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Channel: Il a osé !
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Le Vieillard du Restelo

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Excusez le format de cette étrange affiche mais Le Vieillard du Restelo, ultime film de son auteur, n'en possède pas d'autre, pour l'instant. Celle-ci est pour le moins intrigante, et d'aucuns diraient déplaisante, la faute au montage maladroit dont sont victimes les quatre acteurs du film, mais elle a le petit mérite de bien annoncer le programme de ce court métrage d'une quinzaine de minutes que Manoel de Oliveira, en 2014, du haut de ses 105 ans et d'une carrière formidable, eut bien des difficultés à produire. Quatre hommes de lettres (l'un deux en étant tout entier constitué) surgissent du passé pour se réunir autour d'un banc de notre temps et discuter de littérature, de la péninsule ibérique, de gloire et de vanité, entre autres vastes sujets. 




Le premier sur place n'est autre qu'un Don Quichotte mutique, plus ou moins effaré. Le héros de Cervantes, personnage d'idiot fabuleux, habité par les grands récits épiques au point de se fantasmer en glorieux chevalier et de chuter contre la pure abstraction de bêtes moulins à vent, est, si l'on peut dire, au cœur du film, puisque ce dernier s'ouvre et se referme sur la couverture du grand roman de la littérature espagnole et disserte en grande partie de ses thèmes fondamentaux. Puis Quichotte (Ricardo Trêpa) est rapidement rejoint par le poète médiéval Luís Vaz de Camões (Luís Miguel Cintra), auteur de la principale épopée des lettres portugaise, Les Lusiades, puis par le poète Teixeira de Pascoaes (Diogo Doria), et enfin par le taciturne romancier du 19ème siècle, Camilo Castelo Branco (Mario Barroso).




Mais au-delà des conversations passionnantes, foisonnantes, parfois sibyllines, entre les quatre hommes, le film est empli d'un certain mystère et de poésie. Manoel de Oliveira, pour la dernière fois, nous aura livré des images d'une rare beauté, pleines de signes, dans un film, comme souvent chez le cinéaste, tissé de présences improbables et où se manifestent, ici et là, les émouvantes traces du vivant. C'est par exemple un livre, Les Lusiades, le fameux, qui remonte à la surface de la mer, pour être englouti à nouveau quelques images plus loin. Ce sont les ombres de deux amants projetées sur l'herbe verte d'une prairie, comme allégorie de l'Espagne, désert séparant deux oasis. C'est le cigare de l'écrivain Camilo Castelo Branco, dont la cendre consumée s'est brisée et qui git au sol, encore fumant, tandis que l'homme vient de se tirer une balle dans la tête sans immédiatement cesser de respirer. C'est une gravure de Don Quichotte par Gustave Doré qui transparaît derrière le plan fixe, en plan d'ensemble, d'un jardin contemporain frémissant. C'est aussi une comète qui traverse lentement, à pas de loup, le ciel nocturne. C'est enfin les éternels instants de gloire chevaleresque passés qui hantent les épopées et les peuples qui les lisent, ou notre 21ème siècle rattrapé par les fantômes des grands écrivains et de leurs héros mythiques, avec la chute d'Hidalgo, guignol accroché à la pale d'un moulin, comme image d’Épinal, répétée et ralentie dans un finale prophétique et mélancolique. Bref, c'est tout le dernier film de Manoel de Oliveira, peuplé par ses acteurs de toujours, et habillé par nombre d'images tirées de ses films passés, comme s'il s'agissait, pour le plus vieux de tous les vieillards du cinéma, de tout recouper, de boucler la boucle et de faire résonner son œuvre d'un seul geste, dans un dernier coup de maître, ce film fréquenté par le passé, tenaillé par la mort, ouvert à toutes les formes de résurgences et de présences enfouies, et néanmoins, ou plutôt, et par ce chemin, d'une poésie bien vivante.


Le Vieillard du Restelo de Manoel de Oliveira avec Diogo Doria, Luís Miguel Cintra, Ricardo Trêpa et Mario Barroso (2014)

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