On craint au début du film d'assister à une récollection nostalgico-vintage d'Olivier Assayas, notamment dans ce plan où Gilles fait lentement défiler face la caméra quinze beaux vinyles, best-of de l'époque attestant du meilleur goût du cinéaste, avant d'en choisir un. On a l'impression aussi qu'Assayas veut filmer les confrontations des lycéens révolutionnaires soixante-huitards avec les policiers et leurs opérations d'affichages contre-culturels nocturnes comme il filmait les opérations terroristes de Carlos, avec efficacité certes mais aussi avec une forme d'emphase. Et puis assez vite on commence à voir un film sur la jeunesse comme Assayas sait les faire, où il filme ce qu'il a le mieux filmé jusqu'ici, les circonvolutions amoureuses de jeunes gens brûlant d'aimer et d'exister mais tiraillés par leur propre consumation. Comme dans cette scène où le cinéaste cite directement L'Eau froideà travers le motif de la fête nocturne dans la maison de campagne envahie par des silhouettes moins adolescentes qu'autrefois mais tout aussi gracieuses et désorientées, errantes ou bourrées d'énergie, avec l'inévitable grand bûcher dans le jardin, les amants qui s'éclipsent dans la forêt pour s'aimer et se séparer et, bientôt vingt ans après (ou avant ?) Virginie Ledoyen, une autre jeune fille perdue qui parcourt les couloirs de la demeure en cherchant une issue quelle qu'elle soit. Assayas filme aussi des choses plus infimes, qu'il sait parfaitement capter, partageant désormais ce don avec sa compagne Mia Hansen-Løve (avec laquelle il forme une chose rare, un couple de cinéastes incroyablement talentueux et obsédés par les mêmes sujets), à laquelle il emprunte l'actrice Lola Créton, qui intervient dans une de ces scènes sans paroles mais toute en présence et en délicate observation, celle de la séance de cinéma clandestine.
Le seul problème du film, si l'on excepte la voix de Carole Combes, l'actrice qui joue Laure, première maîtresse de Gilles, c'est son manque de prise de risque. Beaucoup de choses sont présentes, beaucoup d'idées, de thèmes et de discours : la question du choix entre l'art et l'engagement, ou du mélange des deux, qui se cristallise dans les options amoureuses, l'art étant représenté par Laure (Carole Combes), la politique par Christine (Lola Créton), le choix du voyage ou de la fondation d'un foyer aussi, la problématique du choix tout court en fin de compte, pour l'ensemble des personnages, qui font les bons ou les mauvais, hésitent à se décider et ont l'âge où l'on est hanté par cette hésitation même, pressé par la peur de perdre la jeunesse que l'on est en train de vivre et que l'on tient en soi pour si peu de temps encore. Le film place beaucoup de ces questionnements dans la bouche de ses personnages, parfois avant un fondu au noir qui nous pose la question à nous-mêmes et la laisse ouverte, mais il oublie de les poser plus directement encore par la mise en scène, très fine, très juste et très douce, parce qu'Olivier Assayas est un grand metteur en scène, mais qui ne se brûle pas suffisamment à son sujet.
Gilles (Clément Métayer), le personnage principal du film, s'indigne que des réalisateurs de films révolutionnaires adoptent le langage petit bourgeois du cinéma classique, et on aimerait qu'Assayas rompe le langage relativement policé de son film à son tour, qu'il prenne des risques, quitte à ce que son film soit moins directement grand public. Il n'y a qu'un plan où Assayas nous fait remarquer sa présence et se mouille franchement, par un effet de mise en scène intervenant au cœur de la part la plus autobiographique du film, celui, vers la fin du récit, où Gilles passe derrière un écran au fond d'un studio de cinéma de Pinewood, et marche non seulement dans le cinéma (un cinéma plutôt conventionnel pour le coup, complètement commercial même puisqu'il s'agit d'une série B grotesque, et on sait l'importance qu'a eu le film de genre extrême-oriental pour Assayas dans sa jeunesse), quitte à ce que son ombre occupe tout l'écran et le boive littéralement, tout en s'effaçant vers une sorte de décor immatériel qui serait le monde bis de la cinéphilie et de l'imaginaire cinématographique.
En dehors de ce bref instant, la mise en scène reste aussi respectable qu'élégamment transparente. Une séquence est très symptomatique de ce problème, la toute dernière du film, où Gilles va assister à une "nuit du cinéma expérimental" au cinéma, dans laquelle est diffusé son propre premier court métrage (on le suppose), qui ne consiste, pour ce qu'on en voit, que dans le portrait très sage et très propre de Laure, la muse du jeune homme, son premier amour et son modèle de liberté artistique, marchant sous le soleil dans un champ de blé puis s'approchant de la caméra pour lui tendre la main. On attendait un peu d'expérimentation, en tout cas un peu d'invention, d'explosion, de liberté artistique (puisque c'est le choix de Gilles) et d'audace formelle, on attendait en fait la dernière séquence d'Irma Vep, où le cinéaste vieillissant incarné par Jean-Pierre Léaud sublimait les rushes d'un remake plan-plan des Vampires de Feuillade dont il venait d'être évincé en massacrant la pellicule à coups de cutter pour rendre les plates images de Maggie Cheung grimée en Musidora non seulement expérimentales et puissantes mais surtout poétiques. Malgré cette déception, ce manque de folie, le film reste beau, riche, touchant et surtout particulièrement propice à l'introspection du spectateur. On s'interroge sur notre propre jeunesse, sur nos propres choix, sur nos engagements, notre liberté et nos décisions, et on regagne beaucoup de motivation et d'envie devant ce film qui a la force peu évidente (vu le sujet) d'être infiniment plus stimulant que mélancolique.
Après mai d'Olivier Assayas avec Clément Métayer, Lola Créton, Félix Armand, Carole Combes, India Salvor Menuez, Hugo Conzelmann (2012)
Le seul problème du film, si l'on excepte la voix de Carole Combes, l'actrice qui joue Laure, première maîtresse de Gilles, c'est son manque de prise de risque. Beaucoup de choses sont présentes, beaucoup d'idées, de thèmes et de discours : la question du choix entre l'art et l'engagement, ou du mélange des deux, qui se cristallise dans les options amoureuses, l'art étant représenté par Laure (Carole Combes), la politique par Christine (Lola Créton), le choix du voyage ou de la fondation d'un foyer aussi, la problématique du choix tout court en fin de compte, pour l'ensemble des personnages, qui font les bons ou les mauvais, hésitent à se décider et ont l'âge où l'on est hanté par cette hésitation même, pressé par la peur de perdre la jeunesse que l'on est en train de vivre et que l'on tient en soi pour si peu de temps encore. Le film place beaucoup de ces questionnements dans la bouche de ses personnages, parfois avant un fondu au noir qui nous pose la question à nous-mêmes et la laisse ouverte, mais il oublie de les poser plus directement encore par la mise en scène, très fine, très juste et très douce, parce qu'Olivier Assayas est un grand metteur en scène, mais qui ne se brûle pas suffisamment à son sujet.
Gilles (Clément Métayer), le personnage principal du film, s'indigne que des réalisateurs de films révolutionnaires adoptent le langage petit bourgeois du cinéma classique, et on aimerait qu'Assayas rompe le langage relativement policé de son film à son tour, qu'il prenne des risques, quitte à ce que son film soit moins directement grand public. Il n'y a qu'un plan où Assayas nous fait remarquer sa présence et se mouille franchement, par un effet de mise en scène intervenant au cœur de la part la plus autobiographique du film, celui, vers la fin du récit, où Gilles passe derrière un écran au fond d'un studio de cinéma de Pinewood, et marche non seulement dans le cinéma (un cinéma plutôt conventionnel pour le coup, complètement commercial même puisqu'il s'agit d'une série B grotesque, et on sait l'importance qu'a eu le film de genre extrême-oriental pour Assayas dans sa jeunesse), quitte à ce que son ombre occupe tout l'écran et le boive littéralement, tout en s'effaçant vers une sorte de décor immatériel qui serait le monde bis de la cinéphilie et de l'imaginaire cinématographique.
En dehors de ce bref instant, la mise en scène reste aussi respectable qu'élégamment transparente. Une séquence est très symptomatique de ce problème, la toute dernière du film, où Gilles va assister à une "nuit du cinéma expérimental" au cinéma, dans laquelle est diffusé son propre premier court métrage (on le suppose), qui ne consiste, pour ce qu'on en voit, que dans le portrait très sage et très propre de Laure, la muse du jeune homme, son premier amour et son modèle de liberté artistique, marchant sous le soleil dans un champ de blé puis s'approchant de la caméra pour lui tendre la main. On attendait un peu d'expérimentation, en tout cas un peu d'invention, d'explosion, de liberté artistique (puisque c'est le choix de Gilles) et d'audace formelle, on attendait en fait la dernière séquence d'Irma Vep, où le cinéaste vieillissant incarné par Jean-Pierre Léaud sublimait les rushes d'un remake plan-plan des Vampires de Feuillade dont il venait d'être évincé en massacrant la pellicule à coups de cutter pour rendre les plates images de Maggie Cheung grimée en Musidora non seulement expérimentales et puissantes mais surtout poétiques. Malgré cette déception, ce manque de folie, le film reste beau, riche, touchant et surtout particulièrement propice à l'introspection du spectateur. On s'interroge sur notre propre jeunesse, sur nos propres choix, sur nos engagements, notre liberté et nos décisions, et on regagne beaucoup de motivation et d'envie devant ce film qui a la force peu évidente (vu le sujet) d'être infiniment plus stimulant que mélancolique.
Après mai d'Olivier Assayas avec Clément Métayer, Lola Créton, Félix Armand, Carole Combes, India Salvor Menuez, Hugo Conzelmann (2012)