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Channel: Il a osé !
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Gun Crazy

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On reçoit aujourd'hui notre ami et collaborateur Simon pour nous parler du chef-d’œuvre de Joseph H. Lewis :

Depuis toujours on entend parler de Gun Crazy comme d'un chef-d’œuvre de la série B, et d'un objet cinéphile culte. Wild Side l’a sorti il y a quelques mois dans un luxueux coffret DVD/Blu-ray/livre (passionnant, signé Eddie Muller), et le moins qu'on puisse dire est que la réputation du film n'est pas usurpée : à la fois polar nerveux et très rythmé, histoire d'amour poignante, ambigüe et très audacieuse par son sous-texte sexuel, réflexion sur l'obsession et la passion dévorante, il est aussi une des influences esthétiques principales, 10 ans avant son émergence, de la nouvelle vague.




C'est l'histoire de Bart (John Dall), obsédé par les armes depuis sa plus tendre enfance, mais incapable de s'en servir contre qui que ce soit, malgré ses aptitudes exceptionnelles. Orphelin, il est élevé par sa grande sœur, jusqu'à être placé dans un centre de redressement juvénile après un énième vol de fusil. Après l'armée, il revient dans sa ville natale, où il retrouve ses deux amis d'enfance (l'un est devenu journaliste, l'autre shérif). Ils fêtent leurs retrouvailles dans une fête foraine. Là, Bart rencontre Annie Laurie Starr (Peggy Cummins), vedette d'un numéro de tir au pistolet. Coup de foudre. Sous l'impulsion de Laurie, le couple décide de prendre la route et de braquer des banques.




Trame classique de film de couple criminel, qui, bien que tourné une vingtaine d'années avant, n'a rien à envier à des films comme Bonnie and Clyde ou La Balade sauvage sur les plans du rythme, de la mise en scène, de l'audace, et de la richesse thématique. On se dit qu'il est assez curieux que Joseph H. Lewis ne soit pas plus reconnu et n'ait pas fait d'autres films de cette envergure. Sa mise en scène est hyper nerveuse et extrêmement inspirée : il faut voir ce braquage filmé en un seul plan de 3 minutes, du point de vue de Laurie restée dans la voiture - beaucoup de cinéastes aussi différents que Godard première période ou Tarantino (celui de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction) peuvent dire merci. Particulièrement mémorable aussi, la scène de la rencontre entre Laurie et Bart, la première irruption de Cummins dans le plan lors de son numéro, les jeux de regards, la tension sexuelle qui se dégage de la scène. Que dire encore de toutes ces scènes qui semblent volées à la foule, arrachées au réel, provoquant un type de réalisme surprenant pour l'époque ; et puis les scènes de poursuite et d'action en général, très tendues, sèches, admirables, jusqu’à ce final aux accents oniriques, d’une cruauté déchirante.




L’absence d’autres chefs d’œuvre dans la filmographie de Lewis et son relatif anonymat posthume sont sûrement dus, comme l'explique Muller dans son livre, au fait que Gun Crazy est avant tout une vraie réussite collective : tout est parti du travail de MacKinlay Kantor, auteur de la nouvelle originale et de la première version du scénario, qui en contenait déjà une bonne partie de la sève ; aux commandes du projet, il y avait aussi les sulfureux frères King à la production, à qui on prêtait des relations plus qu’étroites avec différents milieux criminels, mais qui étaient surtout dotés d’un sacré flair. Ce sont en particulier eux qui ont eu l'audace et la bonne idée de faire appel à Dalton Trumbo (alors black-listé par McCarthy), qui a su à la fois épurer et sublimer l’histoire de Kantor pour livrer la version définitive du scénario. Et évidemment, Gun Crazy ne serait pas ce qu’il est sans son couple d'acteurs principaux, absolument géniaux : John Dall en obsessionnel fragile, braqueur as de la gâchette viscéralement incapable de tirer sur qui que ce soit, grande carcasse empêchée mais amoureux fou prêt à tout pour Laurie ; et Peggy Cummins, bombe d’énergie, de folie et de sensualité, garce manipulatrice et vénale mais réellement amoureuse de Bart, elle aussi. L’incroyable expressivité de leurs corps et de leurs visages donnent au film ce qu’il a de plus précieux : deux personnages inoubliables, qui nous font ressentir comme rarement ce que l’amour et la passion peuvent engendrer de folie.


Gun Crazy de Joseph H. Lewis avec Peggy Cummins et John Dall (1950)

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