Sincèrement, nous aurions adoré aimer The Master. Nous avions plutôt apprécié Boogie Nights et Magnoliaà l'époque de leurs sorties, et après l'inconfort et l'ennui ressentis devant l'improbable et trop loufoque pour être honnête Punch-Drunk Love, nous avions repris confiance en son auteur grâce à l'envoûtant There Will Be Blood. Aussi pensions-nous Paul Thomas Anderson tout à fait capable de nous livrer le premier très grand film de l'année. Mais, à la sortie de la séance, force est de constater que nous affichions des mines peu réjouies, pleines de regrets et d'amertume. Nous étions terriblement déçus. Nous venions de passer environ 5 heures à nous ennuyer comme rarement, très étonnés d'apprendre par la suite que le film ne durait en réalité que 144 petites minutes. Le temps nous a en effet paru très, très long devant The Master. Paul Thomas Anderson a pourtant un talent de cinéaste indéniable et il réussit parfois de très belles choses. On peut penser à la séquence du bal où le personnage joué par Joaquin Phoenix hallucine toutes les femmes de l'assemblée complètement nues dans un délire étrange, mais cette scène, sans doute la plus étonnante de l’œuvre, pâtit de la faiblesse de celles qui l'entourent immédiatement et ne peut prendre assise sur aucune autre pour s'élever comme elle le mériterait. "PTA", comme il est d'usage de l'appeler, parvient à furtivement capter notre attention, sans jamais, hélas, que tout cela ne semble lié et que ces fulgurances renforcent ou donnent du souffle à l'ensemble. Systématiquement, ces moments forts ne débouchent sur rien, ou pas grand chose. Nous avons donc fini par décrocher et par nous désintéresser totalement du film.
La première partie, qui doit durer grosso modo une demi heure, et qui se concentre sur le parcours de Freddie Quell (Joaquin Phoenix), avait pourtant su relativement nous intriguer avec ces premiers plans où Paul Thomas Anderson joue des concordances entre la bande sonore et la bande musicale de son film comme il l'avait expérimenté dans son film précédent, puis avec ces scènes où le comportement sexuel de Freddie Quell, soldat de la marine américaine attendant la fin de la seconde guerre mondiale avec sa compagnie sur une île du pacifique, surprend au moins autant que le mystérieux breuvage qu'il semble concocter dans une torpille de son bateau. L'intérêt ne décroît d'ailleurs pas immédiatement puisque le retour au pays du héros est marqué par sa relation sulfureuse avec une mannequin pour prêt-à-porter sortie de nulle part (la scène où elle déambule en disant le prix de son manteau en fourrure à toutes les femmes qu'elle croise rappelle vaguement l'ambiance de certaines scènes de Catch me if you can) et par la reprise d'une carrière de photographe compromise par un comportement brutal et grotesque d'ancien soldat traumatisé. Mais notre implication dans le récit chute dès après le plutôt beau travelling qui accompagne l'entrée de Freddie Quell dans le navire de Lancaster Dodd (un Philip Seymour Hoffman toujours plus rougeaud). A partir de cet instant on sort du film peu à peu pour ne plus jamais y entrer à nouveau, désintéressés à tout jamais de ces personnages inconsistants ou grossiers et des rapports bizarres qu'ils entretiennent, plus anecdotiques que d'une grande portée. Le plus gros problème du film est sans doute qu'il ne raconte pratiquement rien. Nous n'avons même pas évoqué le fait que Lancaster Dodd est censé être l'initiateur de l’Église de Scientologie et qu'il prend Freddie Quell comme associé-patient-cobaye en le soumettant à toutes sortes d'exercices idiots sous la houlette de son épouse autoritaire (Amy Adams), mais vu que le film parle de tout cela sans en parler et qu'il ne nous dit finalement rien d'intéressant à ce sujet, c'est de bonne guerre. Son vrai sujet serait plutôt la relation difficile de deux hommes qui s'attirent et se repoussent, qui s'aiment sans pouvoir faire tomber le mur qui les sépare. Ce père d'adoption et ce fils spirituel finiront par se quitter dans un ultime dialogue de sourds autour d'un bureau, exactement comme à la fin de There Will Be Blood, mais avec l'ampleur d'un vrai scénario en moins et la chanson ridicule de Philip Seymour Hoffman en plus.
Comme Paul Thomas Anderson lui-même, ses acteurs ont un talent fou, mais ils en ont peut-être trop conscience... Ils sont très démonstratifs et donnent presque l'impression de se regarder jouer. A commencer par l'omniprésent Joaquin Phoenix, qui impressionne souvent et parvient à donner une allure très marquante à son personnage, mais qui finit par lasser. En outre, quelque chose nous manque cruellement pour que l'on se sente véritablement concerné par ses errements. Quand, lors d'un flashback, on le voit enfin à peu près heureux, aux côtés de la jolie rousse qu'il a dû quitter pour partir à la guerre, la scène vient trop tard, et on s'en moque un peu. Quand il retourne chez elle et tombe seulement sur sa mère, c'est encore pire, c'est long, et ça n'a eu plus aucun effet sur nous. En réalité, The Master manque terriblement d'enjeux et nous avons logiquement fini par lâcher prise devant ce film si maîtrisé et froid, un peu comme Phoenix lui-même quand il marche du mur à la fenêtre dans la grande maison de son gourou sans comprendre ce qu'on attend de lui, trouvant ça finalement assez couillon et faisant semblant d'y croire le temps nécessaire pour qu'on lui lâche la grappe définitivement.
The Master de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman et Amy Adams (2013)
La première partie, qui doit durer grosso modo une demi heure, et qui se concentre sur le parcours de Freddie Quell (Joaquin Phoenix), avait pourtant su relativement nous intriguer avec ces premiers plans où Paul Thomas Anderson joue des concordances entre la bande sonore et la bande musicale de son film comme il l'avait expérimenté dans son film précédent, puis avec ces scènes où le comportement sexuel de Freddie Quell, soldat de la marine américaine attendant la fin de la seconde guerre mondiale avec sa compagnie sur une île du pacifique, surprend au moins autant que le mystérieux breuvage qu'il semble concocter dans une torpille de son bateau. L'intérêt ne décroît d'ailleurs pas immédiatement puisque le retour au pays du héros est marqué par sa relation sulfureuse avec une mannequin pour prêt-à-porter sortie de nulle part (la scène où elle déambule en disant le prix de son manteau en fourrure à toutes les femmes qu'elle croise rappelle vaguement l'ambiance de certaines scènes de Catch me if you can) et par la reprise d'une carrière de photographe compromise par un comportement brutal et grotesque d'ancien soldat traumatisé. Mais notre implication dans le récit chute dès après le plutôt beau travelling qui accompagne l'entrée de Freddie Quell dans le navire de Lancaster Dodd (un Philip Seymour Hoffman toujours plus rougeaud). A partir de cet instant on sort du film peu à peu pour ne plus jamais y entrer à nouveau, désintéressés à tout jamais de ces personnages inconsistants ou grossiers et des rapports bizarres qu'ils entretiennent, plus anecdotiques que d'une grande portée. Le plus gros problème du film est sans doute qu'il ne raconte pratiquement rien. Nous n'avons même pas évoqué le fait que Lancaster Dodd est censé être l'initiateur de l’Église de Scientologie et qu'il prend Freddie Quell comme associé-patient-cobaye en le soumettant à toutes sortes d'exercices idiots sous la houlette de son épouse autoritaire (Amy Adams), mais vu que le film parle de tout cela sans en parler et qu'il ne nous dit finalement rien d'intéressant à ce sujet, c'est de bonne guerre. Son vrai sujet serait plutôt la relation difficile de deux hommes qui s'attirent et se repoussent, qui s'aiment sans pouvoir faire tomber le mur qui les sépare. Ce père d'adoption et ce fils spirituel finiront par se quitter dans un ultime dialogue de sourds autour d'un bureau, exactement comme à la fin de There Will Be Blood, mais avec l'ampleur d'un vrai scénario en moins et la chanson ridicule de Philip Seymour Hoffman en plus.
Comme Paul Thomas Anderson lui-même, ses acteurs ont un talent fou, mais ils en ont peut-être trop conscience... Ils sont très démonstratifs et donnent presque l'impression de se regarder jouer. A commencer par l'omniprésent Joaquin Phoenix, qui impressionne souvent et parvient à donner une allure très marquante à son personnage, mais qui finit par lasser. En outre, quelque chose nous manque cruellement pour que l'on se sente véritablement concerné par ses errements. Quand, lors d'un flashback, on le voit enfin à peu près heureux, aux côtés de la jolie rousse qu'il a dû quitter pour partir à la guerre, la scène vient trop tard, et on s'en moque un peu. Quand il retourne chez elle et tombe seulement sur sa mère, c'est encore pire, c'est long, et ça n'a eu plus aucun effet sur nous. En réalité, The Master manque terriblement d'enjeux et nous avons logiquement fini par lâcher prise devant ce film si maîtrisé et froid, un peu comme Phoenix lui-même quand il marche du mur à la fenêtre dans la grande maison de son gourou sans comprendre ce qu'on attend de lui, trouvant ça finalement assez couillon et faisant semblant d'y croire le temps nécessaire pour qu'on lui lâche la grappe définitivement.
The Master de Paul Thomas Anderson avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman et Amy Adams (2013)