Who's that knocking at my door est le premier long métrage de Martin Scorsese, tourné sur plusieurs années, sans argent, en noir et blanc et avec de jeunes acteurs inconnus (dont Harvey Keitel dans son premier rôle, qui n'allait pas rester inconnu longtemps, et comment s'en étonner en le voyant déjà si charismatique et si doué). Le premier film du cinéaste, indépendant par la force des choses, réunit pour le coup pas mal des caractéristiques majeures des premiers essais d'un certain nombre de grands réalisateurs indépendants américains. On pense au premier Cassavetes, Shadows, au premier Spike Lee, Nola Darling n'en fait qu'à sa tête, ou au premier Van Sant, Mala Noche, quand on découvre cette œuvre magistrale, foisonnant d'idées de mise en scène, d'expérimentations formelles, de trouvailles visuelles qui font presque toujours mouche, bref débordant d'une très joyeuse et intarissable inventivité.
On sent à chaque instant que l'influence de la Nouvelle Vague, et particulièrement celle d'À bout de souffle, le dispute à une imprégnation déjà primordiale dans le cinéma américain et particulièrement dans le cinéma de genre. Scorsese met immédiatement dans la bouche de son acteur principal tout un discours, très savoureux, sur La Prisonnière du désert de John Ford, avant même de véritablement nous immerger dans ce qui sera sa première incursion au cœur du film de gangster, genre qui, ici, contrairement à ses films suivants (dont le génial Mean Streets, tourné quatre ans plus tard), n'est encore qu'un prétexte pour filmer ce que tous les cinéastes débutants (ou presque) filment en premier : un jeune personnage dans la fleur de l'âge, en proie à la découverte de l'autre sexe et confronté à sa première relation amoureuse.
Tout Scorsese est déjà là, les gangsters donc, leur gouaille, leur camaraderie incertaine, leur tiraillement entre le poids de la religion d'un côté et des activités délinquantes de l'autre, et, partant, la relation difficile et ambiguë avec les femmes, unilatéralement saintes (c'est-à-dire épouses et mères) ou putes. Sauf qu'en prime Scorsese réalise son film sinon le plus maîtrisé, puisqu'il fait là ses premiers pas, peut-être le plus audacieux en termes esthétiques (si l'on excepte The Big Shave, son premier court métrage déjà fascinant, mais reposant sur une seule et vertigineuse idée, là où le premier long de Scorsese dont nous parlons en regorge à n'en plus finir). Le jeune cinéaste s'amuse, tente, ose tout ce qui lui passe par la tête : séries de gros plans brutalement raccordés dans l'axe (les suites d'inserts sur le cadenas du bar, agréablement superflus), faux-raccords violents (dès le début du film, quand Keitel écoute le speech ridicule de son ami fanfaron dans un bar tout en fantasmant la présence au comptoir de la fille qu'il convoite et que nous voyons apparaître par la grâce de son désir, pour régulièrement se (et nous) projeter - souvenir ? fantasme ? scène magnifique en tout cas - sur un banc, auprès d'elle, les deux tourtereaux faisant connaissance dans ce qui ressemble à un hall de gare en échangeant à propos du chef-d’œuvre de Ford), travellings et surcadrages (toujours dans le bar, quand l'ami de Keitel est filmé à travers les pieds des chaises de bar retournées sur le comptoir, effet aussi gratuit que réussi), montage poétique et ralentis (dans l'inoubliable séquence du défilé des putains chez Keitel, scène charnelle et voluptueuse qui retentit du plaisir de son auteur), et ainsi de suite.
Ajoutez à cela un beau portrait de gangsters à la petite semaine et en devenir, une bouleversante histoire d'amour entre un jeune homme aux vues étriquées par son éducation religieuse et une jeune femme violée considérée par celui qu'elle aime comme une fille facile prête à tout pour justifier sa perte de virginité, le tout admirablement traité et filmé dans un noir et blanc très contrasté que Scorsese exploite avec brio, qu'il s'agisse de filmer une séquence de dialogue où les amants marchent côte à côte, visages surexposés dans un décor urbain charbonneux (séquences que reprend l'affiche), ou un flash-back terrible sur l'agression de l'héroïne, dont les longs cheveux blonds déchirent littéralement la nuit, et vous obtenez un premier film époustouflant, pour moi le meilleur de son auteur.
Who's That Knocking at My Door de Martin Scorsese avec Harvey Keitel, Zina Bethune, Anne Collette, Lennard Kuras, Michael Scala et Harry Northup (1967)
On sent à chaque instant que l'influence de la Nouvelle Vague, et particulièrement celle d'À bout de souffle, le dispute à une imprégnation déjà primordiale dans le cinéma américain et particulièrement dans le cinéma de genre. Scorsese met immédiatement dans la bouche de son acteur principal tout un discours, très savoureux, sur La Prisonnière du désert de John Ford, avant même de véritablement nous immerger dans ce qui sera sa première incursion au cœur du film de gangster, genre qui, ici, contrairement à ses films suivants (dont le génial Mean Streets, tourné quatre ans plus tard), n'est encore qu'un prétexte pour filmer ce que tous les cinéastes débutants (ou presque) filment en premier : un jeune personnage dans la fleur de l'âge, en proie à la découverte de l'autre sexe et confronté à sa première relation amoureuse.
Tout Scorsese est déjà là, les gangsters donc, leur gouaille, leur camaraderie incertaine, leur tiraillement entre le poids de la religion d'un côté et des activités délinquantes de l'autre, et, partant, la relation difficile et ambiguë avec les femmes, unilatéralement saintes (c'est-à-dire épouses et mères) ou putes. Sauf qu'en prime Scorsese réalise son film sinon le plus maîtrisé, puisqu'il fait là ses premiers pas, peut-être le plus audacieux en termes esthétiques (si l'on excepte The Big Shave, son premier court métrage déjà fascinant, mais reposant sur une seule et vertigineuse idée, là où le premier long de Scorsese dont nous parlons en regorge à n'en plus finir). Le jeune cinéaste s'amuse, tente, ose tout ce qui lui passe par la tête : séries de gros plans brutalement raccordés dans l'axe (les suites d'inserts sur le cadenas du bar, agréablement superflus), faux-raccords violents (dès le début du film, quand Keitel écoute le speech ridicule de son ami fanfaron dans un bar tout en fantasmant la présence au comptoir de la fille qu'il convoite et que nous voyons apparaître par la grâce de son désir, pour régulièrement se (et nous) projeter - souvenir ? fantasme ? scène magnifique en tout cas - sur un banc, auprès d'elle, les deux tourtereaux faisant connaissance dans ce qui ressemble à un hall de gare en échangeant à propos du chef-d’œuvre de Ford), travellings et surcadrages (toujours dans le bar, quand l'ami de Keitel est filmé à travers les pieds des chaises de bar retournées sur le comptoir, effet aussi gratuit que réussi), montage poétique et ralentis (dans l'inoubliable séquence du défilé des putains chez Keitel, scène charnelle et voluptueuse qui retentit du plaisir de son auteur), et ainsi de suite.
Ajoutez à cela un beau portrait de gangsters à la petite semaine et en devenir, une bouleversante histoire d'amour entre un jeune homme aux vues étriquées par son éducation religieuse et une jeune femme violée considérée par celui qu'elle aime comme une fille facile prête à tout pour justifier sa perte de virginité, le tout admirablement traité et filmé dans un noir et blanc très contrasté que Scorsese exploite avec brio, qu'il s'agisse de filmer une séquence de dialogue où les amants marchent côte à côte, visages surexposés dans un décor urbain charbonneux (séquences que reprend l'affiche), ou un flash-back terrible sur l'agression de l'héroïne, dont les longs cheveux blonds déchirent littéralement la nuit, et vous obtenez un premier film époustouflant, pour moi le meilleur de son auteur.
Who's That Knocking at My Door de Martin Scorsese avec Harvey Keitel, Zina Bethune, Anne Collette, Lennard Kuras, Michael Scala et Harry Northup (1967)