Les affiches remarquablement laides du film, la présence sur ces affiches de Marion Cotillard et les récentes affinités de James Gray et Guillaume Canet (sans parler de leur collaboration pour le scénario du premier film américain de notre nullard national), tout cela laissait présager le pire. Réjouissons-nous donc, The Immigrant n'est pas la débandade tant redoutée, et s'il n'est pas à la hauteur de Two Lovers, qui reste à ce jour le chef-d’œuvre de son auteur, le film est digne de James Gray et lui ressemble énormément. Il lui ressemble pour le pire (même si le mot est trop fort), dans une scène relativement grossière, ou disons surlignée, qui rappelle, en très atténués, les défauts des premiers films du cinéaste (notamment ces effets sur-dramatiques, avec ralentis poussifs à la clé, qui alourdissaient le néanmoins remarquable La Nuit nous appartient), mais il lui ressemble surtout pour le meilleur.
Le film brille par un certain nombre d'idées de mise en scène tout en finesse, réalisées avec un talent inestimable. On repense longtemps, par exemple, à la représentation de l'ivresse d'Ewa - incarnée par une Marion Cotillard une fois n'est pas coutume excellente - quand la caméra glisse lentement, pesamment, sur les miroirs déformants du cabaret. Surgit aussi de l'ensemble de l’œuvre le jeu excessif et maîtrisé du cinéaste sur la figure monstrueuse du génial Joaquin Phoenix à la fin du film, quand, le dos voûté, le visage défoncé et la voix détruite, il s'incrimine auprès de sa victime et protégée, devenant soudain un "monstre d'humanité", pour reprendre cette expression misérable dans un sens quasi-littéral, après avoir fait étalage d'une humanité monstrueuse, en particulier dans la scène où il accusait Ewa de vol pour aussitôt la pardonner et refermer ainsi son piège sur elle. Mais sans focaliser sur ces moments prégnants, c'est de l’œuvre entière que se dégage un sentiment bien rare et appréciable : cette douceur singulière du cinéaste, qui, comme dans Two Lovers, joue dans le feutré, réalise un film sage et secret.
On oublie vite la séquence contrariante du meurtre, où l'accès de bêtise du beau personnage de Jeremy Renner dénote au même titre que les excès de la bande sonore et que le jeu outré de Marion Cotillard, que ses mauvais réflexes rattrapent brièvement à ce moment-là, on oublie tout cela pour ne retenir que la musique tourmentée et consolante à la fois que nous joue James Gray du début à la fin du film. La force de The Immigrant est de parvenir à rendre l'hommage le plus juste et le plus pertinent qui soit au cinéma muet américain des années 20 : non pas tomber dans le pastiche façon The Artist (ces mains maladroitement posées sur son visage par Marion Cotillard viennent quand même de là), non pas reproduire des procédés anciens ou se limiter à la citation à n'en plus finir du cinéma de Griffith, Borzage et Chaplin, ne pas rendre un simple "hommage" en somme, mais tenter de recouvrer et de se réapproprier une forme de mélodie rythmique propre à l'époque, la grâce de ces mélodrames tout en visages et en gros plans expressifs, débordant d'émotions quoique parfaitement pudiques, une certaine poésie consubstantielle de l'éclairage, de la composition et du montage portée à incandescence dans les grands chefs-d’œuvre de ce temps-là. James Gray a l'intelligence de cet hommage, qui précisément n'en est pas un, et révèle donc (une fois encore) ce que cela suppose d'intelligence du cinéma.
The Immigrant de James Gray avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix et Jeremy Renner (2013)
Le film brille par un certain nombre d'idées de mise en scène tout en finesse, réalisées avec un talent inestimable. On repense longtemps, par exemple, à la représentation de l'ivresse d'Ewa - incarnée par une Marion Cotillard une fois n'est pas coutume excellente - quand la caméra glisse lentement, pesamment, sur les miroirs déformants du cabaret. Surgit aussi de l'ensemble de l’œuvre le jeu excessif et maîtrisé du cinéaste sur la figure monstrueuse du génial Joaquin Phoenix à la fin du film, quand, le dos voûté, le visage défoncé et la voix détruite, il s'incrimine auprès de sa victime et protégée, devenant soudain un "monstre d'humanité", pour reprendre cette expression misérable dans un sens quasi-littéral, après avoir fait étalage d'une humanité monstrueuse, en particulier dans la scène où il accusait Ewa de vol pour aussitôt la pardonner et refermer ainsi son piège sur elle. Mais sans focaliser sur ces moments prégnants, c'est de l’œuvre entière que se dégage un sentiment bien rare et appréciable : cette douceur singulière du cinéaste, qui, comme dans Two Lovers, joue dans le feutré, réalise un film sage et secret.
On oublie vite la séquence contrariante du meurtre, où l'accès de bêtise du beau personnage de Jeremy Renner dénote au même titre que les excès de la bande sonore et que le jeu outré de Marion Cotillard, que ses mauvais réflexes rattrapent brièvement à ce moment-là, on oublie tout cela pour ne retenir que la musique tourmentée et consolante à la fois que nous joue James Gray du début à la fin du film. La force de The Immigrant est de parvenir à rendre l'hommage le plus juste et le plus pertinent qui soit au cinéma muet américain des années 20 : non pas tomber dans le pastiche façon The Artist (ces mains maladroitement posées sur son visage par Marion Cotillard viennent quand même de là), non pas reproduire des procédés anciens ou se limiter à la citation à n'en plus finir du cinéma de Griffith, Borzage et Chaplin, ne pas rendre un simple "hommage" en somme, mais tenter de recouvrer et de se réapproprier une forme de mélodie rythmique propre à l'époque, la grâce de ces mélodrames tout en visages et en gros plans expressifs, débordant d'émotions quoique parfaitement pudiques, une certaine poésie consubstantielle de l'éclairage, de la composition et du montage portée à incandescence dans les grands chefs-d’œuvre de ce temps-là. James Gray a l'intelligence de cet hommage, qui précisément n'en est pas un, et révèle donc (une fois encore) ce que cela suppose d'intelligence du cinéma.
The Immigrant de James Gray avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix et Jeremy Renner (2013)