Place aujourd'hui au texte de notre ami et précieux collaborateur belge, Thomazinette, que l'on imagine et que l'on espère paumé quelque part dans le monde avec ses belles idées et ses belles odeurs (pour reprendre ses termes), à propos d'un téléfilm réalisé par son compatriote Lucas Belvaux en 2007.
On est en 2007, Belvaux prend ses aises à la tévé et déploie sur quatre heures une synthèse assez édifiante de la tentaculaire affaire Elf. Il se fait plaisir et s'offre un diptyque racontant d'une part les méfaits, d'autre part la tentative d'en faire rendre (des) compte(s). Cette construction où les deux parties s'éclairent l'une l'autre, permet de comparer les confessions aux actions, l'ombre de truands mandatés par l'État, qui s'engouffrent joyeusement dans l'orgie, à la glauque lumière d'un bureau de juge d'instruction contre laquelle ils se débattent. Plutôt que de se concentrer sur les conséquences de cette vile affaire (nettement évoquées par des extraits d'archives de journal télévisé d'époque, glissés dans les interstices de la narration), Lucas Bali-Balo va préférer se pencher sur la scission intérieure aux gredins, entre leurs agissements secrets, fantasmatiques, qu'ils croient ne concerner qu'eux, et la nécessité de renforcer une façade inoffensive lorsque la réalité de leurs actes les rattrape. Sa caméra les accompagne dans ces deux environnements, où on les voit se mouvoir avec grande ou petite aise, sans jamais vraiment comprendre ce qui les pousse.
On est en 2007, Belvaux prend ses aises à la tévé et déploie sur quatre heures une synthèse assez édifiante de la tentaculaire affaire Elf. Il se fait plaisir et s'offre un diptyque racontant d'une part les méfaits, d'autre part la tentative d'en faire rendre (des) compte(s). Cette construction où les deux parties s'éclairent l'une l'autre, permet de comparer les confessions aux actions, l'ombre de truands mandatés par l'État, qui s'engouffrent joyeusement dans l'orgie, à la glauque lumière d'un bureau de juge d'instruction contre laquelle ils se débattent. Plutôt que de se concentrer sur les conséquences de cette vile affaire (nettement évoquées par des extraits d'archives de journal télévisé d'époque, glissés dans les interstices de la narration), Lucas Bali-Balo va préférer se pencher sur la scission intérieure aux gredins, entre leurs agissements secrets, fantasmatiques, qu'ils croient ne concerner qu'eux, et la nécessité de renforcer une façade inoffensive lorsque la réalité de leurs actes les rattrape. Sa caméra les accompagne dans ces deux environnements, où on les voit se mouvoir avec grande ou petite aise, sans jamais vraiment comprendre ce qui les pousse.
Alex Descas incarne Pascal Lissouba, le candidat sudiste à la présidentielle du Congo Brazzaville, ici tout droit revenu de Harare avec quelques tubes des Bhundu Boys dans sa besace, qu'il entonne à la foule en délire. Gros habitué des congolais, l'Alex, puisqu'il incarnait déjà Mobutu dans le Lumumba de Raoul Peck.
Les deux premières heures, "Les rois du pétrole", racontent ainsi la mise en place progressive des commissions occultes et emplois fictifs, et l'accoutumance au mensonge avec aplomb et à la posture du bulldozer pour les magouilleurs, qui finissent par déblayer leur chemin à coups de pognon ou de menaces de mort (le président La Floche-Pringent va même jusqu'à menacer sa propre femme de mort). On suit cette évolution peinard, regardant les protagonistes évoluer tout badins, de bureaux blancs en salons de thé gabonais, tout en gardant comme contrepoint un côté didactique : Belvaux ne joue pas aux devinettes, il retrace clairement l'histoire et montre bien comment les patrons deviennent insensiblement et sans état d'âme des crapules irresponsables, s'estimant au-dessus de toute loi. Pas d'empathie ni de haine à leur égard, rien qu'une grande précision qui s'attache à contrer l'énormité de l'histoire et la sidération qu'elle pourrait susciter. Une précision telle qu'aucun des taulards ayant vu le film dans leur cabane ne se sont plaints d'avoir été faussement dépeints. Faut dire qu'on leur a coupé la langue à ces menteurs. N'était cette distance intègre donc, qui fait la spécificité de Luc À-vau-l'eau, on penserait pour un peu aux descriptions organiques de grands systèmes corrompus qu'a pu fabriquer Sidney Lumet pendant les années 70, tant les sourds complots sont exposés de manière limpide et implacable.
La deuxième partie du film, "Le Procès de l’affaire Elf", tâche d'en montrer le détricotage par la justice, et est un brin moins convaincante (pour cause un défaut dans l'écriture du rôle d'Eva Joly (interprétée par Will Ferrell, qui s'est cru sur le tournage de Elf), parfois trop peu vraisemblable). Elle montre toutefois parfaitement qu'une fois encastrés dans leurs mafieuseries, les rois du pétrole sont comme des huîtres accrochées à un rocher, indécrottables. Il y a également une satisfaction excitante à voir le personnage de la juge intègre se heurter à ces anguilles avec ténacité, et une frustration à la voir tant peiner pour les faire répondre de leurs actes. La frustration est d'autant plus amère que la juge Joly se voit très vite partie prenante de cet énorme traquenard, dès lors que l'approvisionnement de la France en pétrole par le roi du Gabon, Omar King of the Bongo Bong, est suspendu à sa décision de relâcher ou non un de ses inculpés. Ici Belvaux exerce sa maîtrise du polar pour tirer parti de la menace de représailles qui pèse sur Joly, et instaurer une belle tension autour de ce film de procès, une autre genre dans lequel excellait Lumet.
...et là les Predators !
Ce sont donc quatre heures fascinantes grâce à la question de la responsabilité que pose Muscat Blaireau, ou comment en se mentant à soi-même et en mettant de côté tout ce qui permet d'avoir une rencontre avec des personnes (ils semblent n'avoir un rapport au monde qu'en termes d'obstacles/d'outils), une demi-douzaine de lascars jouent un jeu luxueux qui provoque des guerres civiles au Congo Brazzaville, et chialent leurs mères au moment d'assumer. Fascinant aussi comme la pérennité de ces pratiques s'étale sur quinze ans dans une totale ignorance et impunité. Ça éberlue d'autant plus que cette affaire n'en finit pas de n'en plus finir : la condamnation a beau avoir eu lieu en 2003, ces gars-là courent toujours, sont déjà de retour à l'air libre et n'ont pour la plupart pas payé un dolz de leurs écrasantes amendes.
Alors bon, c'est un gros sujet, et l'aspect formel du film n'est pas toujours d'une virtuosité à la hauteur, c'est parfois pépère, du moins pour Belvaux dont on est habitué à du très bon. Mais il ne démérite pas, et c'était en même temps une gageure de rendre cette histoire prenante sur la durée, ce pour quoi il s'en tire de façon excellente ! En outre, son regard acéré donne à la fois un tableau riche et détaillé d'une histoire qui est considérée par tous comme un sac-de-nœuds, et un recul opportun pour méditer sur ces interactions humaines monstres.
Les Prédateurs de Lucas Belvaux avec Claude Brasseur, Philippe Nahon, Aladin Reibel et Nicole Garcia (2007)