Nous n'avons pas encore vu le nouveau film de Jean-Luc Godard, mais nous laissons la parole à l'un de nos fidèles collaborateurs, Paul-Emile Geoffroy, qui en est ressorti déçu.
Jean-Luc Godard est un intellectuel au sens où l'on parlait d'intellectuels à la fin du 20ème siècle. Il est érudit, il réfléchit son matériau et le monde dans lequel il vit, il lit et cite d'autres penseurs, et son film est le reflet de tout ça : c'est une réflexion sur le monde qui l'entoure, sur la "forêt", bourrée de pensée propre et de pensée empruntée. C'est un discours sur ce qui lie les hommes (le langage, le chien, l'amour), ou ce qui peut-être ne les lie justement plus. Le problème, c'est que comme Godard le dit lui-même, filmer la forêt, c'est une chose, mais filmer une chambre à travers la fenêtre de laquelle on voit apparaître un bout de la forêt, c'est très dur. Surtout quand on essaie de regarder avec des yeux qui ne sont pas les siens.
Jean-Luc Godard est un intellectuel au sens où l'on parlait d'intellectuels à la fin du 20ème siècle. Il est érudit, il réfléchit son matériau et le monde dans lequel il vit, il lit et cite d'autres penseurs, et son film est le reflet de tout ça : c'est une réflexion sur le monde qui l'entoure, sur la "forêt", bourrée de pensée propre et de pensée empruntée. C'est un discours sur ce qui lie les hommes (le langage, le chien, l'amour), ou ce qui peut-être ne les lie justement plus. Le problème, c'est que comme Godard le dit lui-même, filmer la forêt, c'est une chose, mais filmer une chambre à travers la fenêtre de laquelle on voit apparaître un bout de la forêt, c'est très dur. Surtout quand on essaie de regarder avec des yeux qui ne sont pas les siens.
Et la technologie 3D, ça n'est pas celle de Godard, et il ne l'a pas adoptée. Certes, quelques plans sont jolis dans Adieu au langage, qui mettent à profit cette technologie, et certes le plan sur la chambre, par la fenêtre de laquelle on voit un bout de la forêt, est joli, mais la plupart du temps Godard ne sait pas quoi faire de la 3D, ou bien il en fait des choses laides, ou simplement ratées, et donc laides. On en vient à retirer ses lunettes noires le temps d'une séquence, pour s'éviter la migraine. C'est dommage.
Mais surtout, et c'est plus grave, Godard rate son film parce qu'il ne s'adresse à personne (d'autre que lui ?). L'intellectuel citant des penseurs, et le penseur coupant et collant à son gré ou à celui du hasard ses bouts de paroles, ses idées de discours, ses fonds de pense-bête, comme ils viennent, sur la page filmée, sans y ajouter grand chose, sans laisser le temps au spectateur de les digérer, de les entendre, de peut-être y comprendre quelque chose, sans rien partager en fait avec le spectateur, assénant plutôt que discutant, Godard ne parle que seul et dit, en effet, adieu au langage.
Son chien, qu'il filme avec beaucoup plus d'amour et de tendresse que ses acteurs, mannequins nus scandant, chiant, posant la plupart du temps comme sans vie, son chien n'en est pas davantage un interlocuteur autre. Godard ne parle pas à son chien, ne parle pas à ses acteurs et il ne parle ni de ses acteurs ni de son chien, qu'il ne fait que regarder un peu avec l'œil doux.
Et le film ne disant rien ou peu ou trop vite ou trop mal sur la fin du langage annoncée, le dit sans en terminer avec le langage de son auteur : tous les tics méthodologiques et esthétiques de Godard sont là et surtout les tics du son : la musique montant abruptement et cessant irrationnellement, les voix que l'on essaie en vain de saisir, au loin, tandis qu'elles semblent (enfin) dire quelque chose. Seule une idée semble jaillir, celle de la plume de Mary Shelley grattant la feuille, à laquelle fait écho l'appel à personne de Lord Byron, doublé d'un son ressemblant, mais à quoi bon ? On n'y voit qu'une idée de plus, issue d'un carnet à idées, et posée sur le papier parmi d'autres, sans liant réel. Copiée et collée, à la manière de Godard, mais sans le talent de montage, d'alliage et de discours qui autrefois présidait à de bons films.
Alors on sort de ce film déçu, tout de même, tant le sujet semblait appeler, et surtout de la part d'un intellectuel ayant si bien compris son siècle et l'art de son siècle, un discours sur la fin du discours. Et puis on se rappelle que ce siècle est terminé et l'on pense que Godard n'a pas compris celui qui a commencé, et que ça n'est pas grave, que ça n'est pas sa tâche à lui, et qu'après tout, si son film est raté, il n'y reste pas moins quelque beauté, évasive certes, rare et engoncée, mais qui nous donne, surtout dans ce dernier plan sur Roxy Miéville, quelque baume au cœur pour ce vieux monsieur qui jadis fut si grand.
Adieu au langage de Jean-Luc Godard avec Roxy le clebs (2014)