Ressorti récemment sur les écrans dans une magnifique version restaurée, Drôle de frimousse fait partie des dernières grandes comédies musicales de l'âge d'or hollywoodien. En 1957, dix ans avant Voyage à deux, Audrey Hepburn joue pour la première fois sous la direction de Stanley Donen et vient déjà rayonner sur la France. Avant la Côte d'Azur, parcourue en long, en large et en travers aux côtés d'Albert Finney, c'est à Paris qu'elle atterrit en compagnie de Fred Astaire. Dick Avery, un photographe de mode au service de Maggie Prescott (Kay Thompson), directrice du magazine Quality, est à la recherche d'un mannequin capable de ménager élégance et intelligence pour devenir l'égérie du magazine et porter les robes de la prochaine collection du grand couturier parisien Paul Duval. Embarrassé par les poupées décérébrées qu'on place sous son objectif, Dick Avery décide de photographier son principal modèle dans une petite librairie de Greenwich Village pour l'entourer de livres et lui fabriquer un air spirituel, quitte à mettre la propriétaire de l'établissement, Jo Stockton (Audrey Hepburn), à la porte de sa propre boutique le temps du shooting. Sauf que c'est le visage chiffonné de la libraire qui va retenir l'attention du photographe, et que c'est elle qu'il va convaincre d'embarquer pour Paris.
Le film doit beaucoup à la beauté fascinante d'Audrey Hepburn. On tombe amoureux d'elle à chaque séquence, qu'elle soit fagotée en caricature de libraire avec ses cheveux lisses, son grand gilet gris à poches et sa longue jupe étroite et sombre, ou transformée en pure icône de mode dans des robes toutes plus somptueuses les unes que les autres. L'actrice éblouit plus encore quand elle se situe entre ces deux extrêmes et se contente de déployer un sourire radieux, en toute simplicité. Dans la fameuse séquence musicale du "Bonjour Paris !", le splitscreen lui fait parfois partager l'écran avec Fred Astaire et Kay Thompson sans qu'on puisse décoller les yeux de la belle Audrey. La comédienne est parfaite à plus d'un titre, chante et danse parfaitement et dégage une grâce exceptionnelle, y compris dans un numéro casse-gueule, dans la scène où, au milieu d'un piano-bar parisien improbable, elle se lance dans une danse improvisée un peu loufoque et presque grotesque sur une musique jazz composée par George Gershwin. La beauté et la vitalité de l'actrice feraient tout passer, et font en l'occurrence oublier l'inégalité de la partie musicale du film, qui alterne des scènes originales et touchantes (celle de la chambre noire) et d'autres plus convenues et moins frappantes, comme quand Fred Astaire danse pour une Audrey Hepburn penchée à son balcon. L'extraordinaire acteur, chanteur et danseur nous a livré des performances autrement plus impressionnantes, chez Donen lui-même, chez Minnelli ou dans ses premières comédies musicales aux côtés de Ginger Rogers (ne citons que l'inoubliable Top Hat de 1935).
Dans cette scène où Fred Astaire danse pour séduire Audrey Hepburn, on se confronte à l'autre fragilité du film : le jeu avec les clichés. On les attend de pied ferme dès que nos chers américains survolent Paris en avion, avec ces drôles de vues aériennes sur la Tour Eiffel, Notre-Dame ou l'Arc de Triomphe. Et ça ne rate pas, le Paris filmé par Donen est un Paris de carte postale qui emboîte les clichés les uns sur les autres, des pêcheurs moustachus aux baguettes de pain en passant par les pavés, la pluie, Jean-Paul Sartre, les voitures minuscules, les amants aux terrasses des cafés qui se giflent et s'embrassent dans la même phrase et compagnie. Mais Donen a tout prévu puisque la première chanson parisienne du film montre nos trois expatriés revendiquant leur statut de touristes et adorant ouvertement, en toute conscience, cette image fausse qu'ils se font de Paris. On sourit quand même jaune quand on voit Fred Astaire commencer son numéro dans la cour du petit hôtel (très 19ème...) de sa promise avec le parapluie de rigueur, et le terminer derrière une camionnette transportant une vache… Entre les deux, la star se livre avec sa veste rouge à une danse mimant la corrida, sans qu'on comprenne pourquoi (les américains croient-ils la corrida parisienne ? Ou bien considèrent-ils que la France, l'Espagne, tout ça finalement c'est l'Europe…).
La France est aussi désignée comme le pays de la philosophie, et venant des américains, quelque part, ça se comprend. Jo Stockcton accepte de se rendre à Paris et d'y jouer les mannequins pour avoir une chance de rencontrer le professeur Émile Flostre (Michel Auclair), chantre de l'"empathicalisme", qui donne des conférences dans des cafés-philo-poésie bien de chez nous. Le film pose d'emblée une opposition entre le monde superficiel de la mode, dont il se moque allègrement, et celui, trop triste, de la pensée, deux mondes séparés et incomplets, clairement attribués respectivement aux USA pour le premier et à la France pour le second. Sauf qu'à la fin c'est l'Amérique qui gagne. Flostre se révèle être un vulgaire séducteur, usant du verbe pour coucher, et Jo finit par se débarrasser de lui en lui fracassant une sculpture hors de prix nulle part ailleurs que sur le crâne. La tête du chercheur français n'est bien entendu remplie que de blabla, puisque Maggie Prescott, la directrice du magazine de mode, papesse du commerce des corps et du règne de l'apparence, comprend non seulement parfaitement la théorie de l'empathie chère au philosophe, à condition de la formuler dans des termes simples et efficaces, mais la met même en pratique, contrairement à lui.
Stanley Donen nous donne une petite leçon quand Fred Astaire et Kay Thompson se déguisent en français (tenues austères et bouc sévère) pour pénétrer le repaire de Flostre et libérer Jo. Après avoir écouté la lente complainte morbide d'une jeune chanteuse française racontant ses turpitudes sentimentales sur fond d'envie de meurtre et de suicide, les deux américains vendeurs de rêve sont contraints de faire le spectacle à leur tour, mais à l'américaine s'il vous plaît, et nous livrent un show très complet de danse et de chant plein d'énergie et ô combien rythmé. Comme la plupart des grands spectacles hollywoodiens, le numéro du photographe et de la directrice de Quality n'a pour but que d'en foutre plein la vue aux tristes français pour les endormir et parvenir à leurs fins : récupérer Jo, la faire poser dans les robes de Paul Duval, et faire du business à tout prix. Au final, Stanley Donen n'étant pas totalement cynique, c'est quand même avant tout l'amour qui l'emporte, dans une de ces visions "idéalisées" vendues par les magazines de mode, que le cinéaste dénonce et plébiscite dans le même temps en concluant son film sur un idéal de vie résumé à un chromo absolu, factice au possible. Fred Astaire s'éloigne dans les bras d'une Audrey Hepburn en robe de mariée sur un petit radeau de bois, le long d'un ruisseau parcouru de cygnes blancs, derrière une vieille église en pierre. A la décharge du cinéaste, il faut bien avouer qu'Audrey Hepburn ajoute un surplus d'idéal à tous les décors du monde, et qu'un monde idéalisé par amour pour Audrey Hepburn est un monde qu'on achèterait volontiers.
Drôle de frimousse de Stanley Donen avec Audrey Hepburn, Fred Astaire et Kay Thompson (1957)