Ce film pourrait être la suite d'Amour, la Palme d'Or de Michael Haneke. Pour moi, c'est la suite d'Amour. Même décor (un grand appartement parisien), même personnage (un vieillard dépressif et infréquentable, aux portes du trépas), même ambiance (feutrée, silencieuse, la mort qui rôde), même époque (actuelle et déphasée : aucune tablette ni phablette à l'écran), même saison (automne-hiver, mais il fait un temps magnifique sur Paris) même CSP (plutôt le haut du panier, de belles reproductions ornent les murs de l'appartement, un immense piano occupe le salon, autant d'indices qui ne trompent pas, sans compter la penderie démente du vieux). Je pourrai encore allonger la liste tant les points communs entre les deux films sont légion. Rien de plus normal pour une suite directe ! Le cinéaste autrichien et ses acteurs couverts de trophées ont logiquement cédé leurs places. Comment oser, en effet, remettre le couvert après un tel succès ?! Rappelons-le, jamais un film n'avait accumulé autant de récompenses in a row qu'Amour en 2012-2013 : d'abord la Palme d'Or cannoise, puis, coup sur coup, le Golden Globe, le BAFTA et l'Oscar du meilleur film étranger ainsi que l'European Award et, cerise sur le gâteau, le César du meilleur film, pour ne rien gâcher à la fête ! Du jamais vu ! Aucun cinéaste n'avait réussi cet exploit.
Il est par conséquent tout à fait logique que Michael Haneke se soit écarté de cette suite et qu'il ait même choisi de l'ignorer poliment afin, j'imagine, de ne pas "salir son bébé". Mais si son retrait est compréhensible, il est injuste et cruel d'ignorer un tel film, un tel projet, car il fallait vraiment ne pas avoir froid aux yeux pour s'attaquer au monument de l'austère autrichien ! C'est donc le prestigieux Michael Caine (rien que ça !) qui reprend le rôle lâchement délaissé par Jean-Louis Trintignant, tandis que la dénommée Sandra Nettelbeck, inconnue au bataillon mais dotée d'un courage immense, s'occupe de la mise en scène et du scénario. Le pari est sacrément osé, j'étais donc très curieux de voir ça, d'autant plus que je me devais de régler un souci d'ordre personnel avec le film de Haneke, qui avait occasionné chez moi quelques nuits blanches et des cauchemars terribles. Je devais panser la plaie béante qu'avait laissé en moi son final morbide. Il me fallait revoir tout ce beau monde pour mieux le quitter en de meilleurs termes. L'existence de ce Mr Morgan's Last Love (qui a pour véritable titre Last Love, ce qui fait évidemment sens), a priori sans intérêt, fut donc pour moi un véritable soulagement.
Pour ne pas perdre le spectateur, les premières minutes s'inscrivent dans le prolongement direct du film coup de poing de Mika Haneke avec, en guise d'introduction, un petit rappel des faits, un peu à la manière de la série Walking Dead (on entendrait presque une voix rauque prononcer avec entrain les mots "Previously on Michael Haneke's Amour !"). Après une longue agonie et une ultime échauffourée avec son mari, la vieillarde, qui était au cœur du premier film et le parasitait de bout en bout, n'est plus. Ouf ! Dès le départ, le film de Nettelbeck se déleste ainsi d'un vrai boulet, d'un sacré poids mort. Tout de suite après ça, c'est plus léger, on se sent mieux, on respire enfin un peu d'air pur. D'autant plus que Michael Caine, nouveau veuf, a tôt fait, lui aussi, de tourner la page et de profiter, en tout bien tout honneur, de la situation. On le voit bien pleurnicher quelques secondes, mais il le fait dignement, avec classe, en costard, en se tenant droit comme un I et en séchant ses larmes comme un homme, un vrai (bien que très vieux). On est à des années lumières du petit monde morbide de Haneke, où il est bon de pleurer à genoux en se flagellant, de s'apitoyer sur son sort pendant des lustres, puis d'étouffer un pigeon trop curieux pour marquer le coup.
Fraîchement débarrassé de sa femme, le vieil homme va se remettre progressivement à croquer dans la vie à pleines dents. Dès sa première sortie en ville, il va craquer pour Clémence Poésy croisée au détour d'un trajet en bus. On le comprend, la jeune actrice a un certain charme, une allure juvénile et pleine de vie qui tape forcément dans l’œil d'un homme désireux de repartir à zéro, quitte à défier sa mort certaine et prochaine. La première partie du film, la plus agréable, nous propose donc de suivre Michael Caine, zonant en plein Paris, tel le loup de Tex Avery, sur les traces de la demoiselle, dont il découvre qu'elle est danseuse de métier. Elle enseigne le cha-cha-cha à des individus ayant besoin d'un peu de pétillant dans leurs mornes existences. Là encore, ça tombe à pic ! Et quel beau pied de nez adressé à Michael Haneke... Quel toupet de la part de Sandra Nettelbeck ! Le morceau de piano macabre, mortuaire et funèbre du premier épisode laisse place à la plus joyeuse des danses, pleine de plaisir et d'enthousiasme. Quand il assiste, de loin, aux cours de la jeune fille, Michael Caine revit et nous avec lui. Une bosse se forme sur son pantalon. Quelque chose se réveille.
Sandra Nettelbeck sait toutefois apporter de la nuance à son récit. Tout n'est pas noir ou blanc. Certains passages sont là pour nous montrer que le vieil homme n'est pas tout à fait remis de la disparition de sa femme, qu'il est encore hanté par celle-ci. Je me souviens par exemple de cette très belle scène où, lors de leur premier rendez-vous, Michael Caine est temporairement abandonné, sur un banc, par Clémence Poésy, partie acheter une barbe à papa (là encore, notons que le triste œuf au plat que Trintignant glisse nonchalamment vers la gamelle d'Emmanuelle Riva dans l'une des premières scènes d'Amour est remplacé par une ravissante barbe à papa, attestant du retour en enfance d'un vieillard ravi, revenu à la vie). Se croyant réellement abandonné, ne sachant plus quoi faire, Michael Caine fait son fameux regard de chien battu, inspecte à sa droite, puis à sa gauche, tournant laborieusement la tête, perdu, puis se lève, prostré, et tourne les talons, repart, jusqu'à ce que Clémence Poésy, revenue en toute hâte, interrompe cet accablant moment d'égarement.
Il fallait un sacré acteur pour jouer cette scène sans faire tristement pitié. Michael Caine est impeccable, comme souvent, son élégance typiquement british remporte la mise. On a même aucun mal à croire qu'une chic fille comme Clémence Poésy s'entiche de lui. En outre, notons que durant toute cette savoureuse première partie, Michael Caine arbore une superbe barbe de trois jours (chez lui, comptez plutôt trois heures), qui lui donne un style "bad boy" revisité très enviable, ça lui va fort bien et ça le rajeunit d'une quinzaine d'années. Jean-Louis Trintignant pourrait un temps oublier ses noirs désirs en regardant son collègue britannique et concentrer toute son amertume et son courroux sur sa majestueuse pilosité. Je paierai cher pour avoir cette tronche-là à cet âge, croyez-moi ! Si Michael Caine est parfait dans cette suite d'Amour, rompant joliment la continuité et s'opposant même au marasme plombant du comédien français, il pourrait également assurer et reprendre sans souci son propre rôle dans une séquelle tardive de Get Carter, le film culte de Mike Hodges.
Hélas, le film de Sandra Nettelbeck ne tient pas la distance et s'effondre dans sa deuxième partie. Michael Caine se rase la barbe et tout part en sucette. Je me serais tout à fait contenté d'une petite romance entre un senior et une minette, le premier pouvant alors sereinement s'avancer vers la mort accompagné avec tendresse par la seconde ; cela aurait suffi à me réconcilier avec le film d'Haneke, à cicatriser mes plaies et, surtout, à faire mes nuits comme avant. La réalisatrice croit malheureusement bon d'ajouter à son film une sale histoire de famille très pesante et des plus inintéressantes. Surgit ainsi le fils de Michael Caine, campé par un acteur de seconde zone au profil d'aigle indélicat, Justin Kirk. Chargé de rancœur envers son vieux père, auquel il reproche principalement la mort de sa maman (ça peut se piger s'il a vu le premier film, se positionne contre l'euthanasie et croyait encore en un remède miracle), le fiston va pourrir toute cette deuxième partie. Bien évidemment, le gonze n'est pas insensible au charme typiquement franchouillard de Clémence Poésy, lui qui vit outre-Atlantique, entouré d'obèses.
Une rivalité va donc rapidement apparaître entre le jeune loup aux dents qui rayent le parquet et le vieil ours fatigué mais toujours sur le qui-vive. Leur confrontation s'effectue sous les regards embarrassés de la sœur, personnage totalement transparent incarné par une Gillan Anderson bien plus jolie qu'elle ne l'était en Dana Scully, et de Clémence Poésy, passablement agacée par ce pathétique combat de coqs qu'elle n'espérait pas provoquer. En ce qui me concerne, j'étais à fond pour Michael Caine, comme quiconque faisant preuve d'un peu de bon sens pourrait l'être, mais Nettelbeck choisit l'autre camp, celui du réalisme le plus crasse. Sans doute fan de vautours et autres charognards, Clémence Poésy finit par succomber aux avances du fils et décide de s'engager dans une relation à l'espérance de vie plus raisonnable, qui ne sera pas interrompue par une mort certaine. Dans le même temps, les rapports entre le père et le fils se normalisent, s'apaisent, ce qui donne notamment lieu à une scène intime autour d'une bonne omelette (clin d’œil à Haneke), toute en retenue, qui rappelle les bons moments du début. Tout est bien qui finit bien. Malgré ce gros ventre mou décevant, on retient donc le positif, d'autant plus que Sandra Nettelbeck a le bon goût de nous quitter sur une dernière image assez poétique sous-entendant avec pudeur que le vieil homme a enfin trouvé le repos éternel. Le traumatisant Amour est pratiquement oublié. Ouf !
Il est par conséquent tout à fait logique que Michael Haneke se soit écarté de cette suite et qu'il ait même choisi de l'ignorer poliment afin, j'imagine, de ne pas "salir son bébé". Mais si son retrait est compréhensible, il est injuste et cruel d'ignorer un tel film, un tel projet, car il fallait vraiment ne pas avoir froid aux yeux pour s'attaquer au monument de l'austère autrichien ! C'est donc le prestigieux Michael Caine (rien que ça !) qui reprend le rôle lâchement délaissé par Jean-Louis Trintignant, tandis que la dénommée Sandra Nettelbeck, inconnue au bataillon mais dotée d'un courage immense, s'occupe de la mise en scène et du scénario. Le pari est sacrément osé, j'étais donc très curieux de voir ça, d'autant plus que je me devais de régler un souci d'ordre personnel avec le film de Haneke, qui avait occasionné chez moi quelques nuits blanches et des cauchemars terribles. Je devais panser la plaie béante qu'avait laissé en moi son final morbide. Il me fallait revoir tout ce beau monde pour mieux le quitter en de meilleurs termes. L'existence de ce Mr Morgan's Last Love (qui a pour véritable titre Last Love, ce qui fait évidemment sens), a priori sans intérêt, fut donc pour moi un véritable soulagement.
Pour ne pas perdre le spectateur, les premières minutes s'inscrivent dans le prolongement direct du film coup de poing de Mika Haneke avec, en guise d'introduction, un petit rappel des faits, un peu à la manière de la série Walking Dead (on entendrait presque une voix rauque prononcer avec entrain les mots "Previously on Michael Haneke's Amour !"). Après une longue agonie et une ultime échauffourée avec son mari, la vieillarde, qui était au cœur du premier film et le parasitait de bout en bout, n'est plus. Ouf ! Dès le départ, le film de Nettelbeck se déleste ainsi d'un vrai boulet, d'un sacré poids mort. Tout de suite après ça, c'est plus léger, on se sent mieux, on respire enfin un peu d'air pur. D'autant plus que Michael Caine, nouveau veuf, a tôt fait, lui aussi, de tourner la page et de profiter, en tout bien tout honneur, de la situation. On le voit bien pleurnicher quelques secondes, mais il le fait dignement, avec classe, en costard, en se tenant droit comme un I et en séchant ses larmes comme un homme, un vrai (bien que très vieux). On est à des années lumières du petit monde morbide de Haneke, où il est bon de pleurer à genoux en se flagellant, de s'apitoyer sur son sort pendant des lustres, puis d'étouffer un pigeon trop curieux pour marquer le coup.
Fraîchement débarrassé de sa femme, le vieil homme va se remettre progressivement à croquer dans la vie à pleines dents. Dès sa première sortie en ville, il va craquer pour Clémence Poésy croisée au détour d'un trajet en bus. On le comprend, la jeune actrice a un certain charme, une allure juvénile et pleine de vie qui tape forcément dans l’œil d'un homme désireux de repartir à zéro, quitte à défier sa mort certaine et prochaine. La première partie du film, la plus agréable, nous propose donc de suivre Michael Caine, zonant en plein Paris, tel le loup de Tex Avery, sur les traces de la demoiselle, dont il découvre qu'elle est danseuse de métier. Elle enseigne le cha-cha-cha à des individus ayant besoin d'un peu de pétillant dans leurs mornes existences. Là encore, ça tombe à pic ! Et quel beau pied de nez adressé à Michael Haneke... Quel toupet de la part de Sandra Nettelbeck ! Le morceau de piano macabre, mortuaire et funèbre du premier épisode laisse place à la plus joyeuse des danses, pleine de plaisir et d'enthousiasme. Quand il assiste, de loin, aux cours de la jeune fille, Michael Caine revit et nous avec lui. Une bosse se forme sur son pantalon. Quelque chose se réveille.
Sandra Nettelbeck sait toutefois apporter de la nuance à son récit. Tout n'est pas noir ou blanc. Certains passages sont là pour nous montrer que le vieil homme n'est pas tout à fait remis de la disparition de sa femme, qu'il est encore hanté par celle-ci. Je me souviens par exemple de cette très belle scène où, lors de leur premier rendez-vous, Michael Caine est temporairement abandonné, sur un banc, par Clémence Poésy, partie acheter une barbe à papa (là encore, notons que le triste œuf au plat que Trintignant glisse nonchalamment vers la gamelle d'Emmanuelle Riva dans l'une des premières scènes d'Amour est remplacé par une ravissante barbe à papa, attestant du retour en enfance d'un vieillard ravi, revenu à la vie). Se croyant réellement abandonné, ne sachant plus quoi faire, Michael Caine fait son fameux regard de chien battu, inspecte à sa droite, puis à sa gauche, tournant laborieusement la tête, perdu, puis se lève, prostré, et tourne les talons, repart, jusqu'à ce que Clémence Poésy, revenue en toute hâte, interrompe cet accablant moment d'égarement.
Il fallait un sacré acteur pour jouer cette scène sans faire tristement pitié. Michael Caine est impeccable, comme souvent, son élégance typiquement british remporte la mise. On a même aucun mal à croire qu'une chic fille comme Clémence Poésy s'entiche de lui. En outre, notons que durant toute cette savoureuse première partie, Michael Caine arbore une superbe barbe de trois jours (chez lui, comptez plutôt trois heures), qui lui donne un style "bad boy" revisité très enviable, ça lui va fort bien et ça le rajeunit d'une quinzaine d'années. Jean-Louis Trintignant pourrait un temps oublier ses noirs désirs en regardant son collègue britannique et concentrer toute son amertume et son courroux sur sa majestueuse pilosité. Je paierai cher pour avoir cette tronche-là à cet âge, croyez-moi ! Si Michael Caine est parfait dans cette suite d'Amour, rompant joliment la continuité et s'opposant même au marasme plombant du comédien français, il pourrait également assurer et reprendre sans souci son propre rôle dans une séquelle tardive de Get Carter, le film culte de Mike Hodges.
Hélas, le film de Sandra Nettelbeck ne tient pas la distance et s'effondre dans sa deuxième partie. Michael Caine se rase la barbe et tout part en sucette. Je me serais tout à fait contenté d'une petite romance entre un senior et une minette, le premier pouvant alors sereinement s'avancer vers la mort accompagné avec tendresse par la seconde ; cela aurait suffi à me réconcilier avec le film d'Haneke, à cicatriser mes plaies et, surtout, à faire mes nuits comme avant. La réalisatrice croit malheureusement bon d'ajouter à son film une sale histoire de famille très pesante et des plus inintéressantes. Surgit ainsi le fils de Michael Caine, campé par un acteur de seconde zone au profil d'aigle indélicat, Justin Kirk. Chargé de rancœur envers son vieux père, auquel il reproche principalement la mort de sa maman (ça peut se piger s'il a vu le premier film, se positionne contre l'euthanasie et croyait encore en un remède miracle), le fiston va pourrir toute cette deuxième partie. Bien évidemment, le gonze n'est pas insensible au charme typiquement franchouillard de Clémence Poésy, lui qui vit outre-Atlantique, entouré d'obèses.
Une rivalité va donc rapidement apparaître entre le jeune loup aux dents qui rayent le parquet et le vieil ours fatigué mais toujours sur le qui-vive. Leur confrontation s'effectue sous les regards embarrassés de la sœur, personnage totalement transparent incarné par une Gillan Anderson bien plus jolie qu'elle ne l'était en Dana Scully, et de Clémence Poésy, passablement agacée par ce pathétique combat de coqs qu'elle n'espérait pas provoquer. En ce qui me concerne, j'étais à fond pour Michael Caine, comme quiconque faisant preuve d'un peu de bon sens pourrait l'être, mais Nettelbeck choisit l'autre camp, celui du réalisme le plus crasse. Sans doute fan de vautours et autres charognards, Clémence Poésy finit par succomber aux avances du fils et décide de s'engager dans une relation à l'espérance de vie plus raisonnable, qui ne sera pas interrompue par une mort certaine. Dans le même temps, les rapports entre le père et le fils se normalisent, s'apaisent, ce qui donne notamment lieu à une scène intime autour d'une bonne omelette (clin d’œil à Haneke), toute en retenue, qui rappelle les bons moments du début. Tout est bien qui finit bien. Malgré ce gros ventre mou décevant, on retient donc le positif, d'autant plus que Sandra Nettelbeck a le bon goût de nous quitter sur une dernière image assez poétique sous-entendant avec pudeur que le vieil homme a enfin trouvé le repos éternel. Le traumatisant Amour est pratiquement oublié. Ouf !
Mr Morgan's Last Love de Sandra Nettelbeck avec Michael Caine, Clémence Poésy, Justin Kirk, Jane Alexander et Gillian Anderson (2013)