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Channel: Il a osé !
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La Dernière vague

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En 1977, deux ans après le très remarqué Pique-nique à Hanging Rock, Peter Weir réalisait une œuvre apocalyptique aux allures horrifiques, un film plus confidentiel, plus oublié aussi : The Last Wave, récemment remis en lumière par les mentions récurrentes qu'en fit Jeff Nichols ces derniers mois dans des entretiens où il disait s'être inspiré du film de Weir pour son magnifique Take Shelter. Dès les premières minutes de La Dernière vague, la filiation est très nette, et ce sont d'ailleurs ces premières minutes qui sont les plus réussies du film, laissant espérer un niveau de qualité que Peter Weir ne parvient pas tout à fait à maintenir sur la longueur. L’œuvre s'ouvre sur une cours d'école en bordure du désert australien où des enfants jouent avec insouciance. Quelques uns d'entre eux observent l'horizon, croyant percevoir un fugace changement de lumière, inattendu en plein milieu du jour, comme une improbable altération atmosphérique. Puis un grand tonnerre se fait entendre alors que le ciel sans nuages demeure parfaitement bleu et le temps toujours sec. Il est donc immédiatement clair que le personnage de Curtis LaForche (Michael Shannon) dans Take Shelter, seul parmi ses proches à entendre l'orage par temps clair, est directement inspiré des enfants de la première séquence du film de Peter Weir (mais aussi, comme nous le découvrirons ensuite, du héros de La Dernière vague en personne, David Burton, interprété par un excellent Richard Chamberlain, qui fait des cauchemars prémonitoires effrayants et se réveille en panique, réconforté par une femme aimante et compréhensive).



Inquiète d'entendre les immenses déflagrations d'un tonnerre invisible, l'institutrice demande aux enfants de se réunir dans l'école quand une pluie démentielle s'abat sur eux. Le cinéaste fait alors quelques plans pas piqués des vers sur le chemisier détrempé de la maîtresse d'école, une femme tout en poitrine. Ses fermes atouts mammaires autoritaires saillent fièrement bien que de manière impromptue sous un chemisier blanc détrempé qui n'en peut plus et sans que l'institutrice ne semble le remarquer, trop occupée à protéger ses bambins de la terrible averse providentielle qui éclate et se déverse sur leurs chères petites têtes blondes. Le ciel pourrait également me tomber sur la tête sans crier gare si j'avais face à moi une telle vision ultime du genre humain, je vous prie de me croire. Ooooook je reviens au ciné. Une fois les gamins abrités entre les murs du bâtiment, l'un d'eux reçoit ce qui semble être un projectile et commence à saigner : c'est un grêlon qui l'a frappé, une pluie torrentielle de glaçons énormes martèle soudain le toit de l'école et tout ce qui l'entoure dans ce qui ressemble moins à des intempéries qu'à une attaque ciblée, et qui n'est pas sans rappeler les deux séquences des Oiseaux d'Hitchcock où l'école de Bodega Bay est prise d'assaut par des mouettes puis des corbeaux, les enfants du film de Weir regardant au plafond sans comprendre d'où viennent ces bruits sourds qui écrasent leur école, puis les grêlons brisant les carreaux des fenêtres et pénétrant le bâtiment pour frapper un à un les enfants ensanglantés au milieu des cris stridents.



Juste après cette introduction fracassante, une autre scène nous saisit également mais sur un mode plus insidieux. Celle où David Burton dîne tranquillement en famille autour d'une table de cuisine filmée en plan large et fixe tandis que le cinéaste nous présente en montage alterné de l'eau coulant sur les marches de l'escalier qui descend au rez-de-chaussée. La lente progression du liquide sur la moquette beige lentement foncée par sa propagation, qui évoque une contamination virale du réel, est filmée en gros plan comme s'il s'agissait des pas d'un tueur approchant ses proies, et la petite musique qui l'accompagne, digne d'un film d'horreur, redoublée à l'image par un lent travelling de suivi, accentue le suspense et l'impression angoissante typique d'un film d'Hitchcock, une fois de plus. La résolution de cette séquence est d'ailleurs très logiquement celle d'un film d'épouvante trompant son spectateur pour faire lentement grimper l'angoisse, puisque l'eau ne venait que d'une baignoire en train de déborder...



Puis le film diluera peu à peu sa puissance inaugurale, ne réitérant pas avec autant de brio l'effet brutal du déluge initial ou l'invention figurale de la deuxième séquence, au profit d'une mise en scène parfois presque télévisuelle et d'un scénario plus étale faisant la part belle à une enquête criminelle mêlée d'ésotérisme via les rites tribaux d'aborigènes locaux peu commodes. Le récit eschatologique perd quelque peu à se restreindre aux présages sentencieux des autochtones prophétiques et perd surtout du temps et de son pouvoir de fascination en explications superflues. Mais heureusement Peter Weir se rattrape par de brefs sursauts, comme quand le héros, au volant de sa voiture, est assailli de visions délétères que le ralenti de l'image et la bande son bruitiste drapent d'une angoissante étrangeté : son poste radio crache des litres d'eau qui, modulés par la vitesse de défilement de l'image, se parent d'une matérialité étonnante, déformant sensiblement la réalité et contribuant par là même à la rendre douteuse. Et la rue devant lui, avec ses passants et ses véhicules, se retrouve soudain noyée sous un océan parsemé de cadavres flottants au gré d'un contre-champ improbable. Il y a aussi cette scène où David Burton retourne chez lui et voit ses visions antérieures actualisées dans une demeure pénétrée par les arbres que la tempête propulse sur elle, tapissée par des rideaux de pluie et surveillée par un sombre hibou de mauvais augure. Encore que le plus réussi dans cette séquence aux images envoûtantes reste le plan qui la précède, où l'on voit arriver la voiture du personnage sous la pluie et où les phares du véhicule créent un effet de distorsion sur la lentille de la caméra, brisant l'image en deux stries blanches en formes de vagues qui dessinent autant d'apparitions alarmantes.



Vient ensuite la découverte d'une fresque annonciatrice, au fond d'une grotte, dans une séquence obscure où le personnage n'a de cesse de répéter les mêmes mots, comme hypnotisé par les peintures rupestres qui prévoient le désastre, filmé au ralenti au milieu d'objets improbables (un masque, une amulette, etc.) dans une atmosphère crépusculaire nimbée de mystère et portée par une iconographie riche à souhait. Et Peter Weir de conclure son film sur le visage effaré de Richard Chamberlain, agenouillé face à une fin grandiose réalisée avec trois sous, une caméra penchée sur une vague et un projecteur qui s'éteint, mais qui n'en est que plus frappante, à l'image de l'ensemble du film qui, malgré quelques faiblesses réelles et autres temps morts, marque l'esprit d'images de fin du monde parmi les plus sourdement tenaces et préoccupantes qui soient.


La Dernière vague de Peter Weir avec Richard Chamberlain, Olivia Hamnett, David Gulpilil et Frederick Parslow (1977)

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