Suite à sa razzia de statuettes compactées, lors de la dernière et parfaitement horrible cérémonie des César, face à des films tels que La Vie d'Adèle, La Vénus à la fourrure, Michael Kohlhaas ou L'Inconnu du lac, on se demandait ce que le premier film de Guillaume Gallienne pouvait contenir de si merveilleux qui justifie qu'il écrase à ce point la concurrence. Nous nous doutions bien que formellement il n'irait pas plus loin que ses adversaires d'un soir, mais, refusant de porter un quelconque soupçon de copinage sur le fracassant succès de Gallienne, sociétaire de la Comédie Française anciennement salarié de Canal+ et produit, dès son premier essai, par ladite quatrième chaîne, France 3 et Gaumont, rien que ça, nous préférions imaginer que le jeune comédien converti cinéaste l'avait emporté grâce à une finesse d'écriture, une drôlerie singulière et un jeu d'acteur forcément épatant. Or, force est de constater que toutes ces qualités supposées font horriblement défaut au film, qui en prime ne propose absolument rien aux autres étages, à commencer donc par celui de la mise en scène. La seule idée formelle du film, répétée à l'envi une heure et demi durant, se résume à un montage assez laborieux qui se régale d'amalgamer différents espace-temps de la façon la plus éculée qui soit : sagement reliés par une voix off surexplicative, les différents épisodes de la vie du personnage, ou ses rêveries, s'enchaînent systématiquement par le truchement d'un raccord ou d'un travelling sans que jamais les rencontres ne constituent un quelconque événement plastique ou affectif.
Quatre pieds de table, quatre ! Guillaume va pouvoir se faire une table ! A table !
Le plus étonnant est en fait que le film soit aussi faible dans le fond que dans la forme. Gallienne nous raconte sa vie, sa relation à la fois privilégiée et traumatique à la figure de la mère, et ses doutes quant à son identité sexuelle (thème ô combien d'actualité, mais d'autres films en compétition traitaient eux aussi de l'identité et du genre, avec ô combien plus de finesse et d'ambition esthétique : La Vie d'Adèle, L'Inconnu du lac, voire même La Vénus à la fourrure). Mais au lieu de rendre compte de questions profondes via une véritable évolution de son personnage, il emboîte des sketches souvent pathétiques, constamment creux et parfois malaisants. Chaque épisode apparaît comme très superficiel, alourdi en outre par les commentaires du personnage qui viennent systématiquement surligner ou expliciter un discours psychanalytique très basique. Le comble est atteint, vers la fin du film, quand le personnage se retrouve face à un homme monté comme un "cheval" (sic), vision qui vaut pour révélation : il doit surmonter sa phobie du cheval pour accepter son phallus. On le retrouve aussitôt dans un haras, les bras crois, les yeux fermés, à califourchon sur un poney qui tourne en rond, comme révélé à lui-même dans une épiphanie ridicule à souhait. L'ultime séquence n'est pas de reste non plus : le héros déblatère sur sa mère qui l'a toujours traité comme la fille qu'elle n'avait pas eu, et de conclure, extatique face à sa découverte hallucinante, que c'était pour ne pas qu'il puisse aimer une autre femme qu'elle… Amis de Freud, au revoir.
Montre-moi un poney, je te dirai qui tu es.
La lourdeur du propos et la grossièreté de l'écriture pourraient passer si un humour fin et piquant venait emballer ce scénario minable. Mis à part une paire de répliques au vrai potentiel, malheureusement gâché, le film ne parvient jamais à être drôle, strictement jamais. D'ailleurs le seul moment qui nous ait décroché un demi-sourire est celui où Gallienne, dans la peau de sa mère, hurle sèchement au chien de chasse du père de famille de retourner dehors : le clebs, stoppé en pleine course, se fait dans le froc, patine sur le carrelage et fait demi-tour illico en lâchant un couinement terrible. On vous recommande cette scène, et c'est bien la seule. Merci au clébard en question, à qui tous les César de Gallienne reviennent de droit. Car comment rire en effet devant, par exemple, la séquence de massage en Bavière, quand Gallienne se fait malmener par un masseur musclé, gag que l'on a vu dix milliards de fois et qui ne peut fonctionner qu'à condition d'avoir un peu de génie ou, au pire, d'aller dans l'excès potache (façon Les Bronzés… Gallienne parvient à nous faire regretter Gérard Jugnot !). Et quand la scène, longue, débouche sur une autre, toute aussi longue, où le même Gallienne se fait faire un lavement par Diane Kruger, on est alors stupéfaits et béats devant si peu de veine comique.
Notre homme est hétéro et ne s'en rend pas compte face à Diane Kruger...
A défaut de parvenir à nous faire ne serait-ce que sourire, on espérait que Gallienne nous épate un peu par son jeu d'acteur, lui qui a déjà prouvé qu'il était capable de camper des personnages hauts en couleur avec panache. Quand il joue son propre personnage, on est face à un jeune homo un peu niais, très plat, qui hésite entre la caricature absolue, excessive, et donc potentiellement drôle, et l'autoportrait juste et sincère, donc potentiellement touchant. Sauf que Gallienne reste le cul entre deux chaises et rend son personnage royalement ennuyeux, à l'image, et c'est peut-être le plus triste, de celui de sa mère. Non pas que Gallienne l'interprète mal, d'ailleurs il joue mieux sa mère qu'il ne se joue lui-même, mais la caractérisation même du personnage est une fois de plus dépourvue de tout relief. La mère se résume à une vignette (une bourgeoise de mauvais poil, pète-sec et grossière), bien loin du portrait que Gallienne, plus ému que nous, décrit à la fin, sur la scène de son théâtre, la tignasse nimbée d'un halo de lumière blanc du plus triste effet. Il nous parle de la pudeur de sa génitrice, de son élégance, de son humour, de son aplomb, autant de choses qu'il ne nous a jamais montrées durant le film, qu'il n'a jamais vraiment incarnées.
N'est pas Proust qui veut...
Tout est donc plat dans ce film, terriblement plat, et nécessairement le rythme s'en ressent : aucune envolée, aucune saillie, aucun contretemps. On n'en retire rien, sinon beaucoup d'ennui et un peu de gêne pour Guillaume Gallienne dont le film, contre toute attente, nous tient à distance, ne parvient pas à nous toucher, et finit par nous mettre quasiment mal à l'aise face à tant de confessions, comme lors du monologue final où l'acteur se livre à sa mère dans un tête-à-tête en huis-clos devant lequel on se sent de trop. Ce premier film, nul, disons-le, n'est pas pour autant détestable, et Gallienne demeure vaguement sympathique, mais l'un comme l'autre sont bien peu de choses, et l'on se trouve plus effaré encore du succès public de Les Garçons et Guillaume, à table ! que de celui d'Intouchables. C'est dire...
Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne avec Guillaume Gallienne, François Fabian et André Marcon (2013)