Commençons par un petit portrait du cinéaste en hipster de première. Sean Durkin, qui signe là son premier long métrage, est bien décidé à nous en foutre plein la vue, et ça passe d'abord par un look irréprochable à base de lunettes noires à montures épaisses, de bonnets et autres écharpes en tweed, de cabans noir ébène, de souliers en daim, de cheveux coiffés, décoiffés, surcoiffés collés sur le front, de barbe fournie taillée au millimètre et de poses énigmatiques bien calculées. C'est le Benjamin Gibbard de la mise en scène, un de ces types dont on connaît la playlist Spotify et la wishlist Deezer de Noël rien qu'au premier coup d’œil. Mais ça ne peut pas suffire, car Sean Durkin est quand même metteur en scène en plus d'être un cliché humain, et il a donc également voulu nous épater dans son premier film, dont le titre, version féminine et indiecute du très suffisant Tinker, Taylor, Soldier, Spy (aka Das Taupe en France), inspire déjà la méfiance. Martha Marcy May Marleneévoque le nom d'un joueur de foot africain, mais le charisme, la carrure et la longue vue en moins. Ce titre de génie fait référence aux deux fois deux noms de l'héroïne du film, partagée entre deux existences, deux vies dans lesquelles on l'appelle tantôt Martha Marlene, tantôt Marcy May, ce deuxième patronyme étant ingénieusement logé dans le premier, telle une identité secrète et cachée, plus profonde qu'un simple nom de baptême... Dès le titre on voit se pointer les grosses idées de Sean Durkin. Son héroïne est une jeune femme paumée qui, après avoir fugué dans une sorte de communauté communiste sectaire et après s'en être échappée, retourne auprès de sa grande sœur et tâche de s'adapter de nouveau à une vie bien rangée.
L'épisode sectaire de la vie de l'héroïne est une sorte de parenthèse déterminante dans son existence déréglée. Durkin tarde à nous révéler les tenants et les aboutissants de ce parcours dont on a pourtant tout compris au bout d'un quart d'heure, et en étant certain de ne pas se tromper. En effet, le film déroule tranquillement sa petite idée de génie, selon un schéma très attendu. A base de flashbacks enchâssés dans la continuité du récit par des raccords souvent très malheureux, qui nous rappellent sans cesse que le réalisateur se prend pour un gros malin, on devine que l'héroïne est hantée par son souvenir de la communauté, traumatisée même, notamment par les viols initiatiques perpétrés par le gourou de la bande, incarné par John Hawkes, cet acteur si gonflant abonné aux rôles de mecs étranges dans le petit univers du ciné indé contemporain. Mais Martha déteste tout autant, voire davantage, la vie bien structurée de sa soeur et de son mari. En gros le film joue le capitalisme, avec son petit confort matériel bourgeois, son american way of life, son couple coincé et sa réussite financière obligatoire, contre le communisme, qui trouve ici son expression dans l'esclavagisme des femmes, le viol de ces dernières par un dictateur mal intentionné, sorte de Charles Manson sans folie, le cambriolage organisé, le meurtre de sang froid et l'endoctrinement absolu de chaque membre à coup de promesses d'amour fallacieuses, embrigadement allant jusqu'à convaincre les demoiselles que le viol leur est nécessaire et que c'est même un idéal. Voilà la grande idée du réalisateur. Et Martha tangue entre ces deux modes de vie infernaux, ne trouve pas sa place, est inadaptée, voire carrément sociopathe, d'où, in fine, l'internement dans un centre spécialisé, même si on doute qu'elle y reste très longtemps puisque les dangereux criminels communistes la traquent sans relâche pour lui faire payer sa trahison. Voilà donc le discours de Durkin, rabâché mollement pendant une heure et quarante minutes qui en paraissent le triple, et en abusant de ce montage pour les nuls qui nous crève l'âme.
On s'attendait à voir éclore un cinéaste digne d'intérêt dans le petit monde assez moribond du cinéma indépendant américain. Certaines critiques nous avaient laissé espérer. Et on se retrouve à nouveau nez à nez avec l’œuvre d'un petit tocard qui pète plus haut que son cul, qui se prend très au sérieux alors qu'il n'a pas deux idées, et dont on a comme la certitude qu'il n'ira que difficilement plus loin qu'il n'est déjà allé. Pour ce qui est de nous révéler une nouvelle grande actrice, car c'est aussi ça qui a contribué à susciter l'intérêt de certains critiques, Elizabeth Olsen a beau rouler ses yeux globuleux dans tous les sens et nous gratifier de son regard de chien battu, on a du mal à croire qu'on la reverra un jour ailleurs que dans le pieu de Sean Durkin, qui visiblement en pince à mort pour elle et a pourtant des difficultés terribles à nous faire croquer sa passion pour ce minuscule bout de femme. L'actrice est saluée car elle a fait mieux que ses sœurs jumelles, devenues cocaïnomanes, cleptomanes, héroïnomanes et alcooliques. Mais l'insuccès de nos frères et sœurs suffit-il à faire de nous des Dieux vivants ? Nos frères respectifs par exemple sont des ramassis d'ordures, et en aucun cas les gens ne nous traiterons de petits princes. Peut-être est-ce parce que nos frères ne sont pas encore médiatisés comme les sœurs Olsen, qui ont joué dans Fête à la maison, mais si ça continue croyez-nous ça finira par arriver, et là on passera pour des anges de blogueurs ciné...
Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin avec Elizabeth Olsen, Sarah Paulson et John Hawkes (2012)