Déjà remarqué au Festival de Cannes l'an passé, It Follows a, depuis, suivi son petit bonhomme de chemin, en ne ratant aucune étape. Couvert de louanges et de récompenses, le film de David Robert Mitchell arrive aujourd'hui sur nos écrans auréolé d'une réputation écrasante qui entraîne logiquement des réactions passionnées. Moi-même, je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir une petite pointe de déception à la sortie de la séance, rapidement dissipée. On en oublie en effet le film que l'on a devant soi, pour ne penser qu'à celui que l'on s'imaginait et que l'on s'était mis à attendre. Et pourtant, It Follows est peut-être bien celui-ci. Le film d'horreur nécessaire et espéré. Un film certainement voué à devenir culte et qui saura conserver une place de choix dans la cinéphilie de beaucoup de ses spectateurs. Une chose est sûre : il vaut le coup d’œil, mérite qu'on lui donne sa chance et justifie que l'on s'y attarde un peu.
Non, ce film ne révolutionne pas le genre. Mais pourquoi le cinéma d'horreur aurait-il besoin d'une révolution ? Quand déboule un film comique qui fait marrer tout le pays, on ne se plaint pas qu'il ne révolutionne guère la comédie, non ? Condamné à une certaine redite, inondé de navets intenables et purement commerciaux, baignant ainsi dans une médiocrité crasse et une répétition lassante qui lui semblent inhérentes, le genre horrifique devrait donc trouver son salut dans un indispensable bouleversement. On peut encore l'attendre, cette révolution... Si l'élégant It Follows parvient à susciter de tels éloges, c'est peut-être tout simplement parce que le second film de David Robert Mitchell se trouve au bon endroit, au bon moment. Avant d'aller plus loin, ouvrons une petite parenthèse pour établir un bien triste constat : avant, les noms des cinéastes spécialisés dans l'horreur avaient quand même autrement plus de gueule ! Wes Craven, John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper, George Romero... C'est autre chose que "David Robert Mitchell", non ?! C'est quand même dommage... Je ne suis pas contre l'usage d'un pseudonyme quand on a un patronyme si plat et que l'on s'essaie à l'horreur. Enfin bref, passons.
It Follows m'apparaît donc, à sa façon, comme le film d'horreur nécessaire et attendu. Pourquoi ? Parce qu'il est à la croisée des chemins de plusieurs tendances actuelles, qui généralement n'arrivent pas à s'entendre et à se rejoindre pour de bon, et parce qu'il parvient à tirer et à représenter le meilleur de chacune d'elles. Dès les toutes premières images, et ce superbe plan-séquence en panoramique dans un quartier pavillonnaire qui nous est étrangement familier, nous savons que nous sommes en présence d'un film issu tout droit du cerveau et de l'imaginaire d'un cinéaste ayant grandi avec le meilleur du cinéma de genre des années 70, 80 voire au-delà. Wes Craven, David Lynch et, bien sûr, John Carpenter, sont les premiers noms qui me viennent en tête. Nous tenons là une œuvre sous influences, qui ne cache pas sa filiation, et qui pourrait même être interprété, mais ce serait bien réducteur, comme une brillante variation autour d'Halloween, sa référence la plus voyante. Il est d'ailleurs à la fois amusant et consternant de constater que les mêmes griefs sont dirigés à l'encontre des deux films. A près de 40 ans d'intervalle, ils véhiculeraient un même puritanisme rétrograde, dangereux et nauséabond, ils consisteraient, somme toute, en un même appel grotesque et odieux à l'abstinence, car la relation sexuelle tue, transmet le mal. S'arrêter à une interprétation si terre-à-terre pour un film qui nous laisse si libre d'y voir ce que l'on veut, qui multiplie intelligemment les pistes et déploie une vraie richesse thématique, est surtout, en réalité, d'une grande tristesse et atteste d'une sacrée étroitesse d'esprit.
It Follows se présente ensuite comme un film indépendant qui s'intéresse exclusivement à la jeunesse, ne montre quasiment pas un adulte, et porte sur ses jeunes protagonistes un regard attentionné et inquiet, doux et mélancolique. Un dialogue délicatement amené et survenant assez tôt nous apprend que l'un des grands garçons souhaiterait tout simplement retourner en enfance, à cet âge où l'on est encore heureux car tout est encore possible. Cette jeunesse est donc plutôt blasée, pessimiste, cernée par la crise et par la mort, abandonnée par ses aînés ; elle ne sait pas quoi faire de sa vie, et paraît avoir accepté une certaine fatalité, le caractère inéluctable d'une existence sans éclat, d'un avenir morose, sans réelle liberté. Les sinistres "suiveurs" sont souvent des parents, des personnes âgées, qui symbolisent toutes leurs peurs. David Robert Mitchell n'oublie pas non plus de se doter d'un regard social bienvenu en filmant très frontalement les banlieues grises, délaissées et sacrifiées de la ville de Detroit. Des zones pratiquement interdites, dont on ne parle plus, où la petite bande se rend dans l'unique but de retourner sur les traces éventuelles de leur malédiction, à son origine. Avec ce double regard adroit et discret, le cinéaste convoque toute une frange de ce cinéma indé américain que l'on aime et que l'on défend, les Kelly Reichardt, Matthew Porterfield et compagnie, en remontant plus loin, on pourrait même citer Gus Van Sant.
Non, ce film ne révolutionne pas le genre. Mais pourquoi le cinéma d'horreur aurait-il besoin d'une révolution ? Quand déboule un film comique qui fait marrer tout le pays, on ne se plaint pas qu'il ne révolutionne guère la comédie, non ? Condamné à une certaine redite, inondé de navets intenables et purement commerciaux, baignant ainsi dans une médiocrité crasse et une répétition lassante qui lui semblent inhérentes, le genre horrifique devrait donc trouver son salut dans un indispensable bouleversement. On peut encore l'attendre, cette révolution... Si l'élégant It Follows parvient à susciter de tels éloges, c'est peut-être tout simplement parce que le second film de David Robert Mitchell se trouve au bon endroit, au bon moment. Avant d'aller plus loin, ouvrons une petite parenthèse pour établir un bien triste constat : avant, les noms des cinéastes spécialisés dans l'horreur avaient quand même autrement plus de gueule ! Wes Craven, John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper, George Romero... C'est autre chose que "David Robert Mitchell", non ?! C'est quand même dommage... Je ne suis pas contre l'usage d'un pseudonyme quand on a un patronyme si plat et que l'on s'essaie à l'horreur. Enfin bref, passons.
It Follows m'apparaît donc, à sa façon, comme le film d'horreur nécessaire et attendu. Pourquoi ? Parce qu'il est à la croisée des chemins de plusieurs tendances actuelles, qui généralement n'arrivent pas à s'entendre et à se rejoindre pour de bon, et parce qu'il parvient à tirer et à représenter le meilleur de chacune d'elles. Dès les toutes premières images, et ce superbe plan-séquence en panoramique dans un quartier pavillonnaire qui nous est étrangement familier, nous savons que nous sommes en présence d'un film issu tout droit du cerveau et de l'imaginaire d'un cinéaste ayant grandi avec le meilleur du cinéma de genre des années 70, 80 voire au-delà. Wes Craven, David Lynch et, bien sûr, John Carpenter, sont les premiers noms qui me viennent en tête. Nous tenons là une œuvre sous influences, qui ne cache pas sa filiation, et qui pourrait même être interprété, mais ce serait bien réducteur, comme une brillante variation autour d'Halloween, sa référence la plus voyante. Il est d'ailleurs à la fois amusant et consternant de constater que les mêmes griefs sont dirigés à l'encontre des deux films. A près de 40 ans d'intervalle, ils véhiculeraient un même puritanisme rétrograde, dangereux et nauséabond, ils consisteraient, somme toute, en un même appel grotesque et odieux à l'abstinence, car la relation sexuelle tue, transmet le mal. S'arrêter à une interprétation si terre-à-terre pour un film qui nous laisse si libre d'y voir ce que l'on veut, qui multiplie intelligemment les pistes et déploie une vraie richesse thématique, est surtout, en réalité, d'une grande tristesse et atteste d'une sacrée étroitesse d'esprit.
It Follows se présente ensuite comme un film indépendant qui s'intéresse exclusivement à la jeunesse, ne montre quasiment pas un adulte, et porte sur ses jeunes protagonistes un regard attentionné et inquiet, doux et mélancolique. Un dialogue délicatement amené et survenant assez tôt nous apprend que l'un des grands garçons souhaiterait tout simplement retourner en enfance, à cet âge où l'on est encore heureux car tout est encore possible. Cette jeunesse est donc plutôt blasée, pessimiste, cernée par la crise et par la mort, abandonnée par ses aînés ; elle ne sait pas quoi faire de sa vie, et paraît avoir accepté une certaine fatalité, le caractère inéluctable d'une existence sans éclat, d'un avenir morose, sans réelle liberté. Les sinistres "suiveurs" sont souvent des parents, des personnes âgées, qui symbolisent toutes leurs peurs. David Robert Mitchell n'oublie pas non plus de se doter d'un regard social bienvenu en filmant très frontalement les banlieues grises, délaissées et sacrifiées de la ville de Detroit. Des zones pratiquement interdites, dont on ne parle plus, où la petite bande se rend dans l'unique but de retourner sur les traces éventuelles de leur malédiction, à son origine. Avec ce double regard adroit et discret, le cinéaste convoque toute une frange de ce cinéma indé américain que l'on aime et que l'on défend, les Kelly Reichardt, Matthew Porterfield et compagnie, en remontant plus loin, on pourrait même citer Gus Van Sant.
Enfin, et c'est ce qu'il y a sans doute de plus agréable à observer, It Follows porte clairement la marque d'un nouveau cinéaste, encore en devenir certes, mais qui, de par la maîtrise formelle éclatante dont il fait de nouveau preuve, la capacité rare à investir et à s'approprier les codes d'un genre, ainsi que la cohérence avec son précédent film (le méconnu The Myth of the American Sleepover qui sera, je l'espère, redécouvert à la lumière de son poursuivant), vient ici confirmer son éclosion. On a comme l'assurance d'avoir là affaire à l’œuvre d'un auteur à suivre, et la vision d'un film d'horreur offre rarement cette intime conviction. Ces derniers temps, la plupart des réussites du genre apparaissent souvent d'emblée comme des coups uniques, laissés sans suite. Le prochain opus de Mitchell sera très attendu, et il ne s'agira sûrement pas d'un film d'horreur, mais il y reviendra peut-être, et celui qu'il a déjà réalisé atteste d'une vraie singularité, d'une personnalité polyvalente, et c'est bien là l'essentiel. Aussi banal soit-il, son nom à rallonge va désormais compter dans le paysage du cinéma indé US. Pour toutes ces raisons, on peut comprendre l'accueil réservé à It Follows, titre horrifique qui tombe à pic et saura séduire le cinéphile lambda.
Si la forte reconnaissance que ce film a réussi à obtenir permet enfin de faire prendre conscience que, oui, c'est bel et bien de ce côté-là qu'il faut aller chercher les pépites, dans les marges du cinéma indépendant, alors tant mieux ! C'est là que sont produits les meilleurs films de genre depuis maintenant un moment. It Follows n'est donc pas une révolution, peut-être pas un chef-d’œuvre ou quoi que ce soit, mais c'est un film nécessaire, arrivé au moment le plus opportun, qui réussit à cristalliser, en beauté, différentes aspirations, pour 100 minutes qui font un bien étonnant au cinéma de genre entier. On peut simplement prendre du plaisir à y repenser en le considérant comme une sorte de vaste cauchemar dont ses jeunes protagonistes ne sortent jamais. On sort d'ailleurs du film comme on se réveille d'un mauvais rêve particulièrement marquant, en essayant d'en trouver le sens, persuadé qu'il y a une signification forte, évidente, mais insaisissable. Son ambiance onirique et flottante, ses décors désolés et hors du temps (habilement, le réalisateur se plaît à mêler les époques, à travers des accessoires incongrus et très peu d'indices temporels clairs) ont tôt fait de nous envelopper, de nous installer pleinement et confortablement dans une atmosphère étrange, incertaine, où la peur peut surgir au fond de l'image, hors-champ, n'importe où, n'importe quand et, pire encore, être incarnée par n'importe qui.
Même si le film n'est pas le choc ou le traumatisme que certains auront peut-être eu le tort d'attendre puis de regretter, les pures scènes de trouille sont d'une vraie efficacité et rythment idéalement l'ensemble. Des ellipses savamment placées distillent également un malaise véritable, on en vient par exemple à croire que notre jolie et pure héroïne (incarnée par Maika Monroe, actrice à suivre !) a été poussée à s'offrir à trois étrangers pour transmettre, temporairement, son malheur. Cette idée de transmission maléfique, ce jeu permanent sur le hors-champ, et un autre clin d’œil anecdotique autour d'une piscine, viennent d'ailleurs rappeler les grands films de Jacques Tourneur (Rendez-vous avec la peur, La Féline). Le talent de DRM (c'est déjà plus classe que son nom complet !) a le mérite de titiller notre imagination, comme en ont été capables avant lui les grands noms du fantastique. Sa mise en scène, appuyée par une bande son au diapason qu'il faut vraiment saluer aussi, nous rend légèrement paranos et donne une nouvelle saveur à ces peurs enfantines et adolescentes qui, depuis toujours, nourrissent et inspirent le cinéma d'horreur. Mitchell connaît bel et bien ses classiques et s'amuse à nous faire scruter le cadre, à la recherche d'un rôdeur éventuel, d'une menace avançant lentement mais sûrement ; il nous pousse à essayer de reconnaître les signes distinctifs de cette mort qui rôde, constamment, inarrêtable, se tenant toujours prête à nous rattraper, à nous happer. Pour toutes ces qualités, pour la peur et l'espoir qu'il parvient à susciter, It Follows est un film digne d'éloges, un modèle du genre, et il serait bien dommage qu'à l'instar de ces jeunes filles qu'il fait frémir et disloque, il ne soit, en quelque sorte, victime de son propre charme.
It Follows de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Lili Sepe et Daniel Zovatto (2015)