Tous les dix ans, Dick Linklater retrouve son couple d'acteurs, Julie Delpy et Ethan Hawke, pour illustrer une étape décisive de leur vie amoureuse. Tout a commencé avec Before Sunrise, où Ethan Hawke osait aborder la charmante Julie Delpy dans un train traversant l'Europe de l'Est, avant de descendre avec elle à Vienne pour passer une nuit à papoter. Ils se retrouvaient dix ans plus tard à Paris, dans Before Sunset, pour cette fois-ci ne plus se quitter. Cette année, enfin, les voici donc parents de deux jumelles, en proie à des problèmes de vieux couple et face à des décisions capitales pour la suite de leur vie commune. La séparation guette et Asghar Farhadi rôde caméra au poing tandis que l'on se demande si Céline et Jesse seront encore ensemble à la fin du film.
Bien qu'il ne nous propose, en fin de compte, qu'une longue scène de ménage extrêmement bavarde, en cinq mouvements et autant de décors, Linklater parvient à maintenir notre attention du début à la fin. On reste planté devant le film, hagard (Farhadi étant toujours dans le coin), quitte à de temps en temps foutre en l'air la table basse du salon d'un revers de main provoqué par l'une des nombreuses saillies de Julie Delpy. L'actrice campe en effet une femme qu'il faut réussir à encaisser bien qu'elle ne soit pas caricaturale et semble bien réelle. On rêve quand même de lui casser la gueule. Ou au moins de lui souffler à l'oreille : "Respire, reste zen, laisse pisser, apprécie la vie, no woman no cry, yé, yé, yé, I REMEMBER !"
Le film de Linklater Dick alterne les moments de haute volée et d'une remarquable fluidité avec des couacs terribles. La mécanique est si bien huilée que dès qu'un grain de sable se fiche dedans et vient gripper la machine, on le sent bien passer. On s'étonne que Linklater ne l'ait pas senti aussi, probablement manquait-il de recul, comme tout artiste absorbé par sa tâche. On lui indiquera donc la performance désastreuse d'Ariane Labed, un putain de grain de sable. Son personnage est une petite bombe de bêtise, un petit écrin de merde qui vient éclabousser une scène de repas parmi les plus faibles du film (qui compte cinq scènes dont trois en-deçà). Quand Labed dit à Hawke, sous le charme de cette grecque au charme factice : "Toi qu'es écrivain, ça te fait quoi de savoir qu'un jour un ordinateur sera capable d'écrire Guerre et Paix ?", on a envie de couper net, de tout éteindre, de dire "allez hop, le film est raté, emballez c'est pesé".
Un mot sur Ethan Hawke, qui a l'art de passer entre les balles depuis qu'il a joué dans Lord of War. Cet homme-là doit aimer les séries Z car il a tourné dans les pires films de ces derniers temps : Sinister, American Nightmare, etc. On l'oublie trop souvent alors qu'il y aurait une thèse à écrire sur sa filmographie et son aptitude à se faire oublier, à disparaître des mémoires. Chemise en jean, cheveux de paille, pieds nus sur table vitrée, un pan de veste sous la ceinture, l'autre aux quatre vents, rappelons qu'il était considéré comme un pur beau gosse il y a dix ans, aux côtés de Jude Law dans Gattaca, et regardez-le maintenant. Malgré tout il inspire plutôt la sympathie dans ce film, et il mérite clairement un Oscar pour l'ensemble de son œuvre, pour son courage. On attend la suite dans dix piges, ce sera Before Nap, car nos protagonistes auront l'âge de faire la sieste, et puis viendra Before Retirement Home, Before Tisane & Scrabble et Before Death.
Before Midnight de Richard Linklater avec Julie Delpy, Ethan Hawke et Ariane Labed (2013)