à Papa B.
Dès le départ ça sent mauvais. La faute à ce bon vieux caca d'oie (filtre bleu, ou jaune, ou vert, ou autres couleurs désaturées, je n'en sais rien et je m'en fous) qui donne d'emblée au film ce look pseudo-rétro si surfait et si banal. Trois couleurs dans ce film, grand maximum : du beige, du jaune (principalement sublimé par le par-dessus jaune que porte le héros tout du long, cet incroyable par-doss qui lui vole quasiment la vedette) et du jaune foncé. J'en oublie peut-être une ou deux. Le noir, puisque c'est une couleur. Mais de toute manière elles se confondent toutes dans cette teinte vert-jaunâtre dégueulasse qui nous crie dessus "film noir d'époque classieux !", alors qu'on n'a rien demandé et qu'on aurait vite pigé. On sait dès les premières secondes qu'on va assister à un film noir néo-noir néo-classique noir très sérieux, sobre, sombre (pratiquement tourné dans le noir du coup), mais surtout long et chiant. Et c'est bien ça qu'on aura dans l'assiette. Un film de genre réchauffé, propre sur lui et absolument lénifiant. N'est pas James Gray qui veut, même si J. C. Chandor a l'air de faire des pieds et des mains pour lui ressembler.
C'est l'histoire d'un type en par-doss jaune, Abel (Oscar Isaac), qui a monté une boîte de transport de pétrole avec sa petite volonté de fer et qui s'apprête à racheter à des juifs un ancien chantier de livraison idéalement placé en bord de fleuve, histoire de faire grandir encore sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Mais il est emmerdé par un contrôle fiscal d'un côté, et par des concurrents mafieux qui volent ses camions à mains armées, ainsi que leur précieux chargement, de l'autre. Sans compter sur sa femme, Anna (Jessica Chastain), superficielle et menteuse, qui devrait l'aider mais n'est pas toujours très claire dans sa façon de gérer les finances de la boîte, ce qui pose d'autant plus problème que son mari revendique une parfaite droiture pour son entreprise. En parlant d'elle, être parvenu à rendre Jessica Chastain presque laide (malgré une ou deux scènes en décolleté qui raviront les fans les moins exigeants) n'est d'ailleurs pas le moindre des torts de J. C. Chandor. Et l'actrice n'y est certainement pour rien. Responsable ni de son look merdeux ni de la faiblesse du film. Pas plus qu'Oscar Isaac, qui fait son travail et qui mérite salaire, comme tout le monde. Non le problème est ailleurs, et il est multiple. Cette image affadie, appauvrie en couleurs, anesthésiée, est parfaitement symptomatique d'un film étriqué, monolithique, bien paresseux, incapable de surprendre son monde, incapable d'opérer le moindre virage pour décrocher ne serait-ce que temporairement d'un cahier des charges ultra programmé et imparable, infoutu de se libérer de sa ligne de conduite, ni dans sa mise en scène ni dans son scénario (signé Chandor aussi), et qui s'achève dans une scène finale plombée par une réplique et une image lourdes comme il s'en fait peu.
La réplique en question évoque ce maudit "rêve américain", et elle aura suffi à fournir son charbon à la plupart des critiques à gaz, dont sans doute celle de Télérama citée sur l'affiche, ravies de nous apprendre que, dites donc tenez-vous bien, le rêve américain est et a toujours été un paravent tendu devant un royaume pourri jusqu'à la moelle, une gigantesque scène de crime... Édifiant. L'image qui conclut le film et veut frapper les esprits n'est pas moins explicite : c'est celle d'un laissé pour compte, un ancien chauffeur au service d'Abel, en cavale depuis qu'il a résisté à sa deuxième agression au volant d'un chargement, qui finit sans rien alors que son patron termine le film les mains pleines, et qui, tandis qu'Abel, sa femme et son avocat viennent de finaliser le rachat du terminal de livraison situé près du fleuve et admirent leur acquisition, les rejoint et se tire une balle dans la tête, balle qui ressort de son crâne pour aller percer, derrière lui, une cuve de pétrole. Et Chandor insiste bien sur cette cuve perforée dont s'échappe un filet d'or noir, tandis que tout autour du trou ont éclaté des gouttes de sang... Fine métaphore. Abel qui, tel son homonyme biblique, vient de (faire se) tuer son frère, un autre immigré parti de rien, comme lui, bouche alors le trou de la cuve avec un mouchoir : préserver le pétrole, sauver le pognon, plutôt que les hommes. Le message n'est pas du tout martelé sur nos crânes. Merci monsieur Chandor de bien veiller à ce que tout le monde ait pigé votre film, et de faciliter la tâche à vos exégètes. Pour parvenir jusqu'à cette fin pleine d'enseignements subtils, il faut se fader un film long, très long. Pendant toute la projo j'arrêtais pas de me répéter la phrase de Pialat : "C'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma que c'est pas la peine, c'est du cinéma.... ad libitum".
A Most Violent Year de J.C. Chandor avec Oscar Isaac et Jessica Chastain (2014)