Ça, c'est un grand film ! C'est l'histoire de ma vie... Je ne suis pas encore passé à l'acte. Je n'ai jamais zigouillé les aimables personnes qui ont eu la bonté de m'accueillir au sein de leurs automobiles flambant neuves. J'ai toujours réussi à retenir mon geste, mais je garde quand même mon opinel dans la poche. Un opinel numéro 12, pas n'importe lequel, celui dont la lame a la taille de mon pénis... Hitcher a longtemps été mon film de chevet. Je le posais sur ma table de chevet, près de mes cachetons. J'avais la VHS et je relisais le dos de la jaquette. Tout y était dit, mais rien n'était dévoilé, c'était le résumé parfait. Il y avait, dans le coin, en haut à droite, la tête du beau Rutger Hauer, ses yeux bleus électriques fixant l'horizon. Ils me fascinaient. Ils m'ont aussi occasionné de nombreuses nuits blanches... J'avais parfois l'impression que ses deux yeux brillaient en pleine nuit, comme deux points phosphorescents qui m'incitaient à passer à l'acte. Combien de fois me suis-je levé en sursaut, avec l'intention de régler son compte à mon cousin Aurélien, qui venait amicalement passer la nuit chez nous pour soulager le calvaire de ses parents.
Hitcher, j'ai dû le voir 30 fois. C'est l'exemple idéal du thriller à la tension allant crescendo dans l'horreur. C'est le prototype du film porté par un méchant inoubliable pour lequel on prend fait et cause. Rutger Hauer y trimballe une putain de classe ! Ce film m'a inspiré. A 13 ans, je commençais à fuguer et à pratiquer l'auto-stop. Heureusement pour ma pomme, chance ou hasard, il s'avérait qu'un dénommé Francis Heaulmes rôdait dans la même zone que moi au moment où je commençais mon apprentissage. J'ai pu me ressaisir depuis, mais cette histoire a tout de même duré 4 ans. Je suis à l'origine d'un arrêté préfectoral qui interdit l'auto-stop dans le Jura. J'ai inspiré un site internet : stopautostop.com. Je voulais être Rutger Hauer. Le problème, c'est que je suis petit, basané, mal bâti et j'ai le poil et les yeux noirs. C'est là tout le drame de ma vie. Je soulageais ma peine en écoutant Riders on the Storm des Doors en boucle et en me repassant Hitcher chaque soir. Je suis l'auteur de la page wikipédia anglaise de 3 kilomètres de long consacrée à ce chef d’œuvre, et j'ai dû synthétiser un max.
Robert Harmon n'a rien fait d'autre ensuite. Rien de notable, seulement des daubes. Il avait épuisé toute son inspiration pour le remarquable Hitcher. Chaque nouvelle scène va plus loin que la précédente. Au programme : l'alors craquante Jennifer Jason Leigh finissant écartelée entre deux camions ; le si charismatique Rutger Hauer fonçant dans une station service avec son break, un sourire machiavélique constamment collé aux lèvres, vers un énorme brasier ; une course-poursuite géniale entre des bagnoles en furie et un hélicoptère se servant de ses pâles comme d'une arme létale, qui se termine en une explosion phénoménale ; le héros se réveillant hagard dans un poste de police, théâtre d'un carnage terrible orchestré par le Hitcher en mode "killing spree"... Ce moment-là correspond sans doute à la meilleure scène du film. Quand le jeune héros déambule parmi les cadavres, dans une mare de sang noyant tout le commissariat et un silence de cathédrale, je me suis retrouvé. Je ne sais pas si je suis le Hitcher, ce tueur psychopathe qui laisse derrière lui des cadavres éventrés, ou ce jeune minet innocent mais constamment suspecté et chaperonné par un génie maléfique. Qui suis-je ?
Une fois, j'ai voulu faire partager ma découverte à mes parents, grands amateurs de thrillers efficaces. Je ne pensais pas à mal. J'imaginais qu'ils étaient assez forts pour accepter 10 morts par choc frontal, des piétons innocents écrasés, des écartèlements sordides et des gerbes de sang dans tous les sens. Je n'avais pas conscience que ma conception de la violence et de l'entertainmentétait aussi marginale. Je ne pensais pas être autant déphasé de mes parents. C'est lorsque mon père m'a regardé comme Gandalf fixe Frodon quand celui-ci déclare qu'il se porte volontaire pour amener lui-même l'Anneau jusque dans les laves du Mont Doom que j'ai réalisé qu'il n'avait peut-être pas pris autant son pied que moi. Ma mère avait les larmes aux yeux, mortifiée, peut-être notamment à cause de ma réaction d'extase lorsque le huitième piéton prend le pare-choc d'une Ford Mustang 1965 en plein dans le front, ou peut-être à cause de mon rire incontrôlable quand le flic est coupé en deux par un câble électrique et que le plan se termine par son bras qui s'envole, le pouce levé.
Parfois, la nuit, je ressens une douleur fulgurante au mollet. Une crampe me réveille et me laisse prostré pendant une demi-heure avant de pouvoir réagir. Cette crampe, je l'attribue à Robert Harmon. C'est de sa faute si je produis autant d'acide lactique. Son Hitcher est une odyssée de l'horreur au suspense insoutenable, un road movie déchaîné, sans temps mort, aussi fermement serré que le garrot d'un vieux toxico, aussi magnifiquement conçu et tranchant qu'une guillotine émoussée.
Hitcher, j'ai dû le voir 30 fois. C'est l'exemple idéal du thriller à la tension allant crescendo dans l'horreur. C'est le prototype du film porté par un méchant inoubliable pour lequel on prend fait et cause. Rutger Hauer y trimballe une putain de classe ! Ce film m'a inspiré. A 13 ans, je commençais à fuguer et à pratiquer l'auto-stop. Heureusement pour ma pomme, chance ou hasard, il s'avérait qu'un dénommé Francis Heaulmes rôdait dans la même zone que moi au moment où je commençais mon apprentissage. J'ai pu me ressaisir depuis, mais cette histoire a tout de même duré 4 ans. Je suis à l'origine d'un arrêté préfectoral qui interdit l'auto-stop dans le Jura. J'ai inspiré un site internet : stopautostop.com. Je voulais être Rutger Hauer. Le problème, c'est que je suis petit, basané, mal bâti et j'ai le poil et les yeux noirs. C'est là tout le drame de ma vie. Je soulageais ma peine en écoutant Riders on the Storm des Doors en boucle et en me repassant Hitcher chaque soir. Je suis l'auteur de la page wikipédia anglaise de 3 kilomètres de long consacrée à ce chef d’œuvre, et j'ai dû synthétiser un max.
Robert Harmon n'a rien fait d'autre ensuite. Rien de notable, seulement des daubes. Il avait épuisé toute son inspiration pour le remarquable Hitcher. Chaque nouvelle scène va plus loin que la précédente. Au programme : l'alors craquante Jennifer Jason Leigh finissant écartelée entre deux camions ; le si charismatique Rutger Hauer fonçant dans une station service avec son break, un sourire machiavélique constamment collé aux lèvres, vers un énorme brasier ; une course-poursuite géniale entre des bagnoles en furie et un hélicoptère se servant de ses pâles comme d'une arme létale, qui se termine en une explosion phénoménale ; le héros se réveillant hagard dans un poste de police, théâtre d'un carnage terrible orchestré par le Hitcher en mode "killing spree"... Ce moment-là correspond sans doute à la meilleure scène du film. Quand le jeune héros déambule parmi les cadavres, dans une mare de sang noyant tout le commissariat et un silence de cathédrale, je me suis retrouvé. Je ne sais pas si je suis le Hitcher, ce tueur psychopathe qui laisse derrière lui des cadavres éventrés, ou ce jeune minet innocent mais constamment suspecté et chaperonné par un génie maléfique. Qui suis-je ?
Une fois, j'ai voulu faire partager ma découverte à mes parents, grands amateurs de thrillers efficaces. Je ne pensais pas à mal. J'imaginais qu'ils étaient assez forts pour accepter 10 morts par choc frontal, des piétons innocents écrasés, des écartèlements sordides et des gerbes de sang dans tous les sens. Je n'avais pas conscience que ma conception de la violence et de l'entertainmentétait aussi marginale. Je ne pensais pas être autant déphasé de mes parents. C'est lorsque mon père m'a regardé comme Gandalf fixe Frodon quand celui-ci déclare qu'il se porte volontaire pour amener lui-même l'Anneau jusque dans les laves du Mont Doom que j'ai réalisé qu'il n'avait peut-être pas pris autant son pied que moi. Ma mère avait les larmes aux yeux, mortifiée, peut-être notamment à cause de ma réaction d'extase lorsque le huitième piéton prend le pare-choc d'une Ford Mustang 1965 en plein dans le front, ou peut-être à cause de mon rire incontrôlable quand le flic est coupé en deux par un câble électrique et que le plan se termine par son bras qui s'envole, le pouce levé.
Parfois, la nuit, je ressens une douleur fulgurante au mollet. Une crampe me réveille et me laisse prostré pendant une demi-heure avant de pouvoir réagir. Cette crampe, je l'attribue à Robert Harmon. C'est de sa faute si je produis autant d'acide lactique. Son Hitcher est une odyssée de l'horreur au suspense insoutenable, un road movie déchaîné, sans temps mort, aussi fermement serré que le garrot d'un vieux toxico, aussi magnifiquement conçu et tranchant qu'une guillotine émoussée.
Hitcher de Robert Harmon avec Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh et C. Thomas Howell (1986)