Récemment on a cherché un héritage au cinéma d’Éric Rohmer du côté d'Emmanuel Mouret, et à juste titre, mais Guillaume Brac s'inscrit peut-être plus directement encore dans le sillage du grand Momo avec ce film de séduction, de sentiments, de vacances et de plages. Rohmer a fait de ce genre cinématographique français à part entière l'une de ses spécialités, et s'y est illustré avec des films comme Pauline à la plage et Conte d'été bien sûr, mais aussi Le Rayon vert, voire d'une certaine manière La Collectionneuse et Le Genou de Claire. Cependant c'est bien à Pauline à la plage qu'on pense le plus souvent puisque le film de Guillaume Brac raconte une histoire assez semblable, celle de Sylvain, un trentenaire célibataire, jeune homme dégarni, un peu empâté et un peu empoté, timide et sentimental (ou discret et romantique, pour reprendre des mots prononcés dans le film), qui vit seul sur la Côte Picarde et fait visiter un petit appartement à Patricia et Juliette, mère et fille en vacances.
Les deux personnages féminins évoquent les cousines du film de Rohmer, Marion et Pauline, que le personnage de séducteur joué par Féodor Atkine prenait pour des sœurs tout comme le personnage de l'ami gendarme de Sylvain se méprend ici sur le lien de parenté de la mère, Patricia, et de la fille, Juliette, non sans une arrière-pensée flatteuse à l'égard de la plus âgée des deux. Et dans les deux cas, le séducteur à la petite semaine va emballer la belle dame dans une petite boîte de nuit de province sous les yeux d'une jeune fille ou cousine toujours discrète, effacée, mais observatrice, Amanda Langlet dans Pauline à la plage, Constance Rousseau dans Un monde sans femmes, et à la barbe d'un amoureux éconduit et malheureux, Pascal Greggory chez Rohmer, Vincent Macaigne chez Brac. C'est d'ailleurs aussi par les personnages que la filiation se tisse. Si Laure Calamy, qui interprète Patricia, est beaucoup moins agaçante que Dombasle en femme fatale, elle est une autre semi-bécasse un peu naïve, sexuellement excitée, pleine de vie et exubérante qui s'obstine à chercher le bonheur là où il n'est pas. Et Sylvain, comme la jeune Juliette, qui très vite se place de son côté, se pose les mêmes questions que Pascal Greggory chez Rohmer, ne comprenant pas qu'une femme puisse être attirée par un bellâtre qui se moque d'elle plutôt que par un homme sincère et aimant. Par sa fragilité, sa relative passivité même, et sa triste façon d'être écarté, Macaigne peut aussi faire penser au Serge Renko des Rendez-vous de Paris.
Mais le film n'est pas un décalque révérencieux du cinéma de Rohmer, c'est une œuvre singulière et remarquable. Il est rare qu'un film soit à ce point aussi joyeux que triste. On ne rit pas vraiment devant Un monde sans femmes, mais on sourit sans cesse, d'abord parce que Guillaume Brac a un grand talent pour diriger ses acteurs et pour capter leurs gaucheries, leurs malaises, leurs travers ou leur complicité, mais aussi parce qu'il nous place constamment dans leur intimité, auprès d'eux, de leur côté. Les personnages nous sont immédiatement proches et notre sympathie leur est acquise d'emblée. On sourit même sans doute à des choses qui ne nous feraient pas cet effet si elles ne venaient pas de protagonistes que nous aimons déjà tant. Brac excelle à filmer les étourderies et les flottements comiques de ses personnages mais aussi tous ceux qui appartiennent au monde amoureux, tous ces errements, toutes ces imprécisions, ces souffrances rentrées, toute cette cruauté du jeu hasardeux des illusions et des sentiments. On devine en admirant le visage mi-émerveillé mi-désemparé de Sylvain combien deux créatures si belles peuvent bouleverser une vi(ll)e sans femmes. Mais la précision de Guillaume Brac pour représenter en un seul plan et sur un seul corps toute une palette d'émotions vaut pour tous les personnages sans exception et vient peut-être aussi de ce que tous sont à un moment ou à un autre filmés, avec un tact et un respect absolus, dans un moment de détresse, en tout cas de profonde fragilité, du copain gendarme esseulé dans la nuit à la mère évoquant en quelques mots son passé quand Sylvain lui tient la main, en passant par Juliette, assise en haut d'une falaise ou lisant dans sa chambre. Quand au superbe Vincent Macaigne, il passe, le temps d'un raccord, d'un sourire complètement niais à un autre, imperceptible mais saisi par la caméra de Guillaume Brac, paradoxalement emprunt de toute la peine et de tout l'espoir du monde. La façon dont l'acteur est filmé tout au long du film, dans ses scènes de solitude comme quand il hésite à dire tel mot ou à faire tel geste vers une femme ou une autre, est bouleversante.
Car, même si les acteurs sont formidables, c'est bien dans la mise en scène que tout se passe, une mise en scène presque invisible, indescriptible, sans effets et sans volonté de prestance, toute en finesse et en présence indécelable, par quoi l'on rejoint Rohmer, et par laquelle Guillaume Brac nous conquiert et nous touche directement. Même si les dialogues sont présents et plutôt nombreux, ils délivrent une petite musique, permettent aux personnages d'exister, de s'exprimer, et ne viennent jamais surligner une idée, moins encore que chez Rohmer dont les films cependant restent pour des images, des attitudes, des sonorités, des postures et des voix plus que pour leurs textes, aussi magnifiques puissent-ils être. On ne saura pas grand chose du parcours de Sylvain avant cette histoire, même si on le suppose monocorde. On devine qu'il est une sorte d'adulescent triste au simple fait qu'il porte des t-shirts à blagues, joue seul à la Wii et vive dans une maison décorée de Simpsons, mais ces mots-tiroirs, "adulescent" ou "geek", ne nous viennent jamais à l'esprit devant lui, et c'est entre autres pourquoi il est l'anti-Dark Horse de Todd Solondz, parce qu'il n'est pas une bête de foire, ni un phénomène de société sur pattes, parce qu'aucun stéréotype ne suffit à le figer ou à le contenir, et parce que rien ne nous conduit à le juger ou à le mépriser, bien au contraire.
Et de la même façon on devine le trajet de Patricia (qu'elle délivre d'ailleurs à demi-mot - parce qu'elle est une femme bavarde et peu discrète - ne dévoilant rien que l'on n'ait pas déjà deviné), fait de rencontres sans lendemains et d'échecs amoureux, l'un d'eux ayant donné naissance à une fille aimée mais non-désirée. Rien de tout ceci n'est péniblement démontré ou ne vient servir un discours très déterminé et surgelé sur la société, comme la plupart des cinéastes s'en régalent sans arrêt. L'absence de discours calculé n'empêche pas l'existence d'un point de vue, un point de vue humaniste venant d'un cinéaste qui aime ce qu'il filme au point de vouloir sauver ses personnages. Car, toujours sur le même principe, on ne peut qu'imaginer ce qui se trame derrière le comportement de Juliette à la fin du film. Nous sommes partagés entre l'hypothèse d'une pitié possiblement inspirée par un transfert paternel, celle d'une volonté de réparer les erreurs de la mère et de s'écarter de son destin, ou enfin la possibilité d'un amour réel. Car à la fin du film, le personnage de la fille prend le relai de celui de la mère pour accomplir ce que cette dernière n'a pas su faire et réparer sa faute, une injustice que tout spectateur ou presque entendra résonner au plus profond de lui-même. Et c'est peut-être le dernier cadeau que nous fait Guillaume Brac - à nous autant qu'à ses personnages - lorsque Constance Rousseau prend le contrôle du récit et du film dans l'ultime quart d'heure, comme elle le faisait dans la dernière partie de son premier film (Tout est pardonné de Mia Hansen-Løve), pour imprimer sa grâce à l'écran et donner un supplément de beauté à une œuvre toute neuve (Brac fait là ses premiers pas) mais déjà grande.
Les deux personnages féminins évoquent les cousines du film de Rohmer, Marion et Pauline, que le personnage de séducteur joué par Féodor Atkine prenait pour des sœurs tout comme le personnage de l'ami gendarme de Sylvain se méprend ici sur le lien de parenté de la mère, Patricia, et de la fille, Juliette, non sans une arrière-pensée flatteuse à l'égard de la plus âgée des deux. Et dans les deux cas, le séducteur à la petite semaine va emballer la belle dame dans une petite boîte de nuit de province sous les yeux d'une jeune fille ou cousine toujours discrète, effacée, mais observatrice, Amanda Langlet dans Pauline à la plage, Constance Rousseau dans Un monde sans femmes, et à la barbe d'un amoureux éconduit et malheureux, Pascal Greggory chez Rohmer, Vincent Macaigne chez Brac. C'est d'ailleurs aussi par les personnages que la filiation se tisse. Si Laure Calamy, qui interprète Patricia, est beaucoup moins agaçante que Dombasle en femme fatale, elle est une autre semi-bécasse un peu naïve, sexuellement excitée, pleine de vie et exubérante qui s'obstine à chercher le bonheur là où il n'est pas. Et Sylvain, comme la jeune Juliette, qui très vite se place de son côté, se pose les mêmes questions que Pascal Greggory chez Rohmer, ne comprenant pas qu'une femme puisse être attirée par un bellâtre qui se moque d'elle plutôt que par un homme sincère et aimant. Par sa fragilité, sa relative passivité même, et sa triste façon d'être écarté, Macaigne peut aussi faire penser au Serge Renko des Rendez-vous de Paris.
Mais le film n'est pas un décalque révérencieux du cinéma de Rohmer, c'est une œuvre singulière et remarquable. Il est rare qu'un film soit à ce point aussi joyeux que triste. On ne rit pas vraiment devant Un monde sans femmes, mais on sourit sans cesse, d'abord parce que Guillaume Brac a un grand talent pour diriger ses acteurs et pour capter leurs gaucheries, leurs malaises, leurs travers ou leur complicité, mais aussi parce qu'il nous place constamment dans leur intimité, auprès d'eux, de leur côté. Les personnages nous sont immédiatement proches et notre sympathie leur est acquise d'emblée. On sourit même sans doute à des choses qui ne nous feraient pas cet effet si elles ne venaient pas de protagonistes que nous aimons déjà tant. Brac excelle à filmer les étourderies et les flottements comiques de ses personnages mais aussi tous ceux qui appartiennent au monde amoureux, tous ces errements, toutes ces imprécisions, ces souffrances rentrées, toute cette cruauté du jeu hasardeux des illusions et des sentiments. On devine en admirant le visage mi-émerveillé mi-désemparé de Sylvain combien deux créatures si belles peuvent bouleverser une vi(ll)e sans femmes. Mais la précision de Guillaume Brac pour représenter en un seul plan et sur un seul corps toute une palette d'émotions vaut pour tous les personnages sans exception et vient peut-être aussi de ce que tous sont à un moment ou à un autre filmés, avec un tact et un respect absolus, dans un moment de détresse, en tout cas de profonde fragilité, du copain gendarme esseulé dans la nuit à la mère évoquant en quelques mots son passé quand Sylvain lui tient la main, en passant par Juliette, assise en haut d'une falaise ou lisant dans sa chambre. Quand au superbe Vincent Macaigne, il passe, le temps d'un raccord, d'un sourire complètement niais à un autre, imperceptible mais saisi par la caméra de Guillaume Brac, paradoxalement emprunt de toute la peine et de tout l'espoir du monde. La façon dont l'acteur est filmé tout au long du film, dans ses scènes de solitude comme quand il hésite à dire tel mot ou à faire tel geste vers une femme ou une autre, est bouleversante.
Car, même si les acteurs sont formidables, c'est bien dans la mise en scène que tout se passe, une mise en scène presque invisible, indescriptible, sans effets et sans volonté de prestance, toute en finesse et en présence indécelable, par quoi l'on rejoint Rohmer, et par laquelle Guillaume Brac nous conquiert et nous touche directement. Même si les dialogues sont présents et plutôt nombreux, ils délivrent une petite musique, permettent aux personnages d'exister, de s'exprimer, et ne viennent jamais surligner une idée, moins encore que chez Rohmer dont les films cependant restent pour des images, des attitudes, des sonorités, des postures et des voix plus que pour leurs textes, aussi magnifiques puissent-ils être. On ne saura pas grand chose du parcours de Sylvain avant cette histoire, même si on le suppose monocorde. On devine qu'il est une sorte d'adulescent triste au simple fait qu'il porte des t-shirts à blagues, joue seul à la Wii et vive dans une maison décorée de Simpsons, mais ces mots-tiroirs, "adulescent" ou "geek", ne nous viennent jamais à l'esprit devant lui, et c'est entre autres pourquoi il est l'anti-Dark Horse de Todd Solondz, parce qu'il n'est pas une bête de foire, ni un phénomène de société sur pattes, parce qu'aucun stéréotype ne suffit à le figer ou à le contenir, et parce que rien ne nous conduit à le juger ou à le mépriser, bien au contraire.
Et de la même façon on devine le trajet de Patricia (qu'elle délivre d'ailleurs à demi-mot - parce qu'elle est une femme bavarde et peu discrète - ne dévoilant rien que l'on n'ait pas déjà deviné), fait de rencontres sans lendemains et d'échecs amoureux, l'un d'eux ayant donné naissance à une fille aimée mais non-désirée. Rien de tout ceci n'est péniblement démontré ou ne vient servir un discours très déterminé et surgelé sur la société, comme la plupart des cinéastes s'en régalent sans arrêt. L'absence de discours calculé n'empêche pas l'existence d'un point de vue, un point de vue humaniste venant d'un cinéaste qui aime ce qu'il filme au point de vouloir sauver ses personnages. Car, toujours sur le même principe, on ne peut qu'imaginer ce qui se trame derrière le comportement de Juliette à la fin du film. Nous sommes partagés entre l'hypothèse d'une pitié possiblement inspirée par un transfert paternel, celle d'une volonté de réparer les erreurs de la mère et de s'écarter de son destin, ou enfin la possibilité d'un amour réel. Car à la fin du film, le personnage de la fille prend le relai de celui de la mère pour accomplir ce que cette dernière n'a pas su faire et réparer sa faute, une injustice que tout spectateur ou presque entendra résonner au plus profond de lui-même. Et c'est peut-être le dernier cadeau que nous fait Guillaume Brac - à nous autant qu'à ses personnages - lorsque Constance Rousseau prend le contrôle du récit et du film dans l'ultime quart d'heure, comme elle le faisait dans la dernière partie de son premier film (Tout est pardonné de Mia Hansen-Løve), pour imprimer sa grâce à l'écran et donner un supplément de beauté à une œuvre toute neuve (Brac fait là ses premiers pas) mais déjà grande.
Un monde sans femmes de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Constance Rousseau et Laure Calamy (2012)