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Channel: Il a osé !
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Misery

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Misery sort en 1990, année charnière entre les années 80 et les années 90. Normalement le type lambda qui venait ici pour apprendre des trucs, qui voulait lire une critique, qui voulait bouffer du ciné, il ferme la page illico presto après cette première phrase en forme de lapalissade morbide digne de notre prof de sciences nat' de Seconde qui répétait à qui mieux mieux : "Tu peux la foutre sous le microscope, si elle est morte c'est qu'elle est plus vivante" (à propos d'une grenouille décalottée), ou encore "Approche ta gueule d'amour je vais te refaire le portrait, si t'as zéro c'est que t'as pas assuré". Mais nous on assume et on enchaîne. En 1990 ça ne tourne pas rond pour James Caan, qui sort d'une décennie en dents de scie, bien loin des glorieuses années 70 où il avait collectionné quelques beaux rôles dans des classiques comme Rollerball, Un Pont trop loin, Le Parrain, Le Parrain II, The Gambler ou The Godfather. Désormais ridé, marqué par les années, lui qui avait conservé la même tête de bellâtre rital jusqu'à ses quarante balais bien tassés s'est complètement ramassé à l'approche de la cinquantaine, soit pile poil dans Misery. C'est dans cet état de décrépitude avancée que l'acteur dit "oui"à Rob Reiner, l'auteur entre autres de Stand By Me, qui vient alors lui proposer le rôle d'un écrivain à succès, un avorton du King himself (Stephen de son prénom, auteur évidemment du roman éponyme), qui finira victime de son succès, pris en otage par une fan dérangée incarnée par la terrifiante et bien-nommée Kathy Bates, qui pourrait bien ici incarner la mère du Norman Bates de Psychose dans une faille temporelle glaçante : outre le patronyme de l'actrice, on retrouve, dans l'entrée de la maison de la psychopathe, l'escalier du classique d'Hitchcock, et sous cet escalier la même cave, le tout teinté d'un bon nombre d'éléments, de scénario et de mise en scène, empruntés au génial Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, chef-d’œuvre de Robert Aldrich.




Gros plan sur Kathy Bates, même s'il n'y a pas besoin de s'avancer beaucoup pour l'avoir plein cadre (un vaste plan d'ensemble paysager suffira). L'actrice menait jusque là une carrière discrète, cantonnée aux rôles de serveuses dans les troquets ou de bouchères sur les marchés, la faute à un physique hors des clous hollywoodiens mais filmable. Elle aurait tout à fait sa place dans un Jeunet, dans le rôle de la tante bouchère de Pinon dans Delicatessen ou de la tata charcutière de Mathilde aime Manec dans Un Long dimanche de fiançailles. L'actrice porte littéralement le film de Reiner (à ne pas confondre avec Resnais, même si ça se prononce pareil) sur son dos rond et rivalise de charisme avec un James Caan alité, endormi et privé de ses doigts de pieds. Tour à tour délurée, impatiente, admirative, polie, déchaînée, adorable ou allumée, Kathy Bates, au zénith de son poids et de ses capacités, offre un petit abécédaire de la fan psychopathe crédible quoiqu'excessive. On lui doit l'un des très rares rôles de femmes sociopathes faisant véritablement froid dans le dos, à une époque où ce type de personnage était limité aux femmes fatales dans le genre de Sharon Stone dans Basic Instinct (1992). D'ailleurs Rob Reiner, en tant que fat-fetish à la recherche de son propre reflet et souffrant d'un complexe œdipien vis-à-vis de sa mère garçon-bouchère, précog en outre halluciné de Verhoeven, a voulu tourner un plan furtif mais frontal sur un croisé-décroisé des cuisseaux généreux de Kathy Bates préfigurant celui, inoubliable, de Sharon Stone, face à Michael Douglas, deux ans plus tard. En filmant sans détour cet antre de la folie, le cinéaste voulait nous offrir une vue obscène sur le ticket non pas de métro mais d'avion ou de TGV de son actrice, et ainsi traumatiser James Caan et toute une génération de dvdévores ayant cru bon de s'offrir la version longue du film, le "Director's uncut" d'un Rob Reiner audacieux qui, évidemment, coupa quand même la scène au montage dans la version tout public.




Même si le huis-clos du film perd de son efficacité, de son intensité et de son effet de surprise après soixante visions, et bien qu'il ait pris un fameux coup de vieux, à l'image de son acteur principal, Misery reste pour nous une source d'inspiration au quotidien. Hélas nous nous projetons dans le rôle du séquestré de service, que nous ne connaissons que trop bien. Deux astuces trouvées par le malicieux James Caan nous ont notamment permis à l'un et à l'autre de raccourcir quelques journées qui s'annonçaient longues et un peu moroses. Nous voulons bien entendu parler de ces matins où nos femmes respectives nous attachent au lit parce qu'on a "merdé" (sic.). On se rappelle alors James Caan ouvrant discrètement son matelas avec une fourchette afin d'y planquer les cachetons distribués par Kathy Bates pour l'endormir et faire de son estomac une usine à gaz de schiste. Ce tricks nous a sans doute évité des nuits de folie. De la même façon, nous sommes souvent amenés à passer nos journées cloîtrés dans un placard à balais, à compter les moutons, enfermés par nos épouses qui nous reprochent généralement d'avoir zappé, d'avoir changé de chaîne à un moment de la soirée, sans concertation. Dans ce cas de figure, le souvenir du même James Caan se rappelle à nous, qui trouvait son salut dans une épingle à cheveux propice au crochetage des serrures. Cette méthode de l'épingle à cheveux, une fois libéré, nous ouvre bien d'autres portes mais nous préférons nous en tenir là et vous laisser croire que nous ne sommes que deux victimes façon James Caan, et pas des dégénérés à la Kathy Bates. Ce maudit film et ses deux personnages ennemis résument toute notre putain de vie.


Misery de Rob Reiner avec James Caan et Kathy Bates (1990)

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