Ce film est probablement le plus gros mindfuck de l'histoire des histoires. Amateurs de spoilers, réunissez-vous autour de cet article. Que nous racontent les frères Spierig en adaptant ce texte de Robert Heinlein ? Au départ, on se croirait dans un caper movie de base. Le héros, interprété par un Ethan Hawke de retour du diable vauvert, est censé être renvoyé dans le passé pour empêcher leso called "Feu follet", surnom d'un terroriste dynamiteur, de faire sauter un bâtiment. On nage donc, littéralement, en plein caper movie. Mais très vite, une scène de troquet sous influence pagnolesque, qui dure une bonne demi heure, brise l'horizon d'attente d'un spectateur en quête de repères, qui a depuis un bail entamé une séance de rameur devant sa télé. On apprend dans cette scène, grâce à l'inénarrable Ethan Hawke, passé de démineur à serveuse le temps d'un raccord, lancé dans une discussion à bâtons rompus avec Leonardo DiCaprio, que le film a largué les amarres et préférera la réflexion à l'action. Les frères Spierig en ont sous la godasse, et semblent vouloir nous dire : "On va moins vous faire suer des barres que vous tuer l'esprit".
Face à face entre deux éphèbes des années 90 : Leonard DiCaprio trinque avec Ethan Hawke. Quand il mate le film, Brad Pitt se demande pourquoi il n'a pas été invité.
Qu'en est-il, au fond, de Predestination ? C'est l'histoire d'une personne qui est tout à la fois, sans le savoir, sa propre mère et son propre père, ainsi que son propre amant, puis son propre enfant, et enfin son propre chien, du fait de plusieurs boucles temporelles imbriquées. Si vous avez du mal à y croire et à comprendre, ne regardez pas le film, car il ne va pas vous aider du tout, mais relisez simplement notre résumé, qui est clair comme de l'eau de roche. Si Bob Heinlein le lisait, il opinerait sans doute du chef, comme un vieux sage, avançant une lippe satisfaite, heureux que des années de travail soient aussi bien résumées. Voyageurs du temps, touristes de l'horloge, prenez garde à également tracer la route dans l'espace, à voyager verticalement et horizontalement, sous peine de tomber amoureux de vous-mêmes, de vous interpénétrer, de vous accoucher et de vous tenir en laisse. Les frères Spierig, qui sont sans doute eux-mêmes un seul et unique individu, ont le mérite de donner un nouveau souffle à toutes les réflexions engendrées par ce type de récits de science-fiction philosophique. Ils ont en revanche le tort d'avoir pondu une sacrée daube. Face ce film, on se demande sans cesse si c'est du génie ou de la pure infamie, et pas mal de scènes font pencher la balance du mauvais côté.
Ethan Hawke stipule dans chacun de ses contrats qu'il viendra avec ses propres habits et qu'il s'habille chez GrouchO: friperie RetrO, 39 rue Peyrolières.
Saluons tout de même le courage des deux kamikazes qui ont réalisé ce film, quitte à en sortir cramés et fâchés à vie avec la dynastie Heinlein. Ces deux connards ont toute notre sympathie. Et leur acteur-star, Ethan Hawke, a plusieurs pieds-à-terre intra-muros chez les auteurs de ce blog. On tient quand même à réparer une injustice. Celui qu'on a surnommé le Cary Grant des années 90 grâce à Bienvenue à Gattacca, où il marche sur l'eau, et au Cercle des poètes disparus, où il est beau comme un cœur, essuie aujourd'hui plusieurs quolibets. Beaucoup d'anciens fans le maltraitent, faisant de lui un exemple d'acteur ayant mal vieilli. Il a vieilli, certes, admettons. Mal ? Uma Thurman aimerait pouvoir en dire autant. Peu de starlettes des années 90 trimballent encore autant de classe qu'Ethan Hawke. Prenez les actrices de Friends, Courteney Cox, Jennifer Aniston, l'actrice préférée des américains, donc du monde entier, voire Matthew Pery. Toutes sont devenues des armoires à pharmacie ambulantes. Mais Matthew Perry, on le laisse tranquille, simplement parce qu'il n'est plus under the radar. A contrario, rappelons qu'Ethan était l'an passé à l'affiche de Boyhood, neuf nominations aux Oscar et film préféré de Barack Obama... Qui dit mieux ?
Drôle de scène post-générique où Ethan Hawke étreint une grosse aubergine, qui n'est autre que lui-même devenu légume.
Certes, il n'est pas toujours irréprochable. Par exemple dans The Purge, où il porte la moustache, sauf dans une scène... Un matin, Ethan s'est présenté sur le plateau rasé à blanc, un sourire d'écolier en bandoulière, l'envie de bien faire au rendez-vous. Le producteur l'a dévisagé et a pointé son index sous son nez l'air de dire : "What the fuck ? Qu'est-ce que tu nous as fait ? Trente ans de carrière, jamais vu ça !" Mais comment lui en vouloir ? Quand on tourne quatre films par an, dont deux de Richard Linklater et deux des frères Spierig, on ne peut pas toujours s'y retrouver et apporter le bon cartable. Sans compter qu'Ethan Hawke a un autre job à temps plein, celui de plaque tournante. Il sert de parabole entre le Mexique et le continent nord-américain. Voisin de Dick Linklater à Austin, les deux hommes partagent une passion envahissante pour tout ce qui fume et qui rend jouasse. D'ailleurs, tout le monde s'est esbaudi du projet Boyhood, film tourné sur quinze ans, alors que le tournage s'adaptait simplement au planning-maison de Linklater et à son rythme de vie très "cool". Nul doute que la ganja tournoyait aussi sur le plateau de Predestination. A ce propos, oubliez Las Vegas Parano et Inherent Vice, vous tenez là THE stoner movie.
Predestination des frères Spierig avec Ethan Hawke, Sarah Snook et Noah Taylor (2014)