Assez régulièrement, depuis quelques années, de bonnes surprises et de nouveaux talents émergent du cinéma d'horreur indépendant américain. Ces cinéastes se nomment Ti West, Justin Benson, Aaron Moorhead, Jesse Holland, Andy Mitton ou Nicholas McCarthy et on leur doit des films comme The House of the Devil, Resolution, YellowBrickRoad et The Pact. A tous ces noms s'ajoute désormais celui de Jeremy Gardner, réalisateur, scénariste et acteur principal de The Battery, long métrage chaleureusement salué à différents festivals underground et voué à gagner au fil du temps une belle réputation, amplement méritée. C'est peut-être de Resolution dont The Battery est le plus proche, dans l'esprit, et nous ne sommes guère surpris d'apprendre que Jeremy Gardner figurera au casting du nouveau film, très attendu ici, de Justin Benson et Aaron Moorhead. Si Jeremy Gardner est le grand maître à bord, son nom apparaissant un nombre incalculable de fois au générique, son petit bébé est un véritable buddy-movie que l'on pourrait aussi très facilement imaginer être le fruit d'une paire de cerveaux en harmonie.
On y suit Ben (Jeremy Gardner donc) et Mickey (Adam Cronheim), deux jeunes hommes d'une trentaine d'années qui parcourent les routes du Connecticut, essayant de survivre tant bien que mal dans un monde désormais infesté de zombies. Alors qu'ils étaient de simples coéquipiers au sein d'une équipe de baseball (le titre du film, The Battery, a plusieurs sens et désigne notamment le binôme lanceur/receveur au baseball), Ben et Mickey sont désormais condamnés à rester ensemble. Ils n'ont pas spécialement d'atomes crochus et leurs prises de becs sont assez fréquentes. L'un, Ben, est très réaliste, plutôt pessimiste, assez bourru, totalement fait à l'idée de sa nouvelle vie tandis que l'autre, Mickey, est plus naïf, romantique, sensible et rêveur. Leur quotidien est fait d'échanges de balles monotones et de visites prudentes dans des maisons abandonnées, à la recherche de vivres ou de distractions diverses, jusqu'au jour où ils rentrent en contact, par talkie-walkie, avec un autre groupe de survivants...
Sur ce terrain archi balisé et à partir d'un pitch apparemment très convenu, Jeremy Gardner parvient à créer quelque chose de très original et à inventer des scènes jamais vues auparavant, parfois même très osées (ceux qui regarderont le film sauront tout à fait à quel moment je pense ici). Gardner ne s'attarde pas sur la description d'un monde post-apocalyptique, chose tout à fait inutile pour que la solitude des deux personnes soit si palpable. Il réussit à éviter quasiment tous les écueils de ce type de films, florissant depuis des années sur grand et petit écran (je pense à la série Walking Dead, dont on est bien loin). On se fiche pas mal, par exemple, de l'origine du virus, et Jeremy Gardner l'a bien compris. Mickey vannera même son acolyte en accusant l'odeur épouvantable de ses pieds d'être à l'origine de tout. Gardner préfère donc se focaliser sur l'évolution des rapports entre les deux protagonistes et, s'il ne fait certes pas dans la psychologie la plus fine, son récit parvient à captiver du début à la fin, le duo fonctionne très bien, il échappe clairement à la caricature et on a tôt fait de s'attacher à ces deux personnages isolés.
Tout comme quelques autres de ses collègues de cette nouvelle vaguelette du cinéma d'horreur indé US, Jeremy Gardner parvient avec brio à mêler les tons, pour un résultat quasi miraculeux. On sourit plus d'une fois aux échanges fleuris des deux jeunes hommes, notamment lorsqu'ils évoquent la possibilité de l'existence d'une femme survivante. Gardner traite en effet à bras le corps, et non sans humour, un sujet souvent éludé dans ces films-là, celui de la frustration sexuelle des personnages principaux, seuls au monde. Cela aboutit ici à une scène tout à fait surprenante, qui ravira les amateurs d'horreur déviante et pourrait être assez pathétique, mais que le réalisateur réussit à teinter d'une réelle gravité, ne manquant jamais de respecter son personnage, de nous faire comprendre son étonnant comportement. Et si son film est parfois drôle, Gardner n'en reste pas moins capable de nous balancer quelques scènes de trouille parfaitement réussies, les très rares fois où apparaissent les zombies. Des scènes lors desquelles sa mise en scène fait preuve d'une belle intelligence, d'une vraie habileté, notamment dans la maîtrise judicieuse du hors-champ. The Battery n'est jamais violent ni gore, et réussit à effrayer bien plus subtilement. On se souviendra très longtemps de ce plan-séquence terriblement long, à la fin du film, quand Ben, coincé à l'arrière d'un break encerclé de zombies, attend désespérément le retour de Mickey. Ces minutes viennent conclure la dernière partie du film, entièrement située à l'arrière de cette bagnole perdue au milieu de nulle part, assiégée, où nos deux personnages sont condamnés à rester cloîtrés, devant supporter les râles ininterrompus des morts-vivants. Gardner pousse alors le bouchon très loin, quitte peut-être à perdre quelques spectateurs en cours de route, mais ce serait bien dommage, car la situation aboutit à une scène de trouille comme on en croise, ma foi, assez rarement.
Bien sûr, le film n'est pas exempt de quelques défauts. On pourra ainsi regretter l'omniprésence de la musique, même si elle est ici quelque peu justifiée, étant donné que le personnage de Mickey trouve systématiquement refuge dans son énorme casque audio pour fuir le monde qui l'entoure, et nous avec lui. Notons cependant que cette bande originale très indie, voire "Pitchfork friendly", est tout de même d'assez bon goût, on la supporte sans souci. En outre, plus d'une fois Jeremy Gardner utilise la musique et l'inattention de son personnage pour développer une tension de façon très originale et plaisante. On pourrait aussi reprocher à Jeremy Gardner cette dernière image un peu trop poseuse, l'érigeant presque en héros de ce monde post-apocalyptique, là où le film aurait mérité une fin plus sobre, plus sombre. Mais ces petits bémols ne pèsent pas lourd face à l'impression si positive laissée par l'ensemble. Il y a là une assurance et une audace vraiment précieuses qui font de Jeremy Gardner un cinéaste à suivre de très près, dont on espère qu'il confirmera rapidement les beaux espoirs suscités par sa première création.
The Battery de Jeremy Gardner avec Jeremy Gardner et Adam Cronheim (2013)