappellera des soupçons de plagiat qui pèsent encore sur le cinéaste suite à l’affaire Burton/Selick, que mon acolyte avait révélés dès le mois de novembre 2010 dans un article massue ! C’est une clé de lecture pour ce nouvel opus de Burton que je vous glisse sous la porte (et que confirme, comme quoi c'est du solide, la fin de cet article). Aux Mediapart et autres Wikileaks de s’en emparer. Faites votre boulot les gars...

*** Ou par ses femmes, puisque Burton a d'abord vécu avec l'actrice Lisa Marie, qu'il quitte durant le tournage de La Planète des singes pour épouser Helena Bonham-Carter. Et autant dire, si notre théorie est juste, qu'il valait mieux apposer sa signature au bas des films de sa première conquête que revendiquer ceux de la seconde...


Big Eyes de Tim Burton avec Christoph Waltz et Amy Adams (2015)
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