Roger Corman, en adaptant The Masque of the red death d'Edgar Allan Poe, a su que tout résiderait dans un certain mot du titre, l'adjectif de la mort, la rougeur de cette peste qui saigne le peuple et dont rit insolemment le terrible prince Prospero, seigneur esclavagiste perché dans son château orgiaque, signataire d'un pacte avec le diable. Le film de Corman mise tout sur la couleur, de la rousseur de la ravissante Jane Asher, celle de Deep End, à la pâleur de l'excellent Vincent Price, en passant par le monochrome bleu angoissant du semblant de nuit perpétuelle qui cerne le château, seul écrin préservé de la maladie pestilentielle qui ronge le monde. La puissance plastique de ces couleurs vives juxtaposées par aplats (lesquelles menaçaient le film de tomber dans le kitsch et le maintiennent pourtant du côté du beau) explose dans la somptueuse scène du banquet masqué, où, par des effets aussi visibles et, quelque part, aussi émouvants que les raccords déguisés d'Hitchcock dans La Corde, le rouge contamine brutalement les images et les convives, les noie comme il engloutit les mille autres couleurs de la fête morbide.
Et comment oublier, dans l'ultime séquence du film, ces anges de la mort bleue, jaune, verte, blanche, mauve et, bien sûr, rouge, qui hantent le bois. Ce ne sont pas tant des hommes, des mages, des prêtres noirs ou des démons, que des couleurs debout. Vivantes et incarnées. La mort faite couleur, la voilà qui défile solennellement dans une forêt dévitalisée, en marche pour boire les dernières teintes du monde.
La contamination triomphe lors de la nuit des masques, où la maladie, c'est dans sa nature, avance évidemment masquée, mais où elle est la seule à se montrer telle qu'elle est quand tous les autres portent des déguisements temporaires et rient de leurs cruels jeux de dupes. C'est parce qu'il vit dans le mensonge et l'aveuglement, dans l'illusion bouffonne que les murs de son château le défendront de la mort et qu'un carnaval grotesque maintiendra la mort du monde dans l'oubli, que Prospero ne reconnaît pas la mort rouge, toute honnête, lorsqu'elle s'avance vers lui. Et c'est parce qu'ils portent tous un masque que le prince et ses convives ne voient pas la peste en marche, retour du refoulé. La contamination peut alors commencer, et ce sera avant tout celle du montage, chacune des coupures "masquées" (elles aussi), qui font passer les plans sous un filtre rouge, valant pour autant de frontières conquises par le mal.
Et de même qu'il a judicieusement tout misé sur le dernier mot du titre (en version française, mais ma transition est à ce prix), Corman place un atout majeur sur le générique final de son œuvre, probablement l'un des plus beaux de l'histoire du cinéma, à rapprocher peut-être du générique d'ouverture très graphique du Bal des vampires de Roman Polanski, avec lequel Le Masque de la mort rouge partage par ailleurs une outrance faussement parodique et profondément poétique, un sens aigu de l'ornementation, une incroyable aptitude au merveilleux et, érotisme élégant oblige, une rousse dans son bain. Au générique final du Masque de la mort rouge, une main figée, morte quoique animée, entre à plusieurs reprises dans l'image par le bord inférieur du cadre et dispose une à une sur l'écran les cartes du tarot. Cela semble bien peu, dit comme ça, mais c'est, en fait, la pierre de touche d'une pseudo-sériée B de très haute volée.
Le Masque de la mort rouge de Roger Corman avec Vincent Price, Hazel Court et Jane Asher (1964)