Film suédois de 1967 signé Bo Widerberg, Elvira Madigan s'inspire d'une histoire mi-vraie (remontant au XIXème siècle) mi-légendaire du folklore national. C'est la tragique aventure amoureuse de l'éponyme Elvira Madigan (Pia Degermark), funambule échappée de son cirque, et de son amant Sixten Sparre (Thommy Berggren), lieutenant de l'armée déserteur, qui décidèrent de vivre ensemble et loin de tout, hors la civilisation, dans la campagne, jusqu'à ce que la pauvreté, la faim, les remords et le reste les rattrape. Livrant la troisième adaptation cinématographique de cette histoire, Widerberg, anti-bergmanien convaincu, nage alors dans le vaste flot des Nouvelles Vagues européennes des années 60, même si Elvira Madigan n'est probablement pas, au sein de sa filmographie, le film le plus immédiatement rattachable à ce que l'on peut a priori attendre d'une esthétique Nouvelle Vague (Le Péché suédois - que je n'ai ceci dit pas vu, mais il suffit de regarder la bande-annonce - semble en effet beaucoup plus significatif sur ce plan).
Elvira Madigan se situe quant à lui dans une sorte d'entredeux. On retrouve dans beaucoup de scènes une forme relativement sage et propre, pour ne pas dire gentiment académique, tandis que la structure générale du film se révèle pour le coup assez moderne dans son aspect plutôt lâche, flottant, le cinéaste mettant bout à bout une suite de moments creux dédiés aux errances des personnages et à la vie de leurs corps, filmés en toute spontanéité, presque sans gouverne, dans une nature accueillante d'abord, puis forcément hostile. Si bien que le véritable axe dramatique de l'ensemble tient au seul temps qui passe et qui, passant, condamne les amants. Le film navigue à vue, pour résumer, quelque part entre Jeux d'été de Bergman, n'en déplaise à Bo et pour le taquiner un peu (honte à moi, le pauvre homme est décédé en 1997), et des films contemporains tels que Lady Chatterley ou Bright Star, sans pour autant atteindre la cheville ni du premier, ni des derniers.
La faute à la platitude d'un certain nombre de séquences, et peut-être au manque de ligne de fuite de l'ensemble, que contrebalancent heureusement de beaux moments, comme cette scène où Elvira entend l'ami de son amant dire à ce dernier que sa légitime épouse, abandonnée pour la funambule, aurait soi-disant tenté de se suicider, et où notre chère tête blonde se bouche soudain les oreilles dans un gros plan très frappant. Un charme certain se dégage de cette pastorale panthéiste, de l'actrice Pia Degermark, et de la nature au sein de laquelle le couple prend ou perd son temps allongé dans l'herbe. Mais aux clichés poétiques aussi éculés que touchants (cette scène où l'amant, assis au bord de la rivière, écrit un mot d'excuse à sa maîtresse sise en aval, et pose le bout de papier sur l'eau pour qu'il dérive jusqu'à elle), se substitue souvent un symbolisme plus lourdaud, venu annoncer la mort prochaine (la caméra qui s'attarde sur le rasoir de Sixten Sparre quand les amoureux font l'amour dans l'herbe barbouillés de mousse à raser, ou le vin renversé, prémonitoire du sang qui va couler, auxquels on préfère d'assez loin le chant lugubre du gros hibou près de la cabane et le nuage noir tout rond au-dessus des rochers dans le film pré-cité de Bergman). Film inégal donc, car si l'on a quelque mal, par exemple, à croire à la faim terrible qui ronge les personnages, y compris quandElvirarampe sur le sol pour dévorer des brins d'herbe, une scène comme celle où notre blonde gracieuse croque des roses rouges sur leurs tiges à pleines dents n'est pas dépourvue de beauté.
Elvira Madigan de Bo Widerberg avec Pia Degermark et Thommy Berggren (1967)