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Channel: Il a osé !
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John Wick

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Comme l'indique la tagline, il ne faut surtout pas énerver John Wick ! Il est capable d'abattre une centaine d'hommes sous le prétexte que l'un d'eux a froidement buté son chien... Son adorable petit chien. Un irrésistible beagle. Celui que sa femme lui avait laissé après sa mort comme cadeau posthume. La seule chose qui lui restait d'elle. La seule chose qui le maintenait dans une vie normale, rangée des voitures. Cette existence bien tranquille qu'il avait choisie après de longues années à œuvrer en tant que tueur à gages pour de sombres organisations mafieuses. John Wick était surnommé le "Baba Yaga", ce qui semble vouloir dire le boogeyman, le croque-mitaine, le démon, le Diable, grosso modo. Redouté de tous, il était le nettoyeur le plus efficace. Quand le grand chef de la mafia apprend que sa progéniture a dérobé la Mustang et a abattu le clébard de John Wick, il voit rouge. Il sait que son con de fils a malencontreusement réveillé une bête capable de tout !




Un centaine d'hommes au tapis, oui, on ne doit pas être loin du compte, tant les scènes de bagarres et de fusillades s'enchaînent, sans temps mort, dans ce film réalisé par deux amoureux du genre, vraisemblablement fans des revenge movies coréens. Deux gugusses qui ont su rendre son charisme à Keanu Reeves et mettre au point des séquences d'action efficaces, lisibles, souvent chorégraphiées avec un certain soin. Il y en a vraiment pour tous les goûts : corps-à-corps musclés et bastons à la mise en scène étudiée dans des décors aux lumières fluos, longues fusillades opposant John Wick au reste du monde, poursuites en bagnoles, duel final à l'arme blanche... Tout y passe. Très à l'aise, Keanu Reeves, qui retrouve donc enfin un peu d'allure, aligne les headshots, peaufine ses mouvements, et nous rappelle ses bases en art martial. On apprécie particulièrement l'usage qu'il sait faire des ustensiles à sa portée, notamment celle d'un simple drap de couchage pour étouffer une tueuse particulièrement retorse.




La débilité extrême et la simplicité atterrante du scénario sont totalement assumées, l'histoire est un simple prétexte à cette succession de scènes d'action assez bien balancées. Malgré tout, soulignons que le film développe aussi, mine de rien, un petit univers assez plaisant, sur lequel le scénario, sans doute écrit très vite, a la bonne idée de ne pas tout dévoiler. Plutôt marrant est ce monde peuplé de tueurs qui obéissent à des règles absurdes, créchant tous dans le même hôtel lorsqu'ils sont en mission et trimballant avec eux des pièces en or qui leur donnent accès à des endroits interdits et leur permettent aussi de faire appel à une étrange entreprise de nettoyage, passant derrière eux, après leurs méfaits. On pourrait jurer qu'il s'agit de l'adaptation d'une bande-dessinée. Bien sûr, on pense aussi beaucoup aux jeux vidéos, comme si nous assistions à une partie qui, pour une fois, ne serait pas si déplaisante que ça à regarder. A condition, bien sûr, d'être dans l'humeur et les dispositions adéquates...




Il s'agit donc du premier film d'un duo, Chad Stahelski et David Leitch, d'ordinaire réalisateurs de seconde équipe et spécialistes des cascades et cocktails. Ils ont été embauchés à la demande expresse de l'acteur vedette, qui connaissait sans doute leur potentiel et leur savoir-faire car il avait travaillé avec eux pour Matrix. Keanu Reeves a donc eu le nez creux, car le film, qui a su taper dans l’œil de nombreux amateurs de cinéma de genre, a aussitôt été désigné comme celui de son grand come-back tant attendu. Une suite serait même dans les tuyaux. Je serai au rendez-vous...


John Wick de David Leitch et Chad Stahelski avec Keanu Reeves, Willem Dafoe, Michael Nyqvist, Alfie Allen, Adrianne Palicki, John Leguizamo et Bridget Moynahan (2014)

Une nouvelle amie

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Chaque année on sait qu'on finira dans le mur : devant le dernier Ozon. Chaque année on s'attaque à la critique du film pendant le film, et chaque année on commence à écrire de plus en plus tôt pendant la projection. Bientôt on commencera à rédiger avant d'avoir appuyé sur play... L'argument du film ? Vous le connaissez. Romain Duris aime se travestir. Sa plus grosse réplique, déballée les larmes aux yeux, résume bien l'affaire : "Je me souviens de ce qu'on nous disait enfants : les garçons naissent dans les choux, les filles naissent dans les fleurs. Eh ben moi je suis né dans un chou-fleur". Silence de rigueur après ça. Logiquement on devrait laisser un blanc typographique de huit kilomètres de long pour exprimer tout ce qu'on ressent. L'amie de Duris, Anaïs Demoustier, quant à elle, trouve ça brillant. Durant tout le film, elle suit son collègue dans tous ses délires schizophrènes, jusqu'au point de non-retour. Un électron libre (Raphaël Personnaz dans le rôle d'un perso super naze), gravite autour de cette amitié nocive pour les spectateurs comme pour les acteurs. 


Tous les acteurs et actrices français se battent encore pour tourner avec Ozon. WTF ?

Dès les premières images, François Ozon s'accapare, une fois de plus, le très lourd héritage hitchcockien. Chaque scène contient une flopée de références à ce vieil Albert Hitchcock, qui fait une apparition dans le film ! Ce n'est d'ailleurs pas le seul caméo puisque Ozon lui-même débarque tout sourire dans une scène au ciné où il vient caresser le jarret dodu de Romain Duris, tendant, sous l'oeil fébrile de la caméra, une main toute manucurée du feu de Dieu. Autant dire que personne ne ressort grandi de cette entreprise. Hitchcock en sort sali, Ozon, ridicule, et le cinéma français traîné dans la boue. Anaïs Demoustier pour sa part ne démérite pas, même si les scènes où elle retire le haut nous font revoir à la hausse nos propres poitrails. Un petit push-up et on l'étale.


Toujours difficile de filmer une scène de tennis. Ozon rend ça plus facile pour les autres.

Difficile de se passionner pour ces personnages, leurs problèmes de roustons coincés dans la jarretelle et leurs petits secrets freudiens à trois francs. Comme souvent chez Ozon, et comme dans l'immense majorité des films français actuels, tous ces personnages préfabriqués vivent en outre dans des palaces trop vastes, se perdent dans leurs propres cuisines équipées comme celles de Francis Reblochon. Ras la casquette de ces apparts de jobastres, où la porte du moindre placard semble pouvoir conduire vers une nouvelle dimension et où l'on peut vivre confortablement à deux dans le frigo. Assez de ces garages monumentaux, dont l'architecture est inspirée de la pyramide du Louvre, et qui abritent des décapotables rouges certes cinégéniques mais qu'on a envie de rayer du pot au capot. Foin de ces trentenaires actifs qui chaque soir se mitonnent des putains de banquets royaux, dégustés en tête à tête sur des tables en marbre. Tout cela, on pourrait l'avaler avec un grand sourire si Ozon ne nous donnait pas la sensation de traverser un trou de ver. On est face à un objet filmique si merdeux que l'intensité de sa chienlit empêche toute forme de lumière ou de rayonnement de s'en échapper.


Une nouvelle amie de François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz et Aurore Clément (2014)

Tu veux ou tu veux pas

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Le Maréchal Tonie est appelé à la barre... Accusée, levez-vous. Premier chef d'accusation : plagiat éhonté du Shame de Steve McQueen. Sophie Marceau remplace Michael Fassbender dans le rôle de la sex addict prête à sauter sur tout ce qui bronche. Tonie Marshall a dû changer de titre au dernier moment en découvrant le récent diptyque de Lars Von Trier. Quand Sophie Marceau se demandera-t-elle pourquoi on ne lui propose jamais le moindre rôle de femme intelligente ? Parce qu'en plus d'être nymphomane, son personnage est d'une débilité à tout rompre. Malgré cela, Patrick Bruel, également sex maniac, n'hésite pas une seconde à l'engager comme assistante dans son cabinet de conseiller conjugal. Il faut dire que, malgré ses 60 ans bien tassés, Sophie Marceau met toutes ses formes au service de la fiction. Elle est tirée à quatre épingles dans chaque scène du film, moulée recto verso. Tonie Marshall est le premier réalisateur à la rendre aussi désirable depuis Mel Gibson dans Braveheart. Force est de reconnaître que le sex appeal de la plus bête des comédiennes françaises est toujours au garde-à-vous. On a tout particulièrement apprécié ce pull gris moulant 100% élasthanne qui révèle son buste mieux que si elle ne portait rien. On dirait un moulage en plâtre. C'est pourtant dans la scène où elle est ainsi affublée que Patrick Bruel, qui essaie avec un mal de chien de dompter ses propres démons et ceux de sa nouvelle partenaire, lui dit : "Ah, là, là, là ta tenue est clean. Pour une fois on ne voit rien". Tonie Marshall connaît si mal les hommes, ses congénères...




Deuxième chef d'accusation : plagiat éhonté du style Tom Hooper, breveté à la sortie du Discours d'un roi. Comme dans les films du britannique, chaque cadrage de Tu veux ou tu veux pas laisse une bonne place au vide, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt à droite et à gauche. On se demande à quel point le format panoramique de l'image, pas du tout adapté à un tel spectacle (sauf peut-être celui qu'illustre l'image ci-dessus...), est à l'origine de ce projet formel. Mais, à vrai dire, Tonie Marshall se révèle plus audacieuse qu'on ne pensait dans ce film. Ce qui nous conduit tout droit au troisième chef d'accusation : plagiat éhonté de David Lynch. On sent lentement venir le truc... Quelques raccords dans l'axe pas naturels, quelques invités mystères planqués au fond du cadre (caméo surprenant de Jean-Luc Godard), un aspect métafilmique assez fort (Sylvie Vartan, dans la BO et au casting ; Jean-Pierre Marielle qui vient jouer son propre rôle dans un bar où il semble avoir son fauteuil attitré), quelques bizarreries notoires (un pressing qui sert aussi de cercle des nymphos anonymes ; à l'intérieur de ce pressing, François Morel, qui hante les lieux dans des scènes glauques où le personnage paraît tout droit sorti de la psychée délirante de Patrick Bruel, qui semble être le seul à le voir, comme si c'était un compagnon imaginaire façon Shining), ou encore un acteur à deux doigts de fumer le film de l'intérieur (André Wilms, qui fabrique des parfums dans un appartement immense dont chaque pièce contient une trentaine de petites lampes allumées, l'acteur carbure à la gnôle et aux micro-siestes - dont une sur l'épaule de Marceau - et laisse parfois exploser sa mauvaise humeur, comme quand, après avoir préparé un lapin aigre-doux pour les deux héros du film, il s'exclame, en se levant : "Bon, après toutes ces tartines de merde, passons au dessert ! Au menu ? Un clafouti aux glaouis !").




Mais Lynch est plus clairement convoqué comme godfather du projet dans une scène totalement à part, une séquence onirique, entre rêve et cauchemar, entre Apitchatpong et Dupieux, où Marceau, après avoir trinqué avec Jean-Pierre Marielle (qui quitte quand même le plateau sans prévenir, au beau milieu d'un dialogue, avec ces mots : "Bon, c'est pas tout, mais j'me casse"), se retrouve seule au comptoir. Soudain, on voit apparaître derrière elle des lapins humains qui déambulent dans le café, clin d’œil direct à Alice au pays des merveilles de Carl Lewis, en même temps qu'à Shining, de nouveau, et à Inland Empire. Mais ça ne s'arrête pas là. Quelle joie de retrouver Patrick Braoudé après tant d'années d'absence, lui qui a régné sur la comédie française dans les années 80 et 80, et qui a su laisser sa place à une jeune génération qui n'a pas saisi la perche et qui déjà négligeait son héritage. 




Il fait ici son comeback, avec un grand K, dans le rôle d'un écureuil pilier de bar. Sous le costume, hallucinant, on découvre que l'acteur-réalisateur culte est devenu un sosie officieux de François Hollande, la myopie en moins. Mais il faut voir le bon côté des choses, il a un pied-à-terre chez Julie Gayet. A condition toutefois de la boucler, car sa voix unique, enraillée, effacée, aspirée, inspirée, coiffée, décoiffée, véritable madeleine de prout pour nous autres fans de l'artiste, qui nous rappelons encore les neuf mois passés avec lui après un divorce douloureux, se reconnaîtrait entre mille. L'homme se révèle parfaitement lynchéen, on découvre son côte Bill Pullman tandis qu'il devise avec l'autre cruche dans son costume d'écureuil à queue remuante. Un membre de la famille Marshall, stagiaire de 3ème, se chargeait de secouer la queue du comédien, dans laquelle était d'ailleurs dissimulée la perche du preneur de son, ce qui nous vaut un dialogue doublement lynchéen et de nouveaux couacs audiovisuels. Car le film en est rempli. On ne citera que ces plans en amorce où l'on peut compter et recompter les pelloches contenues dans le quart nord nord-ouest de la chevelure de Patrick Bruel, sosie quant à lui officiel de Stéphane Plaza.


Tu veux ou tu veux pas de Tonie Marshall avec Sophie Marceau, Patrick Bruel, André Wilmz, Sylvie Vartan et François Morel (2014)

Predestination

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Ce film est probablement le plus gros mindfuck de l'histoire des histoires. Amateurs de spoilers, réunissez-vous autour de cet article. Que nous racontent les frères Spierig en adaptant ce texte de Robert Heinlein ? Au départ, on se croirait dans un caper movie de base. Le héros, interprété par un Ethan Hawke de retour du diable vauvert, est censé être renvoyé dans le passé pour empêcher leso called "Feu follet", surnom d'un terroriste dynamiteur, de faire sauter un bâtiment. On nage donc, littéralement, en plein caper movie. Mais très vite, une scène de troquet sous influence pagnolesque, qui dure une bonne demi heure, brise l'horizon d'attente d'un spectateur en quête de repères, qui a depuis un bail entamé une séance de rameur devant sa télé. On apprend dans cette scène, grâce à l'inénarrable Ethan Hawke, passé de démineur à serveuse le temps d'un raccord, lancé dans une discussion à bâtons rompus avec Leonardo DiCaprio, que le film a largué les amarres et préférera la réflexion à l'action. Les frères Spierig en ont sous la godasse, et semblent vouloir nous dire : "On va moins vous faire suer des barres que vous tuer l'esprit".


Face à face entre deux éphèbes des années 90 : Leonard DiCaprio trinque avec Ethan Hawke. Quand il mate le film, Brad Pitt se demande pourquoi il n'a pas été invité.

Qu'en est-il, au fond, de Predestination ? C'est l'histoire d'une personne qui est tout à la fois, sans le savoir, sa propre mère et son propre père, ainsi que son propre amant, puis son propre enfant, et enfin son propre chien, du fait de plusieurs boucles temporelles imbriquées. Si vous avez du mal à y croire et à comprendre, ne regardez pas le film, car il ne va pas vous aider du tout, mais relisez simplement notre résumé, qui est clair comme de l'eau de roche. Si Bob Heinlein le lisait, il opinerait sans doute du chef, comme un vieux sage, avançant une lippe satisfaite, heureux que des années de travail soient aussi bien résumées. Voyageurs du temps, touristes de l'horloge, prenez garde à également tracer la route dans l'espace, à voyager verticalement et horizontalement, sous peine de tomber amoureux de vous-mêmes, de vous interpénétrer, de vous accoucher et de vous tenir en laisse. Les frères Spierig, qui sont sans doute eux-mêmes un seul et unique individu, ont le mérite de donner un nouveau souffle à toutes les réflexions engendrées par ce type de récits de science-fiction philosophique. Ils ont en revanche le tort d'avoir pondu une sacrée daube. Face ce film, on se demande sans cesse si c'est du génie ou de la pure infamie, et pas mal de scènes font pencher la balance du mauvais côté. 


Ethan Hawke stipule dans chacun de ses contrats qu'il viendra avec ses propres habits et qu'il s'habille chez GrouchO: friperie RetrO, 39 rue Peyrolières.

Saluons tout de même le courage des deux kamikazes qui ont réalisé ce film, quitte à en sortir cramés et fâchés à vie avec la dynastie Heinlein. Ces deux connards ont toute notre sympathie. Et leur acteur-star, Ethan Hawke, a plusieurs pieds-à-terre intra-muros chez les auteurs de ce blog. On tient quand même à réparer une injustice. Celui qu'on a surnommé le Cary Grant des années 90 grâce à Bienvenue à Gattacca, où il marche sur l'eau, et au Cercle des poètes disparus, où il est beau comme un cœur, essuie aujourd'hui plusieurs quolibets. Beaucoup d'anciens fans le maltraitent, faisant de lui un exemple d'acteur ayant mal vieilli. Il a vieilli, certes, admettons. Mal ? Uma Thurman aimerait pouvoir en dire autant. Peu de starlettes des années 90 trimballent encore autant de classe qu'Ethan Hawke. Prenez les actrices de Friends, Courteney Cox, Jennifer Aniston, l'actrice préférée des américains, donc du monde entier, voire Matthew Pery. Toutes sont devenues des armoires à pharmacie ambulantes. Mais Matthew Perry, on le laisse tranquille, simplement parce qu'il n'est plus under the radar. A contrario, rappelons qu'Ethan était l'an passé à l'affiche de Boyhood, neuf nominations aux Oscar et film préféré de Barack Obama... Qui dit mieux ? 


 Drôle de scène post-générique où Ethan Hawke étreint une grosse aubergine, qui n'est autre que lui-même devenu légume.

Certes, il n'est pas toujours irréprochable. Par exemple dans The Purge, où il porte la moustache, sauf dans une scène... Un matin, Ethan s'est présenté sur le plateau rasé à blanc, un sourire d'écolier en bandoulière, l'envie de bien faire au rendez-vous. Le producteur l'a dévisagé et a pointé son index sous son nez l'air de dire : "What the fuck ? Qu'est-ce que tu nous as fait ? Trente ans de carrière, jamais vu ça !" Mais comment lui en vouloir ? Quand on tourne quatre films par an, dont deux de Richard Linklater et deux des frères Spierig, on ne peut pas toujours s'y retrouver et apporter le bon cartable. Sans compter qu'Ethan Hawke a un autre job à temps plein, celui de plaque tournante. Il sert de parabole entre le Mexique et le continent nord-américain. Voisin de Dick Linklater à Austin, les deux hommes partagent une passion envahissante pour tout ce qui fume et qui rend jouasse. D'ailleurs, tout le monde s'est esbaudi du projet Boyhood, film tourné sur quinze ans, alors que le tournage s'adaptait simplement au planning-maison de Linklater et à son rythme de vie très "cool". Nul doute que la ganja tournoyait aussi sur le plateau de Predestination. A ce propos, oubliez Las Vegas Parano et Inherent Vice, vous tenez là THE stoner movie.


Predestination des frères Spierig avec Ethan Hawke, Sarah Snook et Noah Taylor (2014)

Hidden

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Ça, c'est du cinoche ! Sorti en l'an de grâce 1987, Hidden est un titre chéri par les amateurs et mis en boîte par Jack Sholder, un discret et sincère artisan du cinéma de genre puisqu'on lui doit notamment la première suite de Freddy (La Revanche de Freddy), Alone in the Dark (antérieur au jeu vidéo du même nom), ou encore Whishmaster 2 (postérieur à Whishmaster 1). Jack Sholder est clairement le genre de réalisateur qui tourne à un rythme à peine suffisant pour se garantir un frigo bien garni mais qui, à n'en pas douter, fait son métier avec toujours beaucoup de professionnalisme et de bonne humeur. Parfois, il lui arrive même d'être soudainement inspiré par le scénario qu'il a pour mission de mettre en image. C'est en tout cas ce qui a dû se produire lorsqu'il s'est attelé au sympathique script rédigé par le bien nommé Jim Kouf, une sorte de mix jouissif entre Terminator et The Thing, dans lequel un extraterrestre sème la pagaille et les cadavres dans les rues de LA, passant d'un corps à l'autre, pris en chasse par un flic de mauvais poil (Michael Nouri) et un mystérieux agent du FBI (Kyle MacLachlan), contraints à collaborer.




Dès les premières minutes, qui nous offrent une longue, cocasse et explosive poursuite en bagnole, le décor est planté et nous sommes fixés : Hidden vise notre plaisir le plus simple et immédiat. On prend d'emblée notre pied ! Du début à la fin, sans réelle faute de rythme, le film de Jack Sholder s'avère d'une efficacité indéniable. C'est un plaisir à partager ! On se régale d'abord de suivre les pérégrinations de cet extraterrestre grincheux, aux mœurs étranges et aux lubies absurdes, n'acceptant de rouler qu'en Ferrari, friand de belles pépées et accro à la musique pop-rock typiquement 80's, au point de se trimballer dans les rues ou au resto avec un transistor sur l'épaule ! Devant cela, on pense aux meilleurs moments de Men In Black, notamment quand l'hôte de l'alien est prise de maux de ventre incontrôlables et cherche à se soulager coûte que coûte. Nul doute que le film de Barry Sonnenfeld, sorti exactement 10 ans plus tard, lui doit beaucoup.




On sait aussi apprécier le côté buddy-movie qui se met en place progressivement, avec dans un premier temps les rapport tendus mais amusants du flic et de l'agent du FBI, avant que ceux-ci se découvrent des atomes crochus et que le film nous quitte sur une belle et ultime preuve d'amitié, lors d'une conclusion qui pourrait presque être un peu niaise si, auparavant, nous nous n'étions pas attachés à ce si sympathique duo. L'alchimie des deux acteurs principaux n'y est pas pour rien, les fans de Twin Peaks seront ravis de retrouver l'agent Cooper, Kyle MacLachlan est parfait ; son acolyte Michael Nouri n'est pas en reste, avec son allure nonchalante et sa tronche très cool, typique de certains héros de films américains de cette période. Les deux hommes prennent un plaisir communicatif à interagir et à chasser ensemble l'imprévisible alien.




Car Hidden n'oublie donc pas d'être drôle, ne l'est pas qu'un peu, et l'humour y est toujours bien senti, notamment quand il est amené par des dialogues écrits avec délice, auxquels le doublage français, comme on savait les faire à l'époque, parvient à rendre justice (je pense surtout aux petits mots doux que s'échangent les flics au commissariat portant sur la femme de l'un ou la sœur de l'autre, c'est très bête mais ça marche à tous les coups !). Il y a aussi une scène terrible, dans tous les sens du terme, mettant en vedette un chien devenu particulièrement hargneux puisque hôte temporaire de l'alien. Je vous en dis pas plus, c'est une scène à voir... Je pense surtout aux nombreux fans de chiens qui nous lisent...




Et pour ne rien gâcher, les effets spéciaux, bien que rares, sont vraiment réussis. Réalisés sans ordinateur mais grâce aux petites mains talentueuses d'autres artisans bien intentionnés, ils n'ont pas pris une ride ! Sans nostalgie mal placée, nous pouvons être sûr qu'aujourd'hui, pour un budget équivalent, c'est-à-dire limité, on aurait droit à des CGI moisis dès leur création... Les quelques apparitions de l'alien sont ainsi particulièrement marquantes et contribuent à ce que le côté horrifique du film soit au diapason. L'alien n'a pas une allure spécialement originale, mais il est dégoûtant, et c'est bien le principal. Le voir s'extirper de la bouche de sa première victime pour s'introduire dans celle d'un homme impuissant, alité à l'hosto, nous procure très tôt les premiers frissons espérés.




A partir d'un pitch a priori extrêmement basique qui pourrait le condamner à demeurer dans l'ombre de dizaines d'autres références auxquelles on pense logiquement, Hidden parvient très vite à emporter l'adhésion grâce à son scénario généreux, qui enchaîne les scènes de bravoure tout en laissant une bonne place à l'humour, mené tambour battant et garantissant 90 minutes réellement jouissives. Je n'ai pas l'habitude d'employer ce mot dont je me tiens d'ordinaire éloigné. Cela fait deux fois ce coup-ci. Ça doit vouloir dire quelque chose ! Couronné d'un grand prix mérité au festival d'Avoriaz en 1988, Hidden est une petite pépite du cinéma d'horreur de la fin des années 80, un film que l'on revoie encore avec un plaisir évident, et communicatif. 


Hidden de Jack Sholder avec Kyle MacLachlan, Michael Nouri et Claudia Christian (1987)

Aux Frontières de l'aube

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La première fois que j'ai lancé ce film je me suis endormi au bout de dix minutes. La deuxième fois j'ai pioncé à nouveau, et re-pioncé la troisième. Je l'ai retenté deux fois ensuite, les deux fois je me suis encore endormi au passage de la barre fatidique des dix minutes, précisément. Les trois tentatives suivantes (respectivement les sixième, septième et huitième essais) connurent le même sort. Je n'évoquerai même pas la neuvième fois, car elle n'a pas à proprement parler eu lieu. Les cinq fois suivantes, je n'ai pas dépassé le quart d'heure (mais je notai, pas peu fier, une amélioration de cinq minutes sur mon record jusque là maintes fois égalé, jamais dépassé). La quinzième tentative fut la bonne. Ce film m'aura servi une cure de sommeil maxi modèle sur un plateau. On n'a pas idée de tout filmer dans le noir aussi... Near dark c'est dark, très dark, trop dark. Les vampires craignent le soleil, ok, mais pas les spectateurs, alors c'était pas la peine de tourner le film dans le noir complet, parce que c'est con mais on n'y voit rien. J'ai eu beau mettre la luminosité à 100% sur mon écran Daewoo, j'y ai vu que dalle. Comment ne pas pioncer comme un loir ? Et la bande originale par Tangerine Dream (« Tango de rêve ») n'arrange rien. Le rythme mollasson et les suites de plans auxquels on ne comprend rien, non plus !


Lance Henriksen, vampire de longue date, brave l'interdit (foutre un pied dehors en plein jour) pour se faire un McDrive. Après avoir avalé la route à l'aveugle et à 2 km/h, le pare-soleil tendu sur toute la surface du pare-brise, il décide de prendre la file du Drive à l'envers pour ne pas trop s'exposer, quitte à devoir hurler pour qu'on prenne sa commande. Il finit aussi cuit et sec que les deux steaks rachitiques de son prochain Big Mac, mais il termine la scène avec un sourire, assurant que ça valait le coup« pour les corbacs » (cornichons).

Au début du film, une scène s'avère très symptomatique de l'échec de miss Kathryn Bigelow (Academy Award Robber grâce à Démineurs), celle où Mae (Jenny Wright), une vampiros pas du tout lesbos, embarque dans la mustang d'Adrian Pasdar qui l'emmène voir son cheval (un mustang, l'homme fait une fixette). Sous leurs yeux admiratifs, la bête se cabre majestueusement, dévoilant une érection hippique notoire, et la jeune femme, émoustillée, se lance dans des sous-entendus lourdingues quant à son statut de vampire, pendant vingt minutes au bas mot. Alors peut-être que c'est efficace pour ceux qui découvrent le film sans savoir du tout de quoi il s'agit, pour ceux qui ont fermé les yeux en louant le dvd, peut-être que pour eux, qui s'attendent autant à un western spaghetto avec Terence Hill et Budd Spencer jouant à s'envoyer des baffes pendant une heure et demi qu'à une comédie sociale de Philippe Lioret encore plus noire que le film de vampire tourné dans le noir auquel ils devront en réalité faire face, peut-être que pour ces gens-là c'est intriguant et appréciable tout ce passage où la fille fait comprendre à demi-mots à son nouvel étalon qu'elle en est, à coups de «Autant je serai encore là dans mille ans...», «Les chevaux ont peur de oim », «Sans gousses d'ail, ma salade Caesar, tu seras gentil, par contre fais passer le cheddar », « Peut-être que tu pourrais devenir éternel itou si d'aventure on s'encastre », « Ne m'embrasse pas je vais te bouffer la moitié de la joue » et autres « Magne-toi de renfiler ton zlip de gangourou, le jour se lève ». Mais pour nous autres qui savons de quoi il retourne, cette scène est embarrassante. Un peu plus loin, on trouve, ne soyons pas vaches, une scène moins nulle. Quand Adrian Pasdar vient juste de se faire niaquer et cavale dans les champs terreux, ses pas soulevant la poussière derrière lui, son corps fumant de pied en cap à l'approche du soleil. Avec la musique aux sonorités moins directement estampillées 80s qui accompagne le film à ce moment-là (je crois qu'il s'agit de la chanson Marakesh de Tango de rêve), j'ai trouvé cette scène assez réussie. Pas super bien filmée mais assez habile quand même. Sans bien savoir pourquoi, on aime voir ce mec fumant courir plié en deux dans un champ aride du Texas. C'est le seul truc qui fonctionne à peu près dans tout le film.


Adrian Pasdar commence à flamber. Il m'est arrivé la même chose une fois avec un froc Celio*, alors qu'il ne faisait pas spécialement beau. Il a pris feu comme ça, en pleine rue, sans prévenir.

Restent quand même des masses de péripéties pas tellement cohérentes. Je ne suis pas pro en vampires, mais s'il suffisait qu'on leur fasse une transfusion avec du sang de mortel pour qu'ils redeviennent normaux, ça se saurait. Pareil pour la scène de la fusillade dans le bigelow, dans le bungalow pardon : le moindre rayon de soleil fait flamber les vampires alors qu'on les a déjà vus, allongés derrière des persiennes, sur des transats, en train de bronzer comme des gros lézards camés… Puis la fin est limite. Le méga vampire qui suce du sang depuis des lustres se fait surprendre par l'aube en pissant un dernier coup à la belle étoile dans son jardin, alors qu'il n'a que ça à penser, depuis des millénaires : fuir le soleil !


Aux Frontières de l'aube de Kathryn Bigelow avec Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen, Bill Paxton et James LeGros (1987)

The Equalizer

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Dans son for intérieur, Denzel Washington estime sans doute qu'il doit son Oscar chéri à Antoine Fuqua, le réalisateur de Training Day. En réalité, il le doit surtout à un gros malentendu et à cette hypocrisie ambiante, favorable aux minorités visibles, qui était de rigueur à Hollywood suite aux attentats du 11 septembre et qui a également provoqué le couronnement hâtif d'Halle Berry. Mais n'abordons pas les sujets qui fâchent... C'est donc parce qu'il se sent redevable envers Antoine Fuqua que notre ami Denzel accepte facilement les scénarios que le cinéaste lui propose, quitte à se retrouver dans d'abominables navets tels que cet Equalizer. C'est en tout cas comme ça que je m'explique rationnellement la situation. Car si le monde tournait rond, c'est un type comme Steven Seagal, aka Saumon Agile, qui incarnerait le héros infaillible et invincible d'un tel actioner de seconde zone.




Pendant la promo française du film, je me souviens que Denzel Washington avait été accueilli en grandes pompes par un Laurent Delahousse complètement gaga, n'oubliant jamais de brosser son invité dans le sens du poil, comme si celui-ci l'honorait de sa présence divine. Et pourtant... Quand on sait quel affreux produit la star venait nous vendre... Dans quel spectacle ridicule et totalement débile celle-ci s'adonnait pour toucher le jackpot... Denzel Washington, dont j'ai déjà ciré les godasses avec ardeur pour sa performance dans Flight (je ne le regrette pas, il l'avait bien cherché, j'étais consentant), mérite ici le plus grand mépris. Quand on a sa stature, quand on jouit de la liberté de décision qui doit être la sienne, il faut vraiment avoir un sérieux grain pour venir faire le guignol dans une telle mascarade. C'est le genre de film qui peut faire perdre tout son crédit à un acteur, toute sa crédibilité, même quand celle-ci est solidement établie. On ne peut plus être sérieux avec quelqu'un qu'on a vu là-dedans.




Denzel Washington incarne donc le héros ultime, capable de tout, comme je croyais qu'on osait plus en faire, sans une once d'autodérision. Certes, j'ai pouffé une fois ou deux devant les facéties de l'acteur, notamment lors de ce face-à-face tendu avec le très méchant, dans un resto chicos, entre deux verres de rouge. Denzel invite alors son ennemi à se plonger dans ses yeux pour lui dire s'il y décèle réellement quelque chose d'un peu humain, après avoir lentement énoncé ce qu'il devinait dans le regard de son vis-à-vis, lui récitant sans se tromper les grands faits marquants de sa biographie. A ce moment-là, l'acteur sort le grand jeu, nous délivre son regard le plus noir et inexpressif, et je ne peux pas croire qu'il se prenne véritablement au sérieux. Hélas, tout le film démontre le contraire. Denzel est The Equalizer (le mot n'est jamais prononcé mais convient tout à fait), un homme mystérieux, au passé trouble et méconnu, mais vraisemblablement très riche en aventures et expériences. Ses techniques de combat et d'infiltration mettent sur le cul tous ses adversaires. "Ce type-là est surentraîné, regarde les choses en face...", "Les cinq costauds qu'il a abattus tout seul, en une poignée de secondes, et quelques mouvements bien précis, démontrent clairement que nous n'avons pas affaire à n'importe quel connard...",  "Regarde-moi ce désastre, ce gars-là est un vrai renard...", "Mais quel gros enculé, sérieux !" sont autant de répliques que l'on entend dans la bouche de ces pauvres russes tatoués de la tête au pied, qui servent de chair à canon.




Vieux loup solitaire au cœur sensible, Denzel aime prendre sous son aile la veuve et l'orphelin. Surtout l'orpheline. Il s'attache ainsi à Chloë Grace Moretz qui incarne avec beaucoup de difficultés une prostituée mineure originaire de l'Est et exploitée par ces vilains russes (le film nous apprend d'ailleurs que la jeune actrice est bâtie comme un petit camionneur ; sa croissance n'étant pas tout à fait terminée, on peut encore garder l'espoir qu'elle évolue dans le bon sens). Quand Denzel retrouve la gamine couverte de bleus, il voit rouge et se lance dans une vendetta méthodique et irrésistible qui le mènera jusqu'en Russie, et plus exactement dans la salle d'eau du grand commanditaire, qu'il liquidera avec une facilité déconcertante, après avoir refroidi ses hommes de main et s'être introduit chez lui peinard (une ellipse bienvenue nous épargne ces nouvelles mises à mort, on voit simplement Denzel repartir du grand manoir en enjambant les cadavres qu'il a semés sur son passage - pris d'une lucidité très tardive, le réalisateur a comme soudainement conscience que l'on a bien assez vu notre héros dézinguer et tordre des cous à tout-va...).




Mais Denzel n'est pas seulement un type devant lequel Jack Bauer, John McClane, James Bond et même Superman pourraient aller se rhabiller fissa. C'est aussi un homme de lettre aux goûts raffinés quoique très classiques. Il dévore les bouquins, qu'il feuillette délicatement et, de préférence, dans des collections anciennes et poussiéreuses, sans doute achetées à prix d'or sur eBay (il ne doit pas supporter le Folio de base). Denzel s'enfile les vieux classiques et nous sort ensuite des résumés d'une lourdeur sans nom. Il faut entendre sa synthèse pour les nuls du Vieil homme et la mer et le voir mimer les derniers instants de Gatsby le Magnifique. Je ne vous parle même pas de ses larmes lorsqu'il en vient à aborder le dernier chapitre de l'autobiographie de Schwarzenegger, celui intitulé A Too Big Secret... De temps à autre, Denzel recrache des citations sibyllines, ô combien ridicules sorties de leur contexte mais qui laissent toujours songeurs ses interlocuteurs ("Yes, I banged the housemaid when you were away with the kids, and now I have a 6-foot-tall 14 years son who looks like a puerto-rican oak, but I'm just a man..." est sa préférée).




Le comble du ridicule est toutefois atteint quand Denzel se chronomètre. Il n'est pas the equalizer pour rien. Il aime égaliser les trucs. Que les choses soient carrées. Quand il se lève, il égalise sa coupe de cheveux, un coup de tondeuse par-ci, un coup de cisaille par-là, et on nous rappelle au passage que le gaillard a le poil grisonnant, ce qui met encore davantage en valeur son aisance sur le tatami. Quand il se met à table, à ce bistrot où il recroise cette jeune tepu qu'il affectionne, il a ses petits tics qu'il exécute systématiquement : il déplace son verre de la droite vers la gauche, secoue sa serviette tel un dangereux maniaque, se remonte les manches prêt à en découdre, range ses couverts dans un ordre que lui seul connaît... Il égalise à sa façon quoi. Mais, surtout, il a ce gros tic gênant qui consiste à chronométrer ses moindres faits et gestes de façon tout à fait aléatoire. Par exemple, avant de passer à l'action et de s'en prendre à des russes, il pense à voix haute et annonce d'un ton monocorde "18 secondes" puis lance son chrono. Il est toujours un peu contrarié quand, les malheureux truands baignant dans leur sang, il se rend compte qu'il a dépassé d'une petite paire de secondes le temps qu'il s'était imparti. Il chronomètre aussi des actes beaucoup plus triviaux et s'impose d'étranges défis. On le voit ainsi se rendre chez son buraliste, constater en matant sa montre "Ah, 58 secondes...", et repartir tête basse. On le retrouve aussi à la sortie des chiottes : "Putain, une demi-plombe !". C'est assez spécial, ça vaut le coup d’œil, croyez-moi.




Habituellement, dans ces films-là, on apporte un soin particulier au grand méchant. Il s'agit ici d'un homme de main particulièrement belliqueux, mais tout aussi ridicule, incarné par un véritable inconnu sans charisme (Marton Csokas ?!). C'est attristant. Par exemple, dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (perso, je préfèrerais le blu-ray collector car je suis un gros fana !), qui n'est pas du tout un film du même genre, le méchant est sacrément réussi. Ce Chrisopher Lloyd, quel acteur ! Difficile à croire que le même gars jouait l'adorable Doc et répondait tous les soirs patiemment aux auditeurs de Fun Radio ! Lui et sa fameuse trempette ont traumatisé des générations entières de cinéphiles ! On ne pourra pas en dire autant de Marton Cskoas (?!). Même sa mort est totalement ratée. Il clamse fixé au sol par un Denzel impitoyable qui fait une utilisation toute personnelle d'une cloueuse pneumatique surpuissante (travailleur docile au BricoMarché du coin quand il n'est pas super-héros, Denzel en connaît un rayon dans le domaine du bricolage et, notamment, dans l'outillage dit de fixation définitive).




Je dois tout de même faire preuve d'honnêteté et vous avouer que je n'ai pas souffert tout du long. Une scène de torture sort clairement du lot et m'a beaucoup plu. Denzel y enferme un flic ripou dans sa propre bagnole avec le gaz d'échappement relié à l'habitacle par un tuyau d'arrosage. Denzel l'interroge, confortablement installé dans une chaise-longue, tout en descendant et remontant la vitre électrique de la voiture, le pauvre gars s'étouffe, et ainsi de suite, ça n'en finit pas ! Face à un spectacle si plaisant, on ne prend même pas le temps de s'interroger sur ce mystérieux modèle d'automobile dont on peut télécommander l'ouverture des vitres depuis l'extérieur mais guère de l'intérieur. Et tout ça est d'une lenteur très gênante. Sur le papier, la scène devait être brillante, mais à filmer, c'est une autre paire de manches... Quand la vitre s'active, le temps s'arrête... Et la pauvre victime n'a jamais l'idée de casser la vitre ou d'y coincer son bras, quitte à le paumer (mais si c'est le prix à payer pour respirer plus frais et ne pas crever, le choix est vite fait...). Malgré ces petits couacs, cette scène reste, de loin, la meilleure du film. Et je me devais de vous la faire partager après vous avoir fait subir tout le reste !


The Equalizer d'Antoine Fuqua avec Denzel Washington, Chloë Grace Moretz, Marton Csokas (?!) et Melissa Leo (2014)

Le Vieillard du Restelo

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Excusez le format de cette étrange affiche mais Le Vieillard du Restelo, ultime film de son auteur, n'en possède pas d'autre, pour l'instant. Celle-ci est pour le moins intrigante, et d'aucuns diraient déplaisante, la faute au montage maladroit dont sont victimes les quatre acteurs du film, mais elle a le petit mérite de bien annoncer le programme de ce court métrage d'une quinzaine de minutes que Manoel de Oliveira, en 2014, du haut de ses 105 ans et d'une carrière formidable, eut bien des difficultés à produire. Quatre hommes de lettres (l'un deux en étant tout entier constitué) surgissent du passé pour se réunir autour d'un banc de notre temps et discuter de littérature, de la péninsule ibérique, de gloire et de vanité, entre autres vastes sujets. 




Le premier sur place n'est autre qu'un Don Quichotte mutique, plus ou moins effaré. Le héros de Cervantes, personnage d'idiot fabuleux, habité par les grands récits épiques au point de se fantasmer en glorieux chevalier et de chuter contre la pure abstraction de bêtes moulins à vent, est, si l'on peut dire, au cœur du film, puisque ce dernier s'ouvre et se referme sur la couverture du grand roman de la littérature espagnole et disserte en grande partie de ses thèmes fondamentaux. Puis Quichotte (Ricardo Trêpa) est rapidement rejoint par le poète médiéval Luís Vaz de Camões (Luís Miguel Cintra), auteur de la principale épopée des lettres portugaise, Les Lusiades, puis par le poète Teixeira de Pascoaes (Diogo Doria), et enfin par le taciturne romancier du 19ème siècle, Camilo Castelo Branco (Mario Barroso).




Mais au-delà des conversations passionnantes, foisonnantes, parfois sibyllines, entre les quatre hommes, le film est empli d'un certain mystère et de poésie. Manoel de Oliveira, pour la dernière fois, nous aura livré des images d'une rare beauté, pleines de signes, dans un film, comme souvent chez le cinéaste, tissé de présences improbables et où se manifestent, ici et là, les émouvantes traces du vivant. C'est par exemple un livre, Les Lusiades, le fameux, qui remonte à la surface de la mer, pour être englouti à nouveau quelques images plus loin. Ce sont les ombres de deux amants projetées sur l'herbe verte d'une prairie, comme allégorie de l'Espagne, désert séparant deux oasis. C'est le cigare de l'écrivain Camilo Castelo Branco, dont la cendre consumée s'est brisée et qui git au sol, encore fumant, tandis que l'homme vient de se tirer une balle dans la tête sans immédiatement cesser de respirer. C'est une gravure de Don Quichotte par Gustave Doré qui transparaît derrière le plan fixe, en plan d'ensemble, d'un jardin contemporain frémissant. C'est aussi une comète qui traverse lentement, à pas de loup, le ciel nocturne. C'est enfin les éternels instants de gloire chevaleresque passés qui hantent les épopées et les peuples qui les lisent, ou notre 21ème siècle rattrapé par les fantômes des grands écrivains et de leurs héros mythiques, avec la chute d'Hidalgo, guignol accroché à la pale d'un moulin, comme image d’Épinal, répétée et ralentie dans un finale prophétique et mélancolique. Bref, c'est tout le dernier film de Manoel de Oliveira, peuplé par ses acteurs de toujours, et habillé par nombre d'images tirées de ses films passés, comme s'il s'agissait, pour le plus vieux de tous les vieillards du cinéma, de tout recouper, de boucler la boucle et de faire résonner son œuvre d'un seul geste, dans un dernier coup de maître, ce film fréquenté par le passé, tenaillé par la mort, ouvert à toutes les formes de résurgences et de présences enfouies, et néanmoins, ou plutôt, et par ce chemin, d'une poésie bien vivante.


Le Vieillard du Restelo de Manoel de Oliveira avec Diogo Doria, Luís Miguel Cintra, Ricardo Trêpa et Mario Barroso (2014)

The Wanderers

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Le Bronx, début des années 60. Les gangs rivales s'affrontent dans les rues new-yorkaises, chacune a son code vestimentaire, ses origines et son territoire. Richie Gennaro et Joey Capra, deux garçons sympathiques d'origines italiennes, appartiennent à la même bande, les très pacifiques Wanderers (vagabonds). Le premier, jeune homme charmeur et téméraire, est le véritable chef de la meute tandis que le second, plus timide et réservé, en est en quelque sorte le bout-en-train. Liés par une forte amitié, ils vivent ensemble leur dernière année au lycée. Richie (Ken Wahl), sérieusement engagé avec une fille éperdument amoureuse de lui, découvre les responsabilités nouvelles résultant de cette relation, impliquant notamment de devoir résister aux tentations même quand celles-ci prennent la forme d'une Karen Allen rayonnante. Quant à Joey (John Friedrich), il traverse une période difficile, trouvant dans sa bande de potes le seul refuge possible d'une vie familiale épouvantable, dominée par un père violent, infidèle et irascible. Les deux garçons sont à une période charnière de leur existence.




Réalisé par Philip Kaufman en 1979, The Wanderers est un "film de gangs"à ranger dans la catégorie des American Grafiti, Outsiders et Les Guerriers de la nuit sortis à peu près à la même période. Et, bien que je dois avouer ne pas avoir vu le film de George Lucas, je ne crois pas prendre un très grand risque en affirmant que The Wanderers (bêtement devenu Les Seigneurs en VF) doit être le tout meilleur du lot. Épaulé par sa femme, Philip Kaufman a adapté le premier bouquin de Richard Price, très habile écrivain originaire du Bronx dont le talent a plusieurs fois été mis au service du cinéma et de la télévision, signant quelques scénarios pour Martin Scorsese et inspirant directement la série The Wire. Le cinéaste a transformé le récit très épisodique de l'auteur new-yorkais en un film qui parvient à en conserver l'esprit, s'attachant également à retranscrire une ambiance, l'air d'une époque, mais qui réussit à trouver une cohérence et une dynamique propres en prenant pour fil conducteur le destin de ces deux personnages immédiatement attachants.




Dès les premières minutes, qui nous proposent une course-poursuite à toute allure dans les ruelles du Bronx puis un affrontement musclé entre deux bandes qui trouve résolution viar un deus ex machina des plus savoureux, Philip Kaufman fait preuve d'une vigueur et d'une maîtrise qui ne l'abandonneront jamais. Sous fond de musique sixties du plus bel effet, nous prenons un malin plaisir à suivre les vies de ces jeunes qui ne pensent qu'à s'amuser comme pour mieux oublier l'inéluctable et radical changement à venir. Le bouillonnement urbain si cher aux livres de Richard Price est parfaitement retranscrit par un Philp Kaufman inspiré qui ose parfois des ruptures de ton très surprenantes. La légèreté, l'insouciance juvénile laisse régulièrement place à un profond désarroi et à une gravité saisissante. Je repense ici à cette scène troublante où tous les Fordham Baldies, une bande plutôt violente de crânes rasés en blousons de cuir, se retrouvent engagés dans la Marine par un recruteur zélé qui, jusque là, se contentait de hanter certaines scènes, dans l'arrière-champ, posté en uniforme derrière sa vitrine, portant son regard inquiétant et inquisiteur sur les jeunes des rues.




Le réalisateur se permet aussi des sorties de route franchement étonnantes, faisant dévier son film de la trajectoire habituelle et attendue. Kaufman nous rappelle alors qu'il venait tout juste de signer un remake particulièrement réussi de L'Invasion des profanateurs de sépultures au moment du tournage. The Wanderers faufile soudainement vers un registre fantastique voire horrifique lors des apparitions inquiétantes des Ducky Boys, ce terrible et insaisissable gang d'irlandais surgissant toujours de nulle part, et de préférence d'un épais brouillard, pour commettre l'impensable. On pense même au cinéma de John Carpenter quand nous les voyons apparaître tels des fantômes dans leur brume crasseuse (Fog) ou se montrer aléatoirement tel des croque-mitaines citadins (Halloween). Venant de moi, c'est bien entendu un sacré compliment.




Une autre scène propose un basculement très étrange : celle de ce match de football américain qui, suite à l'apparition des Ducky Boys, dégénère en une bagarre générale où l'intervention finale musclée du père de Joey, trouvant là l'occasion rêvée d'extérioriser toute sa violence, laissera une impression très marquante. Le match de football, d'abord accompagné d'une musique pop entraînante et joyeuse, se transforme progressivement en une scène quasi guerrière et particulièrement violente, où des sirènes et des crissements dissonants se mêlent à des cris multiples qui résonnent en un écho tétanisant. Alors que la bande son du film pourrait se résumer en un alignement facile de tubes accrocheurs de l'époque, cette scène montre que Philip Kaufman ne s'est pas limité à cela : le travail sur le son est ici tout à fait bluffant. A ce titre, l'apparition finale de la silhouette de Bob Dylan, interprétant The Times They Are A-Changin' dans une petite salle du Greenwich Village, ne semble pas du tout gratuite, elle fait totalement sens et vient même appuyer la douce mélancolie qui se dégagent de cette poignante conclusion. The Wanderers m'a également rappelé le Breaking Away de Peter Yates, sorti la même année ; on tient là un autre très beau film, empreint d'une certaine nostalgie, sur le passage à l'âge adulte et le changement d'époque. Bien sûr, je vous le conseille vivement !


The Wanderers (Les Seigneurs) de Philip Kaufman avec Ken Wahl, John Friedrich, Karen Allen et Toni Kalem (1979)

Entre amis

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A petits pas, Olivier Baroux est en train de se construire une des plus abominables filmographies du circuit... On a marché sur Bangkok, son précédent méfait, n'était même pas digne de combler les heures creuses de France Télévisions, son seul mérite étant de nous rassurer quant à l'état de forme d'Alice Taglioni... Nouveau film, nouveau supplice, mais cette fois-ci, nous nous arrêterons à l'affiche. Celle-ci fleurit partout dans Paris, et elle nous file ni plus ni moins que la gerbe. On n'en peut plus de ces "films de potes" (autre exemple d'actualité, Nos femmes, de Richard Chierie), déclinaisons paresseuses des déjà affreux Petits mouchoirs, remplis des pires têtes d'enflures du "cinéma français populaire" (ça fait mal aux doigts d'écrire ça), mais ce qui nous insupporte encore plus, ce sont ces affiches, ces distributeurs qui pensent qu'en mettant six tronches de cakes hilares sur une affiche ensoleillée avec un voilier hors de prix, on va attirer le chaland déprimé par son quotidien morose, qui voudra se payer 1h30 de "bon temps" en ayant l'illusion de faire partie de cette merveilleuse bande d'amis pétés de thunes en vacances. Le coup de grâce, c'est que cette horreur de film va sûrement cartonner...


Entre amis d'Olivier Baroux avec Mélanie Doutey, Zabou Breitman, Gérard Jugnot, Daniel Auteuil et François Berléand (2015)

Daisy Miller

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Après un premier film qui sera aussi son chef-d’œuvre (Targets), un grand deuxième film reliant Ford au Nouvel Hollywood (The Last Picture Show), puis une comédie vaudevillesque sympathique trouée par une course poursuite mémorable (What's Up, Doc ?) et un road movie aussi drôle qu'émouvant (Paper Moon), Peter Bogdanovich tourne en 1974 son sixième long métrage, Daisy Miller, supposé être un jalon dans sa carrière. Pour le dire trivialement : le début des emmerdes. Le film est d’ailleurs assez peu connu et très peu vu aujourd’hui, mais il mérite sans doute un peu plus d’attention. Adaptation d’un roman d’Henry James, Daisy Miller fait le portrait de son héroïne éponyme, Annie P. Miller de son vrai nom, jeune américaine en voyage en Europe avec sa mère et son petit frère. C'est en Suisse qu'elle rencontre Frederick Winterbourne, américain lui aussi, mais depuis longtemps installé sur le vieux continent. Winterbourne est un personnage-narrateur : moins étoffé que Daisy Miller, il est un regard porté sur elle et un vecteur idéal pour le nôtre. Irrésistiblement attiré par la jeune femme, au point de la rejoindre bientôt en Italie, Frederick (Henry James avait-il lu et aimé L’Éducation sentimentale au point d'identifier son personnage à Frédéric Moreau, l'éternel soupirant ?) n’a de cesse que de plaire à la jeune blonde, que nous apprenons à découvrir, entourée de tous ses mystères, en même temps que lui. Car Daisy est une femme étonnante, aussi mobile dans l'espace que dans le verbe, libre, heureuse, et légère, que les bonnes manières des grands bourgeois du vieux monde n’atteignent pas une seconde et dont les sentiments enfouis resteront une énigme pour celui qui voudra la retenir.




Bogdanovich a tourné ce film (en dépit de tout ce qui aurait pu l’en dissuader, à commencer par un scénario peu vendeur en soi, selon ses propres dires), pour l’amour de Cybill Shepherd, qu’il avait déjà filmée dans son deuxième long, The Last Picture Show. Les deux tourtereaux venaient d’ailleurs de se mettre ensemble, mettant fin au premier mariage du cinéaste avec sa collaboratrice et scénariste Polly Platt, ce qui, on peut l'imaginer, ne laissa pas de placer le film sous les auspices d'une certaine culpabilité, du moins croit-on le percevoir quand on écoute le cinéaste revenir sur l'histoire de ce tournage. Bogdanovich devait à l’origine interpréter lui-même le rôle de Winterbourne, et laisser la réalisation à son mentor et ami Orson Welles, qui déclina l'offre, objectant que c’était à lui de mettre en scène cette histoire (et cette femme ?), ce que Bogdanovich fit, non sans puiser son inspiration, ici et là, chez le maître, pour quelques effets de mise en scène remarquables. Et, si Cybill Shepherd est moins craquante ici que dans sa première collaboration avec Bogdanovich (ce film marquerait-il la fin, terriblement prématurée, de l'actrice, plutôt que celle de Bogdanovich lui-même ?...), ou d'ailleurs dans Taxi Driver (tourné deux ans plus tard, et qui sera le dernier film important de la carrière de Shepherd), la faute peut-être à des costumes peu appropriés à sa physionomie et à un personnage par instants à la limite de l'agaçant, elle n’en est pas moins juste dans le rôle de cette américaine moins effrontée qu'inconsciente, qui, comme le dit la dernière réplique du film, et l’affiche à sa suite, « faisait ce qu’il lui plaisait ».




Les comédiens qui entourent la jeune femme, gravitant autour d’elle dans ces longs plans où elle se livre à des cascades verbales empressées et étourdissantes, ne sont pas de reste. A commencer par celui qui apparaît le premier et ouvre littéralement la porte du film, le petit frère de Daisy, Randolph C. Miller, interprété par James McMurtry, fils du romancier Larry McMurtry (auteur de The Last Picture Show, puis de sa suite, Texasville, également porté à l'écran par Bogdanovich, avec les mêmes comédiens, dont Cybill Shepherd, en 1990, pour un résultat infiniment moins mémorable). Le jeune garçon, avec son regard diablement expressif (on s’étonne qu’il n’ait pas davantage tourné par la suite – mais il fit carrière dans le rock !), s'inscrit dans la lignée du personnage principal d'Harold and Maude de Hal Ashby. Mais c’est surtout Barry Brown qui fascine dans le rôle de Frederick Winterbourne. Avec ses yeux couchés, son regard paradoxalement las et curieux à la fois, et ses moues fragiles, le comédien, qui aurait fait un magnifique Marcel Proust à l'écran, est idéal dans le rôle de cet homme né de l’hiver (la lubie des écrivains anglo-saxons de nommer leurs personnages d’après leur humeur a parfois du bon…), trop fixé, trop effacé, patient, dépassé et froid, trop influençable sûrement pour saisir la "marguerite" (…parfois moins), par définition éphémère, offerte à lui.




Selon les dires de Bogdanovich, l'acteur correspondait parfaitement, par son état d'esprit, au personnage, et l'on s'émeut d'apprendre qu'il s’est suicidé quelques années après le tournage. Grâce à lui, mais pas seulement, il se dégage du film – qui fait certes le portrait d’un monde finissant, mais cela vient de bien ailleurs que simplement de ce qu’il dit ou raconte – un sentiment profond, évident, très beau, de défaillance, de coup manqué, et de mélancolie. Le film lui-même, par son rythme, sa lumière, manifeste les signes d'une tristesse, d'un regret, et de cette culpabilité terrible qui étreint et éteint finalement Winterbourne, cet homme qui s'est rangé aux avis dominants et a blessé Daisy pour mettre du baume sur son orgueil, dans la dernière séquence. Il y a comme une sombre énergie souterraine qui parcourt le film et nous parcourt à travers lui, sans qu’il n’y ait rien de pénible là-dedans. Et le voile obscur qui tombe sur Winterbourne quand il se rend au chevet de Daisy, dans un plan absolument magnifique, pèse en fin de compte sur l'ensemble du film, en dépit des percées lumineuses pratiquées en son tissu par la présence naïve de son héroïne.


Daisy Miller de Peter Bodganovich avec Cybill Shepherd, Barry Brown et James McMurtry (1974)

Happy People : un an dans la Taïga

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Encore un excellent documentaire de Werner Herzog, même s'il ne s'agit pas du plus connu, loin de là, et qu'il mérite donc amplement d'être mis en avant. En réalité, le cinéaste allemand est ici crédité comme co-réalisateur, puisqu'il s'est appuyé sur des images issues d'une série de documentaires déjà existants signés Dmitry Vasyukov, son binôme occasionnel. Des images qu'il a remontées et sûrement agrémentées de quelques séquences et, bien sûr, de son inimitable voix off. Devant Happy People : un an dans la taïga, ça ne fait aucun doute : nous sommes bien devant un pur documentaire du Munichois. Nous apprécions immédiatement sa patte reconnaissable entre mille, ce regard si doux, d'un humanisme désarmant, porté sur ses congénères, en l'occurrence des habitants du plus profond de la Sibérie, et tout particulièrement des trappeurs chevronnés. On retrouve effectivement cette façon si délicate et précieuse qu'a Herzog de laisser parler ses "acteurs" sans acquiescer ni juger leurs propos, de les laisser s'ouvrir à la caméra progressivement, pour mieux les amener à dire des choses qui nous touchent très facilement. Ici, on se surprend à suivre avec intérêt (voire à défendre) la chasse aux zibelines pour leur fourrure, le trappeur nous indiquant très humblement que ses pièges "tuent la bête sur le coup, donc c'est humain".




Vasyukov et Herzog ont donc suivi pendant un an la vie de quelques habitants de la Taïga, vaste région d'une fois et demie la superficie des États-Unis aux paysages vierges et impressionnants, barrés par aucune route ou voie ferrée, simplement traversés par de gigantesques fleuves. Nous sommes invités à découvrir l'incroyable vie de ces gens, rythmée et dictée par la nature changeante au fil des saisons, une nature souveraine, filmée avec amour, respect et patience. S'appuyant sur des moyens rudimentaires et des traditions ancestrales, ces "happy people" vivent de pêche et de chasse, ils communient avec une nature à laquelle ils doivent tout.




Au printemps et en été, les habitants en profitent pour faire leurs provisions, de bois, de poissons, de pain... On construit ses propres ski, un canoë est creusé à même un tronc par le spécialiste local et son fils, on se prépare en toute quiétude au prochain hiver. Un candidat aux élections de la région vient se montrer sur son yacht personnel, se pavanant aux côtés de quelques danseuses séduisantes, et tout le monde s'en fout. En hiver, les trappeurs s'en vont recueillir les fruits de ces pièges, vieux comme le monde, qu'ils ont méthodiquement placés quelques mois plus tôt. Lors du grand départ, nous assistons aux beaux adieux à leurs familles, qu'ils ne sont jamais tout à fait sûrs de retrouver, avant de parcourir plus de 700 km en barque, pour atteindre leurs terrains de chasse.




Néanmoins Herzog ne cache pas la face sombre du tableau, la rudesse économique de leur situation, on nous apprend ainsi comment les fourrures se vendent plus difficilement, et combien les prix pour le matériel dont le trappeur a besoin ont augmenté. Il n'oublie pas de s'intéresser à la population autochtone qui survit difficilement en coupant du bois, et en étant continuellement bourrée, "c'est de la faute des Russes, c'est eux qui ont amené la vodka". Le cinéaste parvient aussi à évoquer l'Histoire et à nous rappeler le terrible coût humain de la Seconde Guerre Mondiale pour la Russie en s'intéressant au vétéran du village, un vieil homme apparemment solide mais qui peine à retenir ses larmes quand il se remémore l'annonce de la victoire et, surtout, tous ses amis perdus.




Comme tout documentaire de Werner Herzog, Happy People est donc ponctué de passages très touchants et d'autres plus légers, teintés de cet humour qui le caractérise, appuyé par sa voix off si captivante. On pense ici à ce pêcheur aux méthodes peu orthodoxes mais radicales, n'hésitant pas à utiliser son fusil pour dégoter son poisson dans ces fleuves qui en regorgent (anecdote amusante : Herzog nous apprend que ce pêcheur est de la famille d'Andreï Tarkovski !). Et surtout, on découvre en détails le rôle et le travail de leurs indispensables compagnons : leurs chiens, magnifiques et admirables, qui vivent seulement 4 ou 5 ans en moyenne, jamais plus de 10, et passent leurs petites mais pleines existences au service de leur maître. Ils sont de redoutables chasseurs, fidèles, capables de courir plus de 700 km à côté de leur trappeur quand celui-ci traverse la rivière gelée sur motoneige, pour passer les fêtes au village. Toute l'humanité d'Herzog pourrait se résumer à cette scène où le trappeur, seul devant sa hutte avec son chien, devient narrateur, et qu'il nous raconte les larmes aux yeux le jour où il a perdu deux de ses fidèles compagnons, venus à la rencontre d'un ours un peu trop curieux. Sacrés clébards...




Notons enfin que ce film a reçu la grosse Palme dorée de la 5ème édition du Festival International du Documentaire organisé dans ma Chambre, au mois de janvier 2015. Une très belle distinction dont Werner Herzog est le multiple lauréat.


Happy People : un an dans la Taïga de Werner Herzog et Dmitry Vasyukov avec des trappeurs et des ienchs (2010)

Le Coeur des hommes 3

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On comprend mieux le niveau de revues comme Studio ou Première quand on a vu tous les films de leur fondateur, Marc Esposito, et notamment le dernier, Le Cœur des hommes 3, navet énorme, ferme, laiteux, parfait, digne du potager d'Asafumé Yamashita, le maraicher japonais qui cague trois navets par an mais des navetons de compétition, qu'il vend 150 000 euros pièce aux trois chefs multi-étoilés imposés sur la fortune de Paname. On souffre à un point inimaginable dès le générique d'ouverture du film : un panoramique sur le ciel parisien tartiné par l'ignoble chanson I'll stand by you des Pretenders, mélasse sentimentale merdique des années 90, dont on se demande comment elle peut atterrir dans un film de 2013, et comment ce film a pu obtenir un visa d'exploitation. C'est insensé. Et c'est idem pour la totalité du long métrage, qu'il faudrait montrer dans toutes les écoles de cinéma, projeté sous de gigantesques kakemonos (mot compte quadruple au Scrabble) prévenant l'audience : Du pire usage de la musique dans un film en particulier, et du pire usage du cinématographe en général.


Marc Esposito s'amuse à tourner des scènes les yeux fermés.

Mais si ce n'était que ça… Tout est du même tonneau, à commencer par les cadrages. Je pense très sincèrement que Marc Esposito souffre de cécité, il est impossible autrement de tourner des plans aussi laids. Ne parlons même pas du montage : on appréciera tout particulièrement la séquence, dans le bureau de Marc Lavoine, où son personnage de strict enfoiré est sur le point de rencontrer son fils de 10 ans, né d'un adultère parmi cent autres. La scène est scindée en deux par un plan sur un nuage, qui veut signifier une ellipse de deux minutes avant l'entrée du gamin dans la pièce. Montage littéralement hallucinant. Quant aux acteurs, on sait, rien qu'en les regardant faire, à quel point ils se morfondent à en crever. Ils n'ont aucune envie de jouer tout ça, c'est très net à l'oeil nu, et ça fait de la peine. Faut dire que les dialogues sont eux aussi voisins de l'altitude zéro. Au mieux les répliques sont complètement creuses, au pire elles essaient de faire rire à coups de petites saillies vulgaires, écrites par un beauf fini. C'est à Esposito, toujours lui, que l'on doit le scénario, ce script inique qui découpe les tranches de vie comme Daroussin, pas tellement investi dans son rôle de boucher-charcutier parisien, découpe du rumsteck, autrement dit c'est pas de la dentelle, et mieux vaut surkiffer le gras...  La plupart des saynètes ne présentent strictement aucun intérêt, ne racontent rien, quand elles ne brassent pas un air violemment nauséabond. Un certain nombre d'éléments de récit sont même complètement abandonnés en cours de route, sans doute pour trouver leur résolution dans le numéro 4.


L'un des nombreux plans signatures d'Esposito.

Et il y aura un numéro 4, soyez-en sûrs. D'abord parce qu'Esposito n'a semble-t-il pas beaucoup d'autres idées (ou alors ça donne Mon Pote, un autre film de potes à se tuer). Ensuite parce qu'il adore reprendre ses gimmicks : le long plan, lointain et tremblotant, qui cadre les quatre vieillards marchant vers la caméra au milieu de la foule dans une rue commerçante ; ce lent panoramique sur les quatre mêmes queutards à la manque qui marchent de profil dans le sable, à Cabourg, après avoir empoché des tonnes de fric au Casino ; celui où ils se vissent le cul dans le sable et répètent « Rah putain, on n'est pas bien là ? », comme pour s'en convaincre ; ou le plan final légendaire, repris sur chaque affiche, qui voit nos trois tocards de base tremper leurs vieux panards dans la piscine, en faisant ressortir leurs gros orteils à la surface pour les agiter sous notre nez, comme pour nous les faire humer. Il faudra quand même s'accrocher pour pondre un énième chapitre de la vie de ces débris sans se répéter, parce que ça fait déjà trois films que Campan tombe amoureux d'une nouvelle femme mariée en fétichisant une partie de son corps (après les pieds et le foie, ici c'est la toison – il les aime « ultra touffues » (sic) – et plusieurs dialogues tournent uniquement autour de ça). Voilà trois films que Lavoine se dispute avec sa femme débile et vociférante parce qu'il a branché son canal déférent sur toutes les prises femelles de la capitale (et sur quelques prises mâles). Trois films que Darroussin reste un mec bien (quoiqu'un peu sanguin, quand il menace le copain de sa fille de lui tirer « cinq balles dans la tronche » (sic) s'il la fait chier ; notre homme a semble-t-il oublié son vieil adage du premier film : « Qu'est-ce que je ferais si j'étais un peu moins con ? »), attaché à sa Florence Tomassin nature, un peu bébête, et désormais cancéreuse, quitte à tirer un trait résigné sur le véritable amour de sa vie, une blonde tirée dans un hôtel pendant une semaine dans le deuxième épisode, si je me souviens bien. Rien sur Darmon, qui n'a pas signé pour ce film, car il n'est pas complètement con, remplacé par Eric Elmosnino, nouveau cœur à sonder pour Esposito (qui a déclaré que l'acteur était de sa famille, à quelques lettres près), dans le rôle d'un papa divorcé dont la vie consiste exclusivement à s'envoyer pas mal de gonzesses nettement plus jeunes que lui, comme de bien entendu.


Déjà trois films qu'ils passent à courir et pourtant ils sont toujours aussi lourds...

En même temps c'est pas comme si Esposito craignait la redite. Il nous replace, à l'identique, dans le même décor, dite sur le même ton, avec le même champ-contrechamp qui navigue entre la bande des quatre morbacs et un quatuor de vieillardes déambulant sur la plage, sa plus fameuse blague : « Elles ont morflé les Spice Girls... », vanne déjà faite dans le premier film, et qu'il décline encore quand, dans un bar, Elmosnino balance, à propos d'un serveur musclé aux longs cheveux blonds : « Elle a morflé Madonna... ». Et toute la bande de s'estrasser de rire sous nos yeux malheureux… Quand la seule blague de ta comédie c'est ça, et quand en prime tu la fais trois fois, on peut dire que tu fais une croix sur l'humour. Mais sans même parler d'humour, puisqu'il ne faut pas parler des absents, que pourrait-il arriver de neuf à nos quatre braves types dans le prochain opus ? Personnellement j'imagine bien, par exemple, dans le prochain épisode, la femme multi-cocue de Lavoine virer sa cuti le temps d'un été. Il n'y a pas un homo dans cette série. Esposito rate son époque à tous les niveaux, coincé dans les 90s avec ces enflures de Pretenders (« I'll stand by you, tadadadidoudou, I'll stand by youuuu », cette horreur reste dans le crâne, c'est un truc de dingue). Alors pourquoi pas jeter une gousse dans le potager, et pourquoi pas la femme de Lavoine ?


Beau personnage féminin de femme giga-trompée qui vocifère de temps en temps mais qui garde le sourire et reste sagement amoureuse.

Ca donnerait lieu à tout un tas de situations cocasses et de dialogues savoureux, du genre : « Avec toutes les bonnes femmes que tu te tapes en douce, j'ai bien le droit de m'en faire une ou deux non !? », ou : « Réjouis-toi, au moins moi je risque pas de te faire un enfant dans le dos ! Encore que t'es pas à l'abri mon p'tit père… Une bonne PMA de derrière les fagots et le tour est joué. Salooop !! ». On peut même imaginer Lavoine (qui récolte en général les répliques les plus débiles d'Esposito, toutes ses vannes en-dessous de la ceinture et du niveau de la mer), entouré de ses potes, en plein footing, disant : « J'avoue que ça me fait bien chier mais je préfère ça qu'un mec... Et même que ça m'excite un peu moi... Mais putain bordel, les moules printanières j'aime ça que si je peux y tremper ma grosse frite ! Vous me suivez les gars ?! ». Et les trois autres de rire comme des baleines, OUAHAHAH, en short, dans un jardin public, entourés de bonnasses à peine majeures prêtes à craquer sur leurs vieux culs ridés. Je vous assure que les dialogues des trois premiers films de la série sont pile poil de cet acabit, peut-être même plus cons. Mieux ! Fatche, ça fuse dans ma tronche : la nouvelle copine gouine de la femme de Lavoine pourrait être une ancienne conquête de ce fumier, vu qu'il s'est enfilé tout Paname et sa périphérie. Quiproquos, rebondissements, twists à Saint-Tropez, tout y est. Cocagne ! Range ton stylo Esposito, je t'envoie ce script pourri en recommandé. Rien qu'en laissant pisser mon vieux cervelet reptilien deux minutes je fous la race à tous tes scénarios réunis, je me mets en mode « dégueule sans réfléchir » et je te fais du Esposito 2.0.


Le Coeur des hommes 3 de Marc Esposito avec Marc Lavoine, Jean-Pierre Darroussin, Bernard Campan, Eric Elmosnino, Florence Thomassin, Catherine Wilkening et Zoé Félix (2013)

Hitcher

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Ça, c'est un grand film ! C'est l'histoire de ma vie... Je ne suis pas encore passé à l'acte. Je n'ai jamais zigouillé les aimables personnes qui ont eu la bonté de m'accueillir au sein de leurs automobiles flambant neuves. J'ai toujours réussi à retenir mon geste, mais je garde quand même mon opinel dans la poche. Un opinel numéro 12, pas n'importe lequel, celui dont la lame a la taille de mon pénis... Hitcher a longtemps été mon film de chevet. Je le posais sur ma table de chevet, près de mes cachetons. J'avais la VHS et je relisais le dos de la jaquette. Tout y était dit, mais rien n'était dévoilé, c'était le résumé parfait. Il y avait, dans le coin, en haut à droite, la tête du beau Rutger Hauer, ses yeux bleus électriques fixant l'horizon. Ils me fascinaient. Ils m'ont aussi occasionné de nombreuses nuits blanches... J'avais parfois l'impression que ses deux yeux brillaient en pleine nuit, comme deux points phosphorescents qui m'incitaient à passer à l'acte. Combien de fois me suis-je levé en sursaut, avec l'intention de régler son compte à mon cousin Aurélien, qui venait amicalement passer la nuit chez nous pour soulager le calvaire de ses parents.




Hitcher, j'ai dû le voir 30 fois. C'est l'exemple idéal du thriller à la tension allant crescendo dans l'horreur. C'est le prototype du film porté par un méchant inoubliable pour lequel on prend fait et cause. Rutger Hauer y trimballe une putain de classe ! Ce film m'a inspiré. A 13 ans, je commençais à fuguer et à pratiquer l'auto-stop. Heureusement pour ma pomme, chance ou hasard, il s'avérait qu'un dénommé Francis Heaulmes rôdait dans la même zone que moi au moment où je commençais mon apprentissage. J'ai pu me ressaisir depuis, mais cette histoire a tout de même duré 4 ans. Je suis à l'origine d'un arrêté préfectoral qui interdit l'auto-stop dans le Jura. J'ai inspiré un site internet : stopautostop.com. Je voulais être Rutger Hauer. Le problème, c'est que je suis petit, basané, mal bâti et j'ai le poil et les yeux noirs. C'est là tout le drame de ma vie. Je soulageais ma peine en écoutant Riders on the Storm des Doors en boucle et en me repassant Hitcher chaque soir. Je suis l'auteur de la page wikipédia anglaise de 3 kilomètres de long consacrée à ce chef d’œuvre, et j'ai dû synthétiser un max.




Robert Harmon n'a rien fait d'autre ensuite. Rien de notable, seulement des daubes. Il avait épuisé toute son inspiration pour le remarquable Hitcher. Chaque nouvelle scène va plus loin que la précédente. Au programme : l'alors craquante Jennifer Jason Leigh finissant écartelée entre deux camions ; le si charismatique Rutger Hauer fonçant dans une station service avec son break, un sourire machiavélique constamment collé aux lèvres, vers un énorme brasier ; une course-poursuite géniale entre des bagnoles en furie et un hélicoptère se servant de ses pâles comme d'une arme létale, qui se termine en une explosion phénoménale ; le héros se réveillant hagard dans un poste de police, théâtre d'un carnage terrible orchestré par le Hitcher en mode "killing spree"... Ce moment-là correspond sans doute à la meilleure scène du film. Quand le jeune héros déambule parmi les cadavres, dans une mare de sang noyant tout le commissariat et un silence de cathédrale, je me suis retrouvé. Je ne sais pas si je suis le Hitcher, ce tueur psychopathe qui laisse derrière lui des cadavres éventrés, ou ce jeune minet innocent mais constamment suspecté et chaperonné par un génie maléfique. Qui suis-je ?




Une fois, j'ai voulu faire partager ma découverte à mes parents, grands amateurs de thrillers efficaces. Je ne pensais pas à mal. J'imaginais qu'ils étaient assez forts pour accepter 10 morts par choc frontal, des piétons innocents écrasés, des écartèlements sordides et des gerbes de sang dans tous les sens. Je n'avais pas conscience que ma conception de la violence et de l'entertainmentétait aussi marginale. Je ne pensais pas être autant déphasé de mes parents. C'est lorsque mon père m'a regardé comme Gandalf fixe Frodon quand celui-ci déclare qu'il se porte volontaire pour amener lui-même l'Anneau jusque dans les laves du Mont Doom que j'ai réalisé qu'il n'avait peut-être pas pris autant son pied que moi. Ma mère avait les larmes aux yeux, mortifiée, peut-être notamment à cause de ma réaction d'extase lorsque le huitième piéton prend le pare-choc d'une Ford Mustang 1965 en plein dans le front, ou peut-être à cause de mon rire incontrôlable quand le flic est coupé en deux par un câble électrique et que le plan se termine par son bras qui s'envole, le pouce levé.




Parfois, la nuit, je ressens une douleur fulgurante au mollet. Une crampe me réveille et me laisse prostré pendant une demi-heure avant de pouvoir réagir. Cette crampe, je l'attribue à Robert Harmon. C'est de sa faute si je produis autant d'acide lactique. Son Hitcher est une odyssée de l'horreur au suspense insoutenable, un road movie déchaîné, sans temps mort, aussi fermement serré que le garrot d'un vieux toxico, aussi magnifiquement conçu et tranchant qu'une guillotine émoussée. 


Hitcher de Robert Harmon avec Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh et C. Thomas Howell (1986)

Un été magique

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Vous n’êtes peut-être pas au courant, et comment vous en vouloir quand pratiquement personne n’en a eu vent, mais le dernier film de Rob Reiner est sorti le 1er avril 2014, en direct-to-dvd. Dites-moi que c’est une blague, un poiscaille d'avril ! Rob Reiner, en direct-to-dvd… Le respect et le bon sens ont donc définitivement foutu le camp de cette planète ? Doit-on rappeler que Rob Reiner est l’honorable réalisateur de This Spinal Tap, référence inclassable dans les rayons de toutes les médiathèques du monde, posé en équilibre sur la tranche de bois qui sépare le bac « rockumentaires » du bac « mockumenteurs » ? L’homme a ensuite mis en boîte Stand by me et Misery, deux beaux hommages au King quant à eux dûment rangés parmi les rockumentaires. Rob est aussi l’auteur de Quand Harry rencontre Sally, de Des hommes d’honneur, et, après 1992, de plein de merdes. Quelle honte de ne même pas accorder une sortie ciné à son dernier va-tout. Certes Sans plus attendreétait une horreur, et Flippedétait pire, mais le minimum de dignité que l’on puisse encore accorder à Rob Reiner c’est de sortir ses pelloches, aussi chiatiques puissent-elles être, sur grand écran… D'autant qu'il s'emmerde à les tourner en 35mm pour nous foutre du grain plein les mirettes sur toile géante. Si vous ne le faites pas pour lui, faites-le pour Freeman, le dernier dinosaure ! Morgan Freeman mérite lui aussi quelques honneurs, non ? Dois-je dresser l'étendard de sa filmo, aussi long et fatigué que son étendard perso ? Surtout qu’il trouve ici son meilleur contrat depuis bien longtemps, loin des seconds rôles de valet de chambre et de femme de ménage dans les purges infâmes de Nolan.




Pourtant c’était pas gagné. Quand le film commence, Morgan est tout au fond du trou. On a de la peine de le voir comme ça. Il incarne Monty Wildhorn (Montag Klaxon-Sauvage dans la version franco-allemande d'Arte), un vieil écrivain en panne, fatigué. Notre homme a les deux jambes et le bras gauche paralysés depuis un lointain accident de bagnole. Et comme si ça ne suffisait pas, il est aussi dépressif et alcoolique depuis la mort de sa femme. Son neveu (Kenan Thompson), nommé Worried, ce qui en anglais signifie littéralement « Inquiet » et en dit long sur l’état d’esprit de ce jeune gars soucieux de son tonton, décide de le mettre au vert en l’isolant au calme sur l’île de Belle Isle. C’est là que le vieux Monty rencontre une voisine célibataire (Virginia Madsen) et ses trois filles, avec qui il va peu à peu tisser des liens. Progressivement, Monty remonte la pente et retrouve le sourire au contact de ses charmantes voisines et d’un clébard à la masse, qu’il nomme Spot en référence à ses propres et célèbres tâches de rousseur (Morgan Freeman était roux dans sa jeunesse). On craint cependant, durant tout le film, que la bonne ambiance qui s’installe foute le camp d’un seul coup, la faute à un cancer colo-rectal irrécupérable, à une chute mortelle au saut du lit, à un coma éthylique définitif, à un ouragan, à un accident de fauteuil roulant impliquant un train de marchandises sans conducteur ou n’importe quelle autre saloperie. Mais on a tort de se laisser gagner par l’angoisse. Leurs noms ont beau être de parfaits palindromes, Rob Reiner n’est pas Jean Becker, il ne se sent donc pas l’obligation de fumer ses personnages dans le dernier quart d’heure après nous avoir gaiment fait croquer dans le bonheur.




Non, bien au contraire, The Magic of Belle Isle, aka Un été magique, n’a pas volé son titre (contrairement au récent Quelques heures de printemps, titre mensonger signé Stéphane Brizé, cinéaste français qui ne porte que trop bien son nom de famille quant à lui…). Authentique feel good movie, le dernier Rob Reiner est agréable et le restera jusqu’au bout ! Oui, car le film n’est pas si mal. C’est même le meilleur film de son auteur depuis un bail. Vous me direz, c’était pas difficile. Mais ça ne sort pas au ciné. Allez piger… Pourtant ce film aurait sa place parmi les sorties estivales... Plaisir que de se faire un feel good movie au cinéma Le Coluche d'Istres, en plein été. C'est un cinoche sans climatisation ni ventilation, dont les salles sont dignes d'un four thermostat 7. J'y vais en compagnie d'une de ces quiches marteaux-pilons dont j'ai le secret, à qui je dois payer une place mais qui cuit tranquillement à côté de moi le temps de la séance, et je crois être gagnant quand je fais le calcul prix de la place/prix de l'électricité de mon four à bois. Quitte à me faire un feel good movie au Coluche, quand rien de valable ne sort sur les écrans, je préfère finir devant ce film que devant n’importe quel Barbecue. Même si en toute honnêteté je n’irais JAMAIS voir ça en salle. Faut pas déconner. Mais je suis content d’être tombé dessus à la télé, par hasard.




Reiner m’a scotché, je l’avoue. Il a empégué un spectateur avec ce truc, c’était moi, et j’en suis ravi. Parce que le portrait de ce vieil écrivain décrépi, qui retrouve un sens à sa vie et renoue avec la bonne humeur grâce, notamment, à sa petite voisine, Finnegan O'Neil (la toute mignonne Emma Fuhrmann, que l'on reverra je pense), qui lui demande de lui apprendre à développer son imagination et à inventer des histoires, est sincère et touchant. Certes le film est d’un académisme absolu, et certes il n’évite pas toutes les tartes à la crème parfum bons sentiments (je pense en particulier aux petites scènes dans lesquelles Monty aide un handicapé mental local qui se prend pour un lapin à se prendre pour un cowboy histoire d’avoir l’air moins con), ni toutes les bizarreries (comme quand, après s'être occupé des trois petites voisines toute une journée pour palier l'absence de leur mère, et après les avoir bordées en bon grand-père, Morgan Freeman va se détendre sur le porche et, observant Spot, son clébard blanc apathique, qui se lèche les couilles, murmure : « T'as pas tort, les journées comme celle-là, ça me file des envies qui chlinguent à moi aussi... »), certes. Mais les personnages sont sympathiques, au sens le plus fort du terme, et la relation entre le vieil homme et la petite Finnegan est à la fois simple et profonde, si bien que l’on embrasse sans aucun mal les émotions du personnage principal quand il confesse (difficile d’ailleurs de savoir si c’est Monty qui parle ou Freeman lui-même à ce moment-là) que ce nouveau rôle qu’on vient de lui attribuer lui offre un second souffle et suffit à lui donner envie de se lever le matin. C'est simple mais c'est touchant. Et c'est le réjouissant sursaut, on dvd only, de deux artistes, Morgan Freeman et Rob Reiner, que je considère comme mon oncle et ma tante.


Un été magique de Rob Reiner avec Morgan Freeman, Emma Fuhrmann, Virginia Madsen, Kenan Thompson, Madeline Carroll et Fred Willard (2014)

Caprice

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Emmanuel Mouret revient à son violon d’Ingres pour notre plus grand plaisir. Caprice est un retour à la comédie, à la légèreté, aux histoires d’amours complexes sans oublier d’être vives et variées, mais aussi à ce qui fait le sel du cinéma d'Emmanuel Mouret : les fantasmes. Toutes ces choses, le cinéaste les avait plus ou moins délaissées dans son précédent film, le mélodrame Une Autre vie, qui portait bien son nom puisqu’il était totalement autre dans la filmographie de son auteur. La tentative de changer de registre était louable mais, disons-le franchement, ce n’est pas un hasard si ce titre restera, jusqu’à nouvel ordre, le seul Mouret post-2007 passé sous silence sur nos pages. Revenons donc à ce qui nous importe, Caprice, dans lequel Mouret réapprend à céder à tous les siens.




Le cinéma d’Emmanuel Mouret a toujours été, nous semble-t-il, et depuis Laissons Lucie faire !, son premier coup d'essai, une question de rêves et et de fantasmes concrétisés. Il y a quatre ans de cela, dans un petit éloge du très plaisant Fais-moi plaisir !, j’avais tenté une rapide énumération des fantasmes cinématographiquement assouvis par le cinéaste dans l’ensemble de ses films (à l’exception de Vénus et Fleur, que je n’avais sans doute pas encore vu à l’époque). Pour Mouret, le plaisir du cinéma semble passer par la mise en actes et en scène de la multitude de ses propres désirs, qui sont aussi, très souvent, les nôtres, ou finissent par le devenir. Dans Caprice, le cinéaste tire l’une des cartes maîtresses de son jeu des fantasmes puisque le film pose, si l'on veut, la question ultime : peut-on vivre avec la personne de ses rêves ?




Mais tout ou presque dans le film tient, d'une manière ou d'une autre, d’un monde rêvé. Dès la première séquence, quand Clément, le personnage d’instituteur incarné par Mouret lui-même, est assis sur un banc avec son fils, dans un jardin public, il fait une pause dans sa lecture pour tâcher de sortir son gamin de la sienne. L’enfant est absorbé dans un livre depuis le matin et refuse toute autre activité a priori plus séduisante à son âge (jouer dans le parc, aller au cinéma, se laisser accaparer par un jeu vidéo sur téléphone, etc.) que lui propose son père. Quittant le parc, père et fils ne quittent pas pour autant leur livre des yeux, marchant côte à côte tout en lisant, en parfaite harmonie. Mieux, le gamin sera aux anges quand la future nouvelle compagne de son père lui offrira l’intégrale de Victor Hugo dans la Pléiade pour son anniversaire. Ce qui relève du rêve pour la plupart des parents (mais je généralise peut-être ici), est, dans Caprice, réalité. Mais le rêve réalisé et maintenu à son plus vif degré dans la durée est-il vivable ? Le père, l’air inquiet, suggère lui-même à son fiston toutes sortes d’alternatives, pour le sortir de son état d’enfant prodige dont la soif de culture touche à la perfection, pour le sortir aussi de la fiction qui l'enveloppe.




Paradoxalement, c’est le père, Clément, qui se fait rattraper par la fiction quand une célèbre actrice de théâtre, son idole absolue, Alicia (Virigine Efira), surgit de son cadre : l’affiche, la scène, le texte, le personnage ; et vient le tirer de l’école où il enseigne pour le faire entrer chez elle, où il la découvre endormie sur son sofa, comme l’héroïne du roman qu’il est en train de lire, « La femme qui dort ». Elle est d’une beauté parfaite, image d’Épinal si sublime que Clément fait des pieds et des mains pour empêcher la jeune femme endormie, tenant à bout de doigt une tasse de café, de se réveiller en faisant tomber ladite tasse, risquant de laisser une tache noire sur le tapis blanc immaculé du salon. Il faut éviter la fausse note qui viendrait briser le mythe. C'est d'ailleurs en renversant un verre de vin sur Alicia que Clément la rend finalement accessible, et bientôt les deux personnages filent le parfait amour. Mais on sait, depuis l’introduction, où Clément voulait sortir son fils de la fiction et rompre le charme d'une situation trop paisible, qu'il y a chez lui la volonté de ne pas trop longtemps laisser s’installer un confort, de vouloir parfois fermer le livre pour gambader, en tout cas se laisser détourner de son chemin, sans trop résister, quand quelqu’un ou quelque chose d’imprévu, et de potentiellement périlleux, se présente. Aussi, après une scène obligée des comédies romantiques, la fameuse séquence heureuse où la musique surplombe les dialogues et qui monte, bout à bout, de petits instants de bonheur partagé, séquence qui fait plus sens que jamais ici, puisqu’elle vient dénoncer ce qu’elle incarne, une idylle de roman-photo chargée de tous ses chromos, après elle donc, et presque sans transition, déboule Caprice (Anaïs Demoustier), venue ouvrir une brèche dans la toile.




Mais parce qu’il est un cinéaste du plaisir et du fantasme, les comédies de Mouret ne tournent jamais au vinaigre, ne deviennent pas des drames (quand bien même elles contiennent du drame). Tout ce qui vient enrayer un bonheur parfait, né de l’actualisation d’un rêve (le petit professeur sans histoire rencontrant par hasard l’actrice qu’il idolâtre depuis toujours, dînant avec elle et devenant aussitôt son fiancé, le tout sans la moindre difficulté, ses gaffes commises au restaurant ne faisant qu’ajouter à son charme aux yeux de la belle blonde), est comme accueilli de bonne grâce par le malheureux. Clément, grand dadais maladroit, se laisse toujours embobiner, retarder, dérouter par ceux qu'il croise. Et les personnages dont il se laisse détourner ne font pas plus de scandale que lui (Alicia étant plus désolée qu’enragée par l’arrivée de Caprice, après que Clément lui a révélé le pot aux roses, sans traîner, sans tricher). Chaque accroc, au lieu d’accoucher d’un pénible sac de nœuds (Mouret refuse toujours le vaudeville idiot qui lui tend les bras), conduit presque invariablement Clément vers une autre tentation, un autre fantasme, un autre rêve, un autre possible, incarné par Caprice, fille jeune, libre, qui apparaît comme la promesse d’un autre avenir quand elle joue sa pièce de science-fiction devant Clément dans l’une des plus belles scènes du film.


 


Et le rêve, ou devrait-on dire l'utopie (pas étonnant, au passage, pour un cinéaste du rêve mêlé de fantasme incarnant un personnage incapable de choisir entre deux amours, que l'idéal utopique représenté dans cette pièce de science-fiction évoque l'amour du futur comme autant d'intersections), n'est pas étrangère à la relation qui se tisse entre Caprice et Clément, la jeune femme étant aux petits soins avec lui, toujours présente quand il en a besoin, comme par miracle (sauf que la question de savoir si l'on peut partager la vie de celui dont on rêve se posera désormais à elle - elle se pose en vérité à pratiquement chaque personnage du film, même secondaire, comme le directeur du théâtre ou l'auteur de la pièce de science-fiction). Caprice n’est pas, contrairement à ce qu’elle prétend à un moment, l’incarnation du seul réel là où Alicia serait un rêve abstrait. Elle ne cesse de dire « C’était écrit non ? », à propos de ses rencontres fortuites, parfois totalement improbables, avec Clément. La dernière trace qu’elle laissera sera d’ailleurs écrite, et idéale, avant de disparaître comme un songe lointain.




On pourrait faire quelques reproches à ce film. D’abord celui d’introduire, en la personne de Caprice, un personnage parfois agaçant, limite irritant, ce dont le cinéma de Mouret est presque toujours et fort heureusement soulagé. Mais les talents d'Anaïs Demoustier, et l'art d'aimer ses personnages déployé comme toujours par Mouret, rendent finalement aimable la demoiselle éponyme. Ensuite celui de passer un peu vite sur l’instant pourtant fatidique où Clément se laisse embrasser par Caprice, au risque de compromettre l’implication d’un spectateur trahi par le personnage. Mais, au final, ce saut étonnant dans le scénario contribue à l’impression de suivre un homme innocent que ses désirs mènent par le bout du nez et qui ne résiste pas au plaisir d’être aimé. Clément est à ce titre une sorte de précipité du cinéma de Mouret. En outre, cette précipitation n’entache en rien un film d’une finesse et d’une élégance propres à son auteur. L’écriture, la mise en scène, le jeu, tout là-dedans est subtil, précis, émouvant et drôle. Car le film est très drôle, et Mouret acteur n’y est pas pour rien, une fois de plus. Rares sont, quand on y pense, les cinéastes qui parviennent aujourd'hui à réaliser de véritables comédies dramatiques, en faisant preuve de la même intelligence dans les deux dimensions qui donnent son nom au genre. Si l'émotion est partout, c’est certainement lui, Mouret, qui nous tire le plus de rires ici, même s’il sait mettre en valeur tous ses acolytes, en les filmant avec cette tendresse qui est la sienne, parfois aussi avec ce soupçon de désir (pas forcément sexuel) qui est au cœur de ses films et qui semble par moments porter la caméra (comme il pouvait porter celle d'un Rohmer). Et je ne suis pas triste de constater, ou plutôt de vérifier, qu'en matière de désir, notre cher cinéaste aime le corps féminin de la tête aux pieds, sans négliger ces derniers (je crois qu’Emmanuel et moi avons le même film de chevet : Turbulences à 30 000 pieds).


Caprice d'Emmanuel Mouret avec Emmanuel Mouret, Virginie Efira, Anaïs Demoustier et Laurent Stocker (2015)

Girls Only

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Déjà, ras-le-cul de ces acteurs. On ne peut plus voir Keira Knightley en peinture. On ne lui fera pas le reproche répandu d'avoir les seins rangés dans le buffet et la mâchoire en tiroir-caisse, on lui fait seulement le procès de trimballer ses guenilles et ses moues boudeuses dans des films qui pourraient nous faire fermer boutique. Des comédies sur "le devenir mature et autres décisions d'adultes", comme le dit l'affiche originale, qui pourrait être celle de mille autres films contemporains du même genre sur les grands problèmes de la vie de ces trentenaires qui refusent de grandir. Et quand c'est Lynn Shelton qui se tient derrière la webcam, on sait que ça ne va pas voler très haut. Rappelons que son meilleur film s'intitule Your Sister's Sister, triangle amoureux entre Emily Blunt, Mark Duplass et l'une de nos godasses jetée à mi-parcours en plein milieu de notre écran plat. 




Un petit mot sur l'histoire de Laggies (c'est le titre original du film, pour ceux qui croyaient qu'on avait changé de critique en court de route). Keira Knightley, après s'être débarrassée de son mec, personnage méprisable et méprisé, après avoir subi le mariage sordide de sa meilleure amie abrutie et s'être rendue compte de l'adultère de son père, s'acoquine avec une zonarde de base âgée de 14 ans, chez laquelle elle finira pour un séjour à durée indéterminée, réapprenant le b.a-ba du kiff. Chloé Grace Moretz, qui contredit à chaque film notre critique de Texas Killing Fields, interprète l'adolescente un peu délurée qui servira de guide à notre héroïne décérébrée. L'arrivée de son papa, Sam Rockwell, va rappeler à la trentenaire en mal de folie et de jeunesse qu'elle a aussi un appétit sexuel à satisfaire et qu'elle est finalement plus attirée par les quarantenaires pleins aux as que par les pré-ados puceaux du bas comme du haut. 




On souffre du début à la fin. On en a marre de voir Sam Rockwell s'alanguir sur ses acquis et s'agiter faiblement dans des films qu'il ne regarderait pas lui-même. Il ne passerait pas forcément, en l'état actuel des choses, notre fameux test dit "du briquet". Quelqu'un entre dans la pièce, si t'as un briquet à portée, quel est ton premier réflexe ? Lui proposer un clope ou lui foutre le feu au froc. Concernant Sam Rockwell, à l'heure actuelle, notre réflexe est de l'allumer. Imaginez une torche humaine qui court tel un canard sans tête vers la baie vitrée pour sauter par la fenêtre et qui se heurte à un double-vitrage sans merci... Contre-exemple typique : Ethan Hawke, auquel on propose d'emblée une taff. Autres contres-exemples : Nick Cage ou Mel Gibson. Mais là, le test passe un peu les bornes, puisqu'on leur taillerait carrément une pipe.




On en a marre aussi de voir Chloé Grace Moretz jouer les fofolles dévergondées, sac Eastpack sur l'épaule, collant troué, chewing-gum insolent, œillades en culottes courtes. Celle que toute la toile surnomme "le débouche-chiottes" lessive le parquet de trop de films... On ne l'a pas encore totalement rayée de notre wish-list, elle est encore dans sa puberté, et tout peut arriver, un bon choix de rôle, un cinéaste qui sait s'y prendre, un visage et un corps qui se re-proportionnent... On laisse la porte ouverte. A cet âge-là, on en fait des conneries. Si on avait joué au cinéma à son âge, pas sûr que notre filmo aurait eu la tronche du premier de la classe. Pour rappel, voici en exclusivité notre top 10 1995 (surnommée l'année Sly/Bullock) : 

1) Striptease
2) Showgirls
5) Ace Ventura en Afrique
9) Traque sur internet
10) Judge Dredd / Demolition Man


Girls Only de Lynn Shelton avec Keira Knightley, Chloë Grace Moretz et Sam Rockwell (2015)

Pardonnez-moi

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Je vais vous raconter une petite anecdote. Une anecdote que je suis d'ailleurs un peu las de raconter, mais il faut bien que je le fasse à nouveau, une bonne fois pour toutes, sur le web, à la disposition de tous.

Je suis récemment allé à Paris dans le cadre de mes recherches sur le haut stalinisme. Après avoir passé une après-midi très studieuse à la Bibliothèque de Nanterre, je pris le RER A puis la ligne 6 du métro pour rentrer chez mon grand frère. En sortant de la station de métro, Place d'Italie, je fus surpris par une sacrée averse, de terribles giboulées de mars en plein mois de mai. A la vue d'une femme équipée d'un très large et solide parapluie, j'eus le réflexe et l'audace de me présenter à elle et de lui tapoter l'épaule pour lui demander de faire un petit bout de chemin sous son abri. Je ne reconnus pas immédiatement la personne que le hasard avait mis sur ma route, bouleversé que je fus par sa réaction immédiate, terrible et sans appel. La bonne femme n'attendit même pas que je finisse d'exprimer ma demande pour me dire, sur un rythme saccadé et avec un ton insupportable : "Va te faire foutre. Dégage, dégage. Va niquer ta mère !" en me crachant littéralement au visage, à la façon d'un Samir Nasri des grands soirs, comme si la pluie ne suffisait pas. Alors peut-être que cela ne se fait pas d'accoster une inconnue de cette façon, peut-être s'est elle crue menacée, du fait de sa petite renommée ; mais pourtant, croyez-moi, il ne devait rien y avoir de lubrique dans mon regard, effrayé que j'étais par la mâchoire difforme de cette grande femme maigrelette à l'allure chevaline, dont l'affreuse tronche antipathique nageait dans une épaisse chevelure brune. Quelques jours plus tard, je la vis parader sur un plateau télé, en se faisant passer pour la cinéaste la plus cool et décontractée de sa génération. C'était bien elle, cela ne fait aucun doute. Il me semble donc d'autant plus important de vous donner un autre son de cloche...




Maïwenn, je ne te pardonnerai jamais.


Pardonnez-moi de Maïwenn avec Maïwenn, Pascal Greggory et Hélène de Fougerolles (2006)

Mad Max

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L’engouement frénétique absolument généralisé autour de Mad Max Fury Road donne envie, avant d’aller découvrir le film, de se replonger dans les opus précédents, de retourner aux origines du mythe. Et force est de constater que le bon souvenir laissé par le premier épisode de la franchise a du mal à tenir le choc de la redécouverte. Sympathique par moments, tout à fait tranquille à suivre sur la durée, Mad Max premier du nom est tout de même un film relativement faible dans son ensemble. Et peut-être en premier lieu à cause de son personnage. Ce Max supposé Mad qui donne son titre au film n’existe pratiquement pas (peu aidé par un Mel Gibson sorti du berceau et assez mauvais acteur). Max Rockatansky est un flic, il a bonne réputation (sans qu'on sache trop pourquoi, mais il conduit un "Interceptor" et on nous le présente par petits bouts : ses bottes, ses gants, ses lunettes, ce qui en fait un sacré type), il aime sa femme (la jolie Joanne Samuel, une Karen Allen du pauvre qui n'a pas fait carrière, réduite dans ce film à un joli minois, une grosse permanente et deux répliques à tout casser), il aime aussi ses potes, enfin son pote, car il n'en a qu'un, et il a un peu peur de péter un câble à force de traquer des malades.


 
Mon nom est Mad Maximus, père d'un fils assassiné, époux d'une femme assassinée... et j'aurai ma vengeance, dans cette vie ou dans l'autre.

C’est tout. Et ça s’arrêtera là. Si ce n’est qu’à la fin de l’histoire il deviendra, comme il le craignait plus ou moins, vaguement fou, fou de colère, pendant cinq minutes. Parce qu’on a foutu le feu au froc de son copain blond, "Mother" Goose, et parce qu'on a roulé sur sa femme et son gamin. Sa femme est d'ailleurs encore vivante (alors que le gamin est allé ad patres), mais on ne la reverra jamais car Max s'en branle, il a des salopards à trucider (et c'est bien légitime, faut croire), en usant de cruauté si possible. On peut supposer que sa femme, désormais en très mauvais état, ne lui sert tout simplement plus à rien, qu'elle n'existe plus. De la même manière, plus tôt dans le film, en quittant la chambre d'hôpital de son ami brûlé au dernier degré quoique toujours vivant lui aussi, Max s'est écrié : "Ce n'est pas Goose, ça ce n'est pas Goose", rayant aussi sec son méga pote de la carte.


La Famille Bélier.

L’histoire aussi est donc assez plate. Les flics crâneurs d’un côté, les motards tarés de l’autre, et ils se rendent coup pour coup jusqu’à ce que, quelques morts plus tard, le héros l’emporte. Il faut tout de même se faire violence pour trouver ça passionnant. Certes, en bon western post-moderne, le film tient sur sa ligne claire de strict récit de vengeance, mais ledit récit est si cousu de fil blanc, si anodin, et sa résolution si paresseuse, que les bagnoles fusent au final dans le vent. D'autant que l'idée d'un western d'anticipation ne déboule sur rien, et que la pseudo-post-apocalypse passe limite inaperçue. Dans le deuxième épisode, avec sa fin du pétrole et son essence précieuse, son fortin pris d'assaut, et son clébard sidekick malin comme un singe, personnage ô combien plus fascinant que l'épouse et le bambin de Max réunis, le récit prendra une autre dimension.


Philippe Katerine post-nuke.

Mais en attendant il faut se contenter de bien peu, à tel point que le film ressemble à une sorte de prologue du vrai film : Mad Max II (dont le prologue est par ailleurs affreux). C'est un genre de prequelétalé sur une heure et demi, et tout au long duquel il est contre-indiqué d’être allergique aux musiques lourdingues (le saxo cher aux années 80 fait ici des ravages) ou aux grands méchants grotesques (loins des tarés d’Orange Mécanique, les motards penchent plus vers ceux des tristes premiers films de Luc Besson - nul doute que Hugh Keays-Byrne, interprète de Toecutter, le chef de la bande sur deux roues, aura eu plus de chance dans le quatrième et nouvel épisode, où l'acteur reprend du service après avoir explosé contre un camion, mort aussi bête et expédiée que son personnage, à la fin du premier Mad Max qui nous intéresse ici). Reste une qualité qu’on ne peut pas enlever à George Miller (et qu’il n'a apparemment pas perdue, si l'on prête foi aux innombrables admirateurs de Fury Road), qui est que l’homme s’y entend pour filmer des scènes de course poursuite. Mais ça ne suffit pas toujours, et ça ne suffit pas vraiment dans ce premier jalon boiteux d’une saga qui commence vraiment au numéro 2 et qui vient peut-être, on ira vite vérifier, de trouver, 36 ans après, son acmé.


Mad Max de George Miller avec Mel Gibson, Steve Bisley, Joanne Samuel et Hugh Keays-Byrne (1979)

Mad Max 2

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Avant Mad Max 4 et après Mad Max 1 vient Mad Max 2, parce qu'il y a peu de chances qu'on se re-farcisse le 3. Dans ce deuxième volet, Max n'est toujours pas Mad, il est même carrément zen. Cependant, Mel Gibson, en deux ans, a pris du coffre, de la bouteille. Son personnage n'est pas vraiment plus travaillé que dans le premier film, voire moins, mais il en impose davantage avec ses traits marqués, sa mâchoire carrée et sa mèche blanche sur le côté (en devenant fou, à la fin du premier film, aussi fou que sa nemesis, le méchant Toecutter, Max aurait-il hérité de sa mèche de gremlin ? L'idée eût peut-être été plus frappante si notre héros avait percuté son ennemi en choc frontal, comme il adviendra à la fin de ce deuxième volet). On sent que l'acteur a gagné en assurance et on a enfin, devant nous, un personnage bien planté dans ses bottes en cuir. Mieux, on trouve même une paire de personnages secondaires vaguement plus épais qu'une feuille à cigarette pour venir nourrir un peu le gros bordel.


 Ça aurait dû être lui le héros de la saga, d'autant que Mad Max ça fait un sacré nom de clébard.

D'abord : le chien. Meilleur personnage de la saga, imbattable. Oui car Max est désormais affublé d'un clébard de prairie, avec lequel il partage sa gamelle et qui est d'un dévouement exemplaire. La scène, au début du film, où le chien tient un os en plastique dans sa gueule, os relié par une ficelle à la gâchette du fusil à pompe de Max, fusil braqué sur la tête d'un pauvre gars (un futur collègue de Max, il en sera question plus bas), et où, quand il aperçoit un lapin à travers la vitre de la bagnole, le clébard ne bronche pas, ne remue pas l'ombre d'une oreille, au grand soulagement de son prisonnier - cette scène, donc, peut-être la plus marquante du film, nous rend la bestiole follement attachante. Ce clebs est peut-être plus malin que tous les personnages réunis. Et c'est un déchirement quand il trépasse, dans ce petit couinement canin, hors-champ : "ouïgh".


Les deux meilleurs amis de Max coincent la bulle dans la même position. Deux clébards ? Non, deux humains, qui parviennent tous deux à se lécher les couilles.

Mais ce n'est pas tout. On découvre bientôt Gyro Captain (Bruce Spence), une sorte de clown du désert, amateur de reptiles et d'aéronefs, qui se présente d'abord comme un ennemi (c'est lui que le chien tient en joue) mais qui se trouve n'avoir pratiquement qu'une motivation, mais quelle motivation : trouver un pote, un associé, un gars avec qui faire des trucs terribles. Beau personnage donc. Et puis il y a, à partir du moment où Mad Max et ses potes s'approchent d'un fort bien gardé bâti autour d'un puits de pétrole, (denrée rare dans ce monde d'après l'apocalypse où l'essence vaut son pesant d'or et attire toutes les convoitises), il y a donc l'enfant sauvage de Truffaut, un gamin du fort, qui prend en levrette toutes les théories selon lesquelles on apprend au contact d'autrui. Il n'est pas scolarisé, soit. Est-ce une raison valable pour ne toujours pas parler, pas même à l'aide de quelques gestes, alors qu'on côtoie des adultes doués de langage ? Le gamin se contente de grogner, de faire le singe quand on lui offre une boîte à musique, et d'imiter le chacal pour éloigner un ennemi de Max. Il n'est donc pas si con.


Mimi-Siku ne sait pas parler mais il fait une bonne canne.

On a également un poil plus d'enjeux narratifs dans ce deuxième opus. En effet, oubliez les histoires à la va-comme-je-te-pousse, du genre t'as fumé ma femme, je vais te foutre le feu. Ici, l'australien George Miller met les pieds dans le plat de l'univers post-nuke-punk déployé tout au long de sa chère saga. Et ce tout en poursuivant sa relecture du western, puisqu'il quitte les grands espaces et les routes courbes du premier opus pour poser son cul dans un Fort Alamo du futur, sis en plein désert de la mort. Le lieu, qui abrite quelques familles de petits raffineurs new-age, est continuellement assiégé par des catcheurs bondage culs nus, menés par le seigneur Humungus (un bodybuildeur dont la tête est recouverte d'un fait-tout en titane et qui souffre manifestement d'une laryngite : le personnage n'est pas sans rappeler à rebours le méchant Bane de The Dark Knight Rises). Scénario plus généreux donc, bien que parfois bancal. Le film compte son petit lot d'incohérences et de facilités (pourquoi les raffineurs ne possèdent-ils qu'un lance-flamme alors qu'ils ont une puits de pétrole sous la main ? pourquoi Max se sent-il obligé de traverser tout le camp ennemi pour ramener un remorqueur dans la forteresse ? pourquoi les raffineurs ne barricadent-ils pas mieux leur engin de la dernière chance, à la fin du film ?, etc.). Mais ça fait partie du jeu, un jeu par ailleurs plutôt sympathique, mené sur un rythme bien balancé, avec sa grande course poursuite finale et ses combats débraillés. Bref, sans être merveilleux, Mad Max 2 est meilleur que Mad Max 1, mais on espère de tout cœur qu'il est moins bon que Mad Max 4. En attendant nous on va sans doute s'empaler sur le 3...


Mad Max 2 de George Miller avec Mel Gibson, Bruce Spence, Mike Preston, Kjell Nilsson et Emil Minty (1981)
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