Si on regrette de ne pas avoir vu ce film "sous influence", on se mord encore plus les doigts de ne pas écrire sa critique en étant high in the sky. Après deux heures trente d'expérience extra-corporelle, Dieu sait qu'on a envie d'un petit remontant et de sauver sa soirée de toutes les façons possibles. Les trois pizzas recouvertes de roquette engrangées à la sortie du film ne suffisent pas à se remettre d'humeur. On y a pourtant cru, ticket de caisse faisant foi. Vice caché, le roman de Thomas Pynchon, acheté à prix d'or en format poche et entamé avec passion il y a quelques mois dans l'idée d'être au taquet à la sortie de l'adaptation, faisant foi et foutant les foies. Sauf que le livre nous était tombé des mains. Sauf que nous n'avons jamais été très forts pour comprendre les intrigues à plus de quatre personnages. Et sauf que Paul Thomas Anderson nous l'avait déjà faite à l'envers avec son dernier film, The Master.
Certes on n'a pas la lumière à tous les étages, même si on a bac +13 à tous les deux (vu qu'on a eu notre bac il y a 13 ans), et même si on mène notre vie sans l'aide d'un tuteur légal ou autre auxiliaire de vie scolaire. Mais ne rien piger à ce point ? Et dès la première seconde de film ? Dès le premier dialogue, dès le premier échange, on s'est regardé, figés côte à côte, l'oeil mort, puis on s'est foutu des petites baffes, on a fait quelques moulinets des bras, pris une gorgée d'eau recrachée aussitôt sur le siège de devant, bref, on s'est remis dans la course, comme après un but encaissé dès l'engageot sur une balle perdue, l'air de dire : "On se remet dedans, on n'y était pas, ça arrive, c'est pas la première fois, c'est pas la dernière, y'a de très grands films qui nous ont pris à rebrousse-poil, rappelle-toi Stalker... au début on savait pas... Y'a pas mort d'homme, balle au centre, on recommence tout depuis le début, on est parti du mauvais pied, tant qu'il n'y a pas la cloche tout est jouable, il nous reste 2h29 pour mordre dedans". Manque de bol c'était le premier but concédé d'une soirée noire, d'une rouste historique, d'un camouflet subi à domicile, sur tapis vert, après forfait, d'autant plus dur à vivre que cette déculottée sanctionnait une préparation physique et mentale dont on avait respecté toutes les étapes : on a vu tous les PTA, on a tenté le bouquin, on a fait fi des critiques négatives, on a placé toutes nos billes sur un dénommé Milou (qui se reconnaîtra, qu'on retrouvera), fan du film décomplexé prompt à jeter les innocents dans les salles ("allez-y les yeux fermés", voilà sa critique).
Que dire, du coup ? Faire le résumé ? Impossible. Parler de mise en scène ? Alors oui, Paul Thomas Anderson a officiellement bien ses deux bras. Son film n'agresse pas l'oeil, mais jamais ne l'accroche. On comptait toujours quelques fulgurances dans ses précédents films : les grenouilles de Magnolia, les ratons-laveurs de Punch Drunk Love, les anacondas de Boogie Nights, les chèvres de There Will be Blood, les dauphins de The Master, autant de moments d'anthologie qui ont marqué l'indiewood. Devant Inherent Vice, on cherche longtemps le moment de bravoure, on est à l'affût du moindre mouvement de caméra ou autre plan-séquence un peu frappant, on attend l'ellipse qui nous foutra sur le cul, on espère la lueur, mais en vain. Au lieu de ça, nous sommes demeurés plongés dans un ennui abyssal, aucune scène ne sort du lot, on est dans la mélasse d'un scénario volontairement brumeux comme une fumée de marijuana.
Tous les efforts de Paul Thomas Anderson pour nous alpaguer, nous séduire, ne font que renforcer le sentiment d'arnaque, d'esbroufe, le mot est lâché, et ça nous fait mal d'employer ce mot pour PTA, mais il faut le dire, comme quand un bon pote a joué au con. Adapter Pynchon c'était déjà s'en foutre quelques uns dans la poche, s'étendre sur la période mythique de la fin des années 60, avec ses hippies, ses putes et sa ganja, n'en parlons pas. Mais que dire d'engager un casting de rêve, composé d'un acteur intouchable (on ne parle pas d'Omar Sy mais de Joaquin Phoenix), d'acteurs "cools" (Benicio del Toro, Josh Brolin, Reese Witherspoon, Owen Wilson), de quelques revenants (Eric Roberts, sœur de Julia Roberts, inoubliable dans Runaway Train ; Martin Donovan, acteur fétiche de Hal Hartley, notamment dans Trust me ; Martin Short, le héros de L'Aventure intérieure), de gros veaux humains (Maya Rudolph... qui nous dit qu'elle ne s'appelle pas plutôt Rudolph Maya ?) et autres guest-stars de rêve que seul PTA pouvait se payer (Joanna Newsom), sans oublier une bande originale aux petits oignons (faite de Jonny Greenwood, Neil Percifal Young, Buffalo Springfield, The Squires, Crazy Horse, Crosby Stills Nash & Young, etc.). Et, pour couronner le tout, une direction artistique survoltée, qui nous laisse une image des années 70 assez triste, entretenant tous les gros clichés et sûre de faire un tabac dans les couloirs de l'UFR de lettres de la fac du Mirail.
On se félicite d'être en mars... Finir l'année là-dessus aurait été trop moche. On nous dira qu'il faut avoir vu le film avec un gros oinj entre chaque main. On nous dira peut-être que ce n'était pas la peine, que le film parvient à nous mettre dans cet état-là avec son script en forme de sables mouvants. Mais si la drogue, le sexe et le rock'n'roll (avec Neil Young c'est plutôt du soft-rock quand même, ça reste gentil) créent cet effet-là, alors nous voulons bien devenir Bernard l’Hermite, de véritables pagures, renoncer à tout, et suivre le même régime que notre tonton Scefo, à qui on a greffé deux cœurs pour être sûr que son mode de vie lui permette de suivre l'Euro 2016 en France. En réalité il était victime d'un situs inversus, maladie congénitale dans laquelle les principaux viscères et organes sont inversés. Les chirurgiens port-de-boucains qui l'ont opéré, ayant ouvert son torse du mauvais côté pour lui faire une greffe, ont découvert une simple cavité dans laquelle ils ont décidé de tout de même balancer le cœur tout chaud extirpé à son berger allemand, qui venait de prendre une balle perdue lors d'une partie de chasse dans le Battelfield Earth qui leur sert de domicile. Bref, comme vous pouvez le voir, avec une famille pareille, on n'a pas besoin de se ruiner les méninges à blanc devant le dernier PTA. On est d'ailleurs les plus cartésiens de la famille, les seuls à ne pas croire aux théories du complot, parce qu'on ne connaît pas du tout les événements sur lesquels ils s'appuient. Nous sommes encore très étonnés (mais assez flattés) de l'immense marche républicaine qui s'est récemment mise en branle pour l'anniversaire de notre chien Baltasar Kormákur.
Inherent Vice de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Benicio del Toro, Joanna Newsom, Katherine Waterston, Reese Witherspoon, Maya Rudolph, Owen Wilson, Eric Roberts, Martin Donovan et Martin Short (2015)