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Channel: Il a osé !
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Master Gardener

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On l'aime bien Paul Schrader, mais il faut reconnaître qu'il tire un peu sur la corde là... Master Gardener est donc le troisième volet de ce que certains ont nommé sa "trilogie bressonnienne" pour tout ce qu'elle emprunte à l'auteur du Journal d'un curé de campagne ; trilogie qui risque même de bientôt devenir une tétralogie, si l'on en croit les derniers indices donnés par le cinéaste. Autant de films mettant en scène un personnage central abîmé par la vie, en quête de rédemption, et qui, chaque nuit, dans sa chambre, à la seule lumière d'une lampe de bureau, note ses pensées plus ou moins sombres dans son journal intime (d'autres ont intitulé cette trilogie "Man in a Room", mais rappelons-nous que Willem Dafoe griffonnait déjà des carnets entiers pour y étaler ses réflexions de dealer de drogue en pleine crise existentielle dans l'excellent Light Sleeper). Bref, Master Gardener s'inscrit donc dans la droite lignée de First Reformed et The Card Counter mais force est de constater que l'inspiration du cinéaste paraît cette fois-ci clairement sur le déclin. Si ce nouveau film se regarde sans aucune souffrance, Schrader restant appliqué et plein d'estime pour son spectateur, un léger ennui pointe parfois. Le vieux cinéaste paraît fatigué, trop sûr de sa recette, en roue libre, bien tranquille sur ses rails habituels.



 
On suit ce coup-ci un ancien membre actif (Joel Edgerton) d'un groupe de suprémacistes blancs, désormais sous protection judiciaire et jouissant d'une nouvelle identité après avoir aidé le FBI à nettoyer ses anciens rangs. Apparemment vacciné de ses orientations politiques passées, il s'est reconverti horticulteur des plus méticuleux pour les besoins de l'entretien quotidien de l'immense jardin d'une riche veuve (Sigourney Weaver). Leur relation va au-delà du simple rapport patronne / employé et leurs existences et routines bien huilées vont gripper un brin quand la veuve demandera à son jardinier de prendre sous son aile sa petite-nièce (Quintessa Swindell) pour lui transmettre son art et son savoir de jardinier hors pair. Ce décor et ce contexte, intrigants et plutôt singuliers, sont adroitement posés par Paul Schrader. On est content de retrouver Sigourney Weaver dans un rôle a priori intéressant et devant la caméra d'un réalisateur respectable. Joel Edgerton semble lui aussi faire l'affaire. Nous avons envie d'y croire et on espère encore avoir droit à un film au moins aussi bon que The Card Counter et First Reformed. En réalité, la première partie du film s'avèrera de loin plus réussie que tout ce qui suit l'arrivée de la petite-nièce...


 
 
Tout semble alors cousu de fil blanc. Le triste passé du personnage principal nous est révélé à coups de brefs flashbacks dont on aurait peut-être pu se passer. On ne croit pas une seconde en l'espèce de romance surgie de nulle part entre cet ancien skinhead et la petite-nièce métisse. L'actrice qui l'incarne est plutôt mignonne mais, la pauvre, son rôle est épais comme du papier à rouler ; elle n'amène avec elle que des lieux communs : ex-boyfriend violent à qui il va bien falloir régler son compte, addiction à la drogue trop bien dissimulée et vieilles rancœurs familiales qui vont faire éclater ce petit monde. Si l'on pouvait avoir une certaine curiosité pour les liens un peu malsains entre Weaver et Edgerton, on en a aucune pour ce qui se noue entre le jardinier et son élève. On ne comprend même pas ce que cette dernière peut trouver à son prof. Schrader ne s'y consacre tout simplement pas assez. Mais c'est bien dans le maître jardinier du titre que réside sans doute le plus gros souci. Nous avons là un acteur, Joel Edgerton, qui fait son maximum mais dont on finit par se dire qu'il n'est peut-être pas de la trempe d'un Ethan Hawke (forcément !) ou même d'un Oscar Isaac. Surtout, son personnage intéresse nettement moins, ne nous fascine guère. Car franchement, Paulo, tes histoires de rédemption, on commence à les connaître par cœur, on en a soupé. Reviens plus tard, et avec autre chose !


 
 
Bon, restons mesuré, Master Garderner n'a tout de même vraiment rien de honteux et n'est pas un mauvais film, mais il y a comme un décalage entre le sérieux et l'emphase que met Paul Schrader à nous raconter cette histoire et son réel intérêt. Le retour en forme et l'état de grâce du cinéaste américain sont-ils déjà derrière nous ? Réponse définitive lors de notre prochain rencard avec lui. On lui laisse encore le bénéfice du doute, lui qui a connu des bas tellement plus bas, et on continue de suivre avec plaisir sa grosse moue boudeuse sur les réseaux.
 
 
Master Gardener de Paul Schrader avec Joel Edgerton, Sigourney Weaver et Quintessa Swindell (2023)

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