Rassurez-vous, je ne m'oblige pas à aller au cinéma ni à écrire quelques lignes sur les films que je regarde dans le seul but de me positionner à contre-courant des buzz. J'allais voir Looper la fleur au fusil, avec l'envie et même le réel besoin d'être rassuré par un film américain à budget, pourrait-on dire, "moyen", mais apparemment riche en ambitions, et proposant peut-être une alternative aux grosses machines débiles que Hollywood produit à la chaîne actuellement qui sont calibrées pour les adolescents. J'avais également l'espoir de revoir un acteur pour lequel je garderai toujours un peu d'affection, Bruce Willis, dans un film de qualité, démentant la règle actuelle désolante qui veut que toutes les stars du passé ne tournent plus que dans des daubes infâmes. Et puis j'aime la science-fiction, et je voulais tout simplement passer du bon temps devant ce divertissement intelligent et trépidant que m'avaient promis 99% des critiques. Par dessus le marché, j'avais plutôt apprécié Brick, premier long-métrage de Rian Johnson, un polar en milieu estudiantin dont je me souviens surtout d'une très chouette scène de course-poursuite à pieds dans les couloirs d'un campus. Le pitch de son nouveau film a également su éveiller ma curiosité et même quand je le relis en diagonale sur Wikipédia pour me rafraîchir la mémoire, je continue de ressentir son potentiel.
Je vais essayer de faire court, car ce serait trop pénible autrement (si vous voulez lire un résumé très complet du film qui met en avant ses moindres incohérences, je vous conseille cet article d'un odieux connard) : nous sommes aux USA, en 2044, le pays est ravagé par la crise et les inégalités se sont encore creusées tandis qu'une étrange mutation est apparue sur près de 10% de l'espèce humaine, qui jouit désormais d'un pouvoir tout à fait inutile de télékinésie. Nous suivons les mésaventures de Joe (Joseph Gordon-Levitt), un "looper" : son boulot consiste à éliminer froidement les individus que la mafia envoie dans le passé depuis l'an de grâce 2074, date à laquelle les voyages temporels ont donc été inventés mais sont immédiatement passés sous le contrôle des organisations criminelles qui dominent la société. Le quotidien de Joe est fait de sorties en boîte entre loopers, de prises de drogue d'un nouveau genre et de slaloms ridicules dans les ruelles de la ville au volant de sa lamborghini rouge. Bref, tout va bien pour lui jusqu'au jour où il doit "boucler la boucle", c'est-à-dire éliminer son double du futur (Bruce Willis). Cette action marque habituellement la fin du contrat d'un looper mais elle confirme ici les dires d'un ami de Joe (Paul Dano), confronté au même problème la veille au soir, et qui a pu comprendre par la bouche de son vieux double qu'un dangereux malade se faisant surnommer le Maître des Pluies avait pris le contrôle de toutes les mafias du futur et s'amusait à boucler toutes les boucles. Revenu dans le passé, Bruce Willis n'a qu'une seule idée en tête : massacrer le Maître des Pluies, même si ce dernier est encore vissé au téton de sa mère. Pour sauver sa peau, Joseph Gordon-Levitt n'a quant à lui qu'une seule option : éliminer Bruce Willis avant que Jeff Daniels (qui gère les loopers) ne voit rouge et ne décide de gérer la situation de manière radicale.
4 heures de maquillage chaque jour de tournage...
Voilà donc grosso modo le point de départ de l'intrigue et de votre mal de crâne. Si vous pensez à Terminator, c'est normal, c'est l'une des références affichées de Rian Johnson. Mais il n'y a pas qu'elle, et son film apparaît rapidement comme un salmigondis de plus en plus infect échouant à trouver une identité propre malgré quelques idées intéressantes, perdues ici ou là, qui rendent cet échec d'autant plus regrettable. Si j'ai assez longtemps su mettre mes griefs de côtés pour continuer à considérer le spectacle comme plutôt convenable, il y a eu un moment où je n'ai plus du tout pu, où je suis arrivé à saturation face à la tournure définitivement moisie que prenait le film. Je situerai ce moment fatidique à cette séquence terrible où l'on nous présente en une série de vignettes abominables ce qu'a été la vie de Joe jusqu'à ce qu'il soit envoyé dans le passé pour être éliminé par lui-même, un douloureux flashback durant lequel notre ridicule héros finit par prendre les traits de Bruce Willis. Ce passage-là est tellement grotesque que l'on se demande sérieusement si c'est du second degré ou non. Nous y voyons notamment Gordon-Levitt affublé d'une tignasse digne de Nicolas Cage poursuivre son métier de tueur à gages dans les rues de Shangaï où il zigouille à tout-va, le sourire jusqu'aux oreilles, en sortant fièrement la tronche de sa bagnole, une main laissée sur le volant, l'autre tendant un flingue immense. On se rappelle alors qu'il est décidément difficile de prendre du plaisir à suivre les aventures d'un type qui apparaît clairement comme un pur enfoiré. Les films dont s'inspire Rian Johnson ont souvent des héros charismatiques, malins, sympathiques, mais pas toujours clean, auxquels on aime forcément s'identifier. Rian Johnson est brillamment parvenu à me rendre son Joe totalement antipathique. Dans la même séquence, nous voyons aussi Joe, devenu Bruce Willis, tomber amoureux d'une chinoise croisée dans un bar, lui adresser un regard de merlan frit (l'acteur ne se prend clairement pas au sérieux, en ce qui le concerne ça ne fait aucun doute !), prendre un vent, pour finalement réussir à la séduire, passer ses vieilles années avec elle, se désintoxiquer grâce à ses soins, etc., dans une série d'images que l'on jurerait sorties d'un sketch des nuls (pas les Nuls, feue la bande à Chabat et Carette, juste des nuls lambda).
...pour ça !
Puis il faut dire que la première chose qui choque à la vue de Looper, c'est évidemment la tronche enfarinée de Joseph Gordon-Levitt. Comment, là encore, se passionner pour les déboires d'une telle ignominie ? Pour qu'il ressemble à Bruce Willis, qui joue donc le même personnage âgé d'une trentaine d'années de plus, l'acteur a été affublé d'un maquillage tragique : des lentilles de contact bleues, des sourcils bruns étonnamment épais à l'expression idiote et, surtout, une prothèse nasale ridicule pour le doter d'un nez busqué d'une laideur sans nom. On croit voir un personnage issu d'un jeu vidéo, un ersatz de Max Payne aux contours taillés à la serpe, trop nettement dessinés pour être tout à fait réels. On jurerait voir le premier film dont le héros est campé par sa statue de cire du Musée Grévin. Joseph Gordon-Levitt ne m'est d'ordinaire pas spécialement antipathique, et j'étais plutôt content de voir qu'un gars au physique que l'on pourrait qualifier de "normal", c'est-à-dire pas une montagne de muscles surmontée d'une tête de trisomique inexpressive à la Chris Hermsworth, incarne le héros d'un film d'action américain. Mais tout ce maquillage rend l'acteur proprement hideux et, plus triste encore, on a nettement l'impression que son jeu en ressort très limité. Quand Bruce Willis apparaît enfin à l'écran, il a immédiatement l'air plus à l'aise, moins figé que son double de 30 ans son cadet. Lors d'un face-à-face pitoyable qui ne provoque même pas l'ombre du vertige qu'une telle situation pourrait réussir à faire naître chez le spectateur, celui-ci peut simplement constater que l'effet recherché par le maquillage s'avère terriblement contre-productif. Avec toutes ces prothèses, Joseph Gordon-Levitt ne ressemble pas davantage à Bruce Willis, bien au contraire ! On ne voit que le maquillage et l'effort de ressemblance de l'acteur. Le public de ce genre de films est pourtant tout à fait prêt à croire qu'un même personnage peut être joué par deux acteurs différents, même s'ils ne se ressemblent pas. On a déjà vu ça cent fois dans des films autrement plus réussis. On y croirait sans maquillage et on n'y croit plus du tout avec. C'est encore plus dommage pour un film qui prétend justement ne pas prendre ses spectateurs pour des imbéciles...
L'actrice en bois s'en prend à cette pauvre souche pendant des scènes interminables. Véridique !
Le film est pourtant, de toute évidence, le fruit d'un cerveau imbécile, et je vais à présent vous en apporter la preuve irréfutable en vous parlant non d'une de ses incohérences, mais d'un simple fait de jeu, comme on dirait en foot, que certainement personne d'autre n'aura pris soin de relever (et je n'en suis pas fier). L'affligeante Emily Blunt joue une sorte d'agricultrice céréalière (c'est déjà très crédible) qui vit dans une grande baraque perdue au milieu d'un champ de cannes aux côtés d'un gosse paranormal (le pire élément du film, pourtant au cœur de l'intrigue - vous aurez deviné qu'il s'agit du Maître des Pluies, ceci n'est pas un spoiler étant donné que tout cerveau un peu alerte l'aura deviné dès la première apparition du chiard à l'écran). Joseph Gordon-Levitt finit par rôder autour de cette baraque et, d'abord défiante vis-à-vis de lui, Blunt l'accueille d'un coup de fusil inoffensif (du gros sel remplaçant la poudre), avant de se rendre compte qu'il est plutôt sympatoche. La scène suivante nous montre donc Blunt en train de soigner l'épaule de Levitt, avec tout ce qu'il faut comme détergents, bandages, mercurochrome et autres antiseptiques. L'actrice prononce alors la réplique fatale, elle lui sort mot pour mot : "On est à la ferme, ça pourrait vite s'infecter" (en VO : "We are at the farm, it could infect very quick"). On tient là un dialogue de pur citadin méprisable, profondément bête et ignare, placé dans la bouche d'un personnage supposé campagnard et amoureux des champs. Nos personnages évoluent dans un futur où les villes sont des sortes de déchetteries à ciel ouvert, et c'est donc dans un bled coupé du monde, au milieu d'un champ de maïs parfaitement bio, que la blessure de l'autre enflure aura forcément le plus de chance de s'infecter. Pourquoi ? La ferme, c'est sale ? A la nature, préférez la crasse des bas-fonds urbains ? Expliquez-moi la logique ! Si un chien errant amical avait la chic idée de venir lécher gracieusement la plaie du héros, serait-il injustement chassé d'un coup de bâton ? C'est pourtant la langue râpeuse et bienfaitrice d'un chien errant efflanqué qui a sauvé mon ami le Tank d'une terrible infection du pied gauche au Vietnam !
Bruce Willis ne prend pas toujours son rôle très au sérieux et cette pose ridicule le montre clairement.
Dans ses interviews, Rian Johnson cite souvent Christopher Nolan comme un exemple de cinéaste qui a su produire d'excellents films et conserver son identité dans le système actuel des studios hollywoodiens. En lisant ça, d'abord on rit jaune, puis on se dit que Looper rappelle effectivement les films de sieur Nolan, souvent faits de pitchs avenants, de quelques bribes d'idées au potentiel assez fort, mais totalement fusillées, voire retournées contre elles-mêmes, par l'incapable aux commandes du désastre. Remarquons tout de même que Looper est un peu moins lourdingue qu'un Nolan lambda et, volontairement ou non (c'est la grande question, en ce qui me concerne, et c'est celle qui m'a justement poussé à lire une ou deux interviews), Rian Johnson nous amène régulièrement à nous interroger sur le sérieux de son film, sur son humour, voulu ou fortuit. C'est ce qui, à mon sens, représente bien le seul intérêt de ce film. Un film qui m'a davantage rappelé ceux que Nicolas Cage tourne à la chaîne depuis quelques années que ces classiques de la science-fiction dont on le présente pourtant comme un digne héritier. Un film ma foi assez étrange, tour à tour grotesque, absurde, ridicule, laid et crétin, à des milliers de kilomètres, en tout cas, de ce que la majorité des critiques m'avaient laissé espérer.
Looper de Rian Johnson avec Joseph Gordon-Levitt, Bruce Willis, Emily Blunt, Paul Dano, Jeff Daniels et un gosse hideux auquel je prédis le plus sombre avenir possible (2012)