Le nom d'Hiromasa Yonebayashi ne vous dira probablement rien, déjà parce qu'il est putain de dur à retenir, ensuite parce que j'ai déjà oublié cet enchaînement de syllabes complètement aléatoire. Animateur sur de nombreux classiques du cinéma d'animation japonais (en gros, les Miyazaki et les Takahata, mais aussi Jin-Roh), Yoneyabashi fait partie de ces quelques noms qui circulaient au studio Ghibli lorsqu'il s'agissait d'évoquer la succession du big boss Hayao. C'est mal barré pour lui vu que je viens d'écorcher son nom et que non seulement vous ne vous en êtes pas aperçus, mais en plus je serais bien incapable de vous dire où je me suis planté au juste. Yo-ne-ba-ya-shi. Yonebayashi.
En 2010, Miyazaki père en est déjà à sa quatrième retraite, et Miyazaki fils, un temps envisagé par le studio pour prendre la relève (même nom de famille, pas con !), vient de méchamment se ramasser avec Les Contes de Terremer, un Ghibli tellement mineur que je ne l'ai même pas vu. C'est donc à Yobenayashi (je vous ai encore niqués) que revient la lourde tâche d'essayer d'égaler maître Miyagizaki, que même sur ce blog on estime, c'est vous dire s'il pèse lourd dans le milieu. Appliqué et respectueux de ses ancêtres comme le sont tous les Japonais, et aussi sans doute bieeeeen flippé à l'idée de faire un four et de planter le studio, Lionel Bayashi suit le petit manuel du parfait Ghibli au katakana près pour son premier film. De cette entreprise ô combien ambitieuse naît Arrietty Chabot et le petit monde des Chapardeurs, un Ghibli by the numbers donc, qui rencontre cependant le succès grâce à un coup de génie marketing encore jamais vu : cibler les enfants, ces merveilleux petits portefeuilles ambulants aux goûts cinématographiques misérables, qui font sous eux avec la même vigueur devant Mon Voisin Totoro que devant Les Minions 3 : Amis pour la Vie.
Fort de ce succès, notre Yonebayashi se lance dans un second long-métrage que je n'aurais jamais dû voir, échaudé que j'étais par ce coup d'essai convenu comme c'est pas permis. Mais la vie des pelloches trouve toujours un chemin, en l'occurrence celui du cinoche du quartier qui projetait Souvenirs de Marnie, et d'où je suis sorti littéralement ébahi.
Je le surestime sans doute un peu parce que c'est le genre de film qui choque, tout particulièrement au cinéma, dans cette curieuse expérience de groupe non consentie qui peut vous faire passer à coté d'un chef-d’œuvre comme vous faire prendre un pied total devant une semi-daube, pour peu que votre humeur et celle de vos compagnons soient ou non à l'unisson. Ghibli oblige, il y avait pas mal d'enfants dans la salle et je peux vous dire que durant les 1h43 que dure le film, pas un n'a moufté. Si des slibards ont été souillés, c'est plutôt par leurs parents qui, au fil du récit, suaient à grosses gouttes en se demandant ce qu'ils étaient en train d'exposer à leurs chers bambins. Le film est en effet très ambigu... En fait non, il n'est pas ambigu du tout, il est on ne peut plus direct : c'est l'explication qu'on voudra retenir après le film qui est ambiguë. Il raconte d'une façon à la fois très naïve et très frontale une histoire d'amour entre deux adolescentes mal dans leur peau.
Tellement naïve et frontale, apparemment, que la majorité des critiques ne l'ont pas relevée, ou n'ont pas voulu la relever, préférant parler d'amitié quand devant eux, deux jeunes filles se regardent face à face, mains dans les mains, pendant des minutes entières, en se déclarant qu'elles s'aiment et ne se quitteront pas. C'est vrai qu'il n'y a pas pénétration... Au-delà de l'autocensure parentalo-chrétienne de nos critiques officiels, difficile de ne pas s'imaginer, bonjour paranoïa, une quelconque pression de la part de Disney (distributeur des films Ghibli pour la France) pour inciter nos chères têtes grises/chauves à ne pas trop insister sur cet aspect pourtant central du film, et il faut aller fouiner sur des blogs encore plus obscurs que celui-ci pour enfin avoir l'impression de retrouver une description fidèle du film que l'on vient de voir. Si Kéchiche n'avait pas glissé ses balourdes scènes de teuch dans La Vie d'Adèle, en aurait-on parlé comme d'une histoire de coloc qui finit mal ?
Le parti-pris est d'autant plus audacieux qu'il s'agit d'un des rares, sinon le seul Ghibli que je connaisse, sans le moindre petit animal rigolo ou autre bestiole imaginaire kawaii. Hiromasa Yonebayashi nous émeut rien qu'avec des humains, ce qui n'est pas si fréquent dans l'animation. L'univers dépeint par le film est inhabituellement terre-à-terre, y compris dans ses nombreuses séquences fantasmées : à vrai dire, on se croirait plus dans un film de Kore-Eda, voire d'Ozu, que dans un Miyazaki. La galerie de personnages n'en est pas moins attachante : l’héroïne, Anna, pure adolescente à la fois méprisante et adorable, y côtoie un pêcheur silencieux, une grosse tante, un tonton à la cool, et évidemment, son fameux doppelgänger, Marnie. De par sa nature de personnage onirique et fluctuant, celle-ci sombre d'ailleurs parfois dans certains clichés irritants, bien que justifiés scénaristiquement ; à propos, histoire de couper court à un malentendu qui m'a longtemps habité, et malgré des clins d’œil évidents à Vertigo, dans la thématique ou cette séquence dans une vieille tour, le choix du prénom "Marnie" n'en est en réalité pas un : c'est simplement le prénom du personnage du roman dont est adapté le film.
Sans être un échec commercial, le film n'a malheureusement pas bien marché et a achevé de plomber Ghibli, bien aidé par le bide total du conte de la princesse Kaguya, avant-dernier film du studio. C'est assez compréhensible : on a affaire à un film pour enfants que bien des parents ne voudraient pas qu'ils voient. Cela dit, Souvenirs de Marnie n'est pas exempt de défauts. On peut prendre sa sincérité terrible pour de la niaiserie ; on peut surtout lui reprocher ne pas assumer jusqu'au bout les lectures audacieuses de l'intrigue qu'il dissémine tout au long du film (le twist final fait pousser un ouf de soulagement aux parents). Il n'en demeure pas moins très malin, et aussi beau visuellement que dans son propos. Souvent je repense aux films marquants de mon enfance, et je me dis que de leur coté, les filles n'ont jamais eu leur Stand By Me ou leur Goonies. Souvenirs de Marnie ne tire pas tout à fait sur les mêmes ficelles, ni sur les mêmes nouilles, mais c'est typiquement le film à montrer à une ado ou pré-ado mal dans sa peau. Toutes, en somme. Quitte à créer des armées de lesbiennes !
Souvenirs de Marnie d'Hiromasa Yonebayashi (2015)