J'ai récemment vu deux adaptations que je ne connaissais pas encore du formidable classique de Bram Stoker : le Dracula 3D de Dario Argento, sorti ce mois-ci, et le Dracula tout court de John Badham, réalisé à la fin des années 70. Du premier, je ne dirai mot : par principe, je n'ai jamais dit du mal de Dario Argento car les amis de mes amis sont mes amis, et il s'agit d'un pote de John Carpenter (même si là, force est de reconnaître que le cinéaste italien offre le bâton pour se faire ruiner la tronche). Au second, je consacrerai ce modeste billet, car il le mérite amplement !
Quand on évoque les adaptations du fameux livre de Bram Stoker, on pense inévitablement au fabuleux Nosferatu de Murnau, à la version de 1930 signée Tod Browning avec l'inimitable Bela Lugosi, au phonétiquement impeccable "Dracula de Coppola" ou aux nombreux films de la Hammer qui opposent l'increvable Christopher Lee au flegmatique Peter Cushing. Sorti dans l'indifférence générale en 1979, à l'heure où le goût était plutôt aux parodies et à la dérision, ce très sérieux et classique Dracula réalisé par John Badham est injustement tombé aux oubliettes et appelle désormais à être reconsidéré et revu à la hausse.
Dracula, encore sur le point de pécho, sous les yeux d'un public éberlué face à son savoir-faire ancestral.
Notons d'abord qu'il s'agit peut-être, avec le Nosferatu de Werner Herzog, de la plus fidèle adaptation de l’œuvre de Bram Stoker, elle met joliment en image des passages hautement cinégéniques du livre qui sont le plus souvent ignorés. Elle nous propose également une incarnation remarquable du personnage éponyme, qui prend ici les traits nobles et gracieux de l'acteur Frank Langella. Son Dracula, séducteur et envoûtant, parvient à exister et à se différencier très subtilement de tous ceux déjà existants. A l'image du reste du casting, Frank Langella offre une prestation très appliquée et concernée. Un esprit qui, on l'imagine aisément, devait animer l'ensemble du plateau, étant donné le soin également apporté par John Badham dans la mise en scène, la magnifique photographie signée Gilbert Taylor jouant idéalement des clair-obscurs, les somptueux décors particulièrement riches en toile d'araignée du château de Dracula, et la musique diablement inspirée de John Williams. Pour revenir aux acteurs : Donald Pleasance est comme toujours excellent dans le rôle du sympathique Docteur Seward, apportant quelques touches d'humour inattendues mais bienvenues, et l'actrice qui joue Mina, Jan Francis, est véritablement à croquer ; seule la prestation de Laurence Olivier pose un peu problème, l'acteur se dotant d'un accent ridicule pour donner vie à un Van Helsing difficilement supportable.
Petit hommage personnel au joli minois de la méconnue Jan Francis, qui incarne Mina. La voici dans différentes situations, dont une qui n'est pas du tout issue du Dracula de Badham. Hélas, et c'est là l'une des différences avec le livre de Bram Stoker, les personnages de Mina et de Lucy sont étrangement intervertis. La belle Mina devient donc rapidement un vampire relégué au second plan, cet imbécile de Dracula étant plutôt obnubilé par une Lucy au charme beaucoup moins évident... Je répare ici cette terrible injustice faite à cette actrice en lui accordant cette place centrale démesurée.
Ce Dracula, dont je m'étais longtemps tenu éloigné du fait de sa mauvaise et sotte réputation, baigne dans une ambiance gothique, brumeuse et funéraire du plus bel effet, qui aurait sans doute beaucoup plu à l'écrivain irlandais. On se souviendra de cette scène où Dracula, apparaissant d'abord la tête à l'envers vue à travers le carreau de la fenêtre, s'immisce lentement dans la chambre de Lucy puis s'empare brutalement de sa victime. Le film nous propose alors un étonnant trip psychédélique aux couleurs très vives qui tranchent avec l'image quasiment noir & blanc de l'ensemble. Il s'agit de l'une des scènes les plus marquantes d'un film ponctué par quelques fulgurances géniales, comme par exemple cet autre moment où Dracula arrive au cimetière à cheval, au ralenti, au rythme de la musique tonitruante de John Williams.
Sur la photo du haut, Frank Langella fait la connaissance de Jan Francis. En-bas, il la mate en cachette alors qu'elle prend son bain.
Alors certes, le film n'est pas entièrement réussi. Son rythme est assez inégal et il s'essouffle un peu dans sa dernière partie, donnant ainsi l'impression qu'il peine à se conclure. Mais tant d'images restent en tête, tant de scènes proposent une illustration amoureuse et inspirée du roman, entre autres qualités précédemment évoquées, que l'on ne peut que recommander chaudement sa vision. Et puis si la fin est laborieuse à venir, le film a tout de même la fort belle idée de nous quitter sur une dernière image sublime où le simple envol d'une cape vers le ciel vient submerger notre imagination et nous donne l'assurance d'avoir bel et bien vu une petite pépite injustement sous-estimée. Redonnons une chance au Dracula de John Badham !
Dracula de John Badham avec Frank Langella, Jan Francis, Donald Pleasance, Laurence Olivier et Kate Nelligan (1979)