Sur lequel ton archet joue
Et qui vibre tout au long
Appuyé contre ta joue"
La sortie récente en dvd de L'Amour à cheval de Pasquale Festa Campanile et la ressortie en salles de Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?, avec Laura Antonelli, sont une occasion trop belle de parler d'un film de Pasquale Festa Campanile avec Laura Antonelli. Ma femme est un violon (Il merlo maschio, 1971) est, à ma connaissance, l'autre grand film érotique parmi la poignée de ces comédies friponnes italiennes des années 70 qui furent entièrement bâtis sur le charme de l'incroyable Laura Antonelli. Le premier (en fait second d'un point de vue chronologique, car sorti en 73) étant bien entendu Malizia, évoqué dans ces pages il y a maintenant quelques temps. Ledit film, réalisé par Salvatore Samperi, se base sur un fantasme bien connu et bien répandu, celui qu'ont les garçons d'être initiés aux joies de la sexualité par une belle et plantureuse jeune femme évidemment plus âgée. Ce sujet se double dans Malizia d'un autre topos érotique, tout aussi universel, puisque le garçon en question se gargarise d'orienter les faits et gestes de ladite initiatrice en la poussant, en l'occurrence par quelque chantage, à révéler ses charmes plus vite que prévu. Ma femme est un violon s'attaque à un tout autre fantasme masculin, moins banal, plus étrange à vrai dire, mais qui a également inspiré un certain nombre d’œuvres érotiques, littéraires ou cinématographiques. Il s'agit du candaulisme, qui consiste à prendre du plaisir au fait d'exhiber sa compagne exclusive ou l'image de celle-ci ; voire de la partager physiquement avec d'autres hommes, sans participer aux ébats.
La liste des films centrés sur ce sujet doit être nombreuse. On peut penser bien sûr à La clé de Tinto Brass (1983), avec la sublime Stefania Sandrelli, dont le vieux mari est violemment titillé à l'idée de la voir touchée par son propre gendre. Un modèle du genre. Qui l'a vu ne peut oublier les premières scènes, où l'époux de Stefania transpire de voir l'ami de sa propre fille tamponner les fesses nues de son épouse pour lui faire une piqure après un malaise. Je me rappelle aussi, en partie seulement, d'un autre filmérotique aperçu il y a bien longtemps, où un homme jouissait de voir sa femme se laisser reluquer puis entreprendre par d'autres types tout au long d'un voyage en train. Je n'ai jamais pu retrouver le titre de ce film, ni le revoir, peut-être qu'un fin limier pourra tôt ou tard éclairer cette zone d'ombre en mettant un titre sur ce vague souvenir.
Ma femme est un violon raconte l'histoire du bien nommé Niccolò Vivaldi (Lando Buzzanca), violoncelliste sans renom, las de vivre dans l'anonymat, qui découvre que sa magnifique épouse suscite l'admiration béate des hommes qu'elle croise, et décide de récolter les miettes de ce succès pour éprouver enfin, et par procuration, un sentiment de reconnaissance. Pour ce faire, il ne voit d'autre option qu'exhiber sa femme en public histoire de jouir de sa gloire, et découvre chemin faisant que la vision de sa femme abandonnée aux mains, ou du moins aux regards d'un autre, l'excite et l'inspire au plus haut point. Vous avez peut-être déjà croisé l'image (vaguement reprise sur l'affiche), inspirée d'une célèbre photographie de Man Ray, où Laura Antonelli, nue et de dos, est, passez-moi l'expression, "rangée" dans un étui à violoncelle. L'actrice possédait il faut bien le dire la courbe de hanches d'un violon d'Ingres, et nul doute que l'homme, évidemment italien, qui inventa cette instrument s'inspira d'une femme telle que Laura. Quoiqu'il eût fallu que le violon possédât des courbes encore plus parfaitement affolantes en haut qu'en bas, que la boucle supérieure du 8 soit plus hypnotique qu'une boucle inférieure déjà gratifiante, et tel n'est pas le cas. Toujours est-il que le fantasme ultime de Niccolò tient tout entier dans cette idée : que sa femme soit son instrument et qu'on l'admire d'avoir l'opportunité, le privilège, l'insolence d'en joue(i)r. Et s'il commence par photographier Costanza endormie dans le plus simple appareil pour diffuser son image dans les journaux et s'enfler d'orgueil à la vue des "lecteurs" fascinés de l'ouvrage, le violoniste opportuniste demande vite à sa femme de participer activement à sa quête de reconnaissance.
Après quelques protestations de bon aloi, Costanza accepte, avec ce sourire compatissant qui fait de Laura Antonelli un songe. La voilà donc qui pose dans toutes les positions, dans toutes les tenues et dans toutes les pièces de l'appartement familial sous l'objectif lubrique de Niccolò ; qui se déshabille chez le médecin tandis que son voyeur de mari, plus échaudé encore, l'observe par le trou de la serrure ; qui feint un malaise dans sa baignoire pour être manipulée par un autre médecin aux abois ; prétend s'être fait piquer par une abeille alors qu'elle portait une combinaison intégrale qui l'oblige à se dévêtir intégralement face à un énième docteur tétanisé (la médecine serait donc le plus beau corps de métier qui soit chez nos voisins transalpins ?) ; qui se dénude encore dans une cabine de train face à des ouvriers médusés (on retrouve là un aspect du film mystère dont je parlais plus haut) ; ou retire le haut en plein récital de l'orchestre de son époux. Toutes ces séquences sont autant d'occasions de s'émerveiller, et mieux que jamais, devant le corps extraordinaire de la radieuse et espiègle Laura Antonelli, l'une des plus belles femmes qui aient vécu et que le cinéma nous ait permis d'admirer sans retenue. "Un visage d'ange sur un corps de pute" disait Claude Chabrol (qui a fait tourner Laura Antonelli aux côtés de son mari de l'époque, Jean-Paul Belmondo, dans Docteur Popaul) à propos d'Emmanuelle Béart. La formule pourrait s'appliquer à Laura, visage de madone sur un corps irrésistible en diable.
Et c'est là que le film marque des points. L'érotisme doit, en théorie (c'est du moins la mienne), s'opposer à la pornographie (il ne s'agit pas de porter l'un aux nues pour condamner l'autre, c'est une question de nature, et la beauté de la pornographie existe certainement, mais sur un autre plan) en faisant de nous les fils de Tantale, d'éternels insatisfaits, constamment attisés, jamais assouvis. De purs admirateurs du fruit défendu. C'est ainsi que l'érection (littérale, vers le fruit sacré intouchable quoiqu'à portée de main) demeure intacte et permanente, et que le désir croît sans fin. Mais encore faut-il percevoir le fruit pour le désirer. Les films érotiques dignes de ce nom sont ceux qui nous donnent à admirer sans réserve, et qui ce faisant maintiennent le désir vivant. "Admirer" n'est d'ailleurs le mot juste que si la chose est admirable, ici une épouse bien sous tout rapport, loin de toute idée licencieuse, donc inaccessible a priori. Et même si l'idée est là - après tout pourquoi pas - le personnage, admirable quoi qu'il arrive, c'est-à-dire tout simplement aimable, au sens premier de "digne d'amour", doit idéalement avoir à franchir un cap, à passer une frontière depuis l'idée vers l'acte, pour que l'événement soit grand et inattendu. L'objet du désir se déplace alors d'une sphère à l'autre, et c'est dans cette transgression-là que gît une grande part de l'érotisme, à l'instar de Belle de jour, de La Belle Noiseuse, de Lady Chatterley et de tant d'autres. D'où l'échec relatif, à mon avis (je ne saurais réduire l'érotisme à un modèle, il en existe autant que d'individus pensants ou à peu près, je ne fais qu'évoquer une sorte d'érotisme idéal selon moi à l'instant T), de tant de films, surtout actuels, de genre ou non, qui prennent pour héroïnes des filles de si petite vertu, débiles et vulgaires, à moitié nues en toutes circonstances et d'une grossièreté entière. D'où, a contrario, la réussite de Malizia et de Ma Femme est un violon, petites comédies de rien du tout, mais d'une grande force érotique par les efforts qu'ils déploient pour donner à voir, et pleinement voir, l'une des plus belles femmes du monde, et pour la rendre aussi absolument aimable, donc désirable, que somme toute, d'une manière ou d'une autre, et pour notre plus grande joie, inatteignable.
Ma femme est un violon (Il merlo maschio) de Pasquale Festa Campanile avec Laura Antonelli et Lando Buzzanca (1971)