A la différence du lion ou de l'agneau, l'orque, véritable merveille de la nature au potentiel cinégénique ahurissant, n'a, jusqu'à présent, jamais été très gâté par le septième art. Sauvez Willy est le premier titre venant à l'esprit du quidam qui essaye de se remémorer les apparitions cinématographiques de ce si noble cétacé qui mériterait infiniment mieux que cette triste production familiale sans âme. Plus récemment, l'infâme Jacques Audiard s'en est pris très sournoisement à l'odontocète en le faisant passer pour l'enflure de service impliquée dans tous les mauvais coups du scénario ridicule de son affligeant De Rouille et d'os. Les plus fins limiers penseront quant à eux à Orca, anecdotique mais sympathique sous-Dents de la mer sorti en 1977 où un épaulard particulièrement rancunier s'en prenait à l'équipage entier d'un malheureux chalutier pour venger la mort de son fiston transformé en mille sushis. A part ça : RAS.
Avec son documentaire sobrement intitulé Blackfish, Gabriela Cowperthwaite voulait donc réparer cette terrible injustice et rendre aux baleines tueuses la place qu'elles méritent dans la nature et sur pellicule. Blackfish est un documentaire à charge contre les parcs à thèmes marins qui gardent en captivité nos épaulards préférés plutôt habitués à la vie nomade (ils parcourent une moyenne de 10 miles par jour, soit 16.09344 km !). Avec une efficacité redoutable, Blackfish montre tous les dangers de cette captivité en s'attardant essentiellement sur la carrière ponctuée de coups d'éclats sanglants d'un orque mâle nommé Tilikum, impliqué dans les morts plus ou moins accidentelles et préméditées d'une petite tripotée d'employés imprudents d'un Marineland de Floride. C'est bien simple, le documentaire de Gabriela Cowperthwaite (seul Tilikum parvient à prononcer le nom de la réalisatrice) est si profondément engagé dans sa thèse que les personnes décédées paraissent presque fautives, coupables. Si j'étais parent de l'un de ces pauvres entraîneurs de baleine, retrouvé haché menu dans les siphons des aquariums ou simplement gobé tout rond, je ne sais pas comment j'encaisserais la chose...
Mais le fait est que je ne connais aucun des disparus et j'ai donc pu prendre un pied pas possible devant Blackfish. Car s'il n'est pas vraiment subtile, ce documentaire évite le racolage et atteint ses objectifs : dénoncer les dérives de notre société du spectacle et, plus largement, blâmer la soi-disant supériorité de l'Homme occidental, son arrogance et son infini manque de respect envers le règne animal dès qu'il s'agit de se remplir les poches. Les accidents provoqués par Tilikum, en particulier ces assassinats de sang froid dont il est l'auteur pleinement responsable, sont généralement coupés au moment opportun ou montrés sans réelle lourdeur. Tous ces drames ont en effet été immortalisés sur vidéocassette, les caméras des aquariums étant toujours allumées, quand ce ne sont pas celles des spectateurs, tétanisés. On retiendra cette image troublante d'une jeune employée de SeaWorld ressortant en larmes du bassin avec, à la place de la jambe, le bras ensanglanté de Jamel (la demoiselle avait simplement voulu caresser la bête qui n'était hélas pas d'humeur très joviale ce matin-là).
La compagnie SeaWorld est directement visée. On condamne sa gestion irresponsable des orques avec, à l'appui, des témoignages d'anciens employés, dégoûtés à vie, et les commentaires de spectateurs encore sous le choc d'avoir assisté aux démonstrations gores de l'adorable Tilikum. On retrace en détails le traitement qui est réservé à ces pauvres baleines, recrutées dès leur plus jeune âge dans les eaux glaciales islandaises pour atterrir dans les fournaises de Floride, séparées prématurément de leur mère avec lesquelles elles entretiennent naturellement un rapport fusionnel jusqu'à la fin de leur adolescence (étonnantes bestioles...), puis parquées dans des prisons d'eau sans lumière négligeant les proportions et, enfin, contraintes à finir leurs jours aux côtés de congénères éprouvant les mêmes sentiments de haine et d'amertume envers l'homme et la vie en général. Tout cela fait véritablement froid dans le dos ! La thèse du film pourrait aisément être résumée en deux mots "Free Tilly", ou par la tagline de l'affiche, "Never capture what you can't control" (une phrase qui figure également, toute déformée, sur mon slip).
La réalisatrice s'applique également à révéler tous les mensonges énormes véhiculés sans honte par les directions de ces parcs à thème. Celles-ci promettent notamment que les orques jouissent d'une plus grande espérance de vie en aquarium alors qu'elle y est en réalité divisée par deux ! Ils soutiennent également mordicus que le pathétique repli de la nageoire caudale de l'animal est tout à fait banal à l'état sauvage, là où cette anomalie ne touche en réalité qu'un infime pourcentage de leur population. Une chose est sûre, après avoir vu ça, je n'irai jamais dépenser un seul centime dans un Marineland, si ce n'est pour jeter cette pièce dans le premier bassin venu en priant pour leur pardon. Je partage l'avis de cet intervenant chauve et ventru assurant qu'il ne veut pas montrer à son enfant un monde où de si majestueux animaux sont réduits à l'état de clown gaffeur par des hommes sans scrupules, aveuglés par l'appât du gain et l'argent facile. Le film de Cowperthwaite prouve quant à lui son honnêteté absolue en choisissant délibérément une véritable photographie de Tilikum en guise d'affiche, alors qu'un orque à la nageoire caudale glorieusement dressée aurait été plus esthétique (bon, d'accord, cet argument-là ne vaut pas un kopeck).
La principale réussite du film est de nous placer devant l'abîme vertigineux d'incompréhension et de mystère qui nous sépare d'une espèce animale si évoluée, au comportement définitivement autre, que les recherches scientifiques encore balbutiantes ne parviennent toujours pas à saisir. Ce documentaire participe en cela à nous faire réaliser qu'il manque seulement aux orques l'équivalent de nos mains pour dominer le monde et nous réduire en bouillie. Face à la force de certaines images de ce documentaire, qui parvient à laisser dans un véritable état d’hébétude en réussissant régulièrement à capter toute la grâce naturelle des orques, capables d'un grand pouvoir de fascination, mais aussi face à l'incontestable puissance dénonciatrice de l'ensemble, on comprend sans mal que Blackfish ait été l'étonnant invité de quelques tops annuels en 2013. Mais en ce qui me concerne, je ne suis tout de même pas allé jusque-là.
J'ai certes pris un réel plaisir à suivre ce film, j'y ai appris certaines choses et il m'a amené à réfléchir à des questions bien plus larges que celles concrètement abordées. Mais il y a toutefois un côté très américain, avec ces témoignages la larme à l’œil et quelques petits surlignages dispensables, qui m'a un peu gêné. A mes yeux, cet aspect-là empêche Blackfish d'être autre chose et davantage qu'un documentaire particulièrement efficace. Je saluerai tout de même le savoir-faire incontestable de la dénommée Gabriela Cowperthwaite. Il fallait quelqu'un de très doué pour réussir à faire passer ces lascars des océans pour des anges totalement innocents. Tilikum est entièrement pardonné et a bien droit à quelques seaux supplémentaires de sardines. Sa folie destructrice apparaît comme la seule conséquence de ses conditions de captivité déplorables. La réalisatrice réussit amplement sa mission. L'ardoise des orques est complètement effacée. Leur agressivité et leur mesquinerie naturelles sont oubliées. Plus personne, après avoir vu ce film, ne pensera, comme moi, qu'il s'agit de véritables poisons à effacer de la surface de la planète. C'est déjà ça !
Avec son documentaire sobrement intitulé Blackfish, Gabriela Cowperthwaite voulait donc réparer cette terrible injustice et rendre aux baleines tueuses la place qu'elles méritent dans la nature et sur pellicule. Blackfish est un documentaire à charge contre les parcs à thèmes marins qui gardent en captivité nos épaulards préférés plutôt habitués à la vie nomade (ils parcourent une moyenne de 10 miles par jour, soit 16.09344 km !). Avec une efficacité redoutable, Blackfish montre tous les dangers de cette captivité en s'attardant essentiellement sur la carrière ponctuée de coups d'éclats sanglants d'un orque mâle nommé Tilikum, impliqué dans les morts plus ou moins accidentelles et préméditées d'une petite tripotée d'employés imprudents d'un Marineland de Floride. C'est bien simple, le documentaire de Gabriela Cowperthwaite (seul Tilikum parvient à prononcer le nom de la réalisatrice) est si profondément engagé dans sa thèse que les personnes décédées paraissent presque fautives, coupables. Si j'étais parent de l'un de ces pauvres entraîneurs de baleine, retrouvé haché menu dans les siphons des aquariums ou simplement gobé tout rond, je ne sais pas comment j'encaisserais la chose...
Mais le fait est que je ne connais aucun des disparus et j'ai donc pu prendre un pied pas possible devant Blackfish. Car s'il n'est pas vraiment subtile, ce documentaire évite le racolage et atteint ses objectifs : dénoncer les dérives de notre société du spectacle et, plus largement, blâmer la soi-disant supériorité de l'Homme occidental, son arrogance et son infini manque de respect envers le règne animal dès qu'il s'agit de se remplir les poches. Les accidents provoqués par Tilikum, en particulier ces assassinats de sang froid dont il est l'auteur pleinement responsable, sont généralement coupés au moment opportun ou montrés sans réelle lourdeur. Tous ces drames ont en effet été immortalisés sur vidéocassette, les caméras des aquariums étant toujours allumées, quand ce ne sont pas celles des spectateurs, tétanisés. On retiendra cette image troublante d'une jeune employée de SeaWorld ressortant en larmes du bassin avec, à la place de la jambe, le bras ensanglanté de Jamel (la demoiselle avait simplement voulu caresser la bête qui n'était hélas pas d'humeur très joviale ce matin-là).
La compagnie SeaWorld est directement visée. On condamne sa gestion irresponsable des orques avec, à l'appui, des témoignages d'anciens employés, dégoûtés à vie, et les commentaires de spectateurs encore sous le choc d'avoir assisté aux démonstrations gores de l'adorable Tilikum. On retrace en détails le traitement qui est réservé à ces pauvres baleines, recrutées dès leur plus jeune âge dans les eaux glaciales islandaises pour atterrir dans les fournaises de Floride, séparées prématurément de leur mère avec lesquelles elles entretiennent naturellement un rapport fusionnel jusqu'à la fin de leur adolescence (étonnantes bestioles...), puis parquées dans des prisons d'eau sans lumière négligeant les proportions et, enfin, contraintes à finir leurs jours aux côtés de congénères éprouvant les mêmes sentiments de haine et d'amertume envers l'homme et la vie en général. Tout cela fait véritablement froid dans le dos ! La thèse du film pourrait aisément être résumée en deux mots "Free Tilly", ou par la tagline de l'affiche, "Never capture what you can't control" (une phrase qui figure également, toute déformée, sur mon slip).
La réalisatrice s'applique également à révéler tous les mensonges énormes véhiculés sans honte par les directions de ces parcs à thème. Celles-ci promettent notamment que les orques jouissent d'une plus grande espérance de vie en aquarium alors qu'elle y est en réalité divisée par deux ! Ils soutiennent également mordicus que le pathétique repli de la nageoire caudale de l'animal est tout à fait banal à l'état sauvage, là où cette anomalie ne touche en réalité qu'un infime pourcentage de leur population. Une chose est sûre, après avoir vu ça, je n'irai jamais dépenser un seul centime dans un Marineland, si ce n'est pour jeter cette pièce dans le premier bassin venu en priant pour leur pardon. Je partage l'avis de cet intervenant chauve et ventru assurant qu'il ne veut pas montrer à son enfant un monde où de si majestueux animaux sont réduits à l'état de clown gaffeur par des hommes sans scrupules, aveuglés par l'appât du gain et l'argent facile. Le film de Cowperthwaite prouve quant à lui son honnêteté absolue en choisissant délibérément une véritable photographie de Tilikum en guise d'affiche, alors qu'un orque à la nageoire caudale glorieusement dressée aurait été plus esthétique (bon, d'accord, cet argument-là ne vaut pas un kopeck).
La principale réussite du film est de nous placer devant l'abîme vertigineux d'incompréhension et de mystère qui nous sépare d'une espèce animale si évoluée, au comportement définitivement autre, que les recherches scientifiques encore balbutiantes ne parviennent toujours pas à saisir. Ce documentaire participe en cela à nous faire réaliser qu'il manque seulement aux orques l'équivalent de nos mains pour dominer le monde et nous réduire en bouillie. Face à la force de certaines images de ce documentaire, qui parvient à laisser dans un véritable état d’hébétude en réussissant régulièrement à capter toute la grâce naturelle des orques, capables d'un grand pouvoir de fascination, mais aussi face à l'incontestable puissance dénonciatrice de l'ensemble, on comprend sans mal que Blackfish ait été l'étonnant invité de quelques tops annuels en 2013. Mais en ce qui me concerne, je ne suis tout de même pas allé jusque-là.
J'ai certes pris un réel plaisir à suivre ce film, j'y ai appris certaines choses et il m'a amené à réfléchir à des questions bien plus larges que celles concrètement abordées. Mais il y a toutefois un côté très américain, avec ces témoignages la larme à l’œil et quelques petits surlignages dispensables, qui m'a un peu gêné. A mes yeux, cet aspect-là empêche Blackfish d'être autre chose et davantage qu'un documentaire particulièrement efficace. Je saluerai tout de même le savoir-faire incontestable de la dénommée Gabriela Cowperthwaite. Il fallait quelqu'un de très doué pour réussir à faire passer ces lascars des océans pour des anges totalement innocents. Tilikum est entièrement pardonné et a bien droit à quelques seaux supplémentaires de sardines. Sa folie destructrice apparaît comme la seule conséquence de ses conditions de captivité déplorables. La réalisatrice réussit amplement sa mission. L'ardoise des orques est complètement effacée. Leur agressivité et leur mesquinerie naturelles sont oubliées. Plus personne, après avoir vu ce film, ne pensera, comme moi, qu'il s'agit de véritables poisons à effacer de la surface de la planète. C'est déjà ça !
Blackfish de Gabriela Cowperthwaite avec Tilikum, ses spectateurs et ses victimes (2013)