En 1985, George Miller donne un troisième volet à la saga qui l’a rendu célèbre. Contre toute attente, il décide de prendre à contrepied les fans de bagnole et de vitesse qu’il avait su se mettre dans la poche avec le premier volet de sa série, public que le second opus pouvait déjà choper à rebrousse poil avec son gros poids-lourd et son hélicoptère à pédales. Pas de véhicule-star dans le numéro 3, ou presque pas. La tire de Mad Max, sauf erreur (il s’agit d’une scène presque entièrement tournée dans le noir complet), explose assez tôt dans le film, quand Max travaille, le temps d’une journée, dans une fosse à porcs. On lui a piqué sa carriole au début du film (un coup de son vieil ami Gyro Captain, qui n'a pas reconnu ce cher Max enveloppé dans sa djellaba, quinze ans après leurs aventures du deuxième film), et pour la récupérer, notre héros accepte de se mettre au service de l’Entité (Tina Turner, qui pousse d’un cran l’habitude de mal jouer quand on joue dans un Mad Max, a fortiori quand on interprète un(e) méchant(e)), ce qui implique, croyez-le ou non, de ramasser de la fiente de cochon. Mairesse de Trocopolis, petite ville du désert, l’Entité demande à Max d’aller tripoter de la merde de porc (combustible de demain) dans les bas-fonds de sa ville, et d’y tuer pour elle Master/Blaster le maître des sous-sols pestilentiels de la cité, qui lui en dispute la main-mise. L’ennemi en question est un de ces fameux méchants à deux têtes comme on en a croisé ailleurs : un gros tas de muscle décérébré servant de jambes à un nain (soi-disant) très brillant, juché sur son dos.
Match de touffes.
Mais, ne renonçant pas à tous ses fétichismes, Miller, dans la première partie du film, assouvit tout de même son vieux fantasme de filmer du catch. Les méchants de Mad Max 2 avaient de vrais airs de catcheurs en cuir et à crêtes ; ici, on aura droit à notre combat de mecs. Mad Max (un Mel Gibson plus proche que jamais du look de William Wallace et toujours pas mad pour un sou), et Blaster, la fameuse montagne de muscles qui sert de gambas à Master (le « cerveau » du sous-terrain merdeux de Trocopolis), se retrouvent suspendus en l’air par des sangles, sous le dôme qui donne son triste titre au film, tels des nourrissons dans un parc, et ils se filent des coups jusqu’à ce que le héros gagne. Quand deux types entrent dans l'arène, un seul doit en ressortir vivant, c'est la règle, répétée environ trois cent fois. Mais Max est humain et quand il découvre que Blaster, sous son casque intégral, est un trisomique bodybuildé, il refuse de l'achever. Il comprendra d'ailleurs bientôt que Master n'est pas vilain non plus. Comme vous le voyez, tout cela est profondément intéressant.
Et puis on change brutalement de film. Quand Max, exilé dans le désert, est recueilli par une troupe d’enfants ébouriffés et un peu perchés, on passe tout d’un coup dans une sorte de manège Lucasfilm, une production Spielberg-Lucas, ou Disney (George Miller, auteur, producteur et réalisateur, avant Mad Max Fury Road, de Babe 2, le cochon dans la ville - on ne le rappelle jamais assez - lorgne sans détour vers Peter Pan). Le film prend les airs inquiétants d’un mélange (en partie anticipé) de Hook (les enfants perdus attifés comme des clodos bigarrés, qui rêvent d’un tomorrow-morrow-land et prennent Mad Max pour le messie), de Willow (avec le nain du duo de gérants de la porcherie et leurs cochons !), et de Star Wars (le gag où Mad Max poursuit un type dans un couloir et, après avoir disparu deux secondes au tournant, revient vers nous en courant encore plus vite, poursuivi à son tour par une meute d’ennemis, tel Harrison Ford dans L'Empire contre-attaque). Le combat final, sur un train rappelant Indiana Jones et la dernière croisade, est un combat à coups de poêle à frire dans la face, qui nous signale, au cas où on ne l’aurait pas remarqué, qu’on est loin des dégénérés de Mad Max 1 ou de la décharge de violence de Mad Max 2, et que bientôt George Miller se consacrera aux films pour gosses, avec, outre la suite des aventures du cochon devenu berger, la réalisation de Happy Feet 1 et 2. Autant dire que le basculement sans transition entre un combat de catcheurs dans une fosse à purin et un conte pour enfants avec cascade d'eau claire et cerf-volant en papier a de quoi déconcerter, voire laisser sur le carreau, n'importe quel fan de Mad Max. Le film est bien une sorte de double entité, à l'image de Master/Blaster, mais là où on pouvait espérer une première partie musclée et une autre intelligente, en réalité la seconde est simplement destinée aux tout petits...
Reste une idée pas inintéressante, dans la scène où les enfants paumés racontent à Max les épisodes successifs de leur mythologie de l’apocalypse, et usent pour ce faire d’un grand cadre rectangulaire fait de branchages qu’ils dirigent, du bout d’une perche, vers des images peintes dans le fond de leur grotte et sur lesquelles dansent les lueurs d’un feu, réinventant le cinéma sans le savoir, avant de scander le mot "vidéo" comme s'il s'agissait d'un Dieu inconnu. C’est la seule belle idée à sauver dans ce film de sinistre mémoire qui aura su plonger la saga dans l’oubli pendant trente ans.
Reste une idée pas inintéressante, dans la scène où les enfants paumés racontent à Max les épisodes successifs de leur mythologie de l’apocalypse, et usent pour ce faire d’un grand cadre rectangulaire fait de branchages qu’ils dirigent, du bout d’une perche, vers des images peintes dans le fond de leur grotte et sur lesquelles dansent les lueurs d’un feu, réinventant le cinéma sans le savoir, avant de scander le mot "vidéo" comme s'il s'agissait d'un Dieu inconnu. C’est la seule belle idée à sauver dans ce film de sinistre mémoire qui aura su plonger la saga dans l’oubli pendant trente ans.
Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre de George Miller, avec Mel Gibson, Tina Turner et Bruce Spence (1985)