Rarement une bande-annonce aura aussi bien annoncé un film. Si vous n'avez pas encore vu Maps to the Stars, prenez la bande-annonce, faites-la tourner en boucle pendant deux heures, et vous aurez une bonne idée de l’expérience que constitue le visionnage de ce film terriblement ennuyeux, vulgaire, cynique, bête et, par-dessus le marché, souvent laid. A l’image, et l’équation n’avait rien d’obligatoire, des personnages, tous plus creux les uns que les autres, la mise en scène est sans aucun intérêt (sauf sur un ou deux plans égarés dans une uniformité qui finit par les avaler, au point qu’on serait bien en peine de s’en rappeler précisément même au sortir de la salle). Les acteurs font leur boulot, mais leurs personnages sont tellement irritants, hideux, haïssables, unanimement débiles et tarés, que ceux qui les incarnent en deviennent insupportables à leur tour (pompon à Julianne Moore, que nous aimons pourtant beaucoup, mais qui joue là une actrice vieillissante refusant de vieillir, grimée en une sorte de Madonna d’aujourd’hui au rabais, et qui le fait comme elle peut mais sans briller).
Les personnages, surchargés de défauts, sont tous complètement psychotiques (du traumatisme personnel bien gras aux enfants nés du péché d’adultère, le ver est dans la pomme et n’en sortira pas), et le fait qu’ils évoluent dans le milieu bien malsain d'Hollywood leur ajoute une couche de névrose supplémentaire. Sauf que Cronenberg ne dit rien sinon, d’abord, d’énormes clichés déjà dits mille fois sur le fameux miroir aux alouettes du star-system et sur les dérives du show-business : tout y est question de fric, de drogue, de cul (dégueulasse si possible), de violence imbécile, et pour illustrer tout ça, Julianne Moore se fait malaxer l’anus par son maître de yoga (John Cusack) pour exorciser, entre autres, un complexe d’infériorité vis-à-vis d'une mère actrice morte dans un incendie ; un enfant-star (Evan Bird), qui à douze ans touche des millions de dollars et couche avec ses concurrentes féminines, flingue un chien à bout portant pour jouer ; Julianne Moore, encore, danse comme une abrutie pour fêter la mort du fils de sa concurrente ; Julianne Moore toujours largue d’horribles pets sur les chiottes, en présence de sa bonniche, en s’écriant que ça chlingue à mort, et ainsi de suite... Cronenberg, que son immémoriale investigation de la chair et de l’intestin grêle ne porte pas toujours vers les meilleurs cieux, n’estime apparemment pas être allé assez loin dans la lourdeur puisqu’il fait aussi tuer son actrice vieillissante à coups de statuette des Oscars, quand la bonniche, incarnée par (une assez remarquable) Mia Wasikowska, grille un plomb à force de se faire insulter et marcher dessus par une patronne qui, en prime, vient de se faire monter par son fiancé sous ses yeux. Dans une spirale sans fin de name dropping pathétique, Cronenberg croit original de nous dire ensuite que l’horreur, déjà dépeinte par Wilder ou Aldrich en leur temps, a débordé les frontières hollywoodiennes, que les chauffeurs de limousine en font aussi partie (auto-clin-d’œil assez triste, c’est le Robert Pattinson de Cosmopolis qui tient le rôle), et que la jeunesse dans son ensemble est pourrie, vérolée par des rêves de gloire illusoires et par des parents incestueux et horribles.
Le film évoque immanquablement Mulholland Drive et finit ainsi de s’enterrer dix pieds sous terre. Il rappelle aussi, outre le propre cinéma de Cronenberg, le dernier film en date de Martin Scorsese, Le Loup de Wall-Street, en faisant le portrait univoque, définitif, sarcastique et ricanant d’une époque sinistre, où les cyniques sont convaincus et fiers d’avoir insolemment gagné, où les salauds ne se cachent plus, où la vulgarité a tout contaminé et où la jeunesse, à qui l’on a dressé pour uniques totems le pouvoir et la violence, n’a plus qu’une chance de liberté : le suicide. Les deux films partagent le projet de nous faire subir, durant d’interminables minutes, et sans interruption, des horreurs pures et simples, de nous confronter à une misère contemporaine sans faille, totale, sans espoir. Et même si Cronenberg est peut-être plus directement critique vis-à-vis de ce qu’il montre, ne laissant planer aucun doute sur son opinion quant à la situation, restent deux films morbides et désespérants, qui se contentent de faire le portrait de toute les saloperies qui nous entourent, que l’on connaît déjà pour y être empêtrés jusqu’au cou chaque jour, un portrait esthétiquement peu brillant de surcroît et qui a l’immense tort, à nos yeux, de ne proposer strictement aucun contrepoint. Les deux cinéastes plient leurs films au sordide absolu des personnages qu’ils déploient sans faire preuve d’une once d'humanisme, préférant dérouler avec complaisance la longue démonstration d’une corruption généralisée, et dresser un constat pontifiant et satisfait.
Saïd Ben Saïd a aussi produit le très médiocre Passion de Brian De Palma. Espérons pour lui qu’il ne soit pas de ces producteurs qui, comment au temps de l'âge d'or notamment, imprimaient leur patte sur les films, parce que les derniers rejetons de Cronenberg et de De Palma sont aussi bêtes, froids et mauvais l’un que l’autre. On se dit surtout qu’il ne fallait pas forcément se déranger… Noble ambition que vouloir produire les derniers films de ces cinéastes adulés sur le retour, mais il est des projets qu’il vaut mieux laisser congeler dans la tronche de leurs auteurs, et sur lesquels les fans gagneraient à fantasmer jusqu’à la nuit des temps. Quand bien même on ne l’avait pas adoré, Cosmopolis laissait espérer un vrai réveil de la part de celui qui s’était totalement endormi sur les débats de Freud et de Jung dans A Dangerous Method ; la déception est d’autant plus lourde de le voir s’enfoncer dans une satire datée, facile et sans âme.
Maps to the Stars de David Cronenberg avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, John Cusack, Robert Pattinson et Evan Bird (2014)