De mémoire défaillante de cinéphile de pacotille, les films qui parviennent à si délicatement capturer ce quelque chose d'indicible propre à l'enfance ne sont pas si nombreux que ça. Le mérite du cinéaste Colm Bairéad n'en est que plus grand et son film, son tout premier long métrage, précieux et prometteur. Venu d'Irlande, acclamé à raison dans de nombreux festivals et nominé aux Oscars, The Quiet Girl est à mes yeux un petit bijou de sensibilité et de douceur qui trouve en partie sa noblesse et son charme dans sa façon d'épouser, presque tout le temps, le point de vue de cette petite fille qui, négligée par des parents pauvres et dépassés, est envoyée chez de lointains cousins du côté maternel, un couple d'un âge un peu plus avancé, pour y passer l'été. La mise en scène du réalisateur dublinois est d'une rigueur intelligente et délicate, nous mettant donc le plus souvent à la place de sa discrète et timide protagoniste, fleur en bouton qui ne demande qu'à s'épanouir. Nous sommes ainsi au plus près d'elle lors du voyage en voiture qui la mène vers sa ferme d'accueil, très joliment filmé, et encore plus près quand elle arrive enfin sur les lieux et que sa cousine et mère de substitution lui ouvre la portière, puis se met également à sa hauteur pour mieux lui souhaiter la bienvenue et, déjà, lui donner un peu d'affection. Une des belles scènes d'un film qui en compte quelques unes.
Avec une grâce régulière, le cinéaste, qui adapte ici une nouvelle de l'écrivaine Claire Keegan, nous retranscrit l'attention et la tendresse inédites que va connaître et ressentir la jeune fille dès son arrivée à la ferme du couple, d'abord de la part de la femme immédiatement attendrie puis de l'homme a priori plus bourru. Ce dernier met en effet un peu plus de temps à s'ouvrir à son tour, et l'on comprend progressivement pourquoi : un secret, aisément éventé, placé au cœur du film, explique son attitude prudente et son affection toute retenue, qui finira bel et bien par s'exprimer par éclats timorés et inattendus puis de façon plus permanente. Le format presque carré de l'image nous invite à regarder ces trois personnages sans nous disperser, à nous concentrer sur leurs attitudes, attentif à leurs moindres faits et gestes, facilement ému par la tendresse qui se manifeste occasionnellement (côté masculin) ou plus ostensiblement (côté féminin). Sans doute très bien dirigée par le cinéaste et son équipe, Catherine Clinch, dans le rôle principal, livre une prestation captivante, qui participe pour beaucoup à rendre émouvant le portrait de cette fillette de douze ans, une présence légère qui donne envie de s'intéresser à ce que cette actrice en herbe fera par la suite. Sa carrière commençante est en tout cas placée sous les meilleurs auspices.
The Quiet Girl se déroule à un rythme très tranquille, comme si le temps de l'enfance et le rythme de ces journées d'été étaient imperceptiblement respectés (ces journées sont ponctuées par les travaux répétitifs mais plaisants de la ferme, où la fillette s'investit au fur et à mesure). Il n'y a toutefois aucune lenteur manifeste, ni une volonté contemplative trop forcée, au contraire, on remarque davantage de subtiles ellipses et on relève tout particulièrement ces très beaux passages où le montage, élégant, parfois porté par les jolis chants de cette maman d'un été, nous fait comprendre que la vie se poursuit, que les jours s'enchaînent sans accroc, dans une harmonie naturelle et désirée. Colm Bairéad évite toujours la lourdeur, peut-être de justesse diront les plus sévères observateurs, peu clients de ces ralentis adoptés à au moins deux reprises. Il opte tout le long pour la plus agréable simplicité (un mouvement de caméra tout bête vers une tapisserie dont les petits motifs représentent un personnage saluant le départ d'un train annonçant par exemple la séparation à venir), et, surtout, il laisse pleine place à la tendresse, un choix salutaire par les temps qui courent, si propices à l'austérité, à la rudesse, à la méchanceté et à la peinture amère d'un monde qui s'effondre ou d'un pays gouverné par des guignols (mais je m'égare...). Je regrette cependant ces deux moments où l'on lâche le point de vue de la fillette au profit d'un suspense assez facile dont on aurait très bien pu se passer. Enfin, ceux que le film saura atteindre seront forcément les plus touchés lors du final, où Colm Bairéad ose encore un montage cajoleur et, selon moi, trouve une certaine beauté, de nouveau caractérisée par sa sensibilité.
On pourrait presque penser à L'Esprit de la ruche, le chef d’œuvre intemporel de Victor Erice, même si je conçois que le rapprochement soit peut-être très avantageux et sans doute fragile... Oubliez ! On peut également se croire en présence d'un éloigné parent gaélique du japonais Hirokazu Kore-Eda, pour la justesse du regard porté sur l'enfance et pour ce savant équilibre, alliant donc tendresse, pudeur et distance, qui permet au film d'échapper au pathos, de ne jamais tomber dans la niaiserie, même quand il y est question d'apprentissage de la complexité des sentiments ou de la prise de conscience d'événements douloureux. Non, oubliez ça aussi, j'ai l'impression de m'enfoncer. "Douceur", "grâce", "délicatesse", "beauté", etc., je crois avoir épuisé mon maigre vocabulaire mais vous aurez au moins compris que The Quiet Girl est un film que je recommande et qui figurera à coup sûr parmi mes préférés de l'année. Je vous l'avoue, il m'est difficile de parler mieux et davantage de cette œuvre, ma foi très simple et modeste, qui a toutefois su toucher chez moi une corde sensible et même me serrer le cœur dans ses ultimes instants. 😭
The Quiet Girl de Colm Bairéad avec Catherine Clinch, Carrie Crowley et Andrew Bennett (2023)