Le premier film du jeune (30 ans à peine) cinéaste américain Benh Zeitlin a le mauvais goût de plutôt bien commencer et d'assez mal finir. La scène d'introduction a le charme de son excès et la force de sa naïveté. Zeitlin frôle les pires clichés de l'imagerie publicitaire actuelle pour appareil photo captant plus de couleurs qu'il n'en existe quand la petite héroïne du film, Hushpuppy (l'étonnante Quvenzhané Wallis), nous est présentée en train de courir au milieu d'une fête de "clochards célestes", des déclassés festifs vivant dans un bayou de la Nouvelle-Orléans, sur un îlot inondable abandonné avec les miséreux qui le peuplent et qui n'ont que leur joie pour tenir. Euphorique et insaisissable, l'enfant déambule sur une musique efficace (composée par le réalisateur lui-même), portant dans chaque main des feux d'artifice multicolores qui éclatent dans la nuit (c'est l'(ignoble) affiche du film) et la portent au moins autant que le montage exalté et maîtrisé de Zeitlin nous soulève nous-mêmes. On se dit alors que le jeune homme marche bon an mal an sur des œufs et que s'il n'en casse aucun d'ici la fin du film, ce sera un miracle.
Mais il faut bien avouer que le montage nous percute et que les idées ne sont pas mauvaises. Celle d'évoquer l'apocalypse en parlant de celles, partielles, qui ont déjà eu lieu en certaines régions du monde après le passage d'ouragans est particulièrement intéressante, celle aussi de filmer la fin du monde en la reliant à la fin du monde d'en bas, celui des plus pauvres, à côté duquel le chamboulement actuel de celui d'en haut, le nôtre, est à relativiser. Le projet supplémentaire de représenter la fin du monde comme fin du monde de l'enfance, avec la mort du père, une gamine qui passe son temps à regarder en face les animaux crevés et à écouter le pouls de ce qui vit encore, et qui apprend à s'en sortir toute seule pour faire face à un âge adulte où elle sera seule, semble également pertinent et porteur. Une scène, la plus belle du film, cristallise ces thématiques, celle où la gamine, après avoir mis le feu à sa cabane, frappe son père, cardiaque et mal en point, qui s'écroule (comme au début de Trust Me de Hal Hartley, où Adrienne Shelly assassinait son père en lui rendant sa claque sur la joue), au moment précis où se déclenche le déluge, Hushpuppy tirant les conséquences de ce concours de circonstances pour déduire logiquement qu'elle vient de déclencher la fonte des glaces par ce geste transitoire terrible.
La scène de déluge qui suit, où la petite fille reste dans la cabane tandis que le père ivre va tirer sur le ciel avec son fusil, continue d'impressionner avec une montée sonore des bruits de pluie assourdissants qui inquiète davantage que bien des scènes pyrotechniques de films catastrophes passés et récents. Zeitlin ayant tourné avec trois sous et jouant de cette pauvreté, le film tangue entre beauté et ridicule, aussi pourra-t-on se moquer de certains effets ou légitimement trouver beaucoup de poésie aux plans sur les aurochs prisonniers des cubes de glace, créatures préhistoriques issues du monde de l'enfance personnifiant la fin des temps, la menace des glaciers sur le point de déferler sur le monde connu. Malheureusement, et c'est là que le film commence à devenir plus anodin, ces bêtes qui font le titre du film, Beitlin les oublie un temps puis les récupère ensuite dans un contexte malheureux, plus proche de Max et les maximonstres, sans en faire grand chose, si ce n'est une sorte de pataude allégorie de la peur face à laquelle Hushpuppy fait montre de courage et devient femme à 6 ou 7 ans.
Ce n'est pas tellement suffisant et par conséquent le film s'affaiblit, perd sa poésie pour tomber dans pas mal de clichés, de scènes attendues, de choses très faciles (la voix-off de la mère décédée, entre autres), qui le sabordent en grande partie, pour finir sur un épisode regrettable, celui du voyage vers la mère, qui tombe dans le mièvre et dans le strict scénario. Il aurait fallu que le réalisateur ose davantage et tente quelque chose de plus original, de plus fort, notamment en se concentrant sur les créatures sauvages qu'annonçait son titre. Mais le résultat aurait peut-être tenu du miracle, et comment blâmer un premier film ambitieux de ne pas tenir toutes ses promesses. Reste que si Les Bêtes du sud sauvage se noie dans sa deuxième partie et en ressort très amoindri, Benh Zeitlin est désormais un nom à suivre, en espérant qu'il confirme et ne s'embourbe pas, mais on peut avoir bon espoir.
Mais il faut bien avouer que le montage nous percute et que les idées ne sont pas mauvaises. Celle d'évoquer l'apocalypse en parlant de celles, partielles, qui ont déjà eu lieu en certaines régions du monde après le passage d'ouragans est particulièrement intéressante, celle aussi de filmer la fin du monde en la reliant à la fin du monde d'en bas, celui des plus pauvres, à côté duquel le chamboulement actuel de celui d'en haut, le nôtre, est à relativiser. Le projet supplémentaire de représenter la fin du monde comme fin du monde de l'enfance, avec la mort du père, une gamine qui passe son temps à regarder en face les animaux crevés et à écouter le pouls de ce qui vit encore, et qui apprend à s'en sortir toute seule pour faire face à un âge adulte où elle sera seule, semble également pertinent et porteur. Une scène, la plus belle du film, cristallise ces thématiques, celle où la gamine, après avoir mis le feu à sa cabane, frappe son père, cardiaque et mal en point, qui s'écroule (comme au début de Trust Me de Hal Hartley, où Adrienne Shelly assassinait son père en lui rendant sa claque sur la joue), au moment précis où se déclenche le déluge, Hushpuppy tirant les conséquences de ce concours de circonstances pour déduire logiquement qu'elle vient de déclencher la fonte des glaces par ce geste transitoire terrible.
La scène de déluge qui suit, où la petite fille reste dans la cabane tandis que le père ivre va tirer sur le ciel avec son fusil, continue d'impressionner avec une montée sonore des bruits de pluie assourdissants qui inquiète davantage que bien des scènes pyrotechniques de films catastrophes passés et récents. Zeitlin ayant tourné avec trois sous et jouant de cette pauvreté, le film tangue entre beauté et ridicule, aussi pourra-t-on se moquer de certains effets ou légitimement trouver beaucoup de poésie aux plans sur les aurochs prisonniers des cubes de glace, créatures préhistoriques issues du monde de l'enfance personnifiant la fin des temps, la menace des glaciers sur le point de déferler sur le monde connu. Malheureusement, et c'est là que le film commence à devenir plus anodin, ces bêtes qui font le titre du film, Beitlin les oublie un temps puis les récupère ensuite dans un contexte malheureux, plus proche de Max et les maximonstres, sans en faire grand chose, si ce n'est une sorte de pataude allégorie de la peur face à laquelle Hushpuppy fait montre de courage et devient femme à 6 ou 7 ans.
Ce n'est pas tellement suffisant et par conséquent le film s'affaiblit, perd sa poésie pour tomber dans pas mal de clichés, de scènes attendues, de choses très faciles (la voix-off de la mère décédée, entre autres), qui le sabordent en grande partie, pour finir sur un épisode regrettable, celui du voyage vers la mère, qui tombe dans le mièvre et dans le strict scénario. Il aurait fallu que le réalisateur ose davantage et tente quelque chose de plus original, de plus fort, notamment en se concentrant sur les créatures sauvages qu'annonçait son titre. Mais le résultat aurait peut-être tenu du miracle, et comment blâmer un premier film ambitieux de ne pas tenir toutes ses promesses. Reste que si Les Bêtes du sud sauvage se noie dans sa deuxième partie et en ressort très amoindri, Benh Zeitlin est désormais un nom à suivre, en espérant qu'il confirme et ne s'embourbe pas, mais on peut avoir bon espoir.
Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin avec Quvenzhané Wallis et Dwight Henry (2012)