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Channel: Il a osé !
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Kill List

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Le salut du cinéma d'horreur passe souvent par un savant mélange des genres et des tons. Kill List, le second long-métrage remarqué du productif réalisateur britannique Ben Wheatley, en est une nouvelle preuve. Au risque de perdre le spectateur, le cinéaste propose une œuvre totalement hybride et inclassable. L'étiquette de film d'horreur qui lui est accolée mettra peut-être bien du temps à vous paraître justifiée, malgré une ambiance lourde, toujours incertaine, inquiétante et, surtout, une tension sourde, permanente, qui ne nous quitte jamais, de la première à la dernière image, et dans tous les différents registres qu'explore et traverse le réalisateur avec, souvent, beaucoup de talent et d'habileté. D'une fascinante étrangeté, Kill List s'ouvre comme un drame social sec et étouffant, où un homme est incité par sa femme à accepter un nouveau contrat pour subvenir aux besoins de sa famille, avant de se transformer en un film noir sarcastique traversé de scènes de violence fulgurantes (l'homme est tueur à gages), et de se conclure assez magistralement par l'épouvante pure et dure, dans une ambiance particulièrement poisseuse, habitée par cette horreur folklorique et païenne si chère au cinéma de genre britannique (on pense inévitablement au cultissime et également inclassable The Wicker Man de Robin Hardy).




La grande qualité du film de Ben Wheatley est de garder une vraie cohérence malgré cette diversité de registres, et même de trouver sa cohérence dans celle-ci, dans ce fin et singulier amalgame, dans cette confusion terrifiante qui ne manquera pas de surprendre et de décontenancer l'audience, peu habituée et parfois même rétive à ce qu'on lui retire tous ses repères pour la mener droit vers l'inconnu, d'une noirceur glaçante tout à fait inattendue. L'autre force du film, qui pourra aussi être décrite comme une de ses limites, est qu'il sait parfaitement rester dans le vague pour mieux faire naître l'angoisse. Après nous avoir maintenus dans un flou minutieusement entretenu, Ben Wheatley nous abandonne en plein cauchemar et laisse l'essentiel de son intrigue à l'imagination de son spectateur. Celui-ci pourra s'en saisir et, une fois le film terminé, se rendre compte qu'il tente de s'expliquer et de rationaliser ce qu'il vient de voir en s'échinant à compléter les zones d'ombres laissées à son attention, constatant ainsi que l'entreprise de Ben Wheatley a diablement fait mouche ; ou il pourra s'en défaire, s'en désintéresser progressivement, et chasser toutes les questions restées en suspend, en considérant donc le film assez dérisoire et son scénario très faiblard. Nul besoin de vous préciser que je fais clairement partie de la première catégorie de spectateurs.




Bien que Kill List contienne au moins une scène d'une violence visuelle extrême à vivement déconseiller aux âmes sensibles, Ben Wheatley a donc l'intelligence de plutôt suggérer l'horreur pour que celle-ci soit plus grande, et de nous quitter en son climax pour qu'elle soit totale et perdure bien longtemps après le générique de fin. Un générique final hanté par un chant inquiétant, lointain et guttural, un air indescriptible qui semble émaner d'une sorcière insaisissable, tout à fait à l'image de la bande son très réussie et particulièrement travaillée du film, Ben Wheatley ayant tout à fait compris qu'il s'agissait là aussi d'un aspect incontournable de tout bon film de genre. Mais Kill List est avant tout un film de mise en scène, dans lequel tout repose sur l'ambiance asphyxiante que celle-ci parvient à développer à moindre effets et notamment grâce à un montage syncopé particulièrement déstabilisant. Le style rugueux et froid de Ben Wheatley, fait d'ellipses brutales et de cuts tranchants, semble empli d'une hargne maîtrisée et canalisée, mise au service d'une terreur flottante, indicible et exponentielle qui fait donc de Kill List un sacré film d'horreur, un vrai, remarquable en de nombreux points, qui a donc entièrement mérité les quelques éloges reçues et qui rend très impatient de découvrir ce que son auteur fera par la suite.


Kill List de Ben Wheatley avec Neil Maskell, MyAnna Buring et Michael Smiley (2012)

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