Vous n’êtes peut-être pas au courant, et comment vous en vouloir quand pratiquement personne n’en a eu vent, mais le dernier film de Rob Reiner est sorti le 1er avril 2014, en direct-to-dvd. Dites-moi que c’est une blague, un poiscaille d'avril ! Rob Reiner, en direct-to-dvd… Le respect et le bon sens ont donc définitivement foutu le camp de cette planète ? Doit-on rappeler que Rob Reiner est l’honorable réalisateur de This Spinal Tap, référence inclassable dans les rayons de toutes les médiathèques du monde, posé en équilibre sur la tranche de bois qui sépare le bac « rockumentaires » du bac « mockumenteurs » ? L’homme a ensuite mis en boîte Stand by me et Misery, deux beaux hommages au King quant à eux dûment rangés parmi les rockumentaires. Rob est aussi l’auteur de Quand Harry rencontre Sally, de Des hommes d’honneur, et, après 1992, de plein de merdes. Quelle honte de ne même pas accorder une sortie ciné à son dernier va-tout. Certes Sans plus attendreétait une horreur, et Flippedétait pire, mais le minimum de dignité que l’on puisse encore accorder à Rob Reiner c’est de sortir ses pelloches, aussi chiatiques puissent-elles être, sur grand écran… D'autant qu'il s'emmerde à les tourner en 35mm pour nous foutre du grain plein les mirettes sur toile géante. Si vous ne le faites pas pour lui, faites-le pour Freeman, le dernier dinosaure ! Morgan Freeman mérite lui aussi quelques honneurs, non ? Dois-je dresser l'étendard de sa filmo, aussi long et fatigué que son étendard perso ? Surtout qu’il trouve ici son meilleur contrat depuis bien longtemps, loin des seconds rôles de valet de chambre et de femme de ménage dans les purges infâmes de Nolan.
Pourtant c’était pas gagné. Quand le film commence, Morgan est tout au fond du trou. On a de la peine de le voir comme ça. Il incarne Monty Wildhorn (Montag Klaxon-Sauvage dans la version franco-allemande d'Arte), un vieil écrivain en panne, fatigué. Notre homme a les deux jambes et le bras gauche paralysés depuis un lointain accident de bagnole. Et comme si ça ne suffisait pas, il est aussi dépressif et alcoolique depuis la mort de sa femme. Son neveu (Kenan Thompson), nommé Worried, ce qui en anglais signifie littéralement « Inquiet » et en dit long sur l’état d’esprit de ce jeune gars soucieux de son tonton, décide de le mettre au vert en l’isolant au calme sur l’île de Belle Isle. C’est là que le vieux Monty rencontre une voisine célibataire (Virginia Madsen) et ses trois filles, avec qui il va peu à peu tisser des liens. Progressivement, Monty remonte la pente et retrouve le sourire au contact de ses charmantes voisines et d’un clébard à la masse, qu’il nomme Spot en référence à ses propres et célèbres tâches de rousseur (Morgan Freeman était roux dans sa jeunesse). On craint cependant, durant tout le film, que la bonne ambiance qui s’installe foute le camp d’un seul coup, la faute à un cancer colo-rectal irrécupérable, à une chute mortelle au saut du lit, à un coma éthylique définitif, à un ouragan, à un accident de fauteuil roulant impliquant un train de marchandises sans conducteur ou n’importe quelle autre saloperie. Mais on a tort de se laisser gagner par l’angoisse. Leurs noms ont beau être de parfaits palindromes, Rob Reiner n’est pas Jean Becker, il ne se sent donc pas l’obligation de fumer ses personnages dans le dernier quart d’heure après nous avoir gaiment fait croquer dans le bonheur.
Non, bien au contraire, The Magic of Belle Isle, aka Un été magique, n’a pas volé son titre (contrairement au récent Quelques heures de printemps, titre mensonger signé Stéphane Brizé, cinéaste français qui ne porte que trop bien son nom de famille quant à lui…). Authentique feel good movie, le dernier Rob Reiner est agréable et le restera jusqu’au bout ! Oui, car le film n’est pas si mal. C’est même le meilleur film de son auteur depuis un bail. Vous me direz, c’était pas difficile. Mais ça ne sort pas au ciné. Allez piger… Pourtant ce film aurait sa place parmi les sorties estivales... Plaisir que de se faire un feel good movie au cinéma Le Coluche d'Istres, en plein été. C'est un cinoche sans climatisation ni ventilation, dont les salles sont dignes d'un four thermostat 7. J'y vais en compagnie d'une de ces quiches marteaux-pilons dont j'ai le secret, à qui je dois payer une place mais qui cuit tranquillement à côté de moi le temps de la séance, et je crois être gagnant quand je fais le calcul prix de la place/prix de l'électricité de mon four à bois. Quitte à me faire un feel good movie au Coluche, quand rien de valable ne sort sur les écrans, je préfère finir devant ce film que devant n’importe quel Barbecue. Même si en toute honnêteté je n’irais JAMAIS voir ça en salle. Faut pas déconner. Mais je suis content d’être tombé dessus à la télé, par hasard.
Reiner m’a scotché, je l’avoue. Il a empégué un spectateur avec ce truc, c’était moi, et j’en suis ravi. Parce que le portrait de ce vieil écrivain décrépi, qui retrouve un sens à sa vie et renoue avec la bonne humeur grâce, notamment, à sa petite voisine, Finnegan O'Neil (la toute mignonne Emma Fuhrmann, que l'on reverra je pense), qui lui demande de lui apprendre à développer son imagination et à inventer des histoires, est sincère et touchant. Certes le film est d’un académisme absolu, et certes il n’évite pas toutes les tartes à la crème parfum bons sentiments (je pense en particulier aux petites scènes dans lesquelles Monty aide un handicapé mental local qui se prend pour un lapin à se prendre pour un cowboy histoire d’avoir l’air moins con), ni toutes les bizarreries (comme quand, après s'être occupé des trois petites voisines toute une journée pour palier l'absence de leur mère, et après les avoir bordées en bon grand-père, Morgan Freeman va se détendre sur le porche et, observant Spot, son clébard blanc apathique, qui se lèche les couilles, murmure : « T'as pas tort, les journées comme celle-là, ça me file des envies qui chlinguent à moi aussi... »), certes. Mais les personnages sont sympathiques, au sens le plus fort du terme, et la relation entre le vieil homme et la petite Finnegan est à la fois simple et profonde, si bien que l’on embrasse sans aucun mal les émotions du personnage principal quand il confesse (difficile d’ailleurs de savoir si c’est Monty qui parle ou Freeman lui-même à ce moment-là) que ce nouveau rôle qu’on vient de lui attribuer lui offre un second souffle et suffit à lui donner envie de se lever le matin. C'est simple mais c'est touchant. Et c'est le réjouissant sursaut, on dvd only, de deux artistes, Morgan Freeman et Rob Reiner, que je considère comme mon oncle et ma tante.
Un été magique de Rob Reiner avec Morgan Freeman, Emma Fuhrmann, Virginia Madsen, Kenan Thompson, Madeline Carroll et Fred Willard (2014)