Douze ans de malheur nous dit le titre, mais 144 minutes de pur bonheur pour le spectateur, 2h10 de grand délire. Un vrai pied. Les Oscars l'ont dit et ont signé ! On n'en attendait pas moins de Steve McQueen qui, après Lincoln et Django Unchained, s'inscrit dans la vague des films de plus de deux heures sortis sous Obama et se donnant pour mission de rouvrir les cicatrices pour mieux, in fine, panser les plaies. Solomonde Northrup est un homme noir libre capturé et réduit en esclavage pour douze ans. Notre homme (incarné par Chiwetel Ejiofor), non content d'être enferré et forcé à trimer dans les champs de coton est affublé du surnom de "Platt", passe par toutes les péripéties de la vie d'esclave, et McQueen nous place face à quelques scènes coups de poing : le héros pendu à une branche d'arbre et ne touchant le sol que du bout des pieds dans une scène interminable ; le même contraint par son maître à fouetter jusqu'à l'os une de ses amies, etc. McQueen, un peu moins pontifiant que d'habitude avec ce sujet plus gros que lui, n'en reste pas moins un discoureur sans finesse, toujours plus ou moins pile poil là où on l'attendait. On a d'ailleurs évidemment droit à ce qu'on attendait le plus dans tout ça : un regard-caméra poignant (dans une scène entièrement consacrée à cela), de ceux qui en disent long et nous mettent face à nos responsabilités.
Mais ce regard n'est pas la seule chose appuyée dans ces 2h10 de scènes édifiantes destinées à passer en boucle sur les écrans de tous les cours d'histoire du monde. La séquence du fouet, pour y revenir, se clôt quand la jeune victime, interprétée par l'oscarisée Lupita Nyong'o, s'écroule, épuisée, sur le piquet auquel elle était attachée, lâchant le ridicule petit morceau de savon qu'elle était partie chercher dans le domaine voisin et qui lui a valu cette horrible punition. Le cinéaste fait alors un panoramique descendant vers ce petit morceau de savon blanc tombé dans la terre, symbole de la pureté souillée de la jeune esclave, de sa dignité bafouée. Ce passage, au symbolisme légèrement surfait et déplacé, donne uniquement envie de revoir L'Impératrice Yang Kwei-Fei de Kenji Mizoguchi, avec son lent travelling avant en plongée dans les pas de l'impératrice sur le point d'être pendue, et qui abandonne ses bijoux puis ses souliers sur le chemin de la potence. On est loin d'une telle poésie avec la volonté de signifiance déterminée et la lourde insistance de sieur McQueen, moins cinéaste que discoureur, dont l’œuvre tend définitivement vers le film scolaire ultra lisible façon La Couleur pourpre de Spielberg.
Comme souvent dans ces cas-là, le cinéaste adapte une histoire vraie. Et comme souvent, il choisit un "destin" comme disent les annonceurs, l'histoire hors-normes d'un personnage atypique. On se retrouve donc avec, pour héros, un homme libre, propre sur lui, éduqué, bon mari et bon père, habile violoniste en prime, qui est victime d'une injustice au carré (réduit en esclavage d'une part, première injustice, mais le "méritant" encore moins qu'un autre puisque lui est né libre, n'a rien à foutre là, et a été victime d'une tromperie ignoble, deuxième injustice), et qui s'en est sorti pour ensuite mener un combat exemplaire contre l'esclavage et écrire un livre intitulé, on vous le donne en mille : 12 years a slave. Il est assez triste au fond que McQueen n'ait pas écrit une histoire, inventée de toute pièce, pour faire le portrait d'un esclave banal, non pas d'un cas si spécifique qui atténue paradoxalement l'injustice subie par tous les autres de par la nature double de celle qui l'accable. Cette échelle des souffrances que crée le film est d'autant plus gênante que bien paradoxale (au fond Northrup est au moins né libre, et le retournera, son calvaire personnel, déjà atroce, n'ayant duré "que" 12 ans, contrairement à celui de tous ces noirs nés et morts enchaînés). Le cinéaste a sans doute eu tort de penser qu'il fallait au public contemporain un pôle d'identification bien confortable (le héros est au départ "comme nous", c'est-à-dire un homme libre) pour se laisser sensibiliser à la question de la traite négrière et s'émouvoir du sort des esclaves.
En outre cette histoire vraie paraît sinon fausse du moins écrite par un scénariste besogneux : tout arrive comme prévu, et on prédit chaque événement sans effort. L'arrivée impromptue de Brad Pitt dans la dernière demi-heure étant la cerise sur le gâteau. Le bellâtre débarque avec ses longs cheveux blonds et son collier de barbe grisonnant, déblatérant dans cet accent du sud qu'il nous inflige maintenant régulièrement et qui empire à chaque fois. Il a produit le film et s'y est octroyé le putain de beau rôle, celui du deus ex machina, de l'homme sans attaches, du voyageur progressiste et visionnaire, qui plie l'affaire du film d'une petite lettre envoyée en recommandé à qui de droit. C'est cool, Brad, mais les gens t'aiment bien en général, rassure-toi, inutile de t'acheter une belle image dans un film comme celui-ci, ça ne te grandit pas des masses...
12 Years a Slave de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch et Brad Pitt (2014)
Mais ce regard n'est pas la seule chose appuyée dans ces 2h10 de scènes édifiantes destinées à passer en boucle sur les écrans de tous les cours d'histoire du monde. La séquence du fouet, pour y revenir, se clôt quand la jeune victime, interprétée par l'oscarisée Lupita Nyong'o, s'écroule, épuisée, sur le piquet auquel elle était attachée, lâchant le ridicule petit morceau de savon qu'elle était partie chercher dans le domaine voisin et qui lui a valu cette horrible punition. Le cinéaste fait alors un panoramique descendant vers ce petit morceau de savon blanc tombé dans la terre, symbole de la pureté souillée de la jeune esclave, de sa dignité bafouée. Ce passage, au symbolisme légèrement surfait et déplacé, donne uniquement envie de revoir L'Impératrice Yang Kwei-Fei de Kenji Mizoguchi, avec son lent travelling avant en plongée dans les pas de l'impératrice sur le point d'être pendue, et qui abandonne ses bijoux puis ses souliers sur le chemin de la potence. On est loin d'une telle poésie avec la volonté de signifiance déterminée et la lourde insistance de sieur McQueen, moins cinéaste que discoureur, dont l’œuvre tend définitivement vers le film scolaire ultra lisible façon La Couleur pourpre de Spielberg.
Comme souvent dans ces cas-là, le cinéaste adapte une histoire vraie. Et comme souvent, il choisit un "destin" comme disent les annonceurs, l'histoire hors-normes d'un personnage atypique. On se retrouve donc avec, pour héros, un homme libre, propre sur lui, éduqué, bon mari et bon père, habile violoniste en prime, qui est victime d'une injustice au carré (réduit en esclavage d'une part, première injustice, mais le "méritant" encore moins qu'un autre puisque lui est né libre, n'a rien à foutre là, et a été victime d'une tromperie ignoble, deuxième injustice), et qui s'en est sorti pour ensuite mener un combat exemplaire contre l'esclavage et écrire un livre intitulé, on vous le donne en mille : 12 years a slave. Il est assez triste au fond que McQueen n'ait pas écrit une histoire, inventée de toute pièce, pour faire le portrait d'un esclave banal, non pas d'un cas si spécifique qui atténue paradoxalement l'injustice subie par tous les autres de par la nature double de celle qui l'accable. Cette échelle des souffrances que crée le film est d'autant plus gênante que bien paradoxale (au fond Northrup est au moins né libre, et le retournera, son calvaire personnel, déjà atroce, n'ayant duré "que" 12 ans, contrairement à celui de tous ces noirs nés et morts enchaînés). Le cinéaste a sans doute eu tort de penser qu'il fallait au public contemporain un pôle d'identification bien confortable (le héros est au départ "comme nous", c'est-à-dire un homme libre) pour se laisser sensibiliser à la question de la traite négrière et s'émouvoir du sort des esclaves.
En outre cette histoire vraie paraît sinon fausse du moins écrite par un scénariste besogneux : tout arrive comme prévu, et on prédit chaque événement sans effort. L'arrivée impromptue de Brad Pitt dans la dernière demi-heure étant la cerise sur le gâteau. Le bellâtre débarque avec ses longs cheveux blonds et son collier de barbe grisonnant, déblatérant dans cet accent du sud qu'il nous inflige maintenant régulièrement et qui empire à chaque fois. Il a produit le film et s'y est octroyé le putain de beau rôle, celui du deus ex machina, de l'homme sans attaches, du voyageur progressiste et visionnaire, qui plie l'affaire du film d'une petite lettre envoyée en recommandé à qui de droit. C'est cool, Brad, mais les gens t'aiment bien en général, rassure-toi, inutile de t'acheter une belle image dans un film comme celui-ci, ça ne te grandit pas des masses...
12 Years a Slave de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch et Brad Pitt (2014)