La Fille du 14 juillet, premier film signé Antonin Peretjatko, fait un bien fou et tombe à point nommé. On entend les mots "révolution", "réveillez-vous !", "liberté" ou "horizon" là-dedans, et c'est tout le programme du film, dont l'auteur fait partie de tout un mouvement de jeunes cinéastes français (mis en avant par Les Cahiers du cinéma dans le numéro d'avril 2013), s'inscrit dans la continuité d'Un monde sans femmes, et nous adresse une piqûre de rappel : on peut rire devant un film français d'aujourd'hui, rire franchement, rire intelligemment. Racontant l'histoire d'une petite bande improvisée de jeunes gens diplômés partis en vacances faute de travail pour mettre le grappin sur une fille envoûtante, dont la fête est gâchée quand le gouvernement avance la rentrée d'un mois par mesure d'austérité, le film parle non seulement de notre époque (quasiment tous les gags font écho à l'actualité, des flics qui tirent sur les délinquants au flash-ball à la soupe qui suinte d'une assiette trouée en passant par cet enfant déguisé en cloporte kafkaïen qui intime à ses parents de se réveiller avant d'être abattu par une cartouche au chloroforme), mais parle surtout de et à nous autres, qui ressentons un besoin fou de soleil, de départ et d'aventure, de vacances en somme, et de repos, ne serait-ce que pour l'esprit. Le film satisfait à merveille notre soif d'insouciance, de décrochage, de rire et de folie, en un mot comme en cent, de liberté. Et cette liberté, cette légèreté de ton avec lesquels Peretjatko renoue enfin, nous sortent la tête hors de l'eau, hors d'une comédie à la française moribonde (on vous en parlait dans notre édito du 8 septembre 2012) et plus généralement de tout un cinéma français de l'asphyxie (on apprécie la petite pique adressée par le cinéaste à Un Prophète de Jacques Audiard).
Comme Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ne vient pas de nulle part et ménage ses influences dans un mélange d'inspirations diverses, avec une prédominante Nouvelle Vague, et notamment godardienne. On retrouve avec bonheur l'humour bon enfant du Godard première période. A bout de souffle est immédiatement convoqué, et un certain pacte de lecture aussitôt instauré, quand Truquette (Vimala Pons) ouvre le film en vendant La Commune !à la criée au milieu du défilé militaire du 14 juillet comme Patricia Franchini (Jean Seberg) vendait le New-York Herald Tribune sur les Champs Élysées. C'est Pierrot le fou qui prend ensuite le relai, avec ce road movie peuplé de pieds nickelés escrocs et branleurs confrontés aux forces de l'ordre, et cette virée en vacances forcées, plus ou moins définitives malgré les velléités gouvernementales, mêlant romance colorée, drôlerie et violence (on croise des meurtres de sang froid et on entend des coups de feu ici et là, qui rappellent la mitraille sonore dans la séquence du film de Godard où Belmondo et Karina rejouent la guerre du Vietnam pour plumer des touristes américains). On se rappelle aussi l'humour Truffaldien, celui d'Agnès Varda dans le sketch de Cléo de 5 à 7 mettant en scène Godard (encore lui) et Karina (encore elle), et la gaieté estivale de certains films de Rozier ou de Rohmer. Sans oublier le sens du burlesque d'un film aimé de ce dernier, La Campagne de Cicéron, de Jacques Davila, même si La fille du 14 juillet se veut beaucoup plus comique. Peretjatko combine ces inspirations sans tomber dans le carnet de citations. Mieux, elles se justifient d'autant plus que le cinéaste propose un double mouvement vers l'arrière, vers l'ère d'opulence, de plein-emploi et de départs en vacances de cette France bien révolue que parcouraient nos parents et grands-parents, et vers l'avant, vers ce que nous souhaiterions vivre depuis très longtemps : de pures vacances débraillées. Les échos multiples au meilleur du cinéma de nos aïeux se justifient aussi par cette phrase que prononce Vincent Macaigne dans un café : "les souvenirs c'est comme des voyages". Antonin Peretjatko fait rejaillir une foule de souvenirs cinématographiques chargés de joie et d'inconséquence dans un film qui nous fait ainsi voyager doublement.
Cette tendance "rétro" trahit d'ailleurs une nostalgie bien légitime, qui ne se contente pas de ressasser le passé mais s'acharne à en extirper une énergie vitale pour se projeter coûte que coûte (la Delorean mythique de Retour vers le futur n'est peut-être pas là complètement par hasard). Le film a beau enchaîner les gags à un rythme effréné (quitte à ce que certains tombent à plat, mais le cinéaste tente tout et l'euphorie du mouvement général nous pousse si vite au gag suivant que les ratés sont digérés avec le sourire), il est troué de moments d'accalmie, quand on voit les personnages se fixer pour confesser leur soudaine mélancolie ou leurs accès de colère (à l'occasion d'une soirée rétrospective chez l'ubuesque docteur Placenta notamment, qui avec quelques autres personnages secondaires évoque également les comédies de Joël Seria). Ces brèves pauses dans le déferlement comique du film sont des moments de béance, d'essoufflement, certes éphémères mais témoignant d'une souffrance bien d'aujourd'hui. D'autres percées font place aux rêveries tchekhoviennes des personnages amoureux, qui se projètent dans la neige, en total décalage avec ce film de plage, et qui, tournant le dos à des situations romanesque tragiques et allégoriques (un village dévasté par la peste et le choléra, un autre intégralement rasé par le feu), se permettent de précieux élans romantiques, lorsque Hector et Truquette se disent "je t'aime" dans des plans d'une poésie tout aussi précieuse dans le cinéma français contemporain que l'humour ambiant.
Ce sont ces changements de vitesse qui font la richesse et la force du film de Peretjatko, et qui magnifient son aspect sur-découpé, presque décousu, de premier film et de film à sketchs. Il y a un foisonnement là-dedans qui rafraîchit son monde, une joie de raconter aussi, de s'amuser, qui peut passer par le simple fait de montrer les filles (et de très jolies filles, à commencer par la belle Vimala Pons) toutes nues, pour la blague, comme c'était si banal autrefois dans les comédies françaises. Qui passe aussi par des tentatives formelles bienvenues, que ce soit sur l'ensemble du film, avec un travail de montage qui instaure un rythme rapide et des effets d'ellipses participant de beaucoup aux effets comiques, ou dans les détails, comme avec ces quelques fermetures à l'iris, clins d'oeil au cinéma d'autrefois (Peretjatko fait aussi appel aux feuilletons de Feuillade quand Truquette revêt une combinaison noire pour un numéro de cirque qui rend un sincère hommage au cinéma de trucages et de gadgets des premiers temps), ou véritables vecteurs de poéticité dans les scènes romantiques déjà évoquées. On pourrait aussi parler du jeu sur le hors-champ, dans la scène du départ en voiture sous le pont parisien, de l'utilisation de l'espace, dans celle du repas chez les Placenta, ou du travail sur les mouvements de caméra, avec entre autres le fameux panneau aux mille interdictions sur la petite plage envahie par nos hurluberlus. Et puis il y a des scènes plus complètes encore, qui combinent les procédés et les effets sur le spectateur, comme celle, proche du Blake Edwards de The Party (et en cela du cinéma d'Emmanuel Mouret), qui montre nos jeunes gens faisant la fête dans la fumée d'un feu où ils pourraient bien tous brûler, n'était l'amour et l'humour qui les tiennent et qui les sauvent.
La Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjatko avec Vimala Pons, Vincent Macaigne, Grégoire Tachnakian, Marie-Lorna Vaconsin et Serge Trinquecoste (2013)