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Channel: Il a osé !
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Le Monde, la Chair et le Diable

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The World, The Flesh and the Devil, sous son titre plaisant bien qu’un peu pompier, est un petit film de science-fiction américain réalisé en 1959 par un scénariste de renom, Ranald MacDougall, qui termina sa carrière comme triste égérie d’une célèbre chaîne de restauration rapide spécialisée dans le hamburger, déguisé en con de clown. Le film, comme beaucoup d’autres après (et peut-être avant) lui, dépeint une sorte de fin du monde bien précise : celle où l’humanité s’est volatilisée. Un seul quidam demeure, ici nommé Ralph Burton et interprété par le beau Harry Belafonte. Mineur de son état, Ralph se retrouve bloqué sous terre par un éboulement. Après avoir appelé à l’aide en vain, il finit par s’extirper du sous-sol par ses propres moyens et découvre un monde totalement désert. On saura bientôt que suite à une guerre nucléaire, les populations ont vidé les villes et l’humanité s’est éteinte. Ou presque, puisqu'il reste Ralph, seul au monde.




Les plans qui nous le montrent parcourant les immenses artères d'une New-York absolument déserte sont d’ailleurs magnifiques. Quand on se souvient de tout le tapage qu’on nous avait fait autour de Vanilla Sky et de Tom Cruise conduisant sa bagnole dans la grosse pomme miraculeusement vide… quel exploit. Ranald MacDougall s’en était autrement mieux tiré il y a plus de soixante ans, et s’était même laissé grisé par son idée au point de péter vaguement plus haut que son cul et de nous offrir un menu maxi best of en refaisant la scène du Cuirassé Potemkine avec les statues de lions qui s’animent grâce au montage, sauf qu’ici le lion réveillé image par image ne s’articule pas à la canonnade d'un QG d'officiers mais à la prière de Ralph dans une église elle aussi désespérément vide.




Le film ne s’en prend pas seulement au nucléaire, il s’attaque surtout au racisme. Car bientôt Ralph découvre qu’il n’est pas totalement seul. Après s’être amouraché d’un mannequin de vitrine (ce qui n’est pas sans rappeler les mésaventures de Will Forte dans la récente série Last Man on Earth, où l’on retrouve d’ailleurs, comme dans le film de MacDougall, ce petit couac typique des films du genre : jamais le personnage ne tombe sur le moindre cadavre…), Ralph pète un plomb et balance la femme en plastique par la fenêtre quand il entend soudain un cri, qui ne vient pas du mannequin mais d’une vraie femme, en chair et en os, qui le guettait depuis longtemps en cachette et, voyant le mannequin s'écraser au sol, a cru à un suicide. Ralph rencontre ainsi Sarah Crandall (Inger Stevens), autre survivante, et les deux tourtereaux vont tenter de se plaire et de s’aimer, même si rien, au fond, ne les rapproche. Ils passent en réalité la majeure partie de leur temps à se disputer. Le bât blesse quand Sarah s’emporte et lâche à Ralph qu’elle est une femme « libre et blanche », laissant sourdre un vieux fond de racisme latent (faut-il l’être au moins un peu pour ne pas craquer devant Harry Belafonte, ma parole).




Et lorsqu’un troisième larron, Ben (Mel Ferrer, croisé chez Lang et Renoir ainsi que dans pas mal de films historiques), débarque à Manhattan, notre bon Ralph s’éclipse (il consacre la plupart de son temps à chercher des rescapés ou à sauver les livres de la bibliothèque du coin) pour laisser s’ébattre le joyeux couple blanc. Mais le deuxième homme sur terre ne l’entend pas de cette oreille et préfère faire le ménage pour couler des jours heureux seul avec sa nouvelle Eve. S’ensuit une très belle scène finale de chasse à l’homme, où Ben, juché sur les toits de New-York avec un fusil à lunette, traque Ralph, tapi dans l’ombre des rues. Tout un symbole, qui pourrait être lourd s’il n’était pas si dignement mis en scène, et si la fin du film n’était pas aussi simple et bienvenue : le « The Beginning » qui clôture le film, tandis que les trois survivants s'éloignent main dans la main, évoque la célèbre dernière réplique de Casablanca (« This is the beginning of a beautiful friendship »), et sonne moins comme un tour de manche que comme une intéressante conclusion : ouverte et ambigüe, heureuse et compliquée.


Le Monde, la Chair et le Diable de Ranald MacDougall, avec Harry Belafonte, Inger Stevens et Mel Ferrer (1959)

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