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La Vie rêvée de Walter Mitty

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Après plus de quatre ans de blogging ciné on commence à avoir une petite expérience et à reconnaître de loin les critiques qu'on aura un mal fou à coucher sur papier glacé. Elles peuvent concerner des films qui nous ont touchés au plus profond, émus jusqu'aux tréfonds, ces films plus qu'aimés, ces moments charnières dans nos existences de cinéphiles, de Lady Chatterleyà La Vie d'Adèle en passant par L’Épouvantail, qui a une résonance toute particulière dans notre parcours commun. Mais cela concerne aussi l'autre extrémité de la chaîne alimentaire du cinévore, ces films qui scient les jambes, qui lacèrent le cœur tout en nouant l'estomac et en prenant à la gorge, ces longs métrages qui nous font emmagasiner un trop plein de haine avec lequel on ne parvient à vivre qu'en optant pour le déni, pour le black-out volontaire. L'exemple-limite, jusqu'ici, c'est Inception. D'autres ont posé le même problème, comme Les Petits mouchoirs, qui nous a fait annuler quelques retrouvailles amicales, afin d'éviter que la simple question de le critiquer revienne sur la table pour la millième fois. Et puis un jour, on a trouvé l'angle... La vie rêvée de Walter Mitty rejoint aujourd'hui Les Petits Choirmous dans la catégorie de ces films épouvantables qui auraient pu rester intraités, être enfouis à tout jamais dans nos entrailles, nous remuer l'estomac jusque sur nos lits de morts (où nous nous voyons déjà levant une main tremblotante en murmurant "Caneeeeeet" dans un dernier râle, ou, pourquoi pas, "Stilleeeeeeer").




Mais contrairement à l'horreur de Canet, La Vie rêvée de Walter Mitty bénéficie malgré lui d'une critique à chaud. La réaction dans l'instant, au sortir de la projo, favorise l'expulsion de ces critiques plus qu'acerbes : écrire tout de suite, aussitôt sorti de l'enfer, du trauma, pour témoigner. Si on laisse passer cette impulsion, si on rate le coche dit de "l'éruption de haine", ça peut ne jamais revenir. C'est typiquement ce que nous avons eu la chance de faire pour Polisse, Dark Knight Rises ou Amour. A chaque fois, on est rentrés du ciné comme Taz le diable de Tasmanie, en mode toupie humaine. Incapables de pioncer, secoués de spasmes terrifiants, la tension grimpée à 12 (sachant que d'habitude on est réputés "calmes", nos tensions respectives voltigeant plutôt entre 2 et 3), nous n'avions pas d'autre choix que de pulvériser le clavier dans un torrent de mots peut-être mal fagotés mais salvateurs. Soyons honnêtes, il existe aussi des films qui longtemps après cette éruption vitale et douloureuse, cet accouchement par forceps, peuvent encore provoquer quelques répliques sismiques : des jours plus tard (et vaut mieux que ce soit le week-end quand on est salarié et qu'on a un "statut social"...), on se voit soudain propulsé hors de son lit comme par un défibrillateur invisible, et on constate que nos ongles ont poussé de six bons centimètres d'un coup, que nos poils ont doublé de volume et sont hérissés, tous nos nerfs sont contractés, notre mâchoire se met à tirer, sans oublier la grosse gaule nuptiale qui couronne le tout, le genre d'érection qui pourrait satisfaire un troupeau de brebis entier et qui fout mal à l'aise notre compagne ordinaire, réveillée en sursaut, et qui demande : "Mais qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui ? Tu m'avais caché ce truc. Pourquoi ça fume à ce point ?" Il faut aussi avouer qu'à chaque fois que cela nous est arrivé, nous avons découvert, en allant prendre l'air, poussés dehors par un réflexe animal, que c'était toujours des soirs de pleine lune. Du coup on est peut-être juste deux loup-garous.




Bref, revenons sur le cas Walter Mitty. Faire la liste des scènes qui nous donnent des envies de meurtres sauvages est impensable. On parle de ce genre de meurtres qui pourraient retourner le bide du plus rôdé des profilersà la retraite du FBI, confronté chaque jour de sa chienne de vie aux pires ordures de cette terre, obligé d'avouer devant notre forfait, en larmes : "Ça je l'avais peu vu ! Ce souci du détail-là, ce perfectionnisme dans la charcuterie fine, j'avais pas fait encore. Ces mecs ont dû joué dix heures avec le cadavre, alors que la victime est forcément morte au bout de cinq minutes maxi vu la façon dont ils ont commencé leur affaire, vu comment ils ont entamé le dialogue..." C'est pile poil ce qu'on aimerait pouvoir faire dire à un type comme Fox Mulder, cet homme persuadé que la vie est ailleurs et qui s'est fait tatouer "Believe" sur la cheville (histoire que même en tongs au Bahamas il puisse se rappeler que la vie n'est putain de pas que là), quand on endure les facéties d'un Ben Stiller en mode Zlatan mais sans jambes. Imaginez Francis Llacer qui la ramènerait comme Christiano Ronaldo. Stiller se filme pendant des heures sur un skate, à la Tony Hawk, les bras en croix, couché dans les virages sur une route norvégienne sinueuse, caressant l'asphalte la paume ouverte, le sourire jusqu'aux feuilles. Ou jouant au foot chez les Mongols, en compagnie d'un Sean Penn plus laid que jamais, fier de débiter le plus sérieusement du monde des répliques qui, placées dans la bouche de Will Ferrell, deviendraient des sommets d'humour, le tout sur fond de coucher de soleil tapageur et de chansons pop élégiaques qui donnent envie de maudire tous les autistes impliqués dans cette horreur filmique. Mais c'est bien Ben Stiller le coupable, lui dont le nom occupe seul l'affiche et dont la tronche imbitable sur-occupe chaque parcelle de plan de ce long métrage gerbant. Le pire est atteint quand l'un de ses vis-à-vis, un second rôle avec qui il dîne au resto après son retour du Pérou, l'un des pays où notre héros a "commencé à vivre" (...), lui avoue en pleine extase qu'il ressemble à un "Indiana Jones qui pourrait aussi être le chanteur des Strokes"… Ce spectacle laisse sans voix.




Cette publicité éhontée de soi-même rappelle les plus belles heures du règne de Staline, à ceci près que le veule Ben Stiller est son propre Mikhaïl Tchiaoureli. En bon opportuniste et en pure enflure, Stiller surfe sur la génération facebook qui aime à s'auto-congratuler, à résumer sa propre vie rêvée en quelques lignes indigentes griffonnées sur un carnet de chez Ben et soi-disant mignonnes à croquer, qui se régale de faire tourner ses petits films de voyages super cool tournés à la 1ère personne du singulier, de poster ses polaroids misérables témoignant de trips existentiels égoïstes à la mords-moi-le-noeud et prétendant que la vraie vie commence forcément sur une planche à roulette ou sous un parachute dans un pays étranger, cette génération friande d'égotrips risibles bâtis sur de fausses rencontres et composés de très gros zooms à la chaîne sur l'auteur fait sujet, prompt aux plus pathétiques autocélébrations. La Vie rêvée de Walter Mitty est peut-être le premier selfie de deux heures (une heure trois quarts en fait, on nous assène une fois de plus un générique de dingue qui dure bien ses dix minutes) avec des millions de dollars de budget. Au final, toutes ces aventures grotesques que vit le personnage ne l'amènent qu'à rentrer chez lui pour séduire enfin sa voisine de pallier, et heureusement, parce que sans ça on aurait vu Ben Stiller finir en ciseaux, en train de s'auto-pomper dans un finale rocambolesque et rebutant quoique parfaitement cohérent.




Quand le film se termine, phénomène étrange, on se surprend à faire défiler TumblR avec pour tag "Ben Stiller", zieutant des millions de photographies de ce zonard qu'on vient de subir la mort dans l'âme pendant deux plombes dans un authentique film de propagande mis en scène comme la dernière pub Google, donc en tous points ignoble. Et puis on finit par se rendre compte qu'on est en train de prendre un mauvais pli, et qu'on se met à méchamment ressembler à ces vigilantes dont la famille a été carbonisée par un taré et qui passent des jours entiers à regarder le visage de leur ennemi juré sur quelques clichés fatigués d'être manipulés, pour être sûrs de parfaitement photographier la tronche de l'enflure en question, histoire de pas le rater le jour où ça se présentera. On ferme lentement sa tablette dans un "clap" définitif, avec un nouveau but dans la vie, le regard dans le vide. On se rend compte alors que l'on distingue parfaitement tous les objets qui nous entourent alors qu'on est assis dans le noir complet, que l'on parvient à sentir la moindre odeur à plusieurs kilomètres à la ronde, et notamment celle du Kébab de la rue Saint-Jérôme qui nous a fait tant de "jours de foot", et que les poils sur notre torse ne forment plus un simple V bien taillé à la pince à épiler mais un putain d'abécédaire de Deleuze complet. Soudain la tête nous tourne, on perçoit un manque d'afflux sanguin en direction de notre cerveau, car la moitié au moins de notre sang est dirigée vers une zone plus basse de l'anatomie humaine, plus sensible, prête à réagir comme une soupape de cocotte minute. Encore un mauvais soir de pleine lune à passer...


La Vie rêvée de Walter Mitty de Ben Stiller, avec Ben Stiller, à la gloire de Ben Stiller (2014)

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