Le Bronx, début des années 60. Les gangs rivales s'affrontent dans les rues new-yorkaises, chacune a son code vestimentaire, ses origines et son territoire. Richie Gennaro et Joey Capra, deux garçons sympathiques d'origines italiennes, appartiennent à la même bande, les très pacifiques Wanderers (vagabonds). Le premier, jeune homme charmeur et téméraire, est le véritable chef de la meute tandis que le second, plus timide et réservé, en est en quelque sorte le bout-en-train. Liés par une forte amitié, ils vivent ensemble leur dernière année au lycée. Richie (Ken Wahl), sérieusement engagé avec une fille éperdument amoureuse de lui, découvre les responsabilités nouvelles résultant de cette relation, impliquant notamment de devoir résister aux tentations même quand celles-ci prennent la forme d'une Karen Allen rayonnante. Quant à Joey (John Friedrich), il traverse une période difficile, trouvant dans sa bande de potes le seul refuge possible d'une vie familiale épouvantable, dominée par un père violent, infidèle et irascible. Les deux garçons sont à une période charnière de leur existence.
Réalisé par Philip Kaufman en 1979, The Wanderers est un "film de gangs"à ranger dans la catégorie des American Grafiti, Outsiders et Les Guerriers de la nuit sortis à peu près à la même période. Et, bien que je dois avouer ne pas avoir vu le film de George Lucas, je ne crois pas prendre un très grand risque en affirmant que The Wanderers (bêtement devenu Les Seigneurs en VF) doit être le tout meilleur du lot. Épaulé par sa femme, Philip Kaufman a adapté le premier bouquin de Richard Price, très habile écrivain originaire du Bronx dont le talent a plusieurs fois été mis au service du cinéma et de la télévision, signant quelques scénarios pour Martin Scorsese et inspirant directement la série The Wire. Le cinéaste a transformé le récit très épisodique de l'auteur new-yorkais en un film qui parvient à en conserver l'esprit, s'attachant également à retranscrire une ambiance, l'air d'une époque, mais qui réussit à trouver une cohérence et une dynamique propres en prenant pour fil conducteur le destin de ces deux personnages immédiatement attachants.
Dès les premières minutes, qui nous proposent une course-poursuite à toute allure dans les ruelles du Bronx puis un affrontement musclé entre deux bandes qui trouve résolution viar un deus ex machina des plus savoureux, Philip Kaufman fait preuve d'une vigueur et d'une maîtrise qui ne l'abandonneront jamais. Sous fond de musique sixties du plus bel effet, nous prenons un malin plaisir à suivre les vies de ces jeunes qui ne pensent qu'à s'amuser comme pour mieux oublier l'inéluctable et radical changement à venir. Le bouillonnement urbain si cher aux livres de Richard Price est parfaitement retranscrit par un Philp Kaufman inspiré qui ose parfois des ruptures de ton très surprenantes. La légèreté, l'insouciance juvénile laisse régulièrement place à un profond désarroi et à une gravité saisissante. Je repense ici à cette scène troublante où tous les Fordham Baldies, une bande plutôt violente de crânes rasés en blousons de cuir, se retrouvent engagés dans la Marine par un recruteur zélé qui, jusque là, se contentait de hanter certaines scènes, dans l'arrière-champ, posté en uniforme derrière sa vitrine, portant son regard inquiétant et inquisiteur sur les jeunes des rues.
Le réalisateur se permet aussi des sorties de route franchement étonnantes, faisant dévier son film de la trajectoire habituelle et attendue. Kaufman nous rappelle alors qu'il venait tout juste de signer un remake particulièrement réussi de L'Invasion des profanateurs de sépultures au moment du tournage. The Wanderers faufile soudainement vers un registre fantastique voire horrifique lors des apparitions inquiétantes des Ducky Boys, ce terrible et insaisissable gang d'irlandais surgissant toujours de nulle part, et de préférence d'un épais brouillard, pour commettre l'impensable. On pense même au cinéma de John Carpenter quand nous les voyons apparaître tels des fantômes dans leur brume crasseuse (Fog) ou se montrer aléatoirement tel des croque-mitaines citadins (Halloween). Venant de moi, c'est bien entendu un sacré compliment.
Une autre scène propose un basculement très étrange : celle de ce match de football américain qui, suite à l'apparition des Ducky Boys, dégénère en une bagarre générale où l'intervention finale musclée du père de Joey, trouvant là l'occasion rêvée d'extérioriser toute sa violence, laissera une impression très marquante. Le match de football, d'abord accompagné d'une musique pop entraînante et joyeuse, se transforme progressivement en une scène quasi guerrière et particulièrement violente, où des sirènes et des crissements dissonants se mêlent à des cris multiples qui résonnent en un écho tétanisant. Alors que la bande son du film pourrait se résumer en un alignement facile de tubes accrocheurs de l'époque, cette scène montre que Philip Kaufman ne s'est pas limité à cela : le travail sur le son est ici tout à fait bluffant. A ce titre, l'apparition finale de la silhouette de Bob Dylan, interprétant The Times They Are A-Changin' dans une petite salle du Greenwich Village, ne semble pas du tout gratuite, elle fait totalement sens et vient même appuyer la douce mélancolie qui se dégagent de cette poignante conclusion. The Wanderers m'a également rappelé le Breaking Away de Peter Yates, sorti la même année ; on tient là un autre très beau film, empreint d'une certaine nostalgie, sur le passage à l'âge adulte et le changement d'époque. Bien sûr, je vous le conseille vivement !
Réalisé par Philip Kaufman en 1979, The Wanderers est un "film de gangs"à ranger dans la catégorie des American Grafiti, Outsiders et Les Guerriers de la nuit sortis à peu près à la même période. Et, bien que je dois avouer ne pas avoir vu le film de George Lucas, je ne crois pas prendre un très grand risque en affirmant que The Wanderers (bêtement devenu Les Seigneurs en VF) doit être le tout meilleur du lot. Épaulé par sa femme, Philip Kaufman a adapté le premier bouquin de Richard Price, très habile écrivain originaire du Bronx dont le talent a plusieurs fois été mis au service du cinéma et de la télévision, signant quelques scénarios pour Martin Scorsese et inspirant directement la série The Wire. Le cinéaste a transformé le récit très épisodique de l'auteur new-yorkais en un film qui parvient à en conserver l'esprit, s'attachant également à retranscrire une ambiance, l'air d'une époque, mais qui réussit à trouver une cohérence et une dynamique propres en prenant pour fil conducteur le destin de ces deux personnages immédiatement attachants.
Dès les premières minutes, qui nous proposent une course-poursuite à toute allure dans les ruelles du Bronx puis un affrontement musclé entre deux bandes qui trouve résolution viar un deus ex machina des plus savoureux, Philip Kaufman fait preuve d'une vigueur et d'une maîtrise qui ne l'abandonneront jamais. Sous fond de musique sixties du plus bel effet, nous prenons un malin plaisir à suivre les vies de ces jeunes qui ne pensent qu'à s'amuser comme pour mieux oublier l'inéluctable et radical changement à venir. Le bouillonnement urbain si cher aux livres de Richard Price est parfaitement retranscrit par un Philp Kaufman inspiré qui ose parfois des ruptures de ton très surprenantes. La légèreté, l'insouciance juvénile laisse régulièrement place à un profond désarroi et à une gravité saisissante. Je repense ici à cette scène troublante où tous les Fordham Baldies, une bande plutôt violente de crânes rasés en blousons de cuir, se retrouvent engagés dans la Marine par un recruteur zélé qui, jusque là, se contentait de hanter certaines scènes, dans l'arrière-champ, posté en uniforme derrière sa vitrine, portant son regard inquiétant et inquisiteur sur les jeunes des rues.
Le réalisateur se permet aussi des sorties de route franchement étonnantes, faisant dévier son film de la trajectoire habituelle et attendue. Kaufman nous rappelle alors qu'il venait tout juste de signer un remake particulièrement réussi de L'Invasion des profanateurs de sépultures au moment du tournage. The Wanderers faufile soudainement vers un registre fantastique voire horrifique lors des apparitions inquiétantes des Ducky Boys, ce terrible et insaisissable gang d'irlandais surgissant toujours de nulle part, et de préférence d'un épais brouillard, pour commettre l'impensable. On pense même au cinéma de John Carpenter quand nous les voyons apparaître tels des fantômes dans leur brume crasseuse (Fog) ou se montrer aléatoirement tel des croque-mitaines citadins (Halloween). Venant de moi, c'est bien entendu un sacré compliment.
Une autre scène propose un basculement très étrange : celle de ce match de football américain qui, suite à l'apparition des Ducky Boys, dégénère en une bagarre générale où l'intervention finale musclée du père de Joey, trouvant là l'occasion rêvée d'extérioriser toute sa violence, laissera une impression très marquante. Le match de football, d'abord accompagné d'une musique pop entraînante et joyeuse, se transforme progressivement en une scène quasi guerrière et particulièrement violente, où des sirènes et des crissements dissonants se mêlent à des cris multiples qui résonnent en un écho tétanisant. Alors que la bande son du film pourrait se résumer en un alignement facile de tubes accrocheurs de l'époque, cette scène montre que Philip Kaufman ne s'est pas limité à cela : le travail sur le son est ici tout à fait bluffant. A ce titre, l'apparition finale de la silhouette de Bob Dylan, interprétant The Times They Are A-Changin' dans une petite salle du Greenwich Village, ne semble pas du tout gratuite, elle fait totalement sens et vient même appuyer la douce mélancolie qui se dégagent de cette poignante conclusion. The Wanderers m'a également rappelé le Breaking Away de Peter Yates, sorti la même année ; on tient là un autre très beau film, empreint d'une certaine nostalgie, sur le passage à l'âge adulte et le changement d'époque. Bien sûr, je vous le conseille vivement !
The Wanderers (Les Seigneurs) de Philip Kaufman avec Ken Wahl, John Friedrich, Karen Allen et Toni Kalem (1979)