C'était le début de la fin pour Schumi, aka M. Night Shyamalan, qui à l'époque n'était enfin plus résumé par ce sobriquet dont tant d'autres ont été affublés : "le prochain Spielberg". Il était enfin devenu "Schumi", celui qu'on ne comparait plus systématiquement à ses illustres aïeuls et que l'on pouvait enfin considérer comme un auteur à part entière, une identité forte. La crème de la crème hollywoodienne se battait pour intégrer le casting de ses films. Le Village en est la preuve puisqu'on y retrouve de grands noms tels que Sigourney Weaver et William Hurt, ainsi que les grands espoirs de l'époque : Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Michael Pitt ou Adrien Brody, qui avait affirmé après Le Pianiste qu'il allait enfin pouvoir tourner avec de grands réalisateurs, ce qu'il fit donc selon lui en intégrant les rangs de Schumi. Malheureusement pour lui, Brody avait choisi le pire moment. Le Village fut le début de la fin. Après les succès consécutifs de Sixième sens,Incassable et Signes, Shyamalan était à la recherche du pitch fou et du twist qui va avec.
La pression était telle sur ses petites épaules d'amérindien que le cinéaste s'abaissa à des procédés pas très catholiques, consistant notamment à aller piocher son inspiration ailleurs... On ne jettera pas la pierre à Schumi, on ne le condamnera pas pour son plagiat honteux. Qui n'a pas, un jour d'exam, été tenté d'avaler la petite pilule magique ? Qui ne s'est pas tatoué à vie l'intérieur des avant-bras pour un oral un peu trop stressant ? Qui n'a pas intitulé sa rédaction de fin de 4ème "A la recherche du temps perdu" en pensant que ça passerait inaperçu ? Qui n'a pas recopié l'intégralité d'une des nouvelles du King himself, Steph de son prénom, à l'âge où on lit et où on aime le King, c'est-à-dire en 6ème grand max, pour frimer devant les copains ? Qui ne s'est pas fait une permanente avant d'aller emprunter vite fait quelques concepts de Michel Onfray sur wikipédia afin de briller en société ? On en est tous là, Schumi le premier, et si son film avait été réussi en tant que tel, plagiat compris, nous ne serions pas allés fouiller le flux RSS consacré aux dernières dérives judiciaires de Schumi (qui n'est pas à ça près) !
Sauf que quand on s'est infligé le film au cinéma en 2004 on a forcément envie d'aller taquiner Schumi à propos des bouquins qu'il a pompés pour en tirer une idée qu'il a cru géante et qui s'est révélée bancale, en tout cas pas du tout à la hauteur du foin qu'il en a fait. Le Village fut l'un des premiers films post 11 septembre, traitant de cette Amérique recroquevillée sur elle-même, fondée sur une chimère : la peur de l'autre et du monde extérieur. Pour illustrer cette idée, un village coupé du monde, maintenu à un stade reculé de l'évolution, bercé de religion, cerné par une forêt épaisse déclarée interdite selon la lubie de quelques vieux allumés. Le film est un peu trop lent, Schumi semble se regarder filmer, ayant chopé la grosse tête après ses premiers succès et surestimant en outre son idée de scénario (qui, rappelons-le, n'est pas de lui), et tout ça pour aboutir à un twist franchement pas faramineux, qu'il fallait être aveugle pour ne pas voir venir. Quoique, Bryce Dallas Howard incarne une aveugle paradoxalement plus clairvoyante que ses concitoyens. A la fin du film, Shyamalan nous raconte, ou plutôt nous explique lui-même le fin mot de son histoire, filmé dans un reflet de vitre dans l'un de ces caméos dont il a le secret, achevant de se rendre pas mal irritant aux yeux de son public, massivement déçu à l'époque par ce film en manque de vigueur après les promesses faites par le cinéaste au début de sa carrière.
En revoyant le film aujourd'hui, et à la lumière des derniers films de Schumi (l'imbuvable Phénoménomes et ses deux immondices à gros budgets - d'accord, on n'a pas encore vu After Earth mais "mon petit doigt m'a dit..."), on aurait tendance à mesurer nos propos et à le revoir à la hausse. On ne passe pas forcément un mauvais moment dans ce hameau, loin s'en faut, et on peut même trouver des qualités à cette œuvre somme toute assez prenante, aux personnages intrigants, à l'ambiance inquiétante, et parfois assez efficace dans la peinture de la terreur collective. Deux scènes en particulier sont à retenir, celle de la fête de village perturbée par l'intrusion de la bête, où Shyamalan instaure un beau suspense avec ce plan sur la main tendue de Bryce Dallas Howard, et la séquence de déclaration sur le porche entre cette dernière et l'excellent Joaquin Phoenix. Le seul problème c'est que si le film se regarde plus aisément aujourd'hui qu'il y a dix ans et passe sans véritables encombres le contrôle technique, il faut bien avouer que quelques mois voire quelques semaines seulement après cette fameuse révision le souvenir laissé par Le Village s'estompe de nouveau, au point qu'il reste difficile de se remémorer les bonnes scènes. Le doute sur les réelles qualités de l’œuvre se réinstalle peu à peu. N'est-ce pas le signe d'un film bel et bien boiteux ? Une chose est sûre : c'était le dernier jalon à peu près potable d'une filmographie en perdition. On n'a pas fini de sonder le gouffre dans lequel Schumi s'enfonce depuis, creusant sa tombe avec une belle énergie.
Le Village de M. Night Shyamalan avec Sigourney Weaver, William Hurt, Bryce Dallas Howard, Adrien Brody et Joaquin Phoenix (2004)