Si vous êtes fous des chats roux mignons et de la folk morose, vous pourrez éventuellement passer un moment géant devant Inside Llewyn Davis. Sinon, vous risquez de trouver le temps long et de regretter que les si géniaux frères Coen n'aient rien fait de plus avec un sujet pareil. Rien de plus que le (faux) biopic d'un raté absolu qui aurait sans doute mérité mieux. Le film ne montre et ne dit rien d'autre que la lente dégringolade d'un grateux dépressif, qui s'enfonce sans réagir dans une spirale de l'échec, par définition répétitive et sans issue. Les déboires s'enchaînent pour notre sympathique victime, dont le tandem s'est suicidé, dont l'agent est un escroc, qui est haï par sa meilleure amie et dont le père se chie dessus dans un asile. J'en passe des pires et des meilleures pour éviter de gâcher toute surprise. Llewyn Davis (Oscar Isaac), petit brun avec une chaussure mouillée, s'il a le mérite de ne pas être un débile, contrairement à pas mal de personnages des Coen, est bel et bien une authentique jaunasse. Sauf qu'au-delà de cette théorie du naufrage permanent, très chère aux Coen, il n'y a pratiquement rien à puiser dans ce film, ni dans le propos, ni dans la mise en scène, dont la seule forme d'excès consiste à représenter en champ-contrechamp la vue subjective d'un chat qui zieute le nom des stations de métro dans les bras de son porteur cadavérique.
La première scène, où Llewyn chante dans un petit bar, annonce la couleur. Filmée platement, comme un concert lambda, la scène est éventuellement sympathique, pas méchante, mais anodine et sans caractère, et le film est à son image, pas désagréable mais peu marquant. On reste loin des biopics hollywoodiens et de leurs sempiternelles scènes de démonstration de talent, mais avec cette suite de plans académiques, ou plus loin quand Oscar Isaac joue devant F. Murray Abraham en champ-contrechamp avec zoom lent sur le visage du personnage transcendé, on se dit que les Coen ne nous ont rien montré. Tout cela manque sérieusement d'audace et d'idées. Tout comme le scénario d'ailleurs, qui patine fréquemment, se repaît de chansons interprétées dans leur monotone intégralité, et cherche une vaine issue dans un vague intermède absurde et décalé (comme une grosse signature posée en plein milieu d'une dissert') impliquant notamment John Goodman dans un rôle absolument sans intérêt. Toute cette parenthèse centrale du film ne trouve de sens que dans sa conclusion, quand Llewyn - et le film avec lui - abandonne John Goodman dans sa voiture comme les Coen abandonnent (temporairement peut-être) cette veine plus perchée de leur cinéma. Mais le moment, assez frappant, de l'abandon est bref et après lui reprend le défilé de plates emmerdes qui jalonnent la vie de notre troubadour sans pénates, nouvelle incarnation moderne du héros de l'Odyssée d'Homère à l'actif des Coen (après O'Brother), comme le surligne inutilement la scène où le nom du chat insaisissable, Ulysse, est révélé (en termes de surlignage, c'est toujours mieux que ce moment où Llewyn reste planté devant une affiche de L'Incroyable voyage, ce film Walt Disney où deux clébards et un greffe paumés dans les paysages de l'Amérique cherchent à rentrer au bercail).
Si Oscar Isaac fait le boulot dans le rôle du zicos déprimé, on ne peut pas en dire autant de la très mauvaise Carey Mulligan, dans la peau d'un personnage inexistant et pourtant insupportable. L'actrice souffre en prime un maximum des coiffures et costumes vintage qui participent de l'étouffement du film, ainsi que de sa lourde photographie, tantôt grise tantôt marronnasse, dans tous les cas blafarde. Livide, Carey Mulligan traverse le film tel un cadavre à frange ambulant. Elle joue fort mal mais, à sa décharge, son personnage est particulièrement mal écrit, grossièrement brossé, comme un certain nombre de protagonistes chez les Coen, et cet opus ne fait pas exception. On retrouve leur goût pour les figures gentiment ridicules sur lesquelles se porte le rire des spectateurs, notamment des parodies de juifs new-yorkais parmi les amis du héros. On est d'ailleurs surpris de croiser Marilou Berry dans un film primé à Cannes. Mais ça doit faire partie des nombreuses vannes irrésistibles de nos impayables génies du 7ème art (inutile de préciser que je n'ai pas vraiment trouvé à rire devant ce film). Au final, ce trop long métrage, ni bon ni mauvais, se regarde mais, comme la plupart des dernières moutures des Coen, déçoit grandement par son manque patent de couilles. On retiendra deux répliques : celle où Llewyn, de retour de Chicago, dit : "C'est vrai que c'était court mais ça m'a paru méchamment long", et celle où la fameuse Marilou, à propos de son gros matou, s'écrie à plusieurs reprises : "Où sont passées ses burnes !? Où sont passés ses glaouis ?!".
A la fin du film, après que Llewyn Davis a joué sa chanson du pendu (pour la seconde fois, le film, replié sur lui-même, adoptant la structure d'une boucle éternelle), et tandis qu'il sort se faire casser la gueule dans l'arrière-cour du Gaslight Café, on aperçoit le jeune chanteur qui a pris sa place sur scène et dont la voix, reconnaissable entre mille, nous dit aussi sec qu'il s'agit de Bob Dylan. Et au lieu, comme l'espèrent peut-être les Coen, de songer avec mélancolie à tous ces folkeux à la petite semaine du New-York des années 50, tristement passés aux oubliettes et qui n'eurent pas la chance de devenir aussi fameux que Dylan, on se dit qu'après lui, et depuis des lustres déjà, tous ces gentils interprètes de folk à barbes de velours et autres adeptes de la pop indépendante sauce aigre-douce avec option suicide collectif ont occupé le devant de la scène sans faire montre de la même originalité de son, de la même force d'écriture, du même génie. Ceux-là vengent et re-vengent tous les Llewyn Davis d'antan en nous les brisant menu, et à l'aune de longues années de braves Llewyn Davis par wagons, l'injustice que nous vendent les Coen paraîtrait presque, pour être vache, assez juste. Vive Dylan.
A la fin du film, après que Llewyn Davis a joué sa chanson du pendu (pour la seconde fois, le film, replié sur lui-même, adoptant la structure d'une boucle éternelle), et tandis qu'il sort se faire casser la gueule dans l'arrière-cour du Gaslight Café, on aperçoit le jeune chanteur qui a pris sa place sur scène et dont la voix, reconnaissable entre mille, nous dit aussi sec qu'il s'agit de Bob Dylan. Et au lieu, comme l'espèrent peut-être les Coen, de songer avec mélancolie à tous ces folkeux à la petite semaine du New-York des années 50, tristement passés aux oubliettes et qui n'eurent pas la chance de devenir aussi fameux que Dylan, on se dit qu'après lui, et depuis des lustres déjà, tous ces gentils interprètes de folk à barbes de velours et autres adeptes de la pop indépendante sauce aigre-douce avec option suicide collectif ont occupé le devant de la scène sans faire montre de la même originalité de son, de la même force d'écriture, du même génie. Ceux-là vengent et re-vengent tous les Llewyn Davis d'antan en nous les brisant menu, et à l'aune de longues années de braves Llewyn Davis par wagons, l'injustice que nous vendent les Coen paraîtrait presque, pour être vache, assez juste. Vive Dylan.
Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, John Goodman, Justin Timberlake et Adam Driver (2013)