Le Festival International du Film de La Rochelle 2013 s'est achevé dimanche dernier. Ce très agréable festival, fort bien organisé, mérite qu'on parle de lui, et parler de lui c'est parler des films qu'il propose. Je pourrais m'étendre sur le cadre assez idéal, les salles de cinéma sur les berges du vieux port, l'immense et superbe salle de la Coursive, tout près de l'océan, les gaufres au chocolat à la sortie des séances, les glaces gigantesques aux mille et un parfums de chez Ernest, les plateaux de fruits de mer des petits restaurants alentour et, plus globalement, la très belle ville de La Rochelle. Mais c'est le festival qui compte ici, et la pléthore de films qu'il diffuse. Entre classiques et nouveautés projetées en avant-première, la sélection est foisonnante et forcément frustrante. Voici malgré tout un petit bilan des 13 films vus là-bas cette année, bilan divisé en deux parties, une première consacrée aux avant-premières, une seconde aux rétrospectives. Sans plus tarder, place aux films :
Grand Central de Rebecca Zlotowski (28 août 2013)
J'avais raté Belle épine, le premier film de Rebecca Zlotowski. Je sais désormais que je ne le verrai jamais. Avec le très mauvais Grand Central, l'ancienne étudiante de la Fémis nous livre un film comme on en a déjà vu par wagons entiers. Ce genre de film qui n'a rien à dire mais qui le dit quand même, et qui, pour se donner des airs ou une légitimité, noie la petite romance adultérine minable supposée faire le sel de son récit dans un univers ultra-réaliste. On a droit à notre petite étude de cas habituelle sur des petits délinquants et autres marginaux embauchés à la hâte pour bosser dans le réacteur d'une usine nucléaire. Le deuxième long métrage de Zlotowski s'inscrit parmi ces tonnes de films français que l'on croirait uniquement faits pour illustrer gentiment quelques débats sociétaux de rigueur. Et pour achever de se donner de l'importance, le film applique sur ce très sérieux tableau naturaliste (mais même l'aspect documentaire sonne souvent faux) une mise en scène essoufflante, toute en musique saccadée et en caméra portée, pour créer des effets d'annonce ridicules et faire grimper la tension, quitte à ce qu'elle ne débouche sur rien.
Plus ou moins filmé comme du Audiard (compagnon de Zlotowski…), le film roule des mécaniques sur un vide absolu. Les personnages sont autant de clichés sur pieds, l'histoire est idiote, déjà vue et revue, les effets de manche s'enchainent, le scénario est si bâclé que certains éléments du récit débarquent tout d'un coup comme autant de cheveux sur la soupe avant de totalement disparaître de la circulation, et le film s'enfonce de plus en plus dans la médiocrité, au point qu'on a quelques fois envie de franchement rigoler (ce plan sur la pomme emportée dans la rigole, dans la très laide scène de mariage au ralenti…). Quant aux acteurs ? Tahar Rahim fait ce qu'il a pour l'instant toujours fait, Olivier Gourmet c'est idem, il joue relativement bien même s'il joue toujours le même rôle (Niels Arestrup aurait pu le remplacer, ils sont interchangeables), et Léa Seydoux, cheveux en brosse et short en jean à ras-le-bonbon, se dénude, évidemment, mais surtout lasse plus que jamais dans le rôle de la pauvre fille "vraie", vulgaire et ravagée. Film maniéré et creux, qui s'achève en prime de façon particulièrement ridicule, Grand Central est une chose bien vaine et bien pénible.
Tip Topde Serge Bozon (11 septembre 2013)
On m'avait prévenu : le film est malaisant, il est "autre". Je dirais qu'il est embarrassant, et qu'il se vautre. Tip Top est quasiment irregardable, presque insupportable. Rester jusqu'au bout est déjà un exploit. D'ailleurs la salle, archi-pleine au départ, s'est vidée petit à petit. On s'ennuie mortellement devant le dernier film de Serge Bozon, dont le précédent long métrage, La France, lui-même très déstabilisant, totalement à part, parvenait pourtant à être aussi gênant que poétique. Aucune poésie à l'horizon de Tip Top, aucune drôlerie non plus, et ce ne serait pas si grave si le film, en dehors de quelques brusques changements de ton volontaires, n’essayait de faire rire de bout en bout. Impossible de faire la liste des gags visuels ou verbaux qui tombent violemment à l'eau, la faute à une mise en scène impuissante, tout simplement. Les acteurs n'y sont pour rien. Huppert n'est guère fascinante en flic stricte et excentrique, mais elle fait le travail. François Damiens se démène et sauve ses scènes du naufrage une ou deux fois, même si très vite le spectateur n'a plus du tout envie de rire, ni ne serait-ce que de sourire, à ses vagues facéties.
A ce propos, Tip Top est l'anti-La Fille du 14 juillet, où certains gags ratés se laissent apprécier au milieu d'une foule de franches réussites humoristiques. Ici, même quand François Damiens, voire Sandrine Kiberlain, ont une bonne réplique, bien dite en prime, le rire ne sort pas : on est trop crispé par la masse des gags ratés, par un scénario de polar vaguement alambiqué mais surtout extrêmement daté (dans le fond et dans la forme), par de fausses bonnes idées (les flics tapent et matent, les deux femmes-flics de la police des polices tapent et matent…), par de vraies mauvaises idées (ces scènes où Isabelle Huppert et Samy Naceri prennent leur pied en se frappant jusqu'au sang, c'est si peu drôle que c'est gênant), et par l'aspect général absolument insoutenable de l'ensemble, qui à force de bizarrerie forcée devient parfaitement épuisant et parle de la France mais se montre a priori bien incapable de lui parler.
A ce propos, Tip Top est l'anti-La Fille du 14 juillet, où certains gags ratés se laissent apprécier au milieu d'une foule de franches réussites humoristiques. Ici, même quand François Damiens, voire Sandrine Kiberlain, ont une bonne réplique, bien dite en prime, le rire ne sort pas : on est trop crispé par la masse des gags ratés, par un scénario de polar vaguement alambiqué mais surtout extrêmement daté (dans le fond et dans la forme), par de fausses bonnes idées (les flics tapent et matent, les deux femmes-flics de la police des polices tapent et matent…), par de vraies mauvaises idées (ces scènes où Isabelle Huppert et Samy Naceri prennent leur pied en se frappant jusqu'au sang, c'est si peu drôle que c'est gênant), et par l'aspect général absolument insoutenable de l'ensemble, qui à force de bizarrerie forcée devient parfaitement épuisant et parle de la France mais se montre a priori bien incapable de lui parler.
La Bataille de Solférino de Justine Triet (18 septembre 2013)
On s'attendait à mieux après la belle surprise de La Fille du 14 juillet. Drôle de phrase, j'avoue, puisqu'on parle de deux réalisateurs différents. Mais La Bataille de Solférino est un autre premier film français de l'été 2013, il est aussi produit par Emmanuel Chaumet pour un budget dérisoire, Justine Triet fait partie de la bande encensée par les Cahiers ces derniers mois (aux côtés de Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou Yann Gonzalez), et fait elle aussi tourner Vincent Macaigne. La comparaison est donc permise, voire logique. Le film de Triet est malheureusement moins réjouissant que ceux de ses camarades déjà sortis. Quoique très prometteur, La Bataille de Solférino s'étire en longueur, noie ses effets et dilue son intérêt, qui réside dans l'opposition entre un grand événement historique impliquant toute une foule euphorique (l'élection de François Hollande) et un événement très intime et plutôt tragique impliquant un tout petit groupe de personnes (le conflit de deux quidams divorcés, une journaliste TV et un artiste raté, qui se disputent la garde de leurs filles). Le film est parcouru de bonnes séquences et de bonnes idées, on retrouve quelques scènes drôles (grâce aux personnages joués par Arthur Harari et Virgil Vernier, et bien sûr à Vincent Macaigne quand il est avec eux), et la longue séquence de dispute de la fin parvient à nous faire méditer sur le couple et la fin du couple : comment peut-on en arriver à se hurler dessus et à se frapper quand on s'est aimé (si toutefois ces deux cas se sont aimés...) et quand on a fait deux enfants ensemble.
La Bataille de Solferino est donc un assez bon film qui a malheureusement le grand tort de vouloir durer une heure et demi, et les plus petits torts conjugués de se reposer sur son ingénieux dispositif d'une part, et de parfois mettre le doigt trop lourdement sur sa propre ambition d'autre part, notamment à la fin, quand, pour calmer l'assemblée après la dispute fracassante de l'ancien couple, le "médiateur" interprété par Arthur Harari met de la musique classique et, pour répondre aux remarques du personnage de Vincent Macaigne, qui se plaint des moments gais "un peu chiants" dans ce genre de morceaux, affirme qu'il apprécie au contraire l'alternance de moments tristes et de moments gais, dans un art qui se veut "totalisant".
Devant ce film, on se dit qu'Antonin Peretjatko (même si La Fille du 14 juillet est plus diversifié et passe plus facilement - en un mot, est meilleur) et surtout Justine Triet donc, auraient peut-être dû suivre la voie de l'éclaireur Guillaume Brac et adopter le modèle d'Un Monde sans femmes : un court métrage d'une dizaine de minutes suivi d'un moyen métrage d'environ trois quarts d'heures. Il semblerait que Peretjatko et Triet aient tous deux commencé par réaliser des courts métrages tout à fait dans le ton de leur premier long, ce qui aurait permis de les enchaîner de la même façon que Brac, d'articuler et de mettre en lumière leurs premiers essais tout en allégeant leurs premiers films de cinéma et en les débarrassant de leurs relatives faiblesses ou longueurs. Nous aurions ainsi assisté à la naissance d'une véritable nouvelle nouvelle vague, revendiquée dans le ton et dans la forme, unifiée par les dispositifs, les sujets et les acteurs, dont les films auraient tous été d'une belle tenue dans leurs styles respectifs, et qui aurait fait bien plus grand bruit encore.
A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (11 décembre 2013)
Notre collaborateur Simon avait déjà parlé du nouveau film de Jia Zhang-ke quand il l'a vu à Cannes, je rejoins assez son avis. Très différent des films précédents du cinéaste (en tout cas de The World et de Still Life), A Touch of Sin vaut autant le détour qu'eux. Le dispositif du film est à la fois presque facile, en tout cas d'une simplicité absolue, et d'une ambition remarquable. Zhang-ke dresse un état des lieux alarmant de son pays, la Chine, à travers quatre histoires consécutives, comme dans un film à sketches, ou disons choral. Et si les deux premières histoires sont liées de très loin, les suivantes n'entretiennent aucun rapport apparent entre elles, même si des échos s'opèrent au détour de tel dialogue ou d'une photo sur un mur. Dans le premier récit, un homme ulcéré par les abus des dirigeants corrompus de son village se met à les massacrer ; dans le deuxième, un voyageur-tueur rentre chez lui après une longue absence, déclare à sa femme que rien ne lui procure de plaisir en dehors des armes à feu, tire au revolver pour remplacer les feux d'artifices qu'il n'a pas pu acheter à son fils, puis s'en va assassiner des passants dans une rue sous prétexte de voler un sac-à-main de luxe ; dans le troisième, l'hôtesse d'accueil d'un sauna, après avoir été agressée par l'épouse légitime de son amant, se venge soudain d'un client fortuné qui la harcèle et la frappe au visage avec des liasses de billets pour qu'elle se soumette à lui ; dans le quatrième et dernier récit, un jeune homme enchaîne les contrats minables dans une usine puis dans un hôtel de luxe et se fait rabrouer par une collègue call-girl qui préfère enchaîner les passes avec de grands magnats de la finance.
La force de Zhang-ke, c'est qu'il change de genre ou de régime narratif pour chaque histoire, voire au sein même de chaque récit, allant du brûlot social violent au drame réaliste en passant par le portrait d'un psychopathe, le drame romantique intimiste, ou le film de sabre et de vengeance, le tout pour dénoncer un pays résolument pourri où le pouvoir de l'argent le plus répugnant écrase les hommes et les femmes et les pousse au meurtre ou à la mort sans que ces échappatoires n'aient rien de libérateur ou d'exaltant. Le film, rigoureusement sombre, procédant d'un mélange de distance froide et de rage bouillonnante, est d'une force implacable, même s'il faut pas mal de temps pour totalement le digérer et l'aimer.
L'Image manquante de Rithy Panh (2013)
Transposition à l'écran de L'élimination, indispensable ouvrage co-écrit avec Christophe Bataille l'an passé, L'image manquante est un nouveau documentaire remarquable à mettre au crédit de Rithy Panh (après S21 la machine de mort khmer rouge ou le moins marquant Les artistes du théâtre brûlé). Le film est une version très condensée d'un livre plus complet et plus disert (en cela il ne dispense pas de le lire, loin s'en faut, la part politique et documentaire du bouquin étant atténuée au profit de sa dimension plus intimiste et autobiographique), dans lequel Rithy Panh raconte le génocide cambodgien dont lui et toute sa famille furent victimes, mais il a l'immense mérite d'en offrir une vulgarisation nécessaire et d'en transformer réellement la trace dans un objet cinématographique quasi-expérimental d'une grande originalité et d'une grande force. Rithy Panh nous invite à méditer sur les images manquantes de l'Histoire, et particulièrement d'un chapitre aussi capital que celui du génocide cambodgien perpétré par les Khmers Rouges, le régime communiste instigateur du Kampuchéa Démocratique mené par des idéologues (Pol Pot en tête) jadis formés chez nous, en France, et dont les membres détruisirent consciencieusement toutes des images du cinéma de fiction qui les avait précédés ainsi que toute illustration de leurs crimes pour ne léguer aux survivants que les films de propagande réalisés par leurs soins entre 75 et 79.
Les images n'existant pas, ou plus, Rithy Panh tente de reconstituer ses souvenirs, ses images mentales, à l'aide de petites figurines d'argile moulées puis peintes à la main et filmées dans des décors miniatures de marionnettes. Le projet fait pleinement sens et va bien au-delà de la pure idée qui le régit, car le cinéaste filme de façon admirable les scènes rejouées de son enfance et parvient à créer des images vivantes à partir de fétiches réalisés avec un soin inouï et recelant une grande beauté. Ces images de l'enfance, à double titre, mêlées au "vraies" images existantes pour les contredire ou les compléter, nous donnent à voir ce qui sans l'intelligence et le tact du cinéaste resterait invisible, ou serait potentiellement représenté de telle manière qu'on aurait préféré ne pas le voir.
Voilà pour les avant-premières auxquelles j'ai pu assister. Le bilan est pour le moins équilibré : deux ratages, un film partiellement réussi et plutôt très prometteur, et deux œuvres majeures. Mais le festival de cinéma de La Rochelle ne donne pas à voir que des nouveautés, loin s'en faut, c'est aussi et surtout des rétrospectives et des hommages en grand nombre, et c'est ce qui sera au menu de la 2ème partie de ce bilan, à paraître dans trois jours.
A suivre...