Sorti l'an passé, Prince of Texas marquait le modeste retour en forme de l'énigmatique David Gordon Green. Ce petit film signifiait en tout cas son retour vers le cinéma indépendant de ses débuts, vers le southern gothic plus précisément. C'était donc une assez bonne nouvelle compte tenu des vieux espoirs placés en ce cinéaste qui s'était trop longtemps consacré à mettre docilement en image de piètres productions Apatow sans saveur. Joe, que l'on pouvait a priori très facilement rapprocher du Mud de son ami Jeff Nichols, devait confirmer cela. C'était quitte ou double. Soit David Gordon Green redevenait un réalisateur à suivre et tenait enfin les promesses de ses premiers films. Soit c'en était fini et il perdait pour de bon toute espèce de crédit à mes yeux. Fin de ce suspense de pacotille : c'est la seconde hypothèse que la vision laborieuse de Joe est venue valider, à mon corps défendant !
Et pourtant, on a d'abord très envie d'aimer ce film... On est heureux d'y retrouver Tye Sheridan, déjà apprécié dans Mud et encore irréprochable ici, dans le rôle de Gary, un jeune homme laissé pour compte, prêt à tout pour sortir sa famille du joug de son père alcoolo qui trouve en Joe (Nicolas Cage) un modèle, une figure paternelle qui finira par le prendre sous son aile et essaiera de le tirer de la misère ambiante. On aurait aimé voir les deux acteurs former un duo attachant et mémorable. On se dit que le potentiel est bien là. Nicolas Cage fait également plaisir à voir dans un rôle qui apparaît, au départ, à la mesure de son charisme, exploitant comme il faut sa folie sous-jacente, capable d'exploser à n'importe quel moment. On apprécie aussi, dans la toute première partie du film, clairement la moins ratée, comment David Gordon Green s'applique à filmer ces travailleurs texans, occupés dans les forêts à traiter les arbres comme des sagouins. Et puis progressivement, tout s'effondre...
David Gordon Green accumule les clichés du southern gothic qui tache. Tout semble fabriqué, forcé, mécanique et mal huilé. On est bien loin du très plaisant L'Autre rive. Au bout d'un moment, on n'y croit plus du tout, et on attend que le film crève sous nos yeux, en ayant plutôt hâte que ça arrive. On se fiche de ces petites histoires de règlements de compte déjà vues mille fois ailleurs, on se fout éperdument de ces parodies de rednecks lamentables, uniquement là pour donner une fin à un film qui ne débute jamais vraiment. Le personnage du père exécrable de Gary cristallise assez bien tous les défauts du film. On tient là une raclure détestable au possible, capable de tuer sauvagement pour quelques dollars et une bouteille de rosé, capable de vendre à deux inconnus le corps de sa fille devenue muette par sa faute, bref, capable des pires horreurs mais qui, lors d'une conclusion assez ridicule, finit par se jeter dans le vide, enfin rattrapé par un brin de culpabilité. On déteste cette pitoyable caricature autant que l'on regrette les virages toujours extrêmement attendus empruntés successivement par le film. Même le personnage de Joe finit par ressembler étrangement à ceux que Nicolas Cage incarne dans ces navets de seconde zone qu'il se plaît tant à tourner.
David Gordon Green retrouve un peu d'inspiration quand il se contente de filmer la complicité et l'amitié de ses deux personnages principaux. Cela nous vaut quelques minutes très furtives, placées à un moment où on ne les espère même plus dans un film par ailleurs très mal rythmé, très bizarrement construit. Faut-il aussi être alors encore aux aguets pour être sensible à cette agréable parenthèse... Celle-ci laisse simplement à peine entrevoir ce qu'aurait pu être le film si le réalisateur avait su, avec un peu de jugeote, épurer son scénario, aller à l'essentiel, donner vie à ses personnages et exploiter convenablement le talent de ses acteurs. Un talent quant à lui bien réel, car après cela, on doute plus que jamais de celui supposé de David Gordon Green.
Joe de David Gordon Green avec Nicolas Cage, Tye Sheridan, Gary Poulter et Ronnie Gene Blevins (2014)